NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Exemples plus admirables qu'imitables

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.

XXXII



Voici des faits que certaines gens trouveront étranges, mais qui sont la preuve sensible d'une ardente et touchante piété envers Notre-Dame de Rochefort.

En 1829, on vit un jour, non sans émotion, un jeune enfant, venu de La Palud, mais originaire de Connaux, gravir la saine montagne à genoux nus. Il s'appelait Joseph Ferrouillon, et n'était âgé que de neuf ans. Sa mère et sa grand'mère, avec qui il habitait, marchaient à côté de lui. Cet enfant accomplissait ainsi un vœu fait pour lui à la Sainte Vierge, quelques années auparavant, et qui lui avait obtenu une parfaite guérison de ses jambes. Quand il arriva à la chapelle qui était remplie de pèlerins, ses genoux étaient tout en sang, et on dut lui arracher les graviers qui lui étaient entrés dans les chairs.

Trente-deux ans plus tard, Joseph Ferrouillon, père de sept enfants, habitait le Moulin-à-Vent, prés Lyon, où il exerçait la profession de sellier et bourrelier. Dans une lettre naïve, publiée par le P. Jobert, il raconte toute son histoire : à sa naissance il était estropié; ses deux genoux étaient derrière, et ses deux talons devant. Un docteur d'Avignon demandait trois mille francs pour une opération, mais sans répondre du succès. La grand'mère de l'enfant le promit, c'est-à-dire le voua à Notre-Dame de Rochefort ; et à l'âge de quatre à cinq ans, il fut parfaitement guéri, le jour de l'Assomption. Le vœu était que, s'il guérissait, il gravirait une fois en sa vie, à genoux nus, la montagne de Rochefort. On lui fit accomplir ce vœu à l'âge de neuf ans.

Vers 1838, le 16 juillet, fête de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, un homme de Bagnols ou des environs, mais dont on ne put savoir le nom, passait au pied de Notre-Dame, se rendant à Beaucaire pour la foire prochaine. Il laissa dans une des maisons voisines du chemin de Roquemaure une troupe d'ânes et de mulets dont il était marchand, et se dirigea vers la sainte chapelle. Arrivé prés du rocher, il releva ses pantalons au-dessus des genoux, se fit lier les mains derrière le dos par sa jeune fille qui l'accompagnait, s'agenouilla et gravit ainsi la montagne jusqu'au sanctuaire par le sentier difficile, des pèlerins, au levant du rocher (là où sont aujourd'hui les stations du Chemin de la Croix).
Ce fait étonnant eut pour témoins, MM. les directeurs du Grand Séminaire d'Avignon, et plus de cinquante jeunes ecclésiastiques leurs élèves, dont plusieurs étaient émus jusqu'aux larmes.

Au mois de septembre 1857, quelques jours avant la fête de la Nativité de Marie, les PP. Maristes et plusieurs autres personnages, virent une femme inconnue, venant de loin, gravir à genoux la montagne, encore par ce sentier qui était à l'Est. Elle mit plus d'une heure et demie pour arriver ainsi aux pieds de la Vierge. Elle était inondée de sueur, et ne s'appuyait point avec ses mains pendant le trajet. Un acte d'une ferveur extraordinaire fut remarqué au mois de septembre 1860. On vit un homme demeurant à genoux, sans appui, et sans s'asseoir toute une nuit, auprès d'un pilier de la chapelle, et parmi les autres pèlerins.

L'année suivante, trois jours avant l'Assomption, une femme âgée d'environ 40 ans, et malade depuis trois ans, arrivait nu-pieds des environs de Bagnols. Elle venait demander principalement d'être délivrée de grandes peines intérieures.

Un jour d'hiver, en 1860, un homme de Rochefort, nommé Audibert, fit à genoux l'ascension de la montagne ; voici dans quelles circonstances : Sa jeune femme mit au monde deux jumeaux ; le premier naquit heureusement; mais le second ne pouvait naître, étant replié sur lui-même dans le sein de sa mère. Celle-ci éprouvait d'horribles souffrances, et sa vie était grandement en danger. Au bout de deux jours, on se décida à faire venir un médecin, M. Cade d'Avignon. Cependant, dès le point du jour, le mari vint à Notre-Dame, monta la sainte montagne à genoux, et fit dire une messe à la chapelle, pour demander la délivrance et la guérison de sa femme. Le médecin, à son arrivée, reconnaissant la gravité du mal, engagea lui-même le malade et toute la famille à se recommander à Notre-Dame ; il pria avec eux, et travailla pendant deux heures à l'accouchement. Voyant qu'il ne pouvait réussir qu'en arrachant l'enfant, il eut soin de le baptiser d'avance. L'enfant mourut, mais la mère fut sauvée, et retrouva une santé parfaite. Le médecin avoua, devant les chapelains de Notre-Dame, qu'il voyait là, sinon du miraculeux, du moins une marque évidente d'une particulière protection de Notre-Dame de Grâce.

Le 17 juillet 1863, Mme Aureby, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, venait en pèlerinage, accompagnée de sa mère, et gravissait la montagne à genoux, en accomplissement d'un vœu qu'elle avait fait, il y avait trois ans, pour obtenir la guérison de sa petite fille, grâce que la Sainte Vierge lui avait accordée.

Le 13 septembre de la même année, fête du Saint Nom de Marie, la foule était immense sur la montagne sainte. A un moment donné, il se produisit parmi les pèlerins un mouvement inaccoutumé. Qu'était-ce donc ? C'était un père de famille, de la paroisse de Saint-Quentin, qui gravissait la colline à genoux et se dirigeait ainsi vers la sainte chapelle. Arrivé devant l'autel, il pria un quart d'heure les bras en croix. Il demandait une grâce pour lui et pour son enfant.

Casimir Rouvier, jeune homme de Brignon, arrondissement d'Alais, partait de chez lui, avec un compagnon de voyage, le soir du 30 avril 1864, et arrivait à Notre-Dame le lendemain matin. Il venait remercier la bonne Vierge de l'heureuse convalescence de sa sœur qu'une maladie avait conduite aux portes du tombeau. Le jeune homme avait prié pour la conservation de la malade, mais ne s'était engagé à rien. Cependant, pour exprimer toute sa gratitude à Celle qui guérit et console, il avait voulu faire son pèlerinage nu-pieds, et parcourir ainsi quarante-quatre kilomètres. Unissant la modestie à la générosité, il cherchait à cacher cette dernière particularité ; mais son pieux ami la révéla aux gardiens du sanctuaire, pour les édifier et leur faire partager l'admiration dont il était lui-même rempli. Ces deux jeunes hommes reçurent les sacrements, et ne repartirent qu'après avoir satisfait longuement leur dévotion.

Terminons par un fait qui nous est personnellement connu. En 1906, une religieuse sécularisée, encore jeune, nous exprima le désir de parcourir à genoux les stations du Chemin de la Croix. Craignant de contrarier une inspiration de la grâce divine, nous la laissâmes libre. Elle gravit donc à genoux sans se relever une fois le long et rude chemin depuis la chapelle de l'Agonie jusqu'aux trois croix monumentales. Il lui fallut près de deux heures. Arrivée au sommet, elle avait les genoux ensanglantés, et nous éprouvions une sorte de remords d'avoir consenti à cette héroïque pénitence.