NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Nombreux paralytiques guéris

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.

XVIII

Un des plus célèbres miracles est celui que fit saint Pierre, lorsqu'il fit marcher le paralytique qui se tenait á la porte du temple de Jérusalem, comme il est rapporté dans les Actes des Apôtres.

Or, un volume ne suffirait pas pour raconter en détail tous les prodiges du même genre, opérés par l'invocation de Notre-Dame de Rochefort. Il faut nous borner à quelques-uns.

Le premier, remonte à l'année qui suivit la réouverture de la chapelle. Il eut lieu le 15 août 1635. Une personne âgée de vingt-quatre ans, nommée Anne Bergéze, portait depuis trois ans une grosse tumeur au genou droit, avec une inflammation cruelle et une douleur très sensible. Ce mal lui avait retiré les nerfs et tendu les muscles, en sorte qu'elle ne pouvait toucher ta terre avec ce pied, qui demeurait toujours suspendu, quelque effort qu'elle fît pour s'en servir. La médecine et la chirurgie avaient épuisé tout ce qu'elles ont d'adresse, lorsque Dieu inspira à cette, affligée de se faire porter à la chapelle de Notre-Dame de Rochefort, dont on disait tant de merveilles. M. Icard, son curé, l'y accompagna, reçut sa confession dans la chapelle. Pendant la messe que cette malade entendit, elle sentit l'opération de Dieu sur elle, et cela si subitement qu'elle fut sur l'heure à l'offrande sans avoir besoin d'aucun secours, pas même des béquilles dont elle s'était servie depuis trois ans. Tous les assistants, qui virent ce miracle, rendirent grâces à Dieu et gloire à sa divine Mère. M. Icard, curé de la miraculée, fit dresser une attestation authentique, signée de plusieurs témoins.

Une autre fille, nommée Dauphine, née à Montaut, mais habitant Avignon, était paralytique depuis six ans. Elle avait les nerfs retirés, une jambe entièrement immobile et tout le corps courbé ; à peine pouvait-elle se traîner un peu sur deux potences, et en outre elle sentait de très grandes douleurs par tout le corps. En un mot, elle faisait pitié à tous ceux qui la voyaient, et les médecins jugeaient cette infirmité incurable.
L'infirme se traîna comme elle put à la chapelle de Rochefort, la veille de la Saint- Jean-Baptiste de l'année 1635, parla à un bon Père Récollet, qui lui dit de tout espérer par les mérites de la Sainte Vierge, et do se disposer par une bonne confession. Elle le fit, et dès le lendemain, entendant la messe dans la chapelle, elle eut une sueur générale, reçut ensuite la sainte communion, et se trouva redressée, parfaitement guérie. Elle s'en retourna chez elle à pied, sans aucun secours.

M. Crouzet, de Viviers, docteur en l'un et l'autre droit, avait un fils nommé Pierre, qui depuis sa naissance jusqu'à l'âge de quatorze ans, avait joui d'une fort bonne santé et était fort bien fait de sa personne. Il fut ensuite affligé d'une fluxion cruelle, qui, descendant du cerveau, s'était jetée sur l'épine du dos, et l'avait tellement courbé et contrefait, qu'il n'avait presque pas la figure d'un corps humain ; sa tête était renversée en dehors et sans mouvement, sa poitrine et son estomac horriblement voûté, l'épine enfoncée, les pieds tout crochus ; enfin ce petit corps était un vrai spectacle d'horreur. Tous les moyens humains furent employés sans aucun résultat.

Les parents affligés cherchèrent un secours plus puissant que celui de l'art et de la nature. M. Crouzet et sa femme Catherine Faure de la Farge firent vœu de porter leur cher malade à la chapelle de Rochefort, et après leur vœu firent célébrer une messe à Notre-Dame de Viviers. Aussitôt le petit paralytique fut redressé, et aussi parfaitement guéri que si jamais il n'avait eu aucun mal. Le père, revenant au logis, trouva son enfant en santé et toute sa famille dans la joie. Il vint à Rochefort avec sa femme, sa belle-sœur et son enfant guéri ; fit une ample déclaration de ce miracle, qu'il signa avec d'autres personnes de qualité.

Le 13 juin 1635, les Pénitents gris de Beaucaire vinrent en procession à Notre-Dame de Rochefort. Un paysan de la même ville,nommé Jean Perret, avait un fils nommé Barthélemy, âgé de douze ans, perclus des deux jambes depuis deux ans, avec le corps tout courbé, bossu devant et derrière, et les genoux si pliés qu'il ne pouvait marcher. Jean Perret porta son malade à la suite de la procession, avec tant de foi et de confiance, qu'il obtint le jour même tout ce qu'il demandait. Car, à la messe qui se célébra dans la sainte chapelle en présence de tout le peuple, le paralytique alla de son pied à l'offrande, sans secours ni appui, et se trouva subitement redressé et si bien fortifié qu'il accompagna la même procession jusqu'à Beaucaire.

Un miracle semblable s'opérait, le 28 mai 1636, sur la personne de Pierre Noël, de Barbentane en Provence. Il était âgé de dix-huit ans quand il devint tout à la fois manchot et boiteux, par une paralysie qui lui ravit absolument l'usage d'un bras et d'un pied. Le mal dura douze ans, pendant lesquels l'infortuné se traînait péniblement avec le secours de deux potences. Entendant alors parler des merveilles qui s'accomplissaient tous les jours sur la sainte montagne de Rochefort, il fit vœu de se rendre à ce saint lieu. En effet, il s'y traîna avec beaucoup de peine, s'y confessa, y communia dévotement, et s'agenouilla encore perclus du bras et de la jambe devant l'autel. En un instant, Dieu rendit à son bras et à sa jambe la complète liberté de leurs mouvements. Les nombreux assistants s'unirent à lui pour rendre grâces à Dieu et à la Sainte Vierge ; et s'il n'emporta pas son grabat comme le paralytique de l'Évangile, il laissa ses deux béquilles comme un trophée aux pieds de sa Libératrice.

Une femme veuve, nommée Dauphine Lati, demeurant à Beaucaire, était paralysée de tout son corps. Loin de pouvoir marcher, elle ne pouvait ni remuer le bras, ni lever la main pour la porter à la bouche. Elle resta dix-huit mois dans ce pitoyable état ; des voisines touchées de compassion, lui conseillèrent de faire un vœu à Notre-Dame de Rochefort, et de promettre de visiter ce saint lieu. Elle résista d'abord, se sentant incapable de tenir une pareille promesse; puis elle se décida et fit son vœu. En même temps, elle appela sa sœur et sa nièce, qui l'habillèrent, la descendirent et la conduisirent sur le chemin de Rochefort, la soutenant ou plutôt la portant sur leurs bras. À peine eut-elle fait ainsi un peu de chemin, qu'elle sentit la vertu divine qui lui rendait ses forces et lui ordonnait de marcher. Quittant celles qui la portaient, elle marcha fort bien toute seule, fit le reste du chemin les pieds nus, au ravissement de ceux qui la connaissaient, et l'avaient vue dans sa paralysie il n'y avait qu'un moment. Elle vint rendre grâces à sa divine Libératrice, et sa déclaration fut signée par M. Bastide, prêtre, et par plusieurs autres témoins. C'était le 16 mars 1641.

Marguerite Marguassy n'avait que cinq ans, quand elle fut affligée d'une paralysie générale qui réduisit tout son petit corps à l'immobilité. Son mal avait duré huit ans, malgré tous les remèdes, sans aucune amélioration ; mais, quand on eut bien constaté l'impuissance de la nature et de l'art, Dieu travailla. La mère entreprit le voyage de Rochefort, fit ses dévotions à la chapelle, fit inscrire le nom de sa fille malade dans le livre de la Confrérie, fit dire des messes à son intention, et s'en retourna à sa maison, où elle trouva sa fille en parfaite santé. L'information est du 18 août 1641.

Encore un miracle qui s'accomplit dans des circonstances bien remarquables. Richarde Bonis, fille d'un habitant de la Bastide, du diocèse de Carpentras, d'abord bien saine et bien constituée, fut atteinte d'un mal étrange qui lui prit la moitié du corps, depuis la ceinture jusqu'à la plante des pieds, le reste de sa personne demeurant en santé. Sa paralysie lui enlevait complètement l'usage de ses jambes et de ses pieds, elle ne pouvait remuer qu'en se traînant sur deux potences. Les médecins et les chirurgiens avaient, épuisé leur art et leur industrie, lorsque cette affligée demanda permission à ses parents de faire vœu à Notre-Dame de Rochefort. Elle le fit, et on la porta à la sainte Montagne.

Comme elle entendait la messe dans la chapelle, au moment où elle offrait une jambe de cire, pour marquer par ce présent le secours dont elle avait besoin, ses deux jambes furent remises en un instant. Elle sentit et on entendit craqueter ses os, qui se remettaient dans leurs jointures, et elle se trouva parfaitement guérie. Elle fit ses dévotions et s'en retourna à pied dans la maison de son père.
Ce miracle, qui eut autant de témoins qu'il y avait de personnes dans la chapelle, fit un éclat extraordinaire. Le curé de la paroisse se crut obligé, pour l'honneur de Dieu et de sa sainte Mère, d'en faire une information authentique. Il vint à la maison de cette jeune fille, se fit accompagner du chirurgien qui l'avait traitée, on la visita, on interrogea juridiquement les domestiques, et tous ceux qui l'avaient vue dans son mal et qui la voyaient en santé. On en fit une attestation en forme, qui fut signée du curé, des consuls du lieu, et de beaucoup d'autres témoins. Elle est datée du 5 septembre 1641.

Pour terminer ce chapitre, nous raconterons un miracle attesté par un seigneur de qualité, qui a voulu en dresser l'acte de sa propre main, et y apposer son seing et son cachet (1).

(1) Dom Mège, La Sainte Montagne, chapitre VII.

Voici son récit un peu abrégé et rajeuni :
Nous Pierre Canteluce des Rollands, seigneur de Beauville et Relhanette (actuellement Rielhanette 26570), et en partie de Reines, certifions à tous que Barthélemy Giraud, fils de Pierre, notre châtelain en ce lieu de Relhanette, âgé d'environ vingt ans, a été l'espace de six à sept ans tellement indisposé, que dans les premiers mois de l'année 1636, on n'en attendait que la mort. La première et principale maladie étant aux jambes, il y ressentait de si grandes douleurs, qu'il ne trouvait repos ni de jour ni de nuit. Ses nerfs, qui s'étaient peu á peu retirés, ne lui permettaient pas, couché ou debout, d'étendre ses jambes, qu'il avait déjà aussi grêles que les bras, tellement tordues et débiles qu'elles ne le pouvaient soutenir ; étant contraint, lorsqu'il voulait aller du lit à la table ou à la porte de sa maison, de marcher sur ses pieds et ses genoux ; devenu au reste de son corps si sec et si décharné, qu'on l'eût pris pour un squelette ou pour un mort, plutôt que pour une personne vivante.
Le pauvre père, extrêmement affligé, voyant l'inutilité de tous les remèdes, entendant parler des merveilles que la divine bonté opérait journellement, par l'intercession de la très Sainte Vierge en sa sainte chapelle de Rochefort, se résolut d'y conduire son fils. -Y pensez-vous ? Cet enfant ne peut supporter la fatigue d'un si long chemin, pas même d'ici à Mormoiron. Vous auriez à franchir cette haute et difficile montagne du Mont Ventoux, dont la descente toute pierreuse a deux lieues de long. Vous mèneriez ce garçon, non à la guérison, mais au tombeau, et vous seriez la risée des protestants du voisinage.
Malgré nos observations, peu de temps après, au mois de mars de cette année 1636, nous étant retirés en notre maison de Mormoiron, nous y vîmes arriver notre châtelain, conduisant son fils sur une ânesse.
Nous allons á Rochefort, nous dirent-ils, c'est notre dernière espérance.
Ils y arrivèrent, y firent leur confession et leur communion. Leurs prières presque finies, le père s'aperçut que son fils pâlissait extraordinairement. S'approchant pour l'embrasser, il vit une grande sueur sur son visage, qu'il crut être celle de la mort. Il se hâta de le conduire à la portée de la chapelle.
- Cette défaillance est passée, dit alors le fils. Et sa figure reprit une meilleure couleur. Tous deux se firent inscrire au livre des confrères, et demandèrent qu'on célébrât neuf messes les jours suivants pour l'entière guérison du garçon.
Ils descendirent après cela au bas de la montagne, pour prendre leur réfection dans le village.
- Mon père, dit tout à coup le malade, je me trouve fort bien, par la grâce du Bon Dieu et de la Sainte Mère. Remontons, s'il vous plaît, à la chapelle, pour leur en rendre grâce.
Ils remontèrent et reprirent le même jour le chemin d'Avignon, où ils allèrent coucher, le fils marchant toujours à pied avec autant d'aisance que son père.
Le lendemain, ils vinrent prendre leur gîte en notre maison de Mormoiron, et nous rendirent témoins d'une guérison que nous aurions refusé de croire, si nous ne l'avions vue de nos yeux.
Environ un mois après, étant à Relhanette, nous rencontrâmes le jeune homme, descendant de la plus haute montagne avec une bête chargée de bois.
- Comment avez-vous pu faire tout seul ce lourd chargement ?
- Ah ! Monseigneur , répondit le père, qui survint en cet instant ; depuis notre retour de Notre-Dame, il a autant de force et de santé qu'aucun autre de son âge.
- Dans ce cas, ne soyez pas oublieux d'un si grand bienfait.
- Non, nous ne serons pas ingrats, et chaque année nous ne manquerons pas d'aller une ou deux fois renouveler nos vœux et nos actions de grâces dans la sainte chapelle de Rochefort.
Sachant tout cela véritable, nous avons signé ces présentes de notre main, et de notre greffier, notaire royal de ce présent lieu ; attestées encore par le sieur curé, par le châtelain, les syndics et consuls dudit Relhanette, y ayant fait apposer le scel ordinaire de nos armes et de notre cour.
Fait au dit Relhanette, le 28 décembre de l'année 1638.