NOTRE DAME DE ROCHEFORT
pendant le XVIIIe siècle.

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.

XXV

Parlons d'abord de la situation matérielle.

D'après ce que nous avons dit du trésor et des orne­ments de la chapelle, on pourrait croire que les Pères de Notre-Dame vivaient dans la richesse et dans l'a­bondance. Tout au contraire, la communauté avait à peine de quoi vivre, et se trouva souvent dans une vé­ritable gêne :

Les offrandes des fidèles, qui, d'ailleurs, devenaient plus rares, appartenaient à Dieu et à la Sainte Vierge. Les bons moines en étaient les dépositaires et les gar­diens, ils n'en usaient jamais pour eux-mêmes, mais tenaient scrupuleusement à les conserver, et à les faire servir toujours, suivant les intentions des donateurs, à la décoration du saint lieu.

Voilà pourquoi ils ne construisirent leur monastère que partie par partie, à mesure que les ressources leur arrivaient du dehors, et même leur pauvreté ne leur permit pas de l'achever. Les constructions étaient né­cessairement très coûteuses, sur cette montagne éloi­gnée de toutes sortes de matériaux « même de l'eau qu'il fallait faire porter à dos avec une grande dé­pense ».

Outre les religieux de la maison, le concours des pè­lerins exigeait un grand nombre de confesseurs, qu'il fallait loger et nourrir. Une dizaine ne suffisaient pas les jours de fête, et plusieurs fois, on vit plus de mille personnes s'en retourner sans avoir pu se confesser. Quelques monastères comme ceux de Saint-André et d'Aniane, devaient à celui de Rochefort des sommes assez importantes, mais, pauvres eux-mêmes, ils ne pouvaient les rembourser, et celui de Rochefort fut obligé de contracter plusieurs emprunts.

Le couvent, il est vrai; possédait quelques terres, les unes dans l'étang desséché, les autres au pied de la montagne ; mais le produit en était très faible, à cause soit de la mauvaise qualité du sol, soit du peu d'exi­gence des Pères à l'égard des fermiers, soit de l'incurie des fermiers eux-mêmes.

En définitive, trois mille sept cents livres, tels étaient, en 1770, les revenus du monastère. Qu'était­-ce, sinon l'absolu nécessaire ; pour une communauté d'une dizaine de membres, surchargée souvent d'é­trangers, n'ayant aucune autre ressource, que quel­ques aumônes peu considérables et toujours incertai­nes ; étant obligée, d'autre part, de construire, d'or­ner et d'entretenir une grande église et un vaste cou­vent ; ayant la pieuse et sainte coutume de venir sans cessé au secours de tous les nécessiteux, de répandre d'abondantes aumônes parmi les pauvres. On donnait tous les jours, sans refuser jamais ; et chaque semaine une distribution générale de secours avait lieu au cou­vent, pour tous les indigents de la contrée.

Il n'est donc pas étonnant qu'au moment de leur expulsion, les Bénédictins de Notre-Dame se soient trouvés endettés de 3.548 livres, chiffre presque égal à celui de leurs revenus annuels.

Des privations matérielles auxquels ils étaient sou­mis, les religieux étaient dédommagés par la prospé­rité du pèlerinage sous le rapport spirituel. Le XVIIe siècle, qui fut aussi le grand siècle de Rochefort, après s'être ouvert dans la désolation, s'était terminé dans la gloire; le XVIIIe débute dans la joie, mais se termi­nera dans le deuil.

Au XVIIIe siècle, Marie, assise sur son trône formé de marbres précieux, décoré de riches étoffes, tout brillant de perles et de diamants, et entouré de soi­xante-dix lampes d'argent massif, continue son règne bienfaisant et pacifique. La ferveur,première ne s'est point refroidie ; et, nonobstant l'affaiblissement gé­néral de la foi en France, les peuples chrétiens du voi­sinage continuent de venir en foule sur la montagne de Rochefort. C'est de quoi rendent témoignage les Papes Clément XI et Pie VI, en accordant des indul­gences au sanctuaire.

Comme par le passé, on voyait des familles entières, des communautés religieuses, des confréries, des parois­ses venir en corps ou processionnellement, se proster­ner et prier dévotement devant la statue miraculeuse.

Bien des prières étaient exaucées, bien des faveurs obtenues, et même un grand nombre de miracles s'opé­raient encore. Plusieurs, aveugles recouvraient la vue. En voici un exemple raconté dans nos Archives :

Le 9 août 1710, Antoine Héraud et Antoinette Ma­larte, sa femme, de la paroisse de Codolet, sont venus dans cette église pour remercier Dieu et la très Sainte Vierge de la guérison de leur fils Joseph, âgé d'environ trois ans, lequel étant tombé, le mois de mars dernier, dans un creux de chaux nouvellement détrempée, en fut retiré tellement défiguré qu'on ne connaissait point ce que c'était : il avait entièrement perdu la vue. La mère désolée le voua à Notre-Dame de Rochefort, et promit de le porter dans cette église s'il recouvrait la vue. Dans le moment, il commença d'ouvrir les yeux et huit jours après il vit parfaitement bien de même qu'avant sa chute. Le père et la mère de cet enfant sont venus ce jourd'hui pour rendre leur vœu, ont mené leur dit enfant et ont attesté ce miracle.

Gabrielle Saussade, de Nîmes, et Marie Agasque, de Rousson, toutes deux aveugles, reçurent la même fa­veur.

Le jour de l'Annonciation 1712, Mme Garone offrit un tableau à la chapelle, avec cette inscription au bas :

« Voeu rendu à Notre-Dame de Grâce de Roche­fort, par Jeanne Allemande, femme du sieur Guil­laume Garone d'Avignon, laquelle fut attaquée de pa­ralysie au bras droit, qui le laissa tout raide et sa main entièrement fermée, sans pouvoir s'en servir en au­cune manière. Tous les remèdes n'ayant servi de rien, elle fit vœu de faire sa dévotion dans l'église de Notre ­Dame de Rochefort, le jour de la Nativité, le huitième septembre. Ce jour, après s'être confessée et commu­niée, elle voulut faire l'offrande en regardant la Sainte Vierge avec confiance, la priant avec larmes d'avoir pitié d'elle et de la délivrer de son infirmité qui l'em­pêchait de gagner sa pauvre vie ; si bien qu'après avoir baisé la statue d'argent de la Sainte Vierge, que le Père sacristain lui présenta, elle lui fit encore toucher sa main et son bras malade, et dans le même moment, sa main s'ouvrit et son bras s'étendit avec une si grande force, qu'il fit reculer la statue de la Vierge. Alors la malade, entièrement guérie et versant un torrent de larmes de joie se mit à crier : Je vous remercie, Vierge sainte, je n'ai plus de mal. Tous les assistants touchés d'un si prompt et si grand miracle, firent de même et louèrent le Seigneur, qui opère tant de merveilles par les puissantes intercessions ;de sa très sainte Mère. - En mémoire de ce miracle, la dite Garone a fait faire ce présent tableau, et l'a offert ce 25 mars 1712. »

La vierge d'argent de Notre-Dame, volée et retrouvée en 1852

Les archives de Notre-Dame mentionnent plusieurs autres guérisons miraculeuses, parlent de malades à l'extrémité et entièrement désespérés, qui revinrent tout à coup en santé, en invoquant la Vierge dé Rochefort ; de personnes qui échappèrent par le même moyen à de graves dangers. Ainsi, en 1711, M. Ferrat, de Mont­pellier, fait dire dix messes dans notre sanctuaire, pour remercier la Sainte Vierge d'avoir sauvé la vie à son frère, qui avait été atteint d'un coup de mousquet à la tête, sans en avoir reçu de dommage. M. Ferrat et sa femme avaient fait un vœu pour lui.

L'année. suivante, Catherine Alarde de Villeneuve, étant tombée dans le Rhône, avec sa petite fille entre les bras; fut sauvée miraculeusement en invoquant Notre-Dame de Rochefort. De même, M. Chastanier, imprimeur d'Avignon, qui se vit renversé sous son che­val et sous les roues d'une voiture sans en ressentir le moindre mal.

Voici enfin la remarquable attestation d'un miracle qui eut lieu presque à la veille de la Révolution, en 1784.

Certificat solennel envoyé au Révérend Père D. Car­tier, Prieur de Notre-Dame de Rochefort, par M. Dé­chanête, prieur curé de la paroisse de Coury, diocèse de Viviers.

« Nous, soussigné, prieur curé de la paroisse de Coury, au diocèse de Viviers, certifions à ; tous qu'il appartiendra que ce jourd'hui, dimanche, vingt-troi­sième d'après la Pentecôte, et le vingt-septième du mois de novembre, mil sept cent quatre-vingt-quatre, après avoir averti au prône de notre messe parois­siale, et prié tous les habitants des Salles de notre dite paroisse, de se trouver après vêpres au dit lieu et de­vant la maison de Louis Sabourin et de Marie Rivière son épouse, où étant tous assemblés, avons commencé par demander les lumières du Saint-Esprit par le Veni Creator que nous avons chanté, et autres prières à cet effet. Après lesquelles nous ayons requis tous les voi­sins s'ils connaissaient Marie Sabourin, fille desdits Louis Sabourin et Marie Rivière ; s'ils avaient vu qu'elle ne parlât point et depuis quel temps. Lesquels nous ont répondu en pleine assemblée qu'ils la con­naissaient parfaitement, et que telle qu'ils la voyaient présente au bon milieu de ladite assemblée, ils l'avaient vue et même plusieurs fois dans l'espace de six à sept ans, qu'elle ne parlait point du tout.
Et après, nous avons interpellé ladite Marie Sa­bourin de nous dire depuis quel temps elle parlait : laquelle nous a affirmé que c'était depuis le vingt-six septembre dernier, qu'elle fut à Notre-Dame de Ro­chefort, accompagnée de son père et de son parrain. L'avons encore chargée de nous dire en pleine compa­gnie si depuis elle parlait bien librement ; laquelle a répondu que, grâce au Souverain Maître elle parlait très distinctement ; et qu'en action de grâces elle se disposait à faire sa première communion, et qu'elle priait toute l'assemblée présente de se joindre à elle pour rendre à ce Dieu de bonté toutes les actions de grâces; et qu'elle se souviendrait tout le reste de ses jours de se servir de l'usage de la langue, que le bon Dieu lui avait accordé, par les mérites de la très Sainte Vierge, Mère de son Fils notre Rédempteur, pour le bénir dans ce monde, afin de le posséder dans l'autre.
Nous, ci-après signés, certifions que tout le contenu en ce certificat est vrai ; attestons en outre avoir vu ladite Marie Sabourin, qui ne parlait point, et qui au­jourd'hui, parle très distinctement. En foi de quoi, nous avons signé le présent audit Salles, l'an que dessus. - Suivent dans; l'original les noms des seize témoins appelés par Monsieur le curé de Coury. »

Ainsi s'écoula le XVIIIe siècle, pendant lequel le pè­lerinage fut encore très florissant, les grâces abondan­tes, les prodiges nombreux. La bonne Mère semblait se hâter, et répandre ses faveurs avec une sorte de, pro­fusion, à l'approche de la tempête.

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