NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Le Triduum du Bienheureux Chanel

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.
XXXVI

C'est dans les premiers jours de mai 1890 que fut célébré dans le sanctuaire de Rochefort, le triduum solennel en l'honneur du Bienheureux Pierre-Louis-Marie Chanel, missionnaire mariste, martyrisé en Océanie, le 28 avril 1841, et béatifié le 17 novembre 1889. Nous empruntons le récit de ces trois grandes journées aux Semaines Religieuses de Nîmes et d'Avignon.

S'il est vrai que le sang des martyrs est une semence de chrétiens, il est incontestable aussi que les fêtes célébrées en leur honneur provoquent un réveil de la foi et sont saluées par la vénération des peuples. Hâtons-nous d'ajouter que, dans nos religieuses contrées, on aime tellement la très Sainte Vierge qu'il semblait que fêter le fils, le martyr de Marie, c'était encore réjouir le cœur de la Bonne Mère.

Aussi bien, dès le premier jour, les pèlerins sont accourus nombreux; le second jour rappela les belles affluences des concours ; et le troisième c'était, sur la sainte colline, une vraie fourmilière humaine.

La chapelle avait été décorée avec un goût exquis, rien n'avait été omis de ce qui pouvait relever la magnificence de ces fêtes, et depuis les solennités du Couronnement, rien n'approcha de l'enthousiasme de ce Triduum.

Le premier jour, vendredi 2 mai, plus de trente prêtres étaient sur la sainte colline. À 10 heures, la grand'messe fut célébrée par M. l'abbé de Laville, archiprêtre d'Uzès. Après Évangile, M. l'abbé Chapot, missionnaire apostolique, monte en chaire ; avec sa parole vibrante et un rare bonheur d'expression, il applique au Bienheureux ces paroles de nos saints Livres: Tu gloria Jerusalem, tu lætitia Isral, tu honorificentia populi nostri. Le P. Chanel est la gloire de l'Église, dont les caractères essentiels sont mis en relief par son apostolat, la joie de la France, qui réclame en lui un protecteur nouveau, l'honneur de la Société de Marie, dont il a été le premier martyr.

La messe solennelle terminée, un Père Mariste fait vénérer les reliques du Bienheureux aux pieux pèlerins.

A 3 heures, sont chantées les vêpres, l'issue desquelles l'infatigable abbé Chapot prononce le panégyrique du Bienheureux. S'inspirant de ce texte des saintes Écritures : Scitote quoniam mirificavit Dominus sanctum suum, l'élégant orateur, dans un beau et véhément langage, nous montre tour tour, dans le P. Chanel : le prêtre fidèle sa vocation suscitée par Dieu, l'apôtre dévoré dès sa jeunesse du zèle ardent des âmes, qui voit le déchirement de son cœur au départ, et les longues souffrances morales et physiques qu'il a endurées pendant trois ans Futuna, couronnés par la mort sanglante des témoins de Dieu et de la foi.

Les chants liturgiques ont été interprétés, matin et soir, avec harmonie et piété par une délégation du séminaire d'Avignon.

Le soir enfin, 8 heures, après la procession aux flambeaux, on donne la bénédiction du Très Saint Sacrement dans la chapelle brillamment illuminée ; et l'assistance s'écoule, emportant de cette première journée du Triduum les plus saintes émotions.

Le deuxième jour, le saint Sacrifice de la messe fut offert par M. le chanoine Goiffon, vicaire général. C'est devant une belle assemblée de prêtres et de pèlerins que le R. P. Bizot, de la Société de Marie, prend la parole. Mettant sur les lèvres de la Sainte Vierge ces paroles des lettres sacrées : Eruam te et honorificabis me, il nous montre, avec une émotion communicative, le Bienheureux glorifiant celle qui l'avait tiré de l'obscurité, par une sainteté qui s'affirme dans toutes les situations où le place la Providence, et un ardent amour des âmes, qui lui vaut l'auréole du martyre.

Quand la parole émue et vibrante de l'orateur conviait ses auditeurs à être eux aussi des saints; des apôtres et des témoins de Dieu, on sentait l'accent d'un frère heureux de glorifier son frère du ciel.

Vers 4 heures, après les vêpres solennelles, le chanoine Germain, curé de Saint-Baudile de Nîmes et depuis archevêque de Toulouse, un des anciens élèves dont les PP. Maristes sont les plus fiers, et bon droit, retrace la vie du Bienheureux. Pendant plus d'une heure il a vraiment tenu son auditoire sous le charme. Par sa parole tour tour familière, élevée, saisissante, mais toujours facile et distinguée, l'éloquent orateur nous a initiés à la vocation sacerdotale du petit berger, aux saintes ardeurs du missionnaire, l'humilité du religieux et l'héroïsme du martyr. Cet émouvant discours, œuvre de cœur et de talent, fut un très heureux développement du texte choisi par l'orateur : Sancti per fidem vicerunt regna, operati sunt justitiam, adepti sunt repromissiones.

C'est une délégation du petit séminaire de Beaucaire, qui a exécuté les chants liturgiques la messe et aux vêpres. Ces jeunes gens ont ensuite chanté en l'honneur du Bienheureux un cantique entraînant qui a été fort remarqué.


Mgr Gilly, évêque de Nîmes

A 5 heures, Mgr Gilly, évêque de Nîmes, faisait son entrée solennelle dans le vénéré sanctuaire. Il y fut reçu et complimenté par le R: P. Bonny, supérieur des chapelains, entouré d'un nombreux clergé Monseigneur répondit avec bonté et à propos aux souhaits de bienvenue du R. P. Supérieur.

Le second jour du Triduum, comme le précédent, s'est terminé par la procession aux flambeaux, une belle illumination de la façade et du chœur de la chapelle et la bénédiction du Très Saint Sacrement.

À la journée du dimanche, 4 mai, aucune splendeur, aucune allégresse ne devait manquer, commencer par un radieux soleil et une température printanière.

Dès l'aurore des messes se disent tous les autels du sanctuaire ; et bien consolant est le spectacle qu'offrent de nombreux fidèles se pressant la table eucharistique.
C'est assurèrent pour le Bienheureux le plus doux triomphe; car c'est la victoire de Jésus, descendant en dès centaines d'âmes ferventes et généreuses.

Vers 8 heures, arrive Mgr de Cabrières, Évêque de Montpellier. Sa présence est saluée par tous avec une respectueuse sympathie, car c'est un familier de Notre-Dame, et son éloquente parole doit couronner le Triduum.

A 9 h 1/2 la cloche sonne toute volée, annonçant l'approche de Mgr l'Archevêque d'Avignon, qui, sur les respectueuses instances de Mgr l'Évêque de Nîmes, a bien voulu consentir célébrer les offices religieux de la journée.

À peine le vénéré métropolitain a-t-il franchi le seuil de la chapelle, qu'il y est reçu et complimenté par Mgr l'Évêque de Nîmes, entouré d'une brillante assistance des prêtres et des chapelains de Notre-Dame. Aux paroles éloquentes de l'éminent prélat, heureux de se dire son suffragant et son fils, Mgr Vigne répond avec la bonté touchante d'un père et la délicatesse exquise d'un noble esprit et d'un grand cœur, et Sa Grandeur fait son entrée solennelle dans le sanctuaire. Quelques instants après, en présence de Mgr l'Évêque de Nîmes, de Mgr l'Évêque de Montpellier, et d'une riche couronne de plus de soixante prêtres, Mgr l'archevêque d'Avignon officiait pontificalement la messe solennelle. Et en même temps une messe basse était dite en plein air, pour la foule qui ne trouvait point de place dans l'église.

Après l'Évangile, Mgr Gilly monte en chaire, et sur ces paroles de l'Apôtre : Mors in nobis operatur et vita in vobis, prononce une émouvante allocution. Oui, s'écrie-t-il, la mort travaille et doit travailler en nous, tous les jours, pour détruire les suites du péché et y déposer les semences de cette vie surnaturelle qui s'appelle la vertu. Ainsi en a-t-il été du Bienheureux Chanel, qui, mourant lui-même par l'humilité de l'esprit, la mortification du cœur et du corps, a reçu abondamment de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et a communiqué cette sève surnaturelle ses amis, ses élèves, aux pauvres sauvages de l'Océanie. Ainsi doit-il en être de nous, frères des saints et leurs imitateurs obligés, si, comme eux, nous voulons mériter la gloire.

L'excellente chorale de Saint-Baudile, phalange intelligente de vrais chrétiens doublés d'artistes, a interprété tour tour, avec un rare talent, des symphonies de musique religieuse et les sévères beautés du chant grégorien.

Qu'elle fut belle aussi la dernière soirée de ce Triduum ? Que dire des splendeurs des vêpres pontificales, présidées encore par Mgr l'Archevêque d'Avignon et admirablement chantées par la chorale de Saint-Baudile ?

Que dire. surtout du panégyrique, prononcé par Mgr de Cabrières ? Quelle saisissante application au Bienheureux Chanel de cette parole de Notre-Seigneur :
Ego elegi vos, et posui vos, ut eatis et fructum afferatis, et fructus vester rnaneat. C'est bien là vraiment comme l'éloquent abrégé de toute sa vie. Appelé à la sainteté et à la possession du ciel, comme tous les hommes ses frères, le Bienheureux Chanel a fidèlement correspondu l'attente de Dieu. Aussi a-t-il été constitué par le Tout-Puissant dans une vocation sainte, la vocation sacerdotale ; dans une vocation de perfection, la vocation religieuse; dans une vocation d'immolation enfin, celle de l'apôtre et du martyr. S'il a été actif au service de Dieu, s'il a produit des fruits de salut parmi les âmes, si ces fruits demeurent encore: Cuet, Meximieux, Brou, Ambérieux, Crozet, Lyon, Belley et Futuna sont là pour l'attester. Car, sur tous les rivages où il a porté ses pas, le petit berger, le séminariste, le prêtre, le curé le religieux, le professeur, le directeur et le supérieur du séminaire, en un mot, le Bienheureux Chanel a laissé l'impérissable mémoire d'un saint, d'un apôtre et d'un martyr.

L'éminent orateur,depuis longtemps reconnu comme un des princes de la parole, a salué comme une des forces nécessaires de l'Église les Sociétés religieuses anciennes et nouvelles. Il a bien voulu faire, en termes délicats mais expressifs, l'éloge des zélés gardiens de ce sanctuaire aimé et vénéré assurant que les Pères de la Société de Marie sont les dignes continuateurs de l'œuvre du Bienheureux Chanel, soit en France, soit sur les lointains rivages de l'Océanie. « Heureux, s'est-il écrié en terminant, le pays qui possède des sujets comme. le Bienheureux Chanel l'Heureuse la famille qui compte un tel enfant ! Heureux le diocèse, heureuse la paroisse qui renferme un tel séminariste, un tel prêtre ! Heureuse enfin la Société religieuse qui peut s'honorer d'un tel saint, d'un tel saint apôtre, d'un tel martyr ! »

La journée se termina et le Triduum fut clos par la bénédiction solennelle du Très Saint Sacrement. L'illumination du chœur était éblouissante, et les vaillantes choristes qui pendant tout le Triduum avaient, matin et soir, par leurs pieuses mélodies, ravivée la foi des pèlerins, saluèrent pour la dernière fois de leurs plus beaux cantiques, Jésus, la Bonne Mère et le saint Martyr.

Ces fêtes furent une preuve de plus de la vitalité de l'Église, dont l'inépuisable sève produit toujours des saints.

Elles furent encore une preuve nouvelle et éloquente de l'imprescriptible fidélité de Dieu sa parole. Il a promis aux saints le centuple en ce monde et en l'autre ; et voilà que, de fait, les multitudes se pressaient aux pieds de l'image de cet humble prêtre, hier encore inconnu, baisaient ses reliques, lui adressaient leurs invocations, et lui décernaient des triomphes spontanés, éclatants, enthousiastes.

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