Le Christianisme à Nîmes
Enluminure de Ferdinand Pertus, musée de Nîmes
LE MARTYRE DE ST BAUDILE A NÎMES
Le culte de St Bausile (St Baudile), effacé à demi par le temps, par nos discordes civiles et religieuses, n'a jamais été entièrement interrompu : Le premier dimanche de l'octave qui suit la fête de l'Avent, les fidèles de la paroisse se rendent aux Trois Fontaines pour y puiser de l'eau et adresser à Dieu des prières, afin de se préparer à la fête de Noël.
Au moment où je trace ces lignes (1864), la foule se porte aux Trois Fontaines. On a dressé, sous la modeste voûte qui couvre les eaux, un autel provisoire et l'on se dispose à y élever une chapelle.
Auguste Pelet, 1864
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Les souvenirs que nous avons recueillis à travers les siècles, les lieux qu'il arrosa de son sang et qui gardèrent sa tombe. Suivons cette avenue spacieuse, aux pentes adoucies, qui conduit à l'oratoire des Trois-Fontaines. Nous remarquons sur la droite quelques vestiges de l'ancien rempart romain qui couronnait ces collines et allait se rattacher à la Tourmagne. Il était debout , quand St Baudile vint attaquer le culte des idoles. Une dépression du sol indique le lieu qui fut témoin du martyre du Saint. Ces collines, envahies par la culture de la vigne, étaient autrefois couvertes d'un bois de chênes.
Ce site, dominé par les hauteurs voisines, était propice pour les sacrifices du paganisme. Représentons-nous la foule, groupée sur les flancs de la colline et le long des murailles , contemplant d'un regard avide cette fête païenne. L'autel s'élevait au centre de ce cirque formé par la nature. C'est là que les prêtres des idoles conduisaient les victimes qu'ils allaient immoler. C'était la fête des Agonales, célébrée en l'honneur de Vejovis, ou Jupiter enfant, le 12 des calendes de juin 21 mai.
On voit tout à coup apparaître un étranger qui, d'une voix indignée, reproche à la foule assemblée sa superstition et veut renverser l'idole â laquelle on destine ce sacrifice. On comprend le frémissement, de la multitude païenne en entendant cet étrange langage.
Elle répond par un cri de mort à cette insulte faite à ses dieux, et à la place des victimes préparées, c'est la tête du saint martyr qui tombe sous la hache des sacrificateurs. D'après une tradition populaire, elle rebondit trois fois sur le sol, et chacun de ses bonds fit jaillir une source. Cette circonstance miraculeuse ne doit pas trop nous surprendre. Nous en retrouvons de semblables dans l'histoire des martyrs. Dieu se plait ainsi quelquefois à glorifier le sacrifice de ceux qui donnent généreusement leur vie pour lui, et il communique à leur sang une vertu merveilleuse pour toucher les coeurs des infidèles.
Abbé Azaïs, 1872
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Les débuts du Christianisme à Nîmes par Jules Igolin, membre de l’Académie de Nîmes 1938
Nîmes, ville de tradition antique et ville profondément religieuse, se montra longtemps réfractaire à la religion nouvelle du Christianisme. Alors qu'on a trouvé dans notre ville de nombreuses inscriptions dédiées aux divinités locales, latines ou grecques, il faut arriver au IVe siècle pour y découvrir des monuments attestant qu'il y ait eu des chrétiens. Ce retard dans la propagation du christianisme, on peut se l'expliquer en songeant que Nîmes, ville riche, cité romaine où la vie était facile, les moeurs indulgentes, devait n'accepter que difficilement une religion nouvelle « prêchant le sacrifice et béatifiant la souffrance.
St Saturnin, envoyé par le pape St Fabien, fut, dit-on, le premier missionnaire du Christ connu à Nîmes, vers l'an 245 ; il y convertit un jeune homme, Honneste, qu'il emmena ensuite avec lui pour évangéliser la Navarre.
Vers la fin du IIIe siècle, St Baudile apparut à Nîmes, et la légende veut que se trouvant dans un bois, aux portes de la ville, et refusant de sacrifier aux dieux, il y ait été martyrisé. Son corps, recueilli par sa femme, aurait été transporté en un lieu appelé « la Valsainte », où déjà se trouvait une colonie de chrétiens, et y aurait été enseveli. Son souvenir et ses reliques furent dès lors de puissants moyens pour répandre la religion nouvelle, la Valsainte devint un lieu de pèlerinage, dès le IVe siècle, on y construisit une église, et, en 511, un monastère qui fut un des plus importants de la région et survécut jusqu'au XVIIe siècle.
A la suite des fouilles faites en 1909 sur l'ancien emplacement du monastère de St Baudile, M. Mazauric a écrit dans ses « Recherches et Acquisitions » :
« La découverte de monuments en ce lieu, dans nos tombes en brique, a son importance capitale pour l'Histoire de St Baudile, car elle permet de fixer d'une façon certaine l'âge de notre vieille nécropole chrétienne, en même temps qu'elle nous donne aussi une date approximative aux nombreux objets trouvés à côté. On peut affirmer que dès le début du IVe siècle, probablement après la fameuse Paix de l'Eglise sous Constantin, en 313, on commençait à enterrer autour du tombeau du saint ; cette pratique interrompue par les invasions des Barbares, fut reprise plus tard, vers l'époque de Charlemagne… »
La crypte de St Baudile, à l'extrémité de la rue des Moulins et de la rue des Trois Fontaines, marquerait le lieu où le saint fut martyrisé. C'est dans cette crypte, malheureusement humide, qu'on a déposé le premier monument matériel du christianisme à Nîmes, un sarcophage en marbre blanc sculpté du IVe siècle, trouvé on ne sait où, disparu ensuite, puis retrouvé par l'abbé de Cabrières, le futur cardinal, dans une maison de la route de Sauve, où il servait d'auge.
La tradition veut que St Félix ait été le premier évêque connu de Nîmes, vers la fin du IVe siècle, et qu'il y ait été martyrisé en 407.
Ce qui est certain, c'est qu'au cours du IVe siècle, Nîmes fut dotée d'un siège épiscopal, puisqu'un concile s'y réunit le 1er octobre 396. Le choix de notre ville pour pareille assemblée, montre évidemment qu'il y avait alors une église déjà fondée et tout à fait affermie.
Jules Igolin, 1938 INTEGRALE DU TEXTE EN PDF Une petite compilation sur le curé Benoit Mathon, Chanoine de St Baudile et oncle du trisaïeul de l'auteur du site NEMAUSENSIS, Georges
Mathon. Les Carmes et la paroisse Saint-Baudile Par M. l’Abbé Goiffon Archiviste du Diocèse de Nîmes, 1875 Page 26 à 30 C'est
à M. Roux que la Cathédrale de Nimes doit les reliques de saint Castor qu'elle
possède et qui sont enfermées dans le maître-autel. Le curé de Saint-Baudile
les avait apportées d'Apt. Pendant
la dernière année de l'administration de M. Roux, un accident survenu à la
cloche de la paroisse devint l'occasion d'une réparation considérable ; le
manque de ressources pour faire face aux frais de refonte obligea le Conseil de
Fabrique de s'adresser à la municipalité qui, non seulement, vota les fonds
nécessaires pour cet objet, mais décida en outre la construction d'un clocher
sur la gauche de la façade ; l'adjudication des travaux fut faite au mois de
novembre 1822. Pendant ce temps et afin d'avoir un moyen d'appeler les fidèles
aux offices, les vicaires de la paroisse, faisant l'intérim se procurèrent une
petite cloche de 43 kilogrammes, qui fut bénite sous l'invocation du
Saint-Esprit., le 23 février 1823. M.
Félix, recteur de l'Université, et Mme Félix, en furent les parrains. La
cérémonie fut présidée par M. BENOIT
MATHON, le nouveau curé de la paroisse, qui avait été installé, le 16
février, à 9 heures du matin, par M. Bonhomme, curé de Saint-Charles, délégué
de l’évêque. M.
Benoît Mathon, né à
Saint-Victor-Lacoste, le 11 juillet 1765, avait fait de brillantes études chez
les Joséphistes de Bagnols et au Séminaire de Sainte-Garde, à la suite
desquelles il entra au Séminaire Saint-Charles d'Avignon. Sous la direction de
maîtres habiles, ses heureuses facultés, aidées d'un grand amour pour l'étude,
brillèrent du plus vif éclat, et sa thèse de sortie mérita les plus grands
éloges et les plus flatteuses approbations. Dans le jeune lévite la piété égalait,
si elle ne surpassait pas la science. M. Mathon,
ordonné prêtre en 1789, fut nommé vicaire à Russan. Deux ans après, la
persécution l'obligeait à fuir en Italie, où il eut à supporter toutes les
privations de l'exil et de la misère, mais sa vertu sut l’élever au-dessus de
la souffrance, et l'on raconte qu'il devint l'ange consolateur de ses
compagnons d'infortune. M. Mathon
rentra en France en 1797, et put pendant quelque temps reprendre ses fonctions
à Russan; la persécution ayant recommencé, il fut arrêté par une bande armée,
le 2 décembre 1799, et traîné dans les prisons de la citadelle de Nimes, où il
resta seize mois. Lorsque
le gouvernement réparateur rendit à la liberté les confesseurs de la foi, la
cure de Saint-Chaptes et plus tard celle de Russan furent confiées à M. Mathon. La simplicité et la candeur de
ce bon prêtre avaient frappé Mgr de Chaffoy, dès la première entrevue qui eut
lieu entre ces deux saints; aussi le choix de l'évêque s'arrêta-t-il sur M. Mathon, à la mort de M. Roux, et le
curé de Russan fut nommé à Saint-Baudile par lettres du.24 décembre 1822. Le
nouveau curé se mit à l’œuvre avec tout l'entrain que suggère le zèle le plus
ardent et l'amour du devoir ; aussi, sous sa direction, ce terrain déjà si
fécond ne cessa de produire les plus heureux fruits; sans nous occuper
autrement des résultats spirituels du ministère de M. Mathon, nous nous contenterons de relater les divers faits
extérieurs qui signalèrent son administration. Le
8 juin 1823, le neveu de l'ancien curé, M. le docteur Elzéar Roux, fidèle à sa
promesse et voulant exécuter les intentions de son oncle, fonda l'octave de
saint François de Paule, avec bénédiction du Très-Saint-Sacrement tous les
jours et une grand'messe avec diacre et sous-diacre, le jour de la fête. Cette
fondation fut acceptée le même jour, par délibération du Conseil de fabrique,
approuvée le lendemain par Mgr de Chaffoy ; le 15 du même mois, le Conseil
accepta définitivement ; mais la fondation ne fut complètement établie que par
un acte public du 1e1' janvier 1825, par lequel M. et M"16 Roux donnèrent,
à cet effet, diverses parties de rentes foncières, s'élevant ensemble à la
somme de 62 francs. Cette donation fut autorisée par ordonnance royale du 10
mars 1825. Les
travaux du clocher étant terminés, M. Mathon,
bénit, le 22 juin 1823, une cloche de 448 kilogrammes, donnée par la
municipalité ; cette cloche, du nom de Baudile, eut M. Jean-Jacques Baron pour
parrain et sa fille, la baronne de Trinquelague, pour marraine. Le
23 novembre de la même année, une autre cloche de 206 kilogrammes, achetée par
la Fabrique, eut pour parrain M. Amoureux, conseiller à la Cour, et pour
marraine Mme Aubry, épouse de M. Aubiot, lieutenant-colonel de la gendarmerie;
cette cloche fut placée sous l'invocation de saint Joseph et de sainte
Marie-Antoinette. Le
nouveau clocher devint, sur ces entrefaites, l'occasion d'un procès entre la
Fabrique et le propriétaire de l'ancien couvent des Carmes; sous prétexte que
la nouvelle construction présentait une saillie sur le mur septentrional de
l'église, M. Puget prétendu le faire démolir et porta l'affaire devant le
tribunal civil de Nimes. Pour
comprendre ce procès, il faut savoir que l'ancien couvent des Carmes avait été
vendu, le 9 nivôse, an n (29 décembre 1793), pour la somme de 35,200 francs, à
Pierre-Guillaume Barre ; l'église et la sacristie avaient été seules réservées
; l'adjudicataire avait plus tard adossé des constructions au bâtiment de
l'église, du côté nord. Le
Conseil de Fabrique fit, par acte du 24 septembre 1818, assigner M. Puget-Roux,
alors propriétaire du couvent, et lui demanda la démolition de son nouveau
bâtiment, attendu que son acte d'achat ne lui avait donné aucun droit de
mitoyenneté avec l'église et qu'il n'avait pas obtenu l'autorisation expresse
du gouvernement pour bâtir contre un édifice public. M. Puget prétendit que
l'adjudicataire avait acheté la mitoyenneté et était, dès lors, autorisé à
adosser contre les murs de l'église toute sorte de constructions. Un jugement
du tribunal civil, du 18 juillet 1820, renvoya les parties devant le Conseil de
Préfecture pour régler la question de mitoyenneté ; sur ces entrefaites survint
la construction du clocher avec sa saillie sur le mur prétendu mitoyen.
L'affaire dura assez longtemps et ne se termina que par des concessions
réciproques. La
mission de 1826 eut, dans la paroisse Saint-Baudile, le même retentissement que
dans les autres paroisses de Nimes; au milieu des nombreuses consolations
qu'elle apporta au bon curé, il en fut une que son zèle n'avait pu prévoir, ce
fut la restitution des reliques du saint Apôtre de la ville de Nimes. Ces
reliques avaient, depuis la Révolution, échappé à toutes les recherches; l'un
des missionnaires, averti de l'existence de ce précieux trésor, le fit parvenir
à M. Mathon avec les preuves les
plus certaines de son authenticité. Comme on le sait, ces reliques consistent
en une parcelle du crâne de saint Baudile et des linges imprégnés de son sang,
le tout enfermé dans une ampoule de verre. La mission se termina, dans les
premiers jours de février, par la plantation solennelle d'une Croix monumentale
sur la place des Carmes. Cette Croix fut la dernière qui souffrit les injures
des démolisseurs de 1831. Lorsque
l'ordre d'abattre les Croix fut connu dans la paroisse, les catholiques
s'émurent; et, d'après le récit de M. Mathon,
des groupes se formèrent nombreux et menaçants autour de la Croix de la place
des Carmes et, pendant plusieurs semaines, se succédèrent des hymnes et des
cris de : Vive la Croix ! La Croix ou la mort ! nous voulons mourir sur les
marches de la Croix ! Les autres croix avaient été profanées le 13 mars 1831 ;
mais celle de Saint-Baudile, gardée par la foule, ne put être abattue.
Exaspérés de celte effervescence religieuse, les ennemis de la religion firent
feu sur le peuple ; trois femmes, entre autres victimes, furent frappées ; la
première succomba trois jours après d'un coup de fusil dont la balle lui avait
traversé la cuisse; on retira à la seconde une autre balle qui s'était arrêtée
au-dessous de l'œil ; et la troisième, menacée plusieurs fois de l'amputation,
se vit à jamais estropiée ; la place des Carmes fat enfin envahie et cernée le
14 mars par un détachement de cavalerie ; la Croix, abattue par une compagnie
de sapeurs du génie, fut replantée dans la chapelle du Saint-Sacrement de
l'église paroissiale. M.
Mathon venait d'atteindre sa 70e
année, lorsqu'il fut promu à un canonicat de la cathédrale de Nimes. Ce fut
pour lui une épreuve douloureuse que cette séparation d'une population qu'il
aimait de toute son âme ; mais il comprit que son âge et ses infirmités ne lui
permettaient plus de se dévouer comme auparavant, et il accepta ses nouvelles
fonctions. Il voulut lui-même présenter son successeur à ses paroissiens et,
dans l'allocution qu'il prononça en celte occasion, il exprima ses regrets et
ses vœux pour un troupeau au milieu duquel, d'ailleurs, il voulait vivre
encore, afin de jouir de l'avenir glorieux que le choix du nouveau pasteur
présageait à la paroisse. M.
Mathon employa les premiers loisirs
que lui procura sa nouvelle position à écrire une histoire du martyre et du
culte de saint Baudile ouvrage écrit sans prétention, mais riche de recherches
et d'érudition; il mourut en odeur de sainteté, le 23 février 1846, a l'âge
d'environ 81 ans; par une exception glorieuse, il fut accompagné jusqu'à sa
dernière demeure par Mgr Cart, évêque de Nimes, qui l'avait choisi pour le
directeur de sa conscience. Le
successeur de M. Mathon fut un jeune
prêtre de 32 ans que Mgr de Chaffoy avait remarqué parmi les vicaires de sa
cathédrale, à cause de ses vertus peu communes et de ses talents plus
qu'ordinaires; c'était M. Adrien-Félix Couderc, né à Arigas, en 1803, d'une
famille considérable encore plus par sa religion que par les hautes positions
qu'occupaient plusieurs de ses membres. La nomination de M. Couderc fut agréée
par ordonnance royale du 27 septembre 1835, et son installation se fit le 12
octobre suivant, a cinq heures de l’après-midi. Succédant
à un saint, M. Couderc n'avait qu'à continuer ses traditions pour le bien
spirituel de la paroisse; c'est ce qu’il fit tout en donnant une impulsion
nouvelle aux œuvres paroissiales par une sage réglementation. Voulant répondre,
en outre, aux pressants besoins d'une population toujours croissante, il chercha
bientôt les moyens d'arriver à un agrandissement, de l’église et travailla en
même temps à donner à la paroisse un orgue dont elle était encore dépourvue. Un
legs de 4,000 francs fait par M1116 Marie-Rosalie Durand-Bagard, veuve de
Pierre Bruguier, aida puissamment le curé dans ses projets Ce legs était fait à
charge .d'une messe par semaine et d'une bénédiction du Très-Saint-Sacrement,
le premier dimanche de chaque mois, à la fin de la messe paroissiale. La
Fabrique accepta le don le 3 juillet 1836 ; de son côté, le curé ayant pu se
procurer, en 1837 une somme de 2,000 francs, l'employa à l'achat d'un terrain
situé derrière l'église, qu'il donna à la Fabrique en vue des réparations à
faire. L'achat
de l'orgue fut décidé, en 1838; M. Nicolas Chambry se chargea de sa
construction pour la somme de |11,800 francs. La réception s’en fit
solennellement, le 10 octobre 1839, en présence d'une réunion d'artistes
distingués. Benoît Mathon par le Père d’Alzon S’il
est un exercice religieux qui caractérise la pratique du P. d’Alzon, c’est bien
son assiduité à la prédication. Ne l’a-t-on pas surnommé le « prédicomane »?
Lui, qui confie un jour : « Prêcher m’a toujours plus coûté qu’écrire » ne s’est
soustrait ni à l’une ni à l’autre obligation. On peut même dire qu’avant d’être
un nom dans le diocèse de Nîmes, le P. d’Alzon en est une voix : toutes les
églises de Nîmes, tous les sanctuaires et toutes les chapelles ont retenti de
l’écho de sa parole sous toutes les formes : sermon dominical ou de
circonstance, prédication d’Avent et de Carême, mois de Marie, service
liturgique, installation de prêtre, exhortation de pèlerinage, prédication de
retraite, instruction religieuse aux enfants et aux collégiens, fervorino au
Tiers-Ordre ou à une association… Il n’est guère de genre qu’il n’ait pratiqué.
On
sait que le Curé d’Ars, estimait avoir peu prêché quand il ne dépassait pas les
45 minutes ! Sans doute que l’auditoire du temps, moins sollicité par le flot
des mass media avait une capacité d’écoute bien supérieure à la nôtre qui ne
supporte guère plus le dépassement des 7 ou 8 minutes réglementaires. Il suffit
d’ailleurs de se rendre en Afrique pour constater que des différences notoires
sur ce plan sont encore légitimes aujourd’hui. Sans
doute est-il vain de regretter que nous ne possédions aucun témoignage sonore
de la prédication du P. d’Alzon. Les procédés d’enregistrement de la voix
n’existent techniquement pas au XIXe siècle. Le téléphone, première forme de
transmission du son à distance, d’ailleurs périssable, ne doit son invention à
Alexander Graham Bell qu’autour des années 1876 et le phonographe de nos
ancêtres ne fait son apparition qu’au XXe siècle. Et pourtant, l’écho des
prédications du P. d’Alzon est parvenu jusqu’à nous : prédication vivante,
populaire, pittoresque, nourrissante, variée aussi. La meilleure source,
volontiers anecdotique, en est le Chanoine Galeran, cet ancien élève de
l’Assomption auquel nous devons, grâce aux célèbres Croquis, un témoignage é
loquent des exercices de la chaire du Fondateur. Le ministère de la prédication
répond à la définition spirituelle du sacerdoce : présenter la foi, la défendre
au besoin et polémique, argumenter, éclairer l’actualité à la lumière de
l’Ecriture, c’est toujours souscrire au cri de saint Paul : « Malheur à moi si je
n’annonce pas l’Evangile ». Illustrons
donc notre propos avec ce souvenir du jeune Galeran que l’on peut dater des
années 1846-1849 : « Un samedi soir, après le chant des litanies, dans l’ancienne
petite chapelle de la rue de la Servie, le père commença son instruction, ex
abrupto, de la façon suivante : Messieurs, avez-vous jamais vu M. Mathon (1), mort curé retiré de
Saint- Baudile (2) ? M. Mathon était
fort laid : un nez, ou mieux, une trogne épanouie sur une petite figure ronde
de la forme et de la couleur d’une tomate, avec deux petits yeux noirs percés à
la vrille ; et tout cela, couronné de cheveux blancs mal peignés, à moitié
couverts d’une vieille calotte de cuir. Ce portrait est exact. Qu’en
pensez-vous? Eh bien! Je vous dis franchement que plusieurs fois j’ai vu ce
prêtre en prière, surtout pendant son action de grâces; je me suis mis à genoux
aussi près que possible et obliquement, afin de contempler la beauté de cette
physionomie et la sainteté de son expression. J’ai été là, témoin d’une vraie
transfiguration. Je me suis alors rappelé certaines figures humaines
irréprochables au point de vue de l’art, de la finesse des traits, de
l’exactitude des proportions; et ces figures ne m’avaient rien dit, je ne les
avais pas trouvées belles. Pourquoi? D’où vient donc la beauté? En quoi
consiste-t-elle ? Ayons des notions précises une fois pour toutes. L’Ecriture a
un mot qui nous donne la réponse à ces questions : Is qui intus est renovatur
de die in diem 2 Co. IV, 16(3). La vraie beauté est le reflet de l’âme. Plus
l’âme est perfectionnée, plus l’expression extérieure est belle. A la
résurrection, nos corps seront transformés en raison directe de la
transfiguration de nos âmes… Parti de là, le Père se jeta dans des
développements admirables. C’est une des plus originales et des plus
intéressantes instructions qu’il m’ait é té donné d’entendre ». D’après
Henri-Dieudonné Galeran (4), Croquis du P. d’Alzon, Paris, édit. Bonne Presse,
1924, p. 16-17 (1) Il s’agit de l’abbé Benoit Mathon, né à Saint-Victor-la-Coste (Gard), le 11 juin 1765,
ordonné prêtre le 19 décembre 1789, chanoine de la cathédrale de Nîmes, décédé
le 23 février 1846. D’après le Registre du clergé de Nîmes, pages 3 et 4. (2) L’église Saint-Baudile de Nîmes a été jusqu’en 1877 l’ancienne église des Carmes de la ville dont le couvent des années 1270 se situait en face de la Porte-Auguste. L’église a été saccagée en 1561, le monastère détruit. Lorsque les Carmes purent revenir à Nîmes à la fin du XVIe siècle, ils se logèrent dans une maison contiguë au Palais dont la chapelle servit d’église. Ils restèrent là jusqu’en 1685, époque où ils prirent possession du nouveau couvent qu’ils avaient fait construire sur l’ancien emplacement. L’église, alors dédiée à Saint-Charles Borromée, passe sous le nom de Saint-Baudile après sa sécularisation dans les années qui suivent la Révolution et elle devient église paroissiale. La paroisse prend possession en 1877 de la nouvelle église construite en style gothique, toujours en face de la Porte Auguste. Elle est consacrée le 28 octobre 1877, en l’absence du P. d’Alzon retenu à Lavagnac (cf Lettre n°6062, t. XII édit. D.D., p. 224 et note 1). -oOo- Le Martyre de St Baudile par le Chanoine Benoît Mathon, 1837 PREFACE de l'Evêque de Nîmes: à
M. Benoît Mathon. Monsieur le Chanoine.
C’est bien à l’évêque de Nîmes, qu’il appartient de vous offrir
les sentiments de gratitude que vous vous êtes acquis, dans le cœur de tous les
bons fidèles du diocèse, particulièrement des habitants de la ville épiscopale,
pour tous les soins que vous vous êtes donnés, et les recherches historiques
auxquelles vous vous êtes livré, afin d’étendre un peu les connaissances si
intéressantes, et néanmoins si bornées, que nous avions sur la personne de St
Baudile, martyr de Nîmes. C’est là un bel hommage que vous rendez à ce saint patron, pour
les marques incontestables de protection que vous avez reçues de lui, pendant
que vous exerciez les fonctions pastorales dans la paroisse de notre ville qui
porte son nom. Les notices que vous nous en donnez accroîtront notre dévotion
envers lui, et animeront de plus en plus notre confiance. Déjà nous savions, que Nîmes était le pays vers lequel le zèle
évangélique de saint Baudile l’avait primitivement dirigé, qu’il était le
premier qui eût fait retentir nos murs et nos collines du nom de Jésus-Christ. Nous ne pouvons cependant pas dater cette époque le commencement
de notre ère chrétienne, saint Baudile ne fut pas l’apôtre de Jésus-Christ dans
notre pays, mais il en fut le précurseur. Comme autrefois Jean-Baptiste aux
Pharisiens, saint Baudile put dire aux prêtres idolâtres, à ces cruels et
fanatiques Druides, devant qui il parlait : « Je suis la voix de celui qui crie, préparez au Seigneur
un chemin droit et uni, à celui qui doit venir après moi, que vous ne
connaissez pas encore, quoiqu’il soit près de vous, et qui est si fort
au-dessous de moi que je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses
souliers. » Saint Baudile ayant ainsi rempli sa mission qu’il avait reçue,
Dieu lui accorda la couronne de martyre, sa bouche se ferma donc, mais ses
veines s’ouvrirent, le sang qui en sortit suppléa à sa parole, il fut la
semence de nouveaux apôtres de Dieu, tout en confirmant la vérité de ce qu’il
venait d’annoncer. Le moment de la miséricorde du ciel arriva ainsi sur nous, et
notre pays eut enfin des missionnaires. Nous croyons, et non sans motif, qu’il
sortait de la célèbre et apostolique école qui nous donna les Pothin, les
Trénée et leurs nombreux compagnons. Les hommes de Dieu trouvèrent, dans notre
pays, une terre bien préparée par St Baudile, aussi furent-ils accueillis avec
transport, et Jésus-Christ fut mis en possession d’un pays qu’il avait déjà
marqué du sceau de sa propriété, en la rendant dépositaire des restes mortels
du saint-Martyr dons l’âme était avec lui au ciel. Saint Baudile sera donc mis à juste titre dans les diptyques (Nota
GM, tablettes doubles sur lesquelles écrivaient les anciens) de notre
église, car s’il a fait jaillir Jésus Christ de la terre qu’il a arrosé de son
sang, (Nota GM, légende des 3 fontaines) il lui en a préparé la
possession pour un temps peu éloigné. Quel saint est plus digne d’être placé à
la tête du calendrier du diocèse, que celui qui le premier la fécondé de son
sang. Vous avez rendu, Monsieur le Chanoine, un service bien précieux au
diocèse, en creusant la terre qui renfermait les reliques de notre saint
patron, si plein de mérite auprès de Dieu, et de charité pour nous. Je suis avec beaucoup d’attachement, Monsieur le Chanoine, votre
très humble serviteur.
C. F. M. Petit Benoît de Chaffoy, Evêque de Nîmes.
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