ENLUMINURE DE FERDINAND PERTUS

XIV

 

La rue des Lombards actuelle doit son nom officiel à la commission municipale de 1824 qui a attribué la plupart des noms de rues de l'époque. Malgré cela et pendant plusieurs décénies elle conserva auprès des nîmois, ses appelations anciennes, Prêcheurs (l'établissement des frères Prêcheurs était situé à proximité au XIIIe siècle), Lombarderie (ces commerçants et marchands d'origines italienne tenaient boutique dans ce quartier) et Marguerittes (nom du premier maire de Nîmes en 1790, le baron de Marguerittes).

 

Les Lombards à Nîmes

de 1276 à 1441.

Par Léon Ménard

Histoire de la ville de Nîmes, 1760

 

ÉPOQUE DE LA RETRAITE

 DES MARCHANDS ITALIENS DE NÎMES

 

L'établissement que les marchands d'Italie avaient fait à Nîmes fut très avantageux au commerce dans cette ville. Aussi ses habitants apportèrent-ils une attention particulière à les y retenir. On a vu que ces négociants étrangers commencèrent à s'y établir en 1276, et qu'ils firent en 1278 des conventions particulières à ce sujet avec le roi Philippe le Hardi ; mais leur établissement ne se soutint pas et ne dura guère au-delà d'un siècle et demi. Examinons à quel sujet et en quel temps il a pris fin.

 

Il parait que la multiplicité des droits qu'on imposa sur les marchandises de ces négociants italiens, fut le principal motif qui les porta à quitter le pays. La première preuve que les monuments nous en fournissent, sont des lettres que le roi Philippe le Long adressa à ses commissaires réformateurs, le 20 de septembre de l'an 1317, pour informer sur le motif qui pouvaient avoir porté les marchands de cette nation à quitter la sénéchaussée de Beaucaire. Dans ces lettres, le roi expose que ses officiers lui ont rapporté que le pays était fort appauvri et ses propres revenus du port d'Aigues-Mortes extrêmement diminués, depuis que les marchands lombards et italiens s'étaient retirés de la sénéchaussée pour aller demeurer ailleurs, et cela à cause d'une nouvelle imposition de deux deniers pour livre que le feu roi Louis le Hutin, son prédécesseur, avait mise sur leurs marchandises.

 

« Eo quod per preclare memorie germanum nostrum karissimum Ludovicum, condam dictorum regnorum reqem. impositio duorum denariorum pro libra mercatoribus Lombardis et Ytalicis, in ipsa senescallia comorantibus, pro mercationibus quas exercebant, de novo fuit eis imposita. »

 

De plus, la sentence que rendit Hugues Quieret, sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, le 8 de mai de l'an 1332, portant suppression de la foire de Montagnac, nous apprend que le roi prenait alors quatre deniers par livre sur toutes les marchandises que les Italiens achetaient à la foire de Nîmes, à laquelle celle de Montagnac portait un si grand préjudice; droit qu'on appelait du nom de maltote, que le roi prenait aussi à cette foire de Nîmes un denier sur chaque pièce d'étoffe qu'achetaient ces Italiens, que, de plus, on avait établi des droits sur toutes les marchandises qu'ils emmenaient en France par mer et faisaient débarquer au port d'Aigues-Mortes, à l’occasion de la foire de Nîmes, ainsi que sur celles qui ils faisaient sortir du pays par le même port.

 

Ces divers droits étaient onéreux aux Italiens, et ils les supportaient avec d'autant plus de peine que par les conventions passées en 1278 avec Philippe le Hardi, il avait été dit qu'ils seraient exempts de toutes sortes d'impositions, et qu'ils ne paieraient d'autres droits pour leurs marchandises dans toute l’étendue de la sénéchaussée, que ceux qu'ils payaient auparavant à Montpellier, où ils avaient d'abord fait leur première résidence. Il est vrai que dans cette exemption générale de toutes sortes d'impositions, on avait excepté les cas d'une urgente nécessité. Or, c'étaient les pressants besoins de l’Etat qui les avaient fait établir, ces divers droits sur les marchandises des Italiens, mais ceux-ci n'étaient point d'assez bonne foi pour le reconnaître. De manière que, se retranchant uniquement sur leurs privilèges, ils ne tardèrent pas à faire leurs efforts pour se délivrer de ces droits.

 

Ce fut à plus d'une reprise qu'ils firent éclater, et leur répugnance pour ces impositions, et le dessein qu'ils avaient formé de s'en affranchir pour toujours en quittant le pays. Nous les voyons d'abord en avoir fait les premières tentatives au commencement du quatorzième siècle. Au mépris de leurs conventions avec Philippe la Hardi, ils étaient passés brusquement à Montpellier, qui appartenait alors au roi de Majorque. Mais les habitants de Nîmes les obligèrent, par une ordonnance du sénéchal Pierre de Macherin, du 8 de juin de l'an 1314, à retourner en cette dernière ville, à y faire leur demeure, et y exercer leur commerce. Ceci prouve parfaitement que ces négociants italiens ne faisaient que reprendre un commerce déjà fixé depuis longtemps dans le pays. Ainsi, on ne peut pas dire, comme a fait un moderne, que le roi Louis le Hutin leur ait alors accordé des établissements fixes à Nîmes et dans quelques autres villes.

 

La plupart obéirent et vinrent reprendre leur demeure à Nîmes. Mais quelques années après, c'est-à-dire en 1317, ils abandonnèrent encore cette ville, et transportèrent leur commerce hors de la sénéchaussée. Ce fut alors que le roi Philippe le Long fit faire par ses commissaires réformateurs l'information dont j'ai parlé.

 

Depuis encore, ils se retirèrent de nouveau, et passèrent à Montpellier qui appartenait encore au roi de Majorque. Mais Philippe le Long donna des ordres pour les contraindre à retourner à Nîmes dans l'espace de quarante jours, et à y continuer leur commerce, ordres qui furent publiés à Montpellier même, de l'autorité de la cour du roi de Majorque, le 13 de novembre de l'an 1321.

 

Enfin, étant de nouveau revenus à Nîmes, ils y demeurèrent quelques années. Mais ils en sortirent encore vers l'an 1341. La preuve en est constatée dans l'opposition que firent les habitants de Nîmes à l'établissement de la gabelle, le 8 de janvier de l'an 1341. (1342) Parmi les raisons sur lesquelles ils fondaient leur opposition, ils disaient que depuis que les marchands italiens s'étaient retirés de leur ville, ce qui n'avait pas peu contribué à appauvrir le pays, ils n'étaient plus en état de supporter do nouvelles impositions :

 

« Propter recestum mercatorum Ytalicorum qui Nemausi morabantur. »

 

Ces négociants étrangers revinrent toutefois reprendre encore leur commerce en cette ville,: commerce qui n'y fut pas, à la vérité, aussi florissant que dans les commencements mais qui ne laissa pas d'y subsister plusieurs années. Nous voyons en effet que dans le mandement que le roi Charles VII adressa le 24 de novembre de l'an 1425, au sénéchal de Beaucaire, pour s'enquérir de la vérité du style de la cour des conventions royaux de Nîmes, il est parlé des Italiens et des Lombards, comme des négociants qui y exerçaient actuellement leur commerce, et qui y avaient encore le même établissement qui avait donné naissance aux privilèges et à la cour des conventions royaux. Il est dit en un endroit  :

 

« Cui quidem curie et privilegiis seu rigoribus ejusdem, quam plures gentes, tam de regno nostro quam dé extra, se obligaverunt et obligent quotidie in persona et bonis, seu bonis tantum, aliis personis quam dictis Italicis et Lombardis , etc…et en un autre endroit : Et si cessionem jurium et bonorum quorumcumque dictis Italicis seu Lombardis fieri contingat, audiuntur iicontra quos cessiones facte fuerunt , etc… »

 

Le commerce des Italiens à Nîmes dura enfin jusque vers l'an 1441, qui est l'époque assurée de leur dernière retraite. Ils n'y avaient plus alors d'établissement, comme en fait foi l'accord qui fut passé le 1er de juillet de cette année-là, entre les deux procureurs du roi de la sénéchaussée et les consuls de Nîmes, sur la propriété de la loge qu’ils y avaient fait bâtir pour eux, et qui se trouvait vacante par leur retraite :

 

« Maxime quia dicta logia constructa et facta fuerat per mercatores Ytalie, qui expost recesserant à presenti civitate Nemausi ; et consequenter dicta logia, ut bona vacantia, domino nostro regi pertinuit et pertinet , etc… »

 

Au reste, quoique le corps de ces commerçants étrangers eut quitté la ville, il ne laissa pas d'y en rester quelques-uns, qui y prirent un établissement fixe, s' y marièrent, et en devinrent de vrais citoyens. Nous en voyons longtemps après, qui paraissent dans les monuments du temps parmi les habitants de la plus ancienne origine, et participent comme eux à toutes les affaires de la communauté.

 

Léon Ménard

 

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> Chronologie sur la présence des Lombards à Nîmes
> Article Midi libre du 20 février 2005

 

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