La mort de Stanislas Clément a surpris ceux qui le rencontraient au Muséum ou sur la route. Ils le voyaient aller et venir, toujours souriant, l'œil vif encore, l'esprit alerte, les idées nettes, et, quoique sa démarche parût plus lente, ils ne se doutaient pas qu'il était atteint gravement et depuis longtemps. Mais ceux qui avaient le privilège de pénétrer dans son intimité et dont l'amitié plus anxieuse s'intéressait à lui de plus près, ceux-là, le savaient frappé par un mal qui parfois suspend ses coups mais ne pardonne jamais. - Par quels soins éclairés un médecin ami, par quel miracle de tendresse intelligente la compagne de sa vie veillant sur lui comme une mère sur son enfant, ont-ils pu malgré des congestions presque régulières, prolonger pendant deux ans sa vie menacée ? Mais enfin la science et l'affection furent également impuissantes et, à la suite d'une nouvelle crise, après quelques jours de maladie, notre vénéré président honoraire, s'éteignit doucement le 7 février 1902. La fatale nouvelle rapidement propagée, amena une manifestation de sympathie générale. C'est au milieu d'une affluence considérable d'amis que le 9 février, M. S. Clément fut conduit â sa dernière demeure. Détail touchant, une délégation du Grau-du-Roi, où M. Clément passait régulièrement ses congés, avait eu à cœur de venir lui rendre un suprême hommage. Au cimetière, deux discours ont été prononcés : M. Paut Jaumeton (1), adjoint au maire, remplaçant le maire empêché, a excellemment esquissé la vie laborieuse et, féconde du créateur de notre Muséum municipal, et le président de notre Société d'Etude des Sciences naturelles s'est fait l'interprète de notre profonde émotion. (1) Discours prononcés aux obsèques de M. Stanislas Clément, par MM. Paut Jaumeton, adjoint au maire de Nîmes et Jules Gal, président de la Société. (Bulletin 1902.) Stanislas Clément naquit le 18 janvier 1828, à Charleville (Ardennes) de parents cultivateurs. Il fut, à l'âge vingt ans, nommé conducteur des Ponts-et-Chaussées à Rethel et conserva ces fonctions de 1848 à 1854. Il donna sa démission pour entrer dans les Compagnies de chemins de fer et séjourna ainsi à Rethel d'abord, puis à Nancy, à Sedan et à Longuyon (1855-1860). C'est à Nancy, le 23 décembre 1855, que naquit son fils Camille qui devait être plus tard la joie et l'espoir de son père, le compagnon de nos premières études, trop tôt disparu, toujours regretté. - En 1860, M. S. Clément, fut attaché à la Compagnie P.-L.-M. comme chef de bureau de la construction à Lyon. Trois ans après, 1863, il était envoyé en avancement à Nîmes. Il y prit sa retraite en 1886, et ainsi pendant près de 40 ans il a habité notre ville qui peut, à juste titre, le considérer comme son enfant d'adoption. Qui de nous ne l'y a connu ? Qui de nous, l'apercevant à distance, n'a fait un détour pour entendre sa franche parole et pour trouver dans sa conversation charme et profit ? Plus heureux encore ceux qui ont pu s'asseoir près de lui, devant son chalet au Grau-du-Roi, au milieu du va-et-vient des pêcheurs, pour qui il avait toujours un bon sourire -et qui avaient souvent pour lui une pièce rare. Là, devant le ciel et devant la mer, il parlait, répandant à profusion les trésors de son esprit. Son érudition, quoique vaste, ignorait le pédantisme et les airs profonds ; elle était simple, agréable, encourageante. - Aussi qui avait vu ce savant modeste ne J'oubliait plus, et qui le connaissait lui devenait ami. - Et pourtant il ne faisait rien pour forcer l'attention. S'il paraissait original, ce n'était que par son exquise simplicité. Son langage sans apprêt était plein de saveur. Ses idées étaient piquantes à force de clarté. Une finesse pleine de bonhomie, une loyauté pleine de candeur complétaient sa personnalité plus riche que complexe, brillante et limpide. Pendant ses jeunes années, ses études préparatoires, ses travaux professionnels avaient développé en lui des aptitudes et des qualités diverses. La rigueur, l'ordre, la méthode des études techniques ; l'élégance, la netteté des épures et des dessins ; Io coup d'œil, la finesse d'observation, la précision dans les opérations sur le ter raie ; l'art d'exprimer sa pensée dans des rapports sans négligence aussi bien que sans vaine recherche, exerçaient toutes ses facultés harmonieusement. Son esprit avait ainsi acquis cette souplesse, cette culture générale qui marquent les hommes vraiment distingués et qui lui garantissaient la réussite quelle que fût la voie qu'il lui plût de choisir. Il hésitait peut-être à l'origine, ou pour mieux dire, il ne songeait pas à se fixer, acceptant tour à tour diverses occupations pour ses rares instants de loisirs. Il naturalise les animaux et se forme lui-même une collection des oiseaux de France qui annonce le futur ornithologiste, mais à l'occasion aussi, il se livre à la photographie, à la peinture, au moulage, avec un vrai tempérament d'artiste. Les circonstances, un hasard d'aiguillage, le dirigeront dans une voie ou dans une autre. qu'il est impossible de prévoir, mais que, lorsqu'il en aura le temps, il saura parcourir jusqu'au bout. Cette occasion qui décide sa vocation se présente vers 1872 et elle intéresse trop l'histoire de notre Société, pour que nous n'y insistions pas. - Le 17 novembre 1871, quelques jeunes gens animés de la même ardeur, se réunissent pour étudier les sciences naturelles (1). (1) Dr Delamare. Origine et évolution de la Société. Bull. 1892. - Peu après, notre Société inscrivait au nombre de ses adhérents deux noms qui lui étaient chers, deux noms qui lui sont devenus sacrés : Camille Clément comme membre actif, le 12 juillet 1872, et Stanislas Clément comme membre honoraire, le 8 novembre de la même année. Camille Clément terminait au Lycée de brillantes études classiques. Lauréat au concours général pour la philosophie, il nous apportait sa jeunesse studieuse, un esprit alerte, cultivé, avide d'apprendre, et en quelques années trop rapides, hélas ! il laissait une œuvre qui aurait pu être la gloire d'une carrière bien remplie (1). (1) Henry Vincent. Notice biographique sur Camille Clément. (Bulletin 1877) Est-ce le père qui a poussé le fils dans nos rangs, est-ce le fils qui a entraîné le père avec lui ? Stanislas Clément, qui jusque-là avait cultivé les sciences naturelles comme une simple distraction, se livra plus régulièrement â leur étude. Il devint ainsi le guide de son fils et notre guide. Ses causeries, ses conférences avidement écoutées par tous, furent nos premières leçons. Formés à ses paroles, enflammés à son exemple, nous marchions dans lu voie qu'il nous traçait. Tout était à faire. Les membres de la Société étaient encore peu nombreux et tout jeunes, plus riches de zèle que de savoir. Après les leçons de Stanislas Clément, ils suivaient les excursions organisées par lui, d'où l'on rapportait une ample moisson de faits et d'objets récoltés en route. Les collections étaient d'autant plus indispensables à ces jeunes naturalistes que le Muséum municipal n'existait pas encore. Notre collection d'ornithologie fut créée par Stanislas Clément et celle de conchyliologie est en grande partie son œuvre. L'année 1877 fut une année douloureuse pour nous et pour Stanislas Clément. - Camille Clément, le meilleur de ses disciples, celui qu'il bénissait avec la fierté d'un maître, avec l'orgueil d'un père, tombe en pleine force, à l'âge .de 20 ans, frappé par un destin aveugle et cruel. Tant d'espoir s'évanouit ! Eh bien, quand même, l'œuvre entreprise par le fils sera menée à bonne fin : c'est comme si lui-même la confirmait, c'est quelque chose de lui qui lui survit. Et notre chef vénéré, brisé par la douleur, voulut refouler ses larmes et sut affermir sa voix pour nous encourager encore. Et nous avons continué notre route, soutenus par l'admiration pour celui qui n'était plus, par le respect pour celui qui nous restait, unissant leurs deux noms dans un culte pieux. M. Stanislas Clément obéissant aux désirs exprimés par son fils, fit don à la Société des collections personnelles de Camille, que nous avons conservées avec un soin particulièrement jaloux. Il créa aussi pour nous, toujours en souvenir de son fils, à l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, 23 décembre 1877, le prix Camille Clément destiné à récompenser le meilleur Mémoire d'histoire naturelle locale. - II continua à venir au milieu de nous, s'intéressant à nos travaux, au Bulletin. Il avait probablement aidé Camille à dresser son important Catalogue des Mollusques marins du Gard (Bulletin 1873-74). D'autres publications devaient suivre (1). (1) Curiosités ornithologiques rencontrées dans le Gard en 1877. (Bulletin page 144). L'Hyperoodon.de Baussard. (Bulletin 1881), pages 14-16, 1 planche.) Egagropiles, Bézoards et calculs. (Bulletin 1881, pages 140-143). Catalogue des coléoptères du département du Gard, d'après la collection Ecoffet. (Bulletin 1885, pages 12-43). Longévité des escargots. (Bulletin 1885, pages 54-55). Un champignon colossal. (Bulletin 1885, pages 59-60). Le Musée d'histoire naturelle de Nîmes. (F. J. N. 1885, pages 1-4. Bulletin 1885 pages 61-68). La Blennie cagnette. (Bulletin 1886. pages 24-25). Conservation et surveillance des Musées d'histoire naturelle. (Bulletin 1893. pages CXIX-CXX). ll s'intéresse à nous de mille manières. Les échantillons qu'il donne ou qu'il détermine, les dons (anonymes d'ailleurs) qu'il accorde pour la Bibliothèque, les collections ou le Bulletin, les conseils surtout., les conseils éclairés qu'il prodigué, tout nous attache à lui par les liens d'une reconnaissance émue et d'une sympathie respectueuse. A partir de 1880, il intervient moins directement dans notre Société. Un enseignement vraiment fécond apprend à ceux qui le reçoivent à se passer bientôt de ceux qui le donnent. Les élèves du début devenaient maîtres d leur tour, et ayant bien profité des leçons, n'avaient plus besoin de les suivre avec la même régularité. D'ailleurs une autre tâche non moins ardue, attirait M. Clément dans une direction non point différente mais parallèle, et la création du Muséum allait retenir la meilleure partie de ses efforts. - Son œuvre se matérialisa dopé, sous une autre forme. Ses leçons et ses écrits se firent plus rares. Mais à côté de ses publications personnelles, saura-t-on jamais celles qu'il a provoquées ? Son action plus ou moins visible s'est continuée parmi nous pendant trente ans. Il a conservé (est-ce l'effet. d'un labeur ininterrompu, est-ce la juste récompense d'une vie où la dignité ne connut jamais de faiblesse ?) il a conservé jusqu'à son dernier jour la rectitude des idées, la netteté de jugeaient, la puissance d'un esprit toujours jeune et vivant. Oui, malgré les atteintes d'un mal qui souvent s'attaque aux sources mêmes de la pensée, c'est l'intelligence qui chez lui succomba la dernière. Et cette influence à laquelle nous nous sommes volontiers et si longtemps abandonnés avec sécurité, est-elle brusquement détruite par la mort ? Nous ne croyons pas et nous ne voulons pas qu'il en soit ainsi. l'œuvre d'un homme à l'esprit vaste et au cœur ouvert, d'un homme qui sans compter donne le meilleur de lui-même, s'étend toujours plus loin qu'il ne paraît. Elle se ramifie par les œuvres qu'il inspire à ses auditeurs de passage, à ses amis, à ses disciples assidus. Un mot profond dans la conversation, une idée féconde dans une conférence, une direction heureuse dans une discussion scientifique préparent parfois la moisson lointaine et inattendue. Nous avons donc toujours proclamé et nous proclamerons toujours ce que nous devons à Stanislas Clément En 1878, le 29 novembre, fut prise la délibération suivante : « La Société reconnaissante des soins et attentions dont M. Stanislas Clément ne cesse de l'entourer, désireuse de rendre un nouvel hommage à Camille Clément en honorant dans le père les nobles et touchantes qualités qu'il avait su inculquer à son fils, offre à M. Stanislas Clément le titre de Président Honoraire. » Lorsqu'il fut nommé Officier d'Académie au Congrès des Sociétés savantes en 1882, Officier de l'Instruction Publique en 1888, le 5 mai 1895, lorsqu'on inaugura le Muséum, en 1897, à l'occasion du 25e anniversaire de son entrée dans notre Société, nous lui avons apporté l'expression sincère de notre profond attachement. Nous aurions voulu le lui marquer d'une manière plus efficace. Nous avons, à cet effet, pris l'initiative de demander qu'on lui accordât la Croix de la Légion d'honneur. Elle nous était promise pour lui, elle lui était due. Cette récompense que l'on ne prodigue guère aux savants de province sans relations avec le journalisme et la politique, la mort seule l'en a privé : elle aurait été la juste consécration d'u e vie tout entière vouée à la science et au bien. - Nous voudrions encore que son nom fût donné à l'une des rues avoisinant le Musée qui est son œuvre. Nous espérons y réussir. - Enfin, Mme Clément a bien voulu nous offrir le portrait de celui qui fut pendant de longues et bonnes années notre président honoraire. Ce portrait, nous l'avons placé dans la salle des séances, au-dessus du bureau. Ainsi l'occasion naîtra souvent d'apprendre aux nouveaux membres ce que fut M. Stanislas Clément et les services qu'il a rendus à notre Société et aux sciences de la nature. Son œuvre principale, celle qui le met hors de pair, c'est la création du Muséum d'Histoire Naturelle. - Elle lui a coûté quinze ans, vingt ans d'un labeur ininterrompu, assidu et intelligent. Et elle a doté notre cité de richesses scientifiques qui lui permettent de rivaliser avec les plus grandes villes de province. Certes les matériaux ne manquaient pas, mais ils étaient disséminés, égarés, perdus. Les odyssées des collections primitives, l'histoire du Musée avant M. Stanislas Clément est lamentable. Elle mérite d'être connue car elle est fertile en enseignements. Les Sciences naturelles n'avaient pas jadis l'honneur de figurer dans les programmes universitaires. Les hommes distingués, selon la formule classique, connaissaient dans tous ses détails le bouclier d'Achille et pouvaient disserter brillamment sur les armures antiques, mais ils ignoraient la structure de leur propre cerveau. Heureusement, de tout temps il s'est rencontré des savants désintéressés s'adonnant pour leur propre satisfaction à l'étude de la nature. Notre département en a compté un grand nombre et des plus éminents qui ont formé de précieuses collections. Il y a, en réalité, plus de 180 ans qu'on travaillait au futur Musée. En effet, c'est un legs de Séguier à l'Académie de Nimes 1778, qui a constitué le premier et remarquable fonds du Musée actuel (1). Or, Jean-François Séguier, que Linné appelait son maitre, est né en 1703 et il a commencé ses collections à l'âge de 16 ans. Il a réuni de beaux marbres, des gemmes précieuses, des roches et des poissons fossiles recueillis au mont Bolca près de Vérone (Italie). Il a fait un herbier très riche, non seulement des plantes de Vérone, qui lui ont fourni la matière de trois volumes de botanique (1745-1754), mais encore des environs de Nîmes dont il aurait pu faire la flore comme l'y engageait Linné. - Le cabinet de Séguier resta dans son intégralité à la disposition de la Ville, de 1793 à 1816, puis fut dispersé et disparut en divers coins obscurs sous la poussière. L'abbé Desroches, d'Uzès, laissa à la ville en 1816 de nombreux spécimens conchyliologiques. Ils n'ont pas été retrouvés. Le docteur Amoraux (2) de Beaucaire (1741-1824), naturaliste distingué, ancien bibliothécaire à la Faculté de médecine de Montpellier, auteur de travaux estimés (entre autres Notice des insectes de France réputés venimeux, Paris 1789), fit à la ville un legs consistant en coquilles, en un herbier (?) et en d'autres objets d'histoire naturelle. (1) Dacier. Eloge de Séguier, prononcé devant l'Académie des Belles-Lettres de Paris, séance du 15 novembre 1785. - De Ratte. Notice historique sur Séguier. (Journal d'histoire naturelle, Paris 1787. pages 32-38). (2) Dr Roubieu. Eloge historique du Dr Amoreux. Montpellier, 1825. La collection minéralogique donnée en 1824 par M. Villiers du Terrage, préfet du Gard, fut égarée comme la précédente, comme tant d'autres. En 1858, M. Philippe Mingaud (né à Vauvert 1819), pharmacien à St-Jean-du-Gard, donna à Nîmes ses collections : herbier général, droguier médicinal, roches, minéraux et minerais provenant de ses découvertes dans les Cévennes et toute une série d'autres objets d'histoire naturelle Elles furent délaissées dans leur emballage pendant 22 ans. Regardées comme colis encombrants, elles gisaient dans divers locaux sous des amoncellements de vieux papiers. On les croyait perdues. Elles furent retrouvées par M. Clément en 1880, dans le poste des sapeurs-pompiers. Cependant quelques-unes des 33 caisses primitives manquaient. Un jour, qu'elles embarrassaient, a raconté M. Ch. Liotard, alors secrétaire général de la Mairie de Nîmes, on en ouvrit plusieurs dans la cour. Les gens qui étaient là en emportèrent tous quelque chose. » Le portrait de Ph. Mingaud, par Jalabert, qui se trouvait avec les collections a disparu et n'a jamais été retrouvé. En 1872 on les déménagea pour laisser libre leur emplacement sur lequel on dressa la statue de Jean Reboul. Elles furent transportées à l'entrée de la Fontaine. La ville a acquis encore : 1° En 1866 la collection des coléoptères de M. Ecoffet (1795-1866) (2), ancien directeur des contribution indirectes du département, ainsi que des papillons arrangés en tableaux suivant les procédés de la lépidochromie et 2°,en 1870 la collection conchyliologique de M. Faïsse,d'Arles.. M. Thomas Fontayne fit don, en 1876, d'une collection de coquilles provenant de Madagascar. (1) E. Joeglé. Notice biographique- sur Jean Crespon. Paris 1857. (2) « Notice sur M. Ecoffet. » (Ann. Soc. Entour. de France, 1866 p. 439-440). Extrait plan de Nîmes de 1849, position collection Crespon. (A) de 1827 à 1872 sur l'emplacement actuel de la statue de Jean Reboul - (B) A partir de 1872 Toutes ces collections privées de soins se détérioraient. Méprisées, repoussées elles allaient au hasard de déménagements imprévus à l'Hôtel-de Ville, à la Bibliothèque, â l'ancien Hôpital, à la rue des Chassaintes. On pense qu'elles ne gagnaient pas à errer de la sorte et elles n'auraient pas tardé à être complètement détruites. Il faut dire cependant que M. Adolphe Aubanel (1804-1886), officier de santé, pharmacien à Nimes, collectionneur à ses heures et non sans mérite, avait été chargé depuis 1865 de l'entretien du Musée Crespon et des collections Ecoffet. - C'est donc grâce à lui que cette partie du moins du Musée actuel fut d'abord conservée. Cependant notre Société fondée en 1871, avait répandu le goût des Sciences naturelles, raconté et déploré l'abandon coupable d'anciennes et riches collections, et jusqu'à un certain point agité l'opinion publique. M. Stanislas Clément était l'âme de cette propagande qui finit par émouvoir la municipalité en 1880. Le maire d'alors, M. Margarot, disons-le à sa louange, fut gagné à la cause du Muséum et en décida la création. M. Stanislas Clément justement désigné par tous comme le plus apte accepta la lourde charge qu'on lui offrait et l'accepta à titre purement bénévole, du moins au début. Sa nomination de Conservateur du Muséum fut officiellement confirmée par arrêté municipal en date du 9 avril 1883. De 1880 à 1886 il consacra à cette œuvre tous ses moments de loisir. En 1886 ayant pris sa retraite comme chef de bureau de la construction au P.-L.-M., il a alors plus de temps et l'emploie sans ménagement. Il fallait une foi robuste, il fallait être animé du feu sacré pour entreprendre un pareil travail : le chaos, le désordre partout. Il faut d'abord retrouver les collections perdues, faire appel aux souvenirs de chacun, compulser des documents pour avoir quelques renseignements sur le sort probable des divers échantillons, fouiller les greniers, les soupentes, soulever une poussière séculaire. - Puis en possession des spécimens, tout reprendre, tout nettoyer, tout restaurer et souvent tout déterminer. N'oublions pas cependant de dire, ce que M. Clément était le premier à proclamer, qu'il fut aidé par d'éminents naturalistes tels que MM. Torcapel, Lombard-Dumas et Pellet (1) et la Commission municipale d'histoire naturelle prise parmi les membres de notre Société qui mirent à sa disposition sinon leur compétence du moins leur bonne volonté. (1) Galien Mingaud. Notice biographique sur Scipion Pellet. (Bulletin 1901). Malgré ces quelques secours, Stanislas Clément, dût être tour à tour classificateur et préparateur, peintre ou modeleur, menuisier ou serrurier appelant la science et l'art à son aide. Il est parvenu à sauver de la ruine et à rétablir la presque totalité de nombreux sujets de tous genres. En outre par ses dons personnels il double l'importance des richesses retrouvées. De 1880 à 1882 il avait d'abord réuni toutes les collections à l'Hôpital général qui venait d'être désaffecté pour être transformé en Musée et en Bibliothèque. - Puis la municipalité disposant de ces bâtiments pour en faire le nouveau Lycée il fallut transporter la botanique et la minéralogie à la rue des Chassaintes (bâtiment des décors) et la zoologie dans le local du Musée Crespon à la Fontaine. M. Clément travailla 5 ans (1882-1887) allant d'un local à l'autre. - Lorsqu'enfin le nouveau Lycée fut inauguré 1887, la ville reprit les bâtiments de l'ancien Lycée et par une délibération du Conseil municipal du 7 novembre 1888 les affecta à la Bibliothèque, au Musée épigraphique et au Museum d'histoire naturelle. Trois étages qui avaient été jadis des classes et des dortoirs servirent à installer le Laboratoire et les Salles destinées au public. En 1892, le 28 avril, eut lieu l'ouverture du 1er étage et en 1895 celle du 2e et du 3e étage. (1) (1) G. Mingaud. « Le Muséum d'histoire naturelle de Nimes ». (Revue scientifique, 1895 L'inauguration officielle fut faite le 5 mai 1895 par M. le Maire E. Reinaud, accompagné de M. le Préfet Bonnier et du Conseil municipal, en présence de nombreux invités et des Membres de la Société des Sciences naturelles. Ceux-ci avaient tenu à servir de garde d'honneur auprès de leur vénéré Président honoraire. La tâche était donc enfin accomplie et combien grande. Il y a beaucoup de mérite sans doute à se former une collection personnelle. Cependant le savant qui la recueille au jour le jour ne suit que son goût, et sans parler de la renommée conquise, il est déjà récompensé par le plaisir qu'il trouve dans ses études favorites. Se dévouer aux travaux des autres, les terminer, les présenter au public, est une œuvre non moins difficile et plus ingrate. Il y faut une grande compétence sur des sujets multiples, non plus choisis mais acceptés ; puis, l'œuvre accomplie, la science en profite, le public ignore la somme prodigieuse d'efforts dépensés et le nom du savant reste dans l'ombre. Qu'importe d'ailleurs ? Le chercheur infatigable qui a entrepris de pénétrer les secrets de la nature, trouve sa récompense, non pas dans les vaines satisfactions de l'amour-propre, mais dans la joie plus pure du devoir accompli, de la vérité conquise. M. Stanislas Clément songeait moins à se faire valoir qu'à mettre en lumière les mérites de ses prédécesseurs. Il a réuni l'entrée des salles ouvertes au public les portraits des naturalistes de notre département : Séguier, Ph. Mingaud, Crespon donateurs du Musée. - Emilien Dumas (1), de Sommières (1804-1870) ; de Pouzolz (2), de Nîmes (1785-1858) ; Armand de Quatrefages (3), de Valleraugue 1810-1892). - Récemment à côté des portraits précédents a été placé celui de M. A. Milne-Edwards, de l'Institut, en souvenir de la visite qu'il fit à notre Muséum accompagné de ses éminents confrères MM. Hamy, professeur au Muséum de Paris et Gaston Darboux, doyen de la Faculté des Sciences de Paris, lors de leur passage, en août 1894, allant à Valleraugue, inaugurer le monument élevé en l'honneur de Quatrefages. M. Milne-Edwards, mieux que personne, avait pu dans sa visite apprécier la grandeur et la beauté de la tâche accomplie par M. Clément. Il lui en exprima avec chaleur toute sa satisfaction et pour là mieux marquer, dès son retour à Paris, il adressa à notre Muséum un lot considérable de ses doubles. (1) A. Lombard-Dumas. Etude sur la cie et les travaux d'Emilien Dumas (Mémoires Académie, Nîmes 1877). - Les riches et belles collections de cet éminent géologue sont religieusement conservées par sa famille, à Sommières. (2) A. Lombard-Dumas. La botanique dans le Gard. de Pouzolz et son œuvre. (Bulletin 1899). - L'important herbier de ce laborieux savant fut acheté en 1863 par l'Ecole de pharmacie de Montpellier et actuellement il est déposé à l'Institut de botanique de cette ville. Il n'aurait pas dû quitter Nîmes. L'Administration municipale de l'époque n'a pas compris l'intérêt scientifique qu'il y avait pour le département à conserver l'herbier de Pouzolz. (3) E. Cartailbac. Notice sur A . de Quatrefages. (L'Anthropologie, 1892). - Notre illustre compatriote s'intéressait au développement de notre établissement ; en 1890, il lui envoya les moulages de bustes des principales races humaines d'après les types de la collection d'Anthropologie du Muséum d'histoire naturelle de Paris. M. le Dr Hamy, conservateur du Musée du Trocadéro, envoya aussi une série importante d'objets d'ethnographie. Aucun éloge ne pouvait plus que ces envois, toucher le cœur de M. Clément, dont la préoccupation constante était d'embellir encore l'œuvre qu'il avait commencée, développée, menée à bonne fin. - Certes, depuis 1895 il pouvait heureusement la contempler avec satisfaction. Mais plus heureusement encore il avait la joie des dernières retouches comme un artiste soucieux de la perfection. Ici un détail, là un autre, en ce point un vide à remplir, plus loin une élégance à chercher. Il n'avait de préoccupations que pour son Musée. Les grands évènements de sa vie étaient la réception ou la conquête d'une belle pièce telle que « Tabanera » le taureau espagnol estoqué dans les Arènes, l'élan-orignal du Canada, l'homme préhistorique. . Celui-ci surtout, auquel il travailla si longtemps avec ardeur. Un menhir, de gros blocs de pierre ça et là, un dolmen, un gai paysage peint sur les trois faces du mur qui encadre la scène mettent dans son vrai cadre l'homme préhistorique reconstitué (1). Cette reconstitution qui est fort originale fait honneur à .M. Clément, surtout si on note que le menhir reproduit la pierre plantée de Congénies, que le dolmen est celui de la grande Paillière près d'Anduze, que les vêtements, bijoux et armes de l'homme sont pareils aux modèles que fournissent les fouilles. - Quant au taureau espagnol, à l'élan, ce sont de grands sujets qui ont beaucoup de succès auprès de la majorité des curieux qui, au nombre de 80 000, visitent annuellement le Muséum. Mais les vrais naturalistes, les élèves de nos écoles sous la direction de maîtres éclairés, s'attachent davantage aux collections locales et ils ont raison. Notre Musée doit devenir de plus en plus un Musée régional. Nous voulons y voir les animaux, les roches et les plantes du Gard. On peut rester indifférent devant les lions du premier étage. L'ours blanc, venu des régions polaires et superbe d'ailleurs, intéresse moins que la simple mâchoire de l'ours des cavernes recueillie dans une grotte voisine de Nîmes. Le taureau espagnol, quoique très beau d'allures et encore effrayant, tient bien à tort selon nous une place qui revient au modeste taureau camargue. - Le taureau camargue, le cheval camargue, voilà des animaux intéressants et qu'on devrait trouver au Musée et cela pour deux raisons : ils sont de chez nous et leur espèce s'éteint (2). Les naturalistes convaincus sont pleins de sympathie pour les espèces en voie de décroissance. (1) G. Mingaud. Le préhistorique au Muséum d'histoire naturelle de Nimes, (La Nature, 1895). (2) G. Mingaud. Note sur cinq espèces ou races de mammifères en voie d'extinction dans quelques départements du Midi de, la France. (Bulletin 1894). C'est que nous comptons avec un soin jaloux les richesses naturelles de notre département. Sa formation depuis les schistes cévenols jusqu'aux sables d'Aiguesmortes a duré plus d'un millier de siècles, chaque époque lui laissant ses forma-, t'ions et ses fossiles. On n'épuisera pas la faune de nos eaux douces, de nos étangs et de la mer, de la garigue et de la Vaunage, des montagnes et du littoral. Sur notre sol varié poussent plus de 2500 espèces végétales, tandis que la moyenne pour les autres départements ne dépasse guère 1400. Voilà un sujet légitime de, fierté et voilà qui est rassurant. Les matériaux ne manqueront pas aux chercheurs et longtemps encore le Musée pourra être enrichi. Ce Musée doit de plus en plus satisfaire la curiosité et mieux encore l'exciter, il doit nous montrer tout ce que nous avons yu et nous pousser à de nouvelles observations. Il faut que nous en sortions l'esprit éveillé et les yeux ouverts. Voilà pourquoi il vaut mieux y trouver la houille de Bessèges que le lignite de Soissons, le micocoulier de Sauve que le baobab africain et le castor du Gardon (1) que le tatou de la Plata. (1) G. Mingaud. La protection du castor du Rhône. (Bulletin 1896). C'est dans cet esprit que M. Stanislas Clément avait en somme organisé le Muséum. C'est ce qui en fait non pas un. simple tombeau de bêtes et de plantes mortes, mais une création vivante capable de grandir et de se développer, en communication avec l'extérieur, sollicitant le chercheur qui vient du dehors et l'y renvoyant pour de nouvelles découvertes, monument des travaux accomplis dans le passé, germe et ferment des travaux de l'avenir. Depuis 1880, nos diverses municipalités l'ont bien compris. Elles ont fourni au Muséum, avec libéralité, locaux, subsides et encouragements. Des achats avantageux ont heureusement complété la série de quelques types qui manquaient aux collections. De jour en jour, de nombreux dons dus à nos compatriotes sont venus augmenter dans de notables proportions nos richesses en zoologie, botanique, géologie et ethnographie. Notre cité doit à son passé, à son beau renom, aux intérêts même d'une population agricole et industrielle, de favoriser les sciences aussi bien que les arts. Elle n'y manquera pas. - En particulier elle continuera à encourager ce Muséum dont elle a le droit d'être fière. Développer l'œuvre de Stanislas Clément, c'est un bon moyen non seulement d'honorer sa Mémoire, mais encore de travailler au bien public. -oOo- PHOTOS DU DÉBUT DU MUSÉE -oOo- |