LE PROGRÈS AGRICOLE

1890

 

Sur un nouveau mode de préparation de la bouillie-bordelaise

 

Nous recevons l'intéressante note suivante

 

MONSIEUR,

 

Trouvant que les diverses formules que l'on a données pour la bouillie bordelaise offrent toutes l'inconvénient de reposer sur le poids de la chaux employée, poids éminemment variable suivant son degré d'hydratation, ce qui fait que vous ne savez jamais si la bouillie que vous employez est basique ou acide, voici le moyen que je viens d'essayer pour mon premier sulfatage et qui m'a pleinement réussi. Je me hâte d'en faire part aux propriétaires que cela pourra intéresser.

 

Je fais mon premier traitement à 4 kilos de sulfate par hectolitre, mais cela ne fait rien à l'affaire, chacun pouvant modifier les, chiffres, que je vais donner, à sa guise; ils ne sont là que pour fixer l'esprit et éviter les périphrases.

 

J'ai, prés de ma pompe, deux demi-muids défoncés de 500 litres chacun, clans lesquels je mets 150 ou 200 litres d'eau. A la surface de cette eau et trempant dedans de 8 à 10 centimètres, je mets de mauvais sacs contenant chacun 20 kilos de sulfate de cuivre qui se dissout, complètement (en une douzaine d'heures) sans avoir la peine de remuer ou de faire chauffer de l'eau.

 

En même temps, dans un autre grand baquet, je fais éteindre 15 kilos de chaux grasse en pierre dans extrêmement peu d'eau.

 

Quand mon sulfate est dissous et la chaux en poudre, j'achève de remplir d'eau le baquet qui la contient, je remue pour obtenir un lait de chaux épais que je projette dans ma solution de sulfate à travers un tamis qui retient les impuretés.

 

En ~même temps, le mélange est brassé avec un béton, et, quand je pense que la quantité de chaux ajoutée doit être suffisante pour avoir décomposé le sulfate, je prends avec un verre une petite quantité de la bouillie et je l'essaye en en y faisant tomber avec un compte-gouttes un peu d'ammoniaque.

 

Si la couleur caractéristique de l'ammoniure de cuivre se produit si peu que ce soit, je rajoute encore de la chaux, jusqu'à ce que l'essai n'accuse plus un changement de couleur. A ce moment, tout le cuivre a passé à l'état de carbonate, toute la chaux à l'état de sulfate, et ma bouillie est absolument neutre; je n'ai plus qu'à achever de remplir mon fut avec de l'eau, et la bouillie est prête à servir; elle contient 4 kilos de sulfate de cuivre par hectolitre. Chacun comprendra qu'il est facile, sans rien changer au procédé, de faire varier la quantité de cuivre, la chaux sera toujours proportionnelle.

 

Je passe ensuite à la préparation du second demi-muid. Dans la pratique, mon caviste fait fondre le sulfate et prépare la bouillie dans l'un des deux, pendant que les pulvérisateurs vident l'autre. Deux demi-muids tiennent facilement de l'ouvrage à trois pulvérisateurs.

 

On a parlé cette année-ci de bouillies au saccharate de cuivre, afin de rendre une partie du cuivre de la bouillie immédiatement soluble et par conséquent utilisable contre le mildiou, car on reproche à la bouillie qui ne contient plus de sulfate de cuivre non décomposé de n'agir que fort lentement. Pour satisfaire les personnes qui seraient tentées d'essayer de mettre du sucre dans leur bouillie, je me permettrai cette petite remarque :

 

Le sucre n'attaque le carbonate de cuivre de la bouillie que dans un liquide franchement basique. Mon procédé pour reconnaître quand la chaux a exactement saturé l'acide du sulfate est donc fort utile, car, s'il reste du sulfate non dissous, le sucre y sera ajouté en pure perte. Voici la petite expérience bien simple qui en convaincra quiconque voudra contrôler mon assertion. Au cours de la fabrication de la bouillie, prélevez deux demi-verres du mélange. Dans l'un on laisse le sulfate de cuivre en léger excès, dans l'autre on ajoute un excès de chaux. Une fois l'opération faite, laites fondre, en remuant, un morceau de sucre dans chaque verre et laissez le dépôt se faire. Dans le verre ou le sulfate de cuivre est en excès, il teinte à peine l'eau qui surnage et la poudre du fond est franchement bleue. Dans l'autre verre, le dépôt est franchement du plâtre ou de la chaux, et le liquide est d'un beau bleu, et contient tout le saccharate de cuivre formé;

 

Si vous croyez que ma lettre puisse avoir l'intérêt que je lui suppose, faites en l'usage que bon vous semblera.

 

Veuillez agréer, etc…

 

G. de St Genest.

 

N. B. - J'avais beaucoup de charançons vert foncé dans mes vignes, il y a, quatre ou cinq jours. A la suite du premier sulfatage, je n'en vois plus trace. Ont-ils déjà fait leur ponte et sont-ils morts naturellement ou le sulfatage les a-t-il éloignés ?

Je ne saurais le dire. Dans tous les cas, les altises, que je n'avais pas constatées, commencent à paraître nombreuses et les petits escargots aussi, malgré un sulfatage des plus énergiques.

 

Mas des Saules, commune de Fourques (Gard), ce 7 mai 1890.

 

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