LE PROGRÈS AGRICOLE 1890
DU ROLE DES ENGRAIS VERTS COMME FUMURE AZOTÉE
L'emploi des engrais verts c'est-à-dire des plantes fraîches enfouies dans le sol, est très répandu dans certaines régions et donne généralement de bons résultats.
Le plus souvent, cette pratique s'opère en ensemençant le terrain de plantes dites améliorantes, principalement de légumineuses, qui ont la réputation de prélever dans le milieu ambiant, et surtout dans l'atmosphère, de grandes quantités d'azote. On coupe la récolte et on l'enterre sur place par un labour, donnant ainsi à la terre une fumure azotée.
Malgré les résultats avantageux que l'on obtient par les engrais verts, on n'a intérêt à les appliquer que dans des conditions économiques particulières, et à sacrifier ainsi une récolte pour nourrir la récolte suivante. Mais lorsque le sol s'est appauvri en humus, lorsque le transport des fumiers est difficile ou coûteux, lorsque les ressources pour l'achat d'autres engrais manquent, l'emploi des engrais verts rend les plus grands services.
Quoique l'amélioration du sol par l'apport de la matière organique, susceptible de former de l'humus, ait une importance très grande, c'est surtout à leur action comme fumure azotée qu'on attribue l'effet des plantes enfouies en vert. J'ai cherché à me rendre compte du rôle des engrais verts à ce point de vue et je les ai comparés à d'autres engrais azotés.
On sait que c'est sous la forme de nitrate que les plantes prennent généralement l'azote dans le sol et que les engrais organiques ont besoin de se nitrifier pour produire leur effet sur les récoltes. La rapidité de la nitrification des engrais azotés peut donc donner la mesure de leur aptitude de servir d'aliments aux plantes.
Me basant sur ces considérations, j'ai étudié la formation des nitrates dans les sols ayant reçu soit des engrais verts, soit d'autres fumures azotées, en quantité telle que, la proportion d'azote fût la même pour chaque lot de terre, soit 1 gramme par kilo. J'ai opéré comparativement avec le sulfate d'ammoniaque, dont M. Schlœsing a montré la rapide nitrification, et avec le sang desséché, qui est un des engrais organiques les plus actifs.
Dans une terre légère, contenant 2 % de calcaire, on a trouvé au bout de trois mois :
Dans ce sol, l'engrais vert a donc nitrifié plus rapidement que le sang desséché.
Dans une autre terre très forte, peu calcaire, on a obtenu dans le même temps :
Ici l'engrais vert a nitrifié bien plus abondamment que le sang desséché et même que le sulfate d’ammoniaque.
Les terres argileuses, peu perméables à l'air, constituent un milieu qui n'est pas propice à la nitrification, aussi, le sulfate d'ammoniaque lui-même a-t-il résisté. Mais l'engrais vert par son volume, par l'apport de matière organique, modifie de pareils sols et détruit leur compacité. L'air peut alors circuler et les organismes nitrifiants remplissent leurs fonctions.
Dans le cas des terres fortes, la fumure verte a donc une supériorité marquée sur les autres engrais azotés. Dans les expériences culturales faites à la ferme de Vincennes, en terre légère, on a employé divers engrais azotés, en quantité telle qu'il y eut pour chaque lot 100 kilog. d'azote par hectare, les autres matières fertilisantes existant d'ailleurs en abondance. On a semé une plante très épuisante, le maïs géant, cultivé comme fourrage. Dix-huit. jours après avoir répandu les engrais, on a examiné la terre et on y a trouvé :
Ici encore l'engrais vert a nitrifié plus rapidement que le sang desséché.
Les coupes de maïs, faites fin septembre, ont donné les récoltes suivantes, rapportées à un hectare :
De l'ensemble de ces résultats, on peut conclure que l'efficacité des engrais verts, comme fumure azotée, tient surtout à la facilité avec laquelle les matières végétales fraîches laissent nitrifier l'azote qu'elles renferment et à l'influence favorable qu'elles exercent sur les propriétés physiques des terres.
A. MUNTZ, Professeur à l'Institut national agronomique, 1890.
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