LE MESSAGER AGRICOLE

1866

 

NOUVELLES OBSERVATIONS

AU SUJET DE LA CONSERVATION DES VINS

 

Louis  Pasteur,

membre de l’Académie des Sciences, 1864.

 

J'ai eu l'honneur de communiquer antérieurement à l'Académie diverses notes sur le vin, ayant pour objet principal les changements qu'il éprouve avec l'âge, ses maladies, et les procédés pratiques que l'on peut mettre en usage pour le conserver sans altération. Les résultats de mes études peuvent se résumer en peu de mots :

 

1° Le vin se fait, se mûrit, en d'autres termes, il passe de l'état devin jeune à l'état de vin vieux, presque exclusivement par l'influence de l'oxygène de l'air.

2° Le vin ne s'altère point de lui-même, par un mouvement intérieur dû à des circonstances inconnues. Toutes les fois qu'il devient malade, c'est par l'action de végétations parasites qui s'y développent sous des influences diverses.

3° Les dépôts des vins ont exclusivement pour cause, soit une oxydation produite par l'oxygène de l'air, soit la présence des parasites dont je parle, soit enfin, et le plus souvent, ces deux causes réunies.

4° Les dépôts dus à l'influence de l'oxygène sont des dépôts adhérents dans la plupart des cas. Ceux qui proviennent de la présence des parasites sont toujours flottants, et, conséquemment, nuisibles au double point de vue physique et chimique.

5° Le problème, si important à résoudre, de la conservation des vins consiste donc uniquement, selon moi, à empêcher le développement des parasites du vin, en d'autres termes, à détruire leurs germes, ou mieux, à supprimer leur vitalité propre.

 

Le vin, disait-on, est un liquide dont les divers principes réagissent continuellement les uns sur les autres par des affinités mutuelles lentes, comme on voit un éther se former peu à peu dans le mélange d'un acide et d'un alcool.

Cette opinion sur la nature du vin et sur les changements progressifs de ses propriétés est tout à fait erronée.

 

Le vin nouveau enfermé dans des vases clos, à l'abri du contact de l'air :

 

1° Ne dépose pas.

2° Ne change pas de couleur.

3° Ne prend pas de bouquet.

 

Le même vin, au contraire, soumis à l'influence de l'oxygène de l’air à l’obscurité comme à la lumière, plus rapidement à la lumière :

 

1° Dépose considérablement jusqu'à devenir boueux, qu'il s'agisse du vin blanc ou du vin rouge.

2° Il perd entièrement le goût de vin nouveau.

3° Sa couleur devient celle d'un vin de dix, vingt ans et plus.

4° II prend au plus haut degré le goût et le bouquet des vins cuits de Madère et d'Espagne, ou des vins qui ont voyagé. Or tous ces effets exagérés du vieillissement des vins par l'action de l'oxygène de l'air peuvent être réalisés dans l'intervalle de quelques semaines seulement.

 

Mais l'influence de l'oxygène est constamment jointe, quoique à des degrés divers, à l'action dente de végétations cryptogamiques auxquelles le vin donne asile, et qui sont la source de toutes ses altérations.

 

Il est indispensable de détruire les germes de ces parasites, si l'on veut que le vin vieillisse promptement et sûrement, sans jamais se détériorer.

 

J’ai annoncé à l'Académie que ce résultat si désirable était facilement obtenu en portant le vin pendant quelques instants à une température suffisamment élevée. Toutefois, j'avais dû faire quelques réserves sur la valeur industrielle de ce procédé, parce que je ne jugeais pas suffisante la durée de mes essais.

 

La communication que j'ai l'honneur de faire aujourd'hui à l'Académie a pour objet principal de compléter, à ce dernier point de vue, mes premières expériences, dont je viens confirmer l'exactitude.

 

Il fallait résoudre une première question celle de l'effet immédiat de l'élévation de la température. On ne pouvait songer à un procédé de conservation du vin qui aurait diminué en quelque chose les qualités propres du vin. Or les épreuves les plus multipliées sur des vins de France, d'origines très-diverses, me permettent d'établir en toute assurance, que le vin qui vient d'être réchauffé et qui a refroidi :

 

1° N'a pas changé de couleur; sa couleur est plutôt avivée que diminuée.

2° Ne perd rien de son bouquet.

3° Ne dépose pas du tout.

 

Enfin, il est tellement semblable au même vin qui n'a pas été chauffé, qu'il faut soumettre les deux vins à une comparaison simultanée pour constater une légère différence dans leurs propriétés. Quoi qu'il en soit, si cette différence était à la défaveur du vin chauffé, il y aurait bien à craindre pour le succès du procédé de conservation dont il s'agit. Mais la dégustation, faite par un courtier expert, a donné sept fois sur neuf la préférence au vin chauffé, dans des essais que je dirigeais moi-même, sans que l'expert eût la moindre idée de la nature des vins qu'il avait à juger; et, dans les deux cas où il a donné la préférence au vin non chauffé, son avis a été que les vins comparés étaient si peu différents l'un de l'autre, qu'il y avait, selon son expression, à s'y perdre. En outre, il n'a jamais accusé de goût de cuit, alors même que son attention était appelée spécialement sur l'existence possible de quelque saveur de cette nature.(1)

 

Si le changement que l'élévation momentanée de la température apporte dans le vin est trop peu sensible pour déterminer une amélioration immédiate très-appréciable, il en est tout autrement lorsqu'on envisage le vin sous le rapport de sa conservation. Il suffit que la masse du vin ait été portée quelques minutes seulement à la température de 60 à 70 degrés pour que le vin ait acquis une résistance extraordinaire à toutes les maladies qui peuvent l'atteindre. Et cela est vrai d'un vin quelconque, blanc ou rouge, robuste ou délicat, très-jeune ou plus ou moins vieux. J'ajouterai que mes dernières expériences me permettent d'espérer que le maximum de la température à atteindre pourra être abaissé à 45 degrés, sans que l'on puisse toutefois descendre plus bas.

 

Cette circonstance est très-digne de fixer l'attention des propriétaires, car je ne doute pas que l'on ne puisse construire des hangars vitrés à double enveloppe de verre, dans lesquels on pourrait porter à cette température par la chaleur naturelle du soleil, surtout dans le Midi, des masses considérables de vin, sans dépense de combustible, en profitant de la propriété des rayons de chaleur obscurs de traverser difficilement le verre. (2)

 

J'ai annoncé à l'Académie, dans sa séance du 1er mai dernier, que j'avais mis en expérience de comparaison des vins de Pomard, chauffés et non chauffés, que je devais à l'obligeance de M. de Vergnette-Lamotte. D'autres échantillons du même cru, mais beaucoup plus vieux, m'avaient été donnés par M. Marey-Monge. Or toutes les bouteilles de ces deux sortes de vins qui n'ont pas été chauffés sont aujourd'hui en grande voie d'altération. J'ai l'honneur de mettre sous les yeux de l'Académie la photographie du ferment parasite qui altère ces vins présentement. Au contraire, les mêmes vins qui ont été portés à la température de 60 degrés sont absolument intacts, sans le moindre dépôt, tandis que la végétation parasite forme au fond des bouteilles altérées un dépôt flottant d'un travers de doigt d'épaisseur. Et tout ce dépôt n'a mis que trois mois seulement à se former. Enfin, le vin qui a été chauffé a conservé toutes ses qualités, tandis que le vin non chauffé est amer et désagréable au goût.

 

La photographie que je place sous les yeux de l'Académie, montre très-nettement, dans toutes les parties qui étaient bien au point, le mode de reproduction du végétal et son organisation par articles et sous-divisions d'article.

 

J'avais également annoncé à l'Académie, mais toujours un peu timidement, que le vin chauffé était devenu si peu altérable, qu'il se conservait même en vidange au libre contact de l'air. Je puis confirmer également l'exactitude de ce résultat. Cette expérience n'est après tout qu'un corollaire de celles que j'ai faites pour montrer l'inanité des observations que l'on invoque à l'appui de la doctrine des générations spontanées. Les germes des végétations propres à l'infusion organique acide qui constitue le vin étant détruits par la chaleur, le vin exposé à un volume limité d'air, comme il arrive lorsqu'on met en vidange une, bouteille de vin, ne peut plus s'altérer que par la propagation de germes tenus en suspension dans ce volume d'air, et, si ce volume d'air n'en contient pas de la nature de ceux qui peuvent se développer dans le vin, ce liquide restera absolument intact et soumis seulement à l'action chimique directe de l'oxygène de l'air.

 

C'est précisément ce qui arrive, et, neuf fois sur dix au moins, le vin qui a été chauffé, mis ensuite en vidange, n'éprouve pas la moindre acidification, alors même qu'on l'expose pendant des mois entiers dans une étuve à 30 ou 35 degrés.

 

En résumé, je considère que le problème de la conservation indéfinie des vins et de leur transport facile dans tous les pays du monde, sans vinage préalable, est résolu de la manière la plus complète et la plus satisfaisante. Il appartient maintenant aux propriétaires de savoir profiter de ces résultats de la science.

 

PASTEUR,

Membre de l'Institut.

 

1° Il résulte de ce qui précède que, sous le rapport dé l'amélioration du vin, le changement est trop peu sensible pour motiver l'opération du chauffage. Cependant, lorsqu'elle est pratiquée sur du vin nouveau qui renferme en dissolution un volume considérable de gaz acide carbonique, gaz que fait disparaître en presque totalité l'élévation de la température, il se manifeste un changement de saveur plus appréciable, et le vin parait tout de suite sensiblement amélioré.

2° Il n'y aurait qu'une chose à craindre, c'est que les douves des tonneaux ne se déjetassent. Ce mode de chauffage serait très-convenable pour les bouteilles. Le chauffage des fûts par l'eau, à l'aide de la vapeur d'eau, se fait également très bien.

 

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