La transhumance dans le Gard en 1950.
La transhumance constitue un des aspects les plus caractéristiques des méthodes extensives d'élevage dans la région du bas Rhône-Languedoc.
Imposée depuis des temps immémoriaux par des conditions climatiques particulières, elle est peut-être à la veille de régresser sérieusement, par suite de la réalisation des grandioses projets d'irrigation dont notre région est l'objet. En fait, il faudra plutôt envisager sa réorganisation sur des bases nouvelles, lorsque les données du problème que pose l'élevage en Languedoc auront-été elles-mêmes modifiées.
Aussi, est-ce pour bien
fixer le point de départ d'une évolution d'ores et déjà prévisible, que les
techniciens des Services agricoles des Eaux et Forêts, des Services
vétérinaires du Gard et de la Compagnie nationale d'Aménagement du bas
Rhône-Languedoc, ont choisi comme thème d'étude : La Transhumance dans le
Gard.
LA STRUCTURE DES TROUPEAUX TRANSHUMANTS DU GARD.
La transhumance est couramment pratiquée dans le département du Gard où elle intéresse principalement l'espèce ovine, et plus secondairement l'espèce caprine. Ce n'est qu'exceptionnellement que les bovins transhument, et dans leur cas particulier, les mouvements de transhumance sont limités à des déplacements de faible amplitude.
Dans l'espèce ovine,, deux races sont soumises à ce mode d'exploitation : le Caussenard des Garrigues, et le Mérinos d'Arles.
Le Caussenard des Garrigues, qui occupe principalement les cantons de Saint-Jean-du-Gard, Lassalle, Sauve, Saint-Hippolyte-du-Fort, Quissac, Sommières, Saint Mamert, Nîmes, Saint-Chaptes, Lédignan, Vézénobres, Anduze, Sumène, Saint-André-de-Valborgne, transhume traditionnellement en Cévennes : soit dans la région Nord-Ouest du département du Gard, soit plus fréquemment dans les départements voisins, notamment : la Lozère, l'Ardèche, l'Hérault, l'Aveyron, la Drôme.
Le Mérinos d'Arles, qui
occupe la région méridionale du département (cantons de Vauvert,
Saint-Gilles, Aigues-Mortes, Beaucaire, Remoulins, Aramon, Marguerittes et
Nîmes) transhume généralement vers les Alpes (département des Basses-Alpes,
Hautes-Alpes, Savoie, Haute-Savoie, Isère). Ce n'est qu'exceptionnellement,
notamment durant la guerre de 1939-1945, lorsque les moyens de transport
firent défaut, que certains troupeaux mérinos estivèrent en Lozère, pour
limiter l'importance de leur déplacement.
L'étude des effectifs
soumis systématiquement à la transhumance a été réalisée par M. le docteur
VERGER, Directeur des Services vétérinaires du Gard; aussi, ne
traiterons-nous pas cette question dans le présent rapport. Nous nous
contenterons d'étudier la structure des divers types de troupeaux transhumants. Les troupeaux Caussenards
soumis à l'estivage comprennent, dans bien des cas, tous les éléments :
brebis, béliers, antennais, antennaises, parfois même moutons, parce que ces
troupeaux sont généralement peu importants, et leurs propriétaires trouvent
dans l'estivage un moyen de se débarrasser totalement de l'entretien du
troupeau durant la période où les travaux des champs sont particulièrement
absorbants. Ce système est évidemment
imparfait : des animaux aussi divers dans leurs aptitudes, physiques que dans
leurs besoins alimentaires, soumis à un régime commun, ne peuvent tous,
également, en profiter. D'autre part, la monte n'est pas contrôlée et les
agnelages s'échelonnent dans le temps. De plus, les agneaux qui naissent
tardivement et qui, en raison de la faiblesse des cours parfois pratiqués en
fin de saison, sont conservés pour être vendus plus tard comme agneaux cris,
éprouvent quelques difficultés pour suivre le troupeau en montagne. Aussi, de plus en plus,
les éleveurs avertis cherchent à « grouper » l'agnelage de leur troupeau, en
contrôlant la monte. Pour le Caussenard,
l'agnelage précoce d'août est souhaité, mais on observe depuis quelques
années certaines difficultés à faire saillir les brebis en temps voulu au
printemps (les femelles ne viennent pas «en chaleur»). Dans ces troupeaux, la
monte a donc lieu courant mars (la tradition veut que le bélier soit mis au
troupeau le 5 mars). La garde des béliers, durant la période estivale, à
l'écart des brebis pose des problèmes difficilement solubles dans le cadre de
l'exploitation familiale. Certains petits
propriétaires des Cévennes se sont spécialisés dans le gardiennage des
béliers qu'ils prennent « en pension », durant le printemps et l'été. En ce qui concerne les
troupeaux Mérinos soumis à la transhumance, on recherche, d'une manière
générale, l'agnelage d'automne (novembre), comme dans le département des
Bouches-du-Rhône. MODALITÉS DE DÉPLACEMENT
DES TROUPEAUX TRANSHUMANTS. Pour le Caussenard, les
petits propriétaires s'associent pour louer en commun un pâturage de
montagne, et le groupement des troupeaux a lieu généralement au départ, plus
rarement sur la route. Les déplacements
s'effectuent toujours à pied, en empruntant les routes et les « drailles ».
Pour le Mérinos, l'importance unitaire des troupeaux justifie généralement la
location d'un pâturage particulier en montagne. Les troupeaux sont
groupés dans les trains spéciaux de transhumants, que la S.N.C.F. organise
deux fois par semaine au départ des gares d'Arles et Nîmes : dans ces trains,
les troupeaux conservent leur individualité et n'aboutissent pas
nécessairement à la même gare destinataire. Pour certains petits
troupeaux Mérinos, l'éleveur désireux d'éviter les soucis de la transhumance
confie ses bêtes « en pension », à un éleveur dont le troupeau personnel
est insuffisant pour exploiter pleinement les ressources de la montagne.
Parfois, cette pension est assumée par un négociant de bestiaux ou encore par
des agriculteurs des départements d'accueil, qui louent à la fois les
pâturages et leurs services. On estime que la
« mise en pension » effectuée dans ces conditions revient entre 600 et
800 F par tête (transport compris). Les époques de départ
sont commandées par les conditions atmosphériques particulières de l'année,
par l'amenuisement des ressources fourragères de l'exploitation, et aussi par
les vieilles habitudes auxquelles les bergers restent très attachés. Les éleveurs de
Caussenard considèrent, en effet, que le départ en montagne ne doit pas intervenir
avant le 1° juin, car la végétation risque de ne pas être assez développée et
les nuits demeurent fraîches. Mais le départ ne doit pas être retardé après
le 12 juin, parce que les bêtes, insuffisamment préparées aux différences de
température existant entre la plaine et la montagne à ce moment, risquent de
s'enrhumer dès leur arrivée sur les plateaux. En ce qui concerne le
Mérinos d'Arles, mieux couvert que le Caussenard, le départ des troupeaux
vers les pâturages froids des Alpes s'effectue dès la fin mai et se poursuit
début juin. Le départ des troupeaux Mérinos est retardé le plus possible : ce
n'est que lorsque les pâturages de plaine ne sont plus aptes à nourrir
convenablement le troupeau, que l'on s'organise pour gagner les alpages. Le retour pour les deux
races ne s'effectue pas toujours en une seule fois : si, généralement, les
différents éléments constituant le troupeau gagnent ensemble la montagne en
mai ou en juin, il peut ne pas en être de même pour le retour. Cette
fragmentation du troupeau est liée à son mode d'élevage. Pour les Caussenards, les
premiers à quitter la montagne sont les jeunes qui descendent à partir du 15
août jusqu'au 8 septembre. Certains sont conservés sur les pâturages de
plaine et assureront le renouvellement du troupeau. Les autres seront dirigés
sur les foires de Sommières et de Saint-Hippolyte-du-Fort, où des
agriculteurs de la région ou d'autres départements, les achèteront pour les
engraisser et les vendre ensuite à la boucherie, le plus souvent sur le marché
de Nîmes. Fréquemment, avec les jeunes, descend la « draille », formée
par des bêtes de réforme, brebis usées, maigres ou maladives, qui sera vendue
aux grandes foires d'automne (Quissac, Anduze, Sommières). Pour les troupeaux soumis
à un agnelage précoce, la descente des animaux a lieu avant les premières
naissances, dans les premiers jours d'août. A partir du 15 août, les
journées deviennent plus courtes et les pâturages, usés par une dépaissance
constante, ne permettent plus d'alimenter le troupeau dans de bonnes
conditions. Les troupeaux redescendent vers la plaine et les pâturages sont
généralement totalement abandonnés dès le 20 septembre. Le Mérinos d'Arles,
beaucoup plus résistant au froid, descend de montagne plus tard, généralement
dans la première quinzaine d'octobre. Ce sont les premières neiges automnales
qui le chassent des pâturages de haute montagne, dont certains (dans les
Hautes-Alpes, notamment), sont situés entre 1800 et 2300 mètres d'altitude. Ce retour aussi tardif
est justifié par une sage prudence dans l'utilisation des pâturages d'hiver,
dont les ressources sont généralement minimes, comparativement à la densité
du bétail qu'ils doivent supporter. Il semble cependant que le retour des
troupeaux transhumants Mérinos du Gard se fasse quelques jours plutôt que
celui des troupeaux des Bouches-du-Rhône. Tout comme pour le
Caussenard, la descente de montagne s'effectue souvent en plusieurs fois :
les brebis ayant agnelé en août septembre font l'objet d'un « démontagnage »
partiel et sont vendues avec leur agneau aux grandes foires de Tarascon (8
septembre) et de Salon (28 septembre), où elles trouvent très facilement
preneurs. En pratique, les
mouvements de transhumance du Mérinos d'Arles ne sont pas soumis à une
régularité absolue, parce que l'élevage ou plutôt l'entretien des troupeaux
de cette race, n'est pas toujours le fait d'authentiques éleveurs, mais
plutôt d'agriculteurs négociants qui ont tendance à adapter constamment les
modalités de leur élevage aux conditions commerciales du moment. Les déplacements
s'effectuent, pour les troupeaux Caussenards, à pied, en empruntant les
routes ou les « drailles » ancestrales. Ces « drailles » présentent
malheureusement un médiocre état d'entretien, et risquent, de ce fait, de
devenir inutilisables à brève échéance. Ce n'est qu'exceptionnellement, et
pour de très petits troupeaux, que l'on a recours au transport par camion qui
est très onéreux. Il faut, en effet, compter 2O0 F de transport par tête pour
conduire à l’estivage, en Lozère, un troupeau de la région de Sommières (A ce
sujet, on peut d'ailleurs signaler les souhaits de quelques éleveurs qui
désireraient bénéficier, pour ces transports particuliers, d'une ristourne
sur les carburants utilisés.) Les conditions de
déplacement des troupeaux par les « drailles » ancestrales ont été
particulièrement exposées dans le rapport détaillé de M. MAGNE, Inspecteur
des Eaux et Forêts du Gard. Nous nous contenterons donc d'apporter quelques
précisions complémentaires à ce sujet. C'est ainsi qu'il parait
opportun de signaler que, dans quelques cas, des propriétaires dont les
disponibilités en fumier sont minimes, demandent aux troupeaux transhumants
de passage de parquer sur leurs terres : en compensation ils assurent le
couvert et le gîte aux bergers. De plus en plus, pour des
raisons d'hygiène, les Municipalités interdisent le stationnement des
troupeaux, durant la nuit, sur les places publiques; de telles décisions
créent alors aux bergers des difficultés de parcage nocturne très importantes. D'une façon générale, la
durée de la « montée » des troupeaux transhumants Caussenards n'excède pas 5
à 6 jours. La transhumance, qui
s'effectue à l'intérieur même du département dû Gard, ne se réalise que sur
de courtes distances. Ce sont généralement des éleveurs de la région cévenole
qui font estiver leurs troupeaux sur les plateaux du Causse; les déplacements
n'excèdent pas 40 à 50 km. En ce qui concerne les
troupeaux Mérinos d'Arles, les transports se font par chemin de fer,
exceptionnellement en camion, et souvent par un procédé mixte, c'est-à-dire
que l'accès aux lieux d'embarquement, et les déplacements à partir des gares
d'arrivée jusqu'aux pâturages, se font à pied. Ainsi, certains troupeaux
allant dans les Hautes-Alpes, débarquent à Gap, et gagnent par la route leurs
lieux d'estivage, situés à 40 ou 50 km de la gare d'arrivée. Les transports par train
sont assez bien organisés : les lieux d'embarquement pour le département du
Gard sont, par ordre d'importance : Arles, Nîmes, Saint-Césaire, Avignon. Le
chargement des wagons s'effectue généralement en fin de matinée, après que
les troupeaux aient été soigneusement alimentés et abreuvés. L'arrivée dans
les gares les plus lointaines (Le Fayet, en Haute Savoie par exemple) a lieu
moins de 24 heures après le départ de Nîmes. Les animaux n'ont donc pas, dans
ces conditions, à souffrir du voyage. Il serait toutefois
souhaitable que les gares où ont lieu de grands mouvements de troupeaux
transhumants soient mieux aménagées à cet effet : quais de débarquement plus
importants, installation de parcs clos, abris pour les bêtes, abreuvoirs,
etc... Une telle organisation
permettrait d'alimenter les bêtes dès leur débarquement. Elle éviterait les
incidents qui ne manquent pas de se produire, lorsque, au sortir du wagon,
les bêtes affamées ne pouvant être maintenues par le berger, déterminent des
dégâts parfois importants dans les emblavures proches. Les prix de transport par
chemin de fer résultent de l'application du barème spécial de la S.N.C.F: n°
357. On peut l'estimer, suivant les distances parcourues : à une dépense
oscillant entre 150 et 300 F par tête. Mais généralement les parcours les
plus éloignés du Gard sont les moins demandés; de ce fait, ils sont loués les
moins chers, ce qui compense, partiellement tout au moins, l'importance, des
frais de transport. Pour les troupeaux se
déplaçant à pied, qu'il s'agisse de Caussenard ou du Mérinos d'Arles, les
bergers respectent généralement les horaires suivants : départ à 5 h, arrêt à
7 h, pour laisser paître le troupeau et laisser au berger le temps de
déjeuner. Nouveau départ vers 8 ou 9 h et marche jusqu'à 12 h. Si le troupeau n'est pas
encore en altitude, le berger recherche un lieu ombragé pour permettre aux
bêtes de se reposer dans de bonnes conditions. En montagne, cette précaution
n'a pas à être prise. Le troupeau se remet en route vers 16 h 17 h, et
poursuit sa marche jusqu'à la nuit. La nuit, les bergers bivouaquent
généralement près de leurs troupeaux et, s'il s'agit de troupeaux importants,
l'un des bergers veille. MODE D'EXPLOITATION DES
TROUPEAUX TRANSHUMANTS. Le système d'exploitation
des troupeaux, même pour une seule race, est extrêmement variable : il est
fonction des buts que l'on se propose et aussi de la classification professionnelle
des bergers utilisés. Il est évident que « l'emboucheur » de mouton n'a pas à
exiger de son berger un travail aussi pénible et des connaissances aussi
approfondies que celui qui se propose de pratiquer l'élevage ou la production
laitière ; mais il est tout aussi évident que l'éleveur éprouve de plus en
plus de difficultés dans le recrutement de bergers capables et consciencieux.
Aussi, faute de personnel compétent, certains éleveurs ont-ils été obligés de
modifier le système d'exploitation qu'ils avaient primitivement choisi; le
système d'exploitation des troupeaux transhumants dépend également de
l'importance des ressources fourragères, des débouchés et de la conduite
générale des exploitations possédant les troupeaux (exploitations viticoles
ou herbagères). Aussi, trouve-t-on dans
le Gard la gamme presque complète des spéculations auxquelles donne lieu
l'élevage du mouton. Il est toutefois certain
que, pour le Caussenard, la production de l'agneau de lait est la spéculation
la plus couramment pratiquée, car elle correspond le mieux aux possibilités
de son aire géographique. L'agneau est vendu aux
environs de 50 à 60 jours; à cet âge, il présente un poids qui oscille entre
14 et 18 kg, suivant les soins dont la mère a été l'objet, et selon que
l'agneau a été « pousse » ou non, avec des aliments concentrés : blé,
paumelle, seigle, châtaigne. Souvent aussi, l'agneau est « fini > avec le
lait de plusieurs mères. Le croisement industriel
avec des béliers « Ile-de-France » ou « Southdown », qui donne des
résultats intéressants pour la production de l'agneau de lait, tend à se
développer rapidement dans les régions d'élevage les plus fertiles. C'est généralement en
septembre octobre que les cours de l'agneau sont les plus avantageux, ce qui
explique l'intérêt que les éleveurs attachent à obtenir un agnelage aussi
précoce que possible. La production de «
l'agneau gris », âgé de 5 à 8 mois, n'est pas courante dans le Gard. Pour se
livrer à cette production, il faut disposer de ressources fourragères
abondantes pendant plusieurs mois, ce qui est rarement le cas des
exploitations gardoises. De plus, le Caussenards manque de précocité; sa
conformation pour la boucherie est médiocre; de ce fait, on ne peut obtenir
de beaux « agneaux gris » faisant prime sur le marché. Enfin, il existe encore
quelques « emboucheurs de mouton » qui, chaque année, achètent à 8-10
mois de jeunes béliers à la descente de la montagne, les castrent et les
revendent un an plus tard. Cette spéculation s'explique par l'impérieux
besoin de fumier ressenti par la plupart des exploitants de la région.
L'emboucheur est débarrassé de tout souci d'élevage, puisqu'il n'a que des «
chatrons » et la conduite de son troupeau est ainsi simplifiée au
maximum. L'emboucheur doit surtout savoir engraisser et vendre; son activité
revêt ainsi un caractère commercial. Enfin, dans la région
voisine du département de l'Hérault (Pompignan, Sauve), de nombreux
troupeaux, soumis depuis fort longtemps à une sélection massale constante,
assurent surtout la production de bêtes d'élevage (agnelles et béliers). Ces
troupeaux constituent ainsi la source de renouvellement des troupeaux plus
spécialement orientés vers la production de l'agneau de lait. Durant l'automne et
l'hiver, les troupeaux caussenards paissent sur les chaumes de céréales, les
prairies artificielles et surtout dans les garrigues. Le développement de la
pratique du déchaumage a réduit sensiblement les possibilités alimentaires
qu'offraient autrefois les exploitations céréalières. Les fourrages
artificiels, les marcs de raisins ensilés, constituent d'excellents aliments
de complément distribués en bergerie. En ce qui concerne le
Mérinos d'Arles, le système d'exploitation est moins varié dans ses types,
mais les éleveurs passent plus facilement, selon les conditions particulières
du moment, d'une spéculation à l'autre. Le Mérinos d'Arles,
appelé communément « métis » dans le Gard, est exploité surtout en gros
troupeaux qui peuvent parfois atteindre plusieurs milliers de têtes: Les troupeaux Mérinos
d'Arles qui transhument sont généralement soumis au régime suivant :
l'agnelage a lieu dans les cantonnements d'hiver, en octobre, novembre,
décembre, pour que les agneaux soient assez grands lors du départ dans les
Alpes. Les troupeaux pacagent
sur les parcours de mauvaise qualité (enganes) durant l'hiver et le
printemps. Les moindres ressources fourragères sont alors soigneusement
utilisées : les terrains d'aviation, les berges des grands canaux, se louent
à des prix élevés, d'autant plus que le développement de la riziculture s'est
effectué, dans bien des cas, aux dépens de médiocres pâturages dont seul le
mouton pouvait tirer parti jusqu'alors. Les réserves fourragères
(luzerne) sont généralement insuffisantes pour maintenir le troupeau en état,
durant la période hivernale. Aussi, est-il nécessaire de développer, dans la
région d'élevage du Mérinos, la production de prairies artificielles et des
cultures de fourrages annuels, pouvant être pâturées sur place, soit à l'automne,
soit au printemps Quelques éleveurs de
Mérinos conservent en permanence sur leur exploitation soit l'ensemble du
troupeau, soit une partie seulement de ce troupeau; ainsi, ils peuvent
s'adonner à la production d'agneaux de lait avec, comme compléments, la
traite des brebis et la fabrication des fromages ultérieurement expédiés pour
l'affinage à Roquefort. Les animaux soumis à la
transhumance appartiennent généralement : pour la race Caussenarde à de
petits et moyens propriétaires qui s'adonnent à la polyculture, parfois même,
presque uniquement à la production viticole. En ce qui concerne le
Mérinos d'Arles, le troupeau constitue, dans la plupart des cas, un des
éléments de l'exploitation agricole : celle-ci est généralement une
exploitation de grande importance (50 à 200 ha) orientée vers la viticulture
et la production céréalière (riz fréquemment). Mais, dans quelques cas, le
troupeau est la propriété de ce que l'on appelle improprement dans la région
: un « herbager » ; celui-ci ne dispose d'aucune exploitation agricole, mais
loue des « herbes » à l'année, et même à la saison. Il est évident que, dans
ce cas, la stabilité de la production ovine est bien moindre, et que la
constitution ou la disparition de tels troupeaux est directement soumise aux
conditions momentanées du marché. LA VIE DU TROUPEAU EN
MONTAGNE Les pâturages de montagne
qui sont situés, dans le département du Gard, sur les Causses de Blandas ou
sur le Causse Noir, et qui reçoivent des troupeaux transhumants venant, soit
du Gard, soit de l'Hérault, appartiennent généralement à des particuliers,
plus rarement à des communes ou à l'Etat. Ils sont loués de gré à gré et pour
une saison d'estivage seulement. Le prix pratiqué n'est
généralement pas fixé à l'unité de surface, mais ci la tête de mouton
autorisé à pacager. Les prix de location oscillent actuellement suivant la
qualité du pâturage, son emplacement, sa facilité d'accès, les difficultés
d'abreuvement, l'existence ou l'absence de bergeries, etc., entre 100 et 250
F par tête. On peut estimer la charge normale à l'hectare à 2 à 3 bêtes. Dans le département du
Gard, les transhumants qui estivent dans la région du Causse, et qui
appartiennent tous à la race Caussenarde, sont soumis au mode de vie
suivant : - le troupeau demeure généralement
toute la journée dehors et rentre le soir à la bergerie. Le troupeau couche
obligatoirement à la bergerie, car le fumier demeure au propriétaire des
pâturages et sa valeur n'est pas négligeable; - souvent le berger est
nourri dans la ferme qui a loué les pacages, moyennant une rétribution fixée
à l'avance, mais souvent aussi les bergers s'installent en famille sur le
Causse, et assurent eux-mêmes leur ravitaillement. La transhumance sur le
Causse présenterait deux inconvénients : -- selon l'opinion des
intéressés, les pâturages « doux » du Larzac et du Causse Noir ne seraient
pas aussi bons que les pâturages < acides » des hautes Cévennes (Mt Lozère
notamment). Les bêtes descendraient du Causse en excellent état de graisse,
mais ne tarderaient pas à le perdre dans la plaine, alors que celles qui ont
transhumé dans les pâturages acides seraient moins grasses, mais pleines de
santé et « profiteraient » rapidement, une fois rentrées dans leurs
quartiers d'hiver. D'autre part, le manque
d'eau, dont souffre le Causse presque en permanence, limite les possibilités
d'estivage. Les conditions d'estivage dans les départements d'accueil des
Alpes ou de la bordure méridionale du Massif Central seront exposées dans
d'autres rapports, auxquels nous prions les lecteurs de vouloir bien se
référer. AVANTAGES ET
INCONVÉNIENTS DE LA TRANSHUMANCE La transhumance est une
pratique autant louée que critiquée. Mais les éleveurs gardois lui demeurent
en général très attachés. Les adversaires de la
transhumance soulignent divers inconvénients qu'elle présente -- En premier lieu,
certaines personnes, et les forestiers notamment, lui reprochent d'être la
cause principale de la dégradation des montagnes, ce qui est certainement
exact lorsque le troupeau est conduit par des bergers inexpérimentés ou
inintelligents, et surtout lorsque la charge du pâturage est trop importante.
L'utilisation des pâturages de montagne est toujours délicate, tant pour,
conserver au sol son tapis végétal protecteur que pour faire profiter au
maximum le bétail de la dépaissance. - La transhumance est
également souvent considérée comme une pratique qui ne permet pas
l'utilisation d'animaux de races perfectionnées. Elle fait partie intégrante
d'un système d'exploitation extensif et, de ce fait, ne permet pas
d'envisager l'amélioration zootechnique des races soumises à cette pratique
ou tout au moins limite considérablement leurs possibilités d'amélioration. - On reproche également à
la transhumance, malgré la réglementation sanitaire dont elle est l'objet,
d'être un moyen puissant de propagation des maladies. Il est certain que de
nombreux exemples accréditent cette opinion, notamment au cours de ces
dernières années, en ce qui concerne la dissémination de la clavelée par les
troupeaux transhumants en Lozère. - Un quatrième
inconvénient réside dans la mauvaise répartition du fumier résultant de ce
mode d'exploitation : les fumiers, qui s'accumulent dans les bergeries du
Causse notamment, sont ensuite exportés vers les vignobles du bas Languedoc,
ce qui contribue à l'appauvrissement des sols de montagne. - Les troupeaux
transhumants en se déplaçant sur les routes gênent considérablement la
circulation et déterminent, dans les champs situés en bordure, des dommages
qui donnent toujours lieu à des contestations difficiles à régler. - Enfin, les troupeaux
transhumants supportent des risques importants en montagne par suite des
orages et parfois du froid. Les partisans de la
transhumance soulignent au contraire les grands avantages suivants - La transhumance assure
aux troupeaux une santé et une vigueur favorables à leur développement. - La qualité de la laine
des troupeaux transhumants est nettement améliorée. - La transhumance est une
nécessité vitale pour le cheptel ovin de nombreuses communes gardoises, dont
les seules ressources fourragères ne pourraient suffire à l'entretien des
troupeaux pendant toute l'année. - Le maintien des
troupeaux, grâce à la transhumance dans la zone viticole, assure une
stabilité économique de l'exploitation et diminue l'importance des risques
que lui fait supporter une monoculture trop étroite. - L a transhumance
permet, en outre, l'exploitation de régions qui, sans le mouton, seraient
semi-désertiques. - La transhumance permet
enfin la reconstitution des pâturages hivernaux, qui souffrent moins de la
« tonte » de la végétation par la dent du mouton que du piétinement
des troupeaux. AVENIR DE LA TRANSHUMANCE La transhumance semble
devoir diminuer d'importance au cours des prochaines années, et cela pour
diverses raisons - la réduction des
pâturages d'hiver, consécutive au développement des rizières, à la
généralisation de la pratique du déchaumage, diminue les possibilités
d'entretien des troupeaux durant l'hiver. L'intensité de la production
fourragère qui résultera du développement de l'irrigation permettra dans
quelques années de supprimer complètement ce facteur limitant. - l'importance des
parcours de montagne tend également à diminuer en raison des travaux de
reboisement poursuivis méthodiquement par l'Administration des Eaux et
Forêts. - enfin, la très grande
difficulté qu'éprouvent les éleveurs dans le recrutement des bergers
d'alpages compétents et consciencieux, constitue sans doute la raison
essentielle 'de la régression de la transhumance. En ce qui concerne le
choix des régions de transhumance, il semble que, pour les Caussenards, les
éleveurs abandonnent de plus en plus l'Ardèche (dont les pâturages deviennent
moins nombreux en raison du reboisement) et se dirigent aujourd'hui surtout
vers la Lozère. Pour le Mérinos, il n'y a
pas d'évolution notable à signaler. A notre avis, la
transhumance et l'estivage constituent dans les conditions actuelles des
pratiques rationnelles pour le Gard. Nous nous rangerions
volontiers à la conclusion du Docteur vétérinaire André BAUMES qui, dans une
thèse fort documentée, relative à la transhumance dans l'Hérault et le Gard,
s'exprimait ainsi : La transhumance, qui est
une pratique absolument indispensable pour l'élevage ovin, dans toute la
région méditerranéenne, n'est pas une méthode regrettable au point de vue
zootechnique, mais, au contraire, elle a une action bienfaisante sur la santé
des animaux et leurs produits. Cette nécessité vitale de
transhumer n'est point la cause principale du déboisement des montagnes,
ainsi que certains le veulent dire. Exercée loyalement et
sainement par son exploitation des montagnes pastorales, la transhumance est,
au contraire, une source de revenus pour l'Etat, les communes et les
particuliers. La transhumance étant une
nécessité vitale pour le cheptel ovin de nombreuses régions méridionales et,
en particulier; pour celui de la région des Garrigues, doit être encouragée
car elle seule permet l'exploitation du mouton dans une région où la
monoculture vinicole est reine... Il est hors de doute,
cependant, que le système actuel de transhumance devrait être amélioré
notamment par la réalisation d'aménagements collectifs : - entretien au moins
sommaire des anciennes « drailles », - aménagement de « gîtes
d'étapes » - meilleur entretien et,
dans certains cas, aménagement de chemins de montagne, en vue de permettre
une accession plus facile aux pâturages d'altitude, - amélioration des
cabanes pour les bergers et, éventuellement, leur famille, - construction d'abris
sommaires pour le troupeau, -- création de réserves
d'eau artificielles (lavagnes), notamment sur les pâturages du Causse, pour
assurer un abreuvement suffisant du troupeau. De nombreux éleveurs
gardois souhaiteraient, par ailleurs, que les pâturages domaniaux cessent
d'être loués pour trois années consécutives, ce qui donne parfois lieu à des
manœuvres spéculatives de la part de certains qui sous-louent en deuxième et
troisième année, en tirant un profit anormal de cette opération. En dehors de ces
améliorations, qui se rapportent directement à la pratique de la
transhumance, il semble opportun de souligner aussi l'intérêt que
trouveraient les éleveurs gardois dans le développement de leurs propres
ressources fourragères hivernales et printanières. Il serait, en effet,
souhaitable de voir étendre davantage la superficie des prairies
artificielles et intensifier la production des fourrages annuels. Les
travaux d'irrigation; qui seront entrepris dans la région, donneront aux
éleveurs la possibilité de pouvoir enfin produire des fourrages abondants et
nutritifs, absolument nécessaires pour entretenir rationnellement les
troupeaux. Par ailleurs,
l'aménagement, l'assainissement des bergeries dans lesquelles les troupeaux
transhumants passent la majeure partie de leur temps durant l'hiver,
devraient être mieux réalisés et, si possible, encouragés. Enfin, l'amélioration des
troupeaux par une sélection plus sévère, et non par des croisements qui
risqueraient de diminuer la rusticité des bêtes, devrait être davantage, pour
les éleveurs de moutons pratiquant la transhumance, un des objectifs
principaux de leur action amélioratrice. Francis
CABASSON > Un diaporama sur la Transhumance à l’Espérou |