avec le Capitaine LOUIS

La traversée de la Gaule

par Annibal

I

 

 

Hannibal enfant

 

Depuis des siècles, a dit NAPOLÉON, les commentateurs déraisonnent sur l'histoire d'ANNIBAL.

 

Peu de problèmes historiques ont en effet passionné davantage les érudits de tous les temps et de tous les pays que ceux posés par l'épopée punique. Elle constitue les premiers fastes de notre histoire méridionale : avant ANNIBAL notre pays était encore, historiquement parlant, dans le néant, et il était même très peu connu quelques siècles plus tard au temps de POLYBE. Grâce au général carthaginois, le Bas-Languedoc va entrer pour la première fois dans l'histoire du monde et il s'en faudra de bien peu qu'il ne devienne le théâtre de la lutte sans merci que se livraient alors les deux plus grandes puissances méditerranéennes de l'époque : Rome et Carthage.

 

Aussi, depuis l'an 218 avant notre ère, jusqu'à nos jours, on n'a jamais cessé de parler du héros carthaginois. (2)

 

 

Parmi ses nombreux historiographes, il y a eu des Allemands, des, Anglais, des Ecossais, des Espagnols, des Hollandais, des Suédois, des Suisses, et surtout des Français ; ce sont des jurisconsultes, des professeurs, des philologues, des géographes, des, historiens, des poètes, des touristes, mais principalement des ecclésiastiques et des militaires (3). Un de ces derniers, HENNEBERT, a pu donner dans son «  Histoire d'Annibal » (4) plus de vingt pages de références bibliographiques, groupées par lettres alphabétiques de noms d'auteurs, et depuis 1870, date qui vit la parution de cet ouvrage, la bibliographie annibalique s'est encore enrichie d'un nombre considérable de document. (5) Aussi, pouvons-nous sans crainte ajouter à ceux-ci quelques pages de plus.

 

Pour nous, méridionaux, ce problème est plus passionnant encore que pour quiconque, puisque « le passage d'ANNIBAL a précédé de moins d'un siècle la conquête romaine et que les guerres d'Espagne qui furent la conséquence de l'expédition punique en Italie amenèrent les premières légions à traverser notre pays et sans doute y prendre goût. » (6)

 

Ainsi donc, en qualité de descendants et de successeurs de ceux qui virent passer dans notre contrée les splendides armées carthaginoises, est-il intéressant d'étudier, au moins dans ses grandes lignes, l'itinéraire languedocien du vainqueur de Cannes et de Trasimène.

 

Les historiographes d'ANNIBAL doivent être classés en deux catégories : les Anciens et les modernes.

 

Les modernes ne sont que des commentateurs et des faiseurs d'hypothèses, suivant de près ou de loin parfois même de fort loin les anciens, qu'on retrouve bien naturellement à la base de tous les travaux.

 

Parmi les Anciens, deux seulement nous sont connus, qui ont conté avec quelques détails l'histoire du grand carthaginois, le Grec POLYBE et le latin TITE-LIVE. Mais nous ignorons à peu près totalement cruelles ont été leurs sources, car dès le second siècle avant notre ère, le passage d'ANNIBAI, suscitait autant de discussions et d'hypothèses qu'au XVIII° et au XIX° siècles (7).

 

POLYBE était né à Mégalopolis, cinq à dix ans après le célèbre et mystérieux franchissement des Alpes, (8) et il a écrit son Histoire une soixantaine d'années après cet événement. A-t-il pu interroger des contemporains et des acteurs de cette gigantesque épopée? C'est peu probable, mais il a pu voir et faire parler leurs descendants immédiats. Il a aussi certainement consulté et copié des textes écrits par des témoins oculaires, et dans le voyage qu'il fit dans les Alpes pour observer de ses propres yeux ce qu'il en était, dit-il, il a pu recueillir dans toute leur fraîcheur des témoignages encore peu déformés.

 

TITE-LIVE n'est venu qu'un siècle et demi après POLYBE; il n'a donc pas pu utiliser les sources directes auxquelles a puisé son prédécesseur. Cependant comme celui-ci est toujours plus bref, et que les deux textes concordent absolument sur de très nombreux points, on est amené à penser nue les deux auteurs ont eu des sources communes aujourd'hui perdues.

 

Les modernes ne sont pas toujours d'accord sur la part qui revient à chacun des deux historiens et si certains pensent que TiTE-LIVE a copié et plagié POLYBE, d'autres estiment, au contraire, que le Latin a connu des sources différentes de celles où a puisé le Grec, ou a mieux sût les utiliser.

 

Il ne nous est parvenu sur cette campagne fameuse, aucun document carthaginois ; cependant les chroniqueurs puniques, ou mieux, les Grecs qui suivirent ANNIBAL, ont laissé des manuscrits que l'on consultait encore dans les derniers temps de l'empire romain. Ils étaient nombreux à en croire CORNÉLIUS NÉPQS (9), mais il n'y en a guère que trois dont les noms nous soient parvenus : SILENOS, SOSILOS et CHŒRÉAS. (10)

 

SOSILOS était un rhéteur lacédémonien qui avait enseigné le Grec au fils d'HAMILCAR. SILENOS et lui accompagnèrent le général tant que la fortune lui permit d'avoir une suite. Leurs oeuvres durent être connues de POLYBE et de TITE-LIVE. (9)L'histoire de SILENOS (Philène) était écrite en punique; CICÉRON en faisait un grand cas.

 

CINCIUS ALIMENTUS était un annaliste romain qui fut fait prisonnier par les Carthaginois ; il ne semble donc pas qu'il ait pu être très au courant de la partie de l'expédition qui se déroula avant l'entrée en Italie.

 

FABIUS PICTOR a certainement été de quelques ressources pour les affaires des Alpes; quant à CŒLiUS ANTIPATER, plus jeune que POLYBE, il semble avoir travaillé sur l'œuvre de ses devanciers et commencé la série des hypothèses aventureuses

(Tite-Live XXI - 38.)

 

TIMAGÈNE, VARRON, POMPÉE, CORNÉLIUS NEPOS, SILIUS ITALICUS, DIODORE DE SICILE, APPJEN, PLUTARQUE, DION CASSIUS, STRABON, LUCIEN, PROCOPE, les petits géographes grecs et bien d'autres encore, nous ont donné sur les Carthaginois quelques renseignements utiles puisés sans doute aux même sources que POLYBE, mais que celui-ci avait négligées.

 

Il semble donc que POLYBE, soit des historiographes antiques d'ANNIBAL dont l'œuvre nous est parvenue, celui qui est le plus près des sources originelles. Malheureusement, il ne les indique jamais, a le tort de supprimer délibérément toutes les données toponymiques indigènes et de procéder par résumés et simplifications trop grandes, ce qui nous fait perdre les principaux jalons de l'expédition. (11)

 

Si l'on a dit (12) que POLYBE était « un Arcadien matois, ignorant absolument la géographie gauloise, et qui ne citait pas les noms de lieux parce que ses contemporains les ignoraient... » « qu'il n'est jamais venu en Transalpine... » etc., il semble bien que ces accusations soient toutes gratuites, sinon injurieuses et que ce vieil historien, mort à 82 ans des suites d'un accident de cheval ce qui est le témoignage d'une belle activité prolongée dans une verte vieillesse doive être lavé de ces soupçons de mensonge. Il semble plutôt que la concision de POLYBE soit (13) une des conséquences de l'esprit pratique dans lequel est conçu son ouvrage, il veut présenter à ses lecteurs des idées générales et ne pas les égarer dans les détails, il ne cite pas plus de chiffres précis qu'il ne nomme de petites localités.

 

Parlant à des Grecs, il esquisse à grands traits la géographie de l'occident, donne les dimensions de l'Espagne, de la Gaule, en milliers de stades, évalue enfin le rapport de l'une à l'autre avec une approximation grossière pour n'employer que les nombres les plus simples. Il dit lui-même, (lII-36) il ne s'agit pas de nommer simplement les contrées, les rivières et les villes, comme font quelques historiens qui s'imaginent que cela suffit pour les faire connaître et eu, donner une idée claire. En ce qui concerne les endroits connus, je crois que l'indication des noms est un excellent moyen de nous les remettre en mémoire ; mais pour ceux que nous ne connaissons pas du tout, cette énumération n'a pas plus de valeur que des vocables dénués de toute signification, ce n'est qu'un son qui frappe notre oreille, l'esprit n'a aucun point d'appui, il ne peut faire aucun rapprochement entre ce qu'on lui dit et les connaissances qu'il possède déjà, si bien que le récit devient inintelligible.

 

Pouvons-nous après ces explications reprocher à POLYBE d'avoir délibérément introduit dans son couvre cette concision, source de tant de controverses ?

 

II n'est pas une seule expression de POLYBE ou de TITE-LIVE sur laquelle on n'ait longuement épilogué et de laquelle chacun n'ait voulu tirer un argument décisif en faveur de sa thèse particulière. Tous les historiens d'ANNIBAL prétendent naturellement faire mieux que leurs prédécesseurs et détenir le privilège de la vérité. Chacun a « son col » dans les Alpes ou dans les Pyrénées et entend démontrer que ce passage répond seul d'une façon complète et indiscutable aux données des Anciens, chacun a son point de passage sur le Rhône et prétend prouver à grand renfort de chiffres et de déductions plus ingénieuses que convaincantes qu'il est matériellement impossible que le franchissement du fleuve ait pu être effectué ailleurs. C'eut été une pure folie que de passer par-là ! S’écrie-t-il en pensant à ses prédécesseurs.

 

Toutes les solutions possibles et même impossibles ont donc été proposées, il n'y a plus qu'à choisir.

 

A l'origine de ces discussions, il faut placer la différence d'appréciation des unités de mesure antiques.

 

Tout d'abord remarquons que POLYBE compte en « stades » et TITE-LIVE en « milles » et qu'on ne s'est pas mis d'accord sur la valeur exacte de chacune de ces mesures de longueur et à fortiori sur leurs relations entre elles. Le mille de STRABON équivalait à 1481,50 mètres, celui de PLINE à 1489 mètres et pour d'autres auteurs soit à 1473,50 mètres, soit à 1476 m. (14)Les Grecs avaient deux stades, le Stade d'Athènes ou petit stade de 400 pieds romains ou 80 pas, il y en avait 12 1/2 au mille, le Stade de Delphes ou grand stade de 133 2/3 pas romains il y en avait 7 1/2 au mille. La valeur du petit stade mettrait le mille à 1489 mètres, (le mille de PLINE) ; celle du grand stade donnerait pour le mille 1492 mètres, il y a discordance. Le stade de POLYBE est généralement compté de 600 pieds, soit égal à 177,75 mètres ; d'autres auteurs lui donnent une valeur de 180 mètres

 

D'autre part on sait, depuis les travaux de DORPFELD que le stade grec est de 177,50 mètres et non de 185 mètres, comme le supposaient DELUC et LARAUZA, deux historiographes célèbres d'ANNIBAL.

 

POLYBE compte toujours les distances parcourues par multiples de 100 stades, ce qui donne une approximation maximum de 18 Km. en plus ou en moins. Il semble du reste que ce chiffre de 100 stades soit une expression du même ordre que, « une journée de marche, » ou encore comme on disait jadis : « une portée de fusil ». Si on veut baser une mesure de distance sur une indication en « journées de marche », il faut connaître la distance, au moins moyenne, parcourue dans ce temps. Quelques auteurs admettent par exemple, pour la marche le long du Rhône une moyenne de 37 Km 250 par jour; il semble que ce chiffre soit excessif, même en plaine. Nos armées modernes ne dépassent guère 20 Kilomètres par journée de marche ; dans des pays difficiles, ou avec des bagages importants, 15 à 18 Km. sont encore une bonne moyenne. Toutefois, les armées romaines, dit VÉGÈCE (qui ne fut jamais militaire), faisaient 20 milles en 5 heures d'été d'un pas ordinaire et 24 milles dans le même espace de temps d'un pas plus grand (15). En prenant pour le mille, la longueur moyenne de 1480 mètres nous obtenons 29 Km. 600 et 35 Km. 500. Ces chiffres paraissent bien forts - surtout pour des soldats aussi lourdement chargé que l'étaient les légionnaires romains. (16) et ne peuvent être qu'exceptionnels. Quoi qu'il en soit, on voit sur quelles bases fragiles reposent les évaluations et les calculs de distance faits d'après les quelques renseignements donnés par les Anciens.

 

Nous ignorons en outre, non seulement l'état matériel des voies de communication de cette époque, mais souvent encore leur itinéraire exact ; il est- donc difficile de parler raisonnablement de vitesses horaires et de longueurs d'étapes journalières. Nous ne s'avons rien de l'organisation inté­rieure de l'armée carthaginoise, des formations de marche utilisées, de la discipline de route, du volume et du poids de ses bagages et de ses impedimenta, toutes choses dont les Anciens ne parlent pas. Enfin nous sommes très vaguement renseignés sur l'état d'esprit de la plupart des populations rencontrées, facteur pourtant essentiel dont découle les formations de route, de bivouac, de sécurité à utiliser en marche et en stationnement.

 

Le nombre des inconnues est donc trop grand pour nous permettre de résoudre avec quelque chance de succès un problème d'une pareille complexité. Aussi est-on réduit aux hypothèses les plus larges, les plus variées et les plus hasardeuses.

 

Comment était constituée l'armée punique ?

 

NAPOLÉON comptait parmi les meilleures troupes du monde carthaginois du temps d'ANNIBAL.

 

Et cependant de combien d'opprobres (ignominies) l'Histoire n'a-t-elle pas chargé les troupes à la solde de Carthage, sous prétexte que cette armée était à peu près exclusivement composée de mercenaires étrangers, et que l'élément carthaginois n'y était que très faiblement représenté. Si le soldat romain, patient, extraordinairement discipliné, avait avant tout le sens de l'ordre et de l'organisation et était animé d'un patriotisme hautement développé, le mercenaire punique n'avait aucune foi patriotique et ne voyait dans la victoire qu'une occasion de pillages fructueux. Comme dans toutes les armées de mercenaires, comme dans celles qui furent les nôtres sous l'ancien régime, ce n'était pas le meilleur des populations qui s'enrôlait sous les bannières étrangères. Aussi la valeur de ces bandes tenait-elle toute entière dans celle de leurs officiers. Mais, de même que nos mercenaires étaient conduits par l'élite de la noblesse française, les soldats puniques étaient commandés par l'aristocratie de Carthage, ayant elle-même à sa tête celui qui méritait entre tous le nom de CHEF.

 

Honnête, scrupuleux, ANNIBAL ne trompait jamais ses hommes, tenait toujours les promesses qu'il avait faites et les récompenses qu'il accordait étaient magnifiques. Toujours au milieu de ses soldats, il partageait leur bonne et mauvaise fortune ; il ne cessait de s'occuper de leur bien-être, négligeait le sien propre (18) et nous savons que dans sa marche à travers les marais de l'Arno, contre FLAMINIUS retranché dans Arezzo, ANNIBAL a souffrant de la vue et dans l'impossibilité de se soigner. vu le temps et le lieu, perdit un oeil »(Tite-Live, XXII-2). Aussi le carthaginois exerçait-il sur sa troupe un grand ascendant et eut-il toujours bien en main ses mercenaires d'Europe et d'Afrique.

 

Le contingent punique composé des fils des grandes familles de Carthage constituait la légion sacrée, garde d'honneur du Général en chef. Il ne formait que le 1/28 de l'effectif total (Diodore de Sicile) ; c'est ainsi qu'une armée de 70000 hommes ne comptait guère que 2500 Carthaginois (19). Cette fraction comportait environ 1000 cavaliers issus de la plus haute aristocratie. Revêtus d'un équipement d'une grande richesse, ces nobles portaient à leurs doigts autant d'anneaux qu'ils avaient fait de campagnes (Aristote Politique VII-II). Les autres étaient des fantassins, porteurs d'une éclatante tunique rouge, sans ceinture et marchant pieds nus. Ils étaient armés d'une très courte épée et s'abritaient derrière un grand bouclier circulaire de 1 m. de diamètre (Val. Max).

 

Les mercenaires étaient des Africains, des Espagnols, des Gaulois, des Baléares...

 

Les fantassins d'Afrique portaient sur leur crâne rasé une calotte rouge. Un étroit collier de barbe, des tatouages bleus, donnaient à leur visage sombre un aspect sauvage. Leur corps était couvert d'une chemise de laine blanche, serrée à la taille et ne dépassant pas les genoux. Sur leurs épaules était jeté un burnous de laine, de peau de bouc ou de lion. Leur armement consistait en une longue lance, complétée par un arc et des flèches. Ils portaient un bouclier de peau. Par la suite ANNIBAL les arma à la romaine avec les dépouilles ramassées sur les champs de bataille.

 

Les Ibères fournissaient des fantassins d'élite venus de tous les coins de la péninsule espagnole. C'était des Cantabres, des Asturiens, des Celtibères, des Cerretans, des Vettones, des Vascons, des Ilergètes, des Concans. Il y en avait aussi originaires de la Galice et de la Lusitanie. SILIUS ITALICUS (Puniques III), nous a laissé le nom du chef de chacun de ces contingents. Ils revêtaient une éclatante tunique de lin blanche, bordée de rouge, et combattaient avec une épée courte et un un bouclier échancré.

 

Les Gaulois étaient revêtus d'une large braie et d'une tunique à manches d'étoffe rayée, fendue sur les cotés, qui leur descendait jusqu'à mi-cuisse (Strabon IV). Cette saie surchargée d'ornements, étaient retenue au cou par des agrafes de métal (Diodore V). Ils s'ornaient à profusion de bracelets, de torques, de ceinturons. (Strabon IV, Diodore V, Silius Itallicus IV, Virqile-Enëïde. VIII). C'étaient des barbares à tous crins, leur cheveux teints en rouge étaient laissés flottants ou relevés sur le sommet de la tête, ce qui les faisait ressembler à des paons ou à des satyres». (Diodore V); ils portaient la barbe et les moustaches.

 

Leurs casques de cuivre surmontés d'ornements fantastiques, cornes d'animaux, panaches de plumes, cimiers à figures d'oiseaux ou de bêtes fauves, leur donnaient un aspect terrible et gigantesque (Diodore). Ils coupaient les têtes de leurs ennemis vaincus, comme prémices de leur butin et les suspendaient aux murailles de leurs maisons ou les portaient attachées au cou de leurs chevaux (Diodore X - Strabon IV - Tite-Live .X). C'étaient les plus effrayants de tous les guerriers. Leurs grands boucliers étaient bariolés de couleurs vives et ils étaient armés de longs sabres droits pour frapper de taille. (Strabon IV - Diodore V)

 

L'infanterie légère recrutée en Ligurie, en Campanie, en Grèce (Cappadoce), en Gaule, en Espagne, en Italie était armée de lances et de javelines. Ces soldats qui s'abritaient derrière un petit bouclier rond combattaient en tirailleurs.

 

Les frondeurs Baléares avaient une réputation de guerriers redoutables. Leur armement consistait en trois frondes avec lesquelles ils projetaient des lingots ovoïdes de plomb fondu ou ces balles d'argile, qui défoncaient les boucliers, les cuirasses et les poitrines. ANNIBAL les avait admis dans la proportion de 1/28 de son effectif total; ils étaient donc environ 2.000 dans l'armée d'Italie.

 

Il existait aussi un corps de sapeurs composé d'Africains adroits.

 

Des Espagnols, des Gaulois, des Numides constituaient la cavalerie.

 

Les Espagnols, excellents cavaliers, montaient à deux sur le même cheval: pendant l'action un des hommes sautait à terre et combattait à pied. Ils étaient armés d'une massue ou d'une hache, d'un sabre et d'une lance (Strabon IV)

 

La cavalerie gauloise, supérieure en valeur à l'infanterie de cette nation, se composait des fils de la noblesse. Chaque cavalier se faisait escorter de deux écuyers qui se tenaient pendant le combat derrière le front des troupes et prenaient la place du maître s'il était tué (Pausanias).

 

Les cavaliers numides étaient remarquables; ils montaient sans selle, ni bride d'excellents chevaux qu'ils adoraient (Silius Italicus). Chaque animal avait son nom et sa généalogie était parfaitement connue, à sa mort on lui consacrait un mausolée et une épitaphe. Quelques cavaliers numides possédaient deux chevaux dont l'un de remplacement (Tite-Live XXIII-XXXI). Vêtus comme les fantassins libres de leurs mains, s'abritant derrière un bouclier de peau d'éléphant (Strabon-XVIII) les Africains armés d'une épée, d'une lance courte, lançaient avec leurs arcs des traits fort dangereux.

 

Les éléphants étaient conduits par des Nubiens vêtus d'une tunique à raies bleues et rouges et coiffés d'un turban. Leur armement consistait en flèches empoisonnées; chacun possédait aussi un ciseau et un maillet (Tite-Live XXVII-XLIX) destinés à rompre les vertèbres cervicales de sa monture si elle s'emportait et retournait sa fureur contre les soldats carthaginois.

 

Nous n'avons aucun renseignement sur le « train » d'ANNIBAL.; mais nous pouvons croire que les bagages de l'armée carthaginoise équipée pour traverser les Pyrénées, le Rhône et les Alpes, étaient portés en totalité par des animaux de bât. Nous savons qu'une armée consulaire romaine, de cette époque, forte de 20000 hommes, comptait au moins 2000 animaux (20), pour le transport de ses bagages.

 

Le train de l'armée d'ANNIBAL, 3 fois plus considérable qu'une armée consulaire, devait comprendre au minimum 6000 animaux.

 

C'est à ce chiffre exactement, que nous arrivons par un calcul basé sur d'autres données. La ration journalière brute, actuelle, d'un homme en campagne pèse environ 1 kilo 500. Si nous supposons un taux analogue pour l'armée punique nous arrivons pour un seul jour de vivres à un poids de : 1,5 x 60.000 =: 90.000 kilos.

 

Si nous considérons qu'un mulet de bât peut porter au maximum 150 kilos il résulte que 6.000 mulets sont nécessaires pour porter cet unique jour de vivres. Et nous ne faisons pas état des tentes, des armes de rechange, des outils et autres impédimenta; nous ne comptons rien non plus pour les animaux. Nous ne serons donc certainement pas éloigné de la vérité si nous évaluons à 10.000 le nombre d'animaux nécessaires au transport des bagages.

 

En conséquence nous pouvons admettre que l'armée carthaginoise qui traversa notre région comprenait : 50.000 fantassins, 9.000 cavaliers (Polybe III, 35) et 10.000 animaux de bât avec leurs conducteurs, soit au total 70.000 hommes environ, à moins que les muletiers n'aient été compris par les historiens antiques dans le nombre des hommes â pied ce qui ramènerait l'effectif à 60.000.

 

Essayons à présent de nous faire une idée de la longueur de cette troupe dans le cas de la marche en une seule, colonne. Ici encore nous manquons d'éléments d'appréciation, et nous sommes obligé d'émettre quelques hypothèses basées sur une comparaison avec nos armées modernes. Toutefois, pour être dans la note exacte, il serait indispensable de connaître la largeur et l'état de viabilité des routes de cette époque, et aussi la formation de marche de l'armée punique. Nos états-major estiment que sur une bonne route, de largeur moyenne, une troupe marchant en colonne dans la formation sur 3 hommes de front occupe une longueur égale en mètres aux 2/3 de l'effectif, soit donc pour 50.000 hommes une longueur moyenne de 34 kilomètres.

 

Pour la cavalerie marchant également sur trois chevaux de front, la profondeur en mètres de la colonne est égale au nombre de chevaux, soit 9 kilomètres pour 9.000 cavaliers et 10 kilomètres pour le train. En résumé l'armée d'ANNIBAL se déplaçant en colonne et dans les conditions optima , correspondant à une bonne route, à une discipline de marche rigoureuse et à une formation serrée, couvrait une longueur de plus de 50 kilomètres, et cette longueur serait à doubler ou à tripler si l'on passait de la formation par trois à la formation par deux ou par un.

 

Si maintenant nous supposons toutes les troupes rassemblées initialement dans une même zone de cantonnement, les derniers éléments d'une colonne unique ne pouvaient s'ébranler qu'après que les éléments de tête avaient accompli trois journées de marche, si nous estimons cette journée de marche égale à 18 kilomètres, et si nous considérons que les armées antiques ne marchaient pas la nuit et campaient tous les soirs rassemblée et retranchée.

 

Nous verrons par la suite de quelle importance capitale sont ces considérations matérielles et inéluctables que la plupart des commentateurs d'ANNIBAL paraissent cependant avoir oubliées.

 

 

NOTA CHAPITRE I

 

(1) Correspondance de l'empereur Napoléon. 31° volume. Notes et mélanges sur l'art militaire,

(2) HENNEBERT. « Histoire d'Annibal » tome II. Appendice A.

(3) HENNEBERT. op. cit, page 557.

(4) HENNEBERT, op. cit page 554 à 575,

(5) C. JULLIAN dans son « Histoire de la Gaule », Tome 1 (pp. 451 à 454), donne 4 pages de notes serrées, simple énumération des ouvrages suscités par Annibal.

(6) C. JULLIAN op. cit.

(7) C: JULLIAN op. cit. Tome I p. 455 - note.

(8) J. COLIN. « Annibal en Gaule », pp. 194 et suivantes

(9) CORNELIUS NEPOS. « Vie d’Annibal » chap. XIII.

(10) J. COLIN. op. cit. pp. 186-187.

(11) C. JULLIAN. op. cit. p. 455 - note.

(12) ROUX CLAUDIUS. « L'Itinéraire Vocontien d'Annibal ». d'après une lettre de M. Aug. Catelan. Rhodania, C. R. du Congrès de Vienne, 1923, N. 770, pp. 55 et suiv.

(13) J. COLIN p. cit. Avant-propos, p. XII.

(14) PERRIN. « Marche d’Annibal des Pyrénées au Pô. », page 10

(15) PERRIN op. cit. p. 16.

(16) Le soldat portait sur lui ses armes, sa provision de blé et plus tard de pain pour 17 jours (a), soit parfois pour un mois complet, 1 ou plusieurs pieux pour la construction du camp, des outils (scies, bâches, bêches, faux, cordes, corbeilles etc.) Végèce évalue cette charge à 60 livres romaines. Marius fit améliorer le transport de cette charge par l'adoption d'une perche portée sur l'épaule et au bout de laquelle était fixé le fardeau.

(a) Le blé formait la base de l'alimentation du soldat; il était distribué en grains tous les 16 à 17 jours sur le taux d'une ration quotidienne de 1260 gr. Il ne semble donc pas que le soldat ait porté sur lui tonte sa provision de blé, qui faisait une charge considérable et devait, une fois distribué être porté par des bêtes de somme.

(17) HENNEBERT 'op. cit. p. 34$

(18) HENNEBER.T op. cit. pp. 348 et suiv.

(19) Ces renseignements et, ceux qui suivent d'après HENNEBERT Tome I.

(20) Dans l'armée romaine de cette époque les gros bagages, tentes, ustensiles de campement, moulins à bras, etc... étaient portés par des voitures ou sur des mulets. Il y avait une tente en peau pour 10 hommes et 1 par centurion.

Les officiers supérieurs avaient plusieurs tentes.

Comme chaque tente faisait la charge d'un cheval, il y avait pour une armée de 20000 hommes au moins 2000 chevaux rien que pour les tentes.

Si on ajoute à cela les armes de rechange, les provisions, le butin, les bagages des officiers et les machines de guerre on conçoit que l'armée romaine traînait derrière elle des impedimenta considérables. Aussi les soldats du train ou calones étaient-ils fort nombreux.

 

 

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