avec le Capitaine LOUIS

La traversée de la Gaule

par Annilbal

III

 

Ces notions préliminaires étant connues, exposons rapidement, les principaux faits de l'épopée d'Annibal, qui se sont déroulés en Gaule.

 

La première guerre punique s'était terminée par la défaite des Carthaginois; les Romains avaient reçu comme prix de leur victoire la Sicile, et une très forte indemnité de guerre.

 

Hamilcar

 

Mais le Général vaincu Hamilcar ne se consola jamais de sa défaite, prépara la revanche avec une incroyable ténacité et inculqua â son fils Annibal, une haine farouche du nom romain.

 

Cette vengeance longuement préparée sera la deuxième guerre punique. Profitant des embarras dans lesquels se débattait Carthage, en conséquence de la révolte de son armée de Sicile, Rome violant le traité s'empara de la Corse et de la Sardaigne; son ennemie momentanément réduit à l'impuissance dût dévorer cet affront

 

Mais quand Hamilcar sera venu à bout par son habileté et son énergie de la résistance de ses mercenaires mutinés. il concevra et amorcera le plan d'attaque contre Rome, crue son fils et successeur Annibal exécutera plus tard.

 

Rome, par la possession des trois grandes îles de la Méditerranée occidentale et la destruction de la flotte carthaginoise était devenue la maîtresse de la mer. On portera donc la guerre chez elle, par la voie continentale, et la première phase de la lutte sera la conquête de l'Espagne. Mais ces succès inquiètent les Romains; ils font des remontrances à Carthage et lui imposent un traité aux termes duquel, elle s'engage à ne pas laisser dépasser l'Ebre à ses généraux.

 

Elle promet en outre de laisser son indépendance à Sagonte, bien que cette ville soit située au sud de l'Ebre et donc dans la zone punique. Sagonte reçoit du reste, le titre d'alliée des Romains.

 

Après la mort d'Hasdrubal qui avait lui-même succédé à Hamilcar, les soldats d'Espagne acclamèrent pour général, le jeune Annibal, son fils alors âgé de moins de vingt-cinq ans. (Cornélius Nèpos-Annibal-III).

 

La haine de Rome profondément ancrée dans son âme fit reprendre immédiatement au fils l'idée de son père: prendre l'Espagne comme base, traverser la Gaule et passer en Italie en franchissant les Alpes. Le Casus belli, était facile à provoquer en attaquant Sagonte.. Cette ville capitula après un siège de huit mois.

 

L'ambassade romaine de protestation envoyée à Carthage, n'avant obtenu aucun résultat positif, la deuxième guerre punique si désirée par Annibal va commencer.

 

Nous sommes au début de l'hiver 219-218.

 

Annibal n'avait moralement et matériellement rien négligé pour mettre sur pied la campagne qu'il projetait.

 

Dès les premiers jours de l'année 220, il avait expédié en Gaule des hommes de confiance chargés de préparer la grande entreprise. L'un d'eux pénétra même jusque dans les murs de Rome où il ne fut arrêté qu'après plusieurs années de séjour clandestin (33).

 

Ces envoyés avaient eu pour mission d'étudier les itinéraires les plus sûrs et les plus directs, de faire constituer chez les peuples amis des approvisionnements de toutes sortes, et surtout de travailler les populations gauloises récemment soumises au joug romain, de fomenter leur rébellion et préparer leur jonction avec l'armée punique dés qu'elle se présenterait.

 

Pour Annibal pourvu des meilleurs chevaux et des meilleurs fantassins du monde, la terre n'offrait pas les mêmes dangers et les mêmes incertitudes que la mer avec ses tempêtes, ses rencontres et les désordres des débarquements (34), d'autant que les Carthaginois avaient perdu la supériorité maritime.

 

« Ses armées étaient habituées aux très longues marches dans les landes et les montagnes ; Annibal, les avait déjà transportées sans peine de Salamanque à Carthagène par les tristes plateaux et les âpres sierras de l'Espagne intérieure. La traversée de la Gaule et même des Alpes ne pouvait exiger beaucoup plus de temps, ni beaucoup plus de peine; du reste quatre ou cinq grandes hordes de Galates les avaient récemment franchies pour guerroyer contre Rome (236-232), Annibal n'avaient qu'à suivre leur exemple

 

Mais dans la traversée du Languedoc, Annibal aura à se défier de son ennemie et rivale Marseille, qui servira Rome avec fidélité, lui signalera les mouvements de l'armée carthaginoise et lui fera connaître les progrès de sa marche et de son itinéraire. Le rôle d'espion que Marseille joua en cette affaire, lui fut facilité par l'appui de ses comptoirs d'Emporion, en Espagne, de Pyrène (Banyuls), de Narbo, d'Agatha, qui la prévinrent en temps voulu du passage. d'Annibal.

 

Là du reste ne se borneront pas les services de Marseille, elle soulèvera les nations ligures voisines, les intimidera au besoin, recevra les légions romaines dans ses murs et inquiétera les voiles carthaginoises qui oseront s'aventurer dans son golfe. Cette hostilité des Massaliotes influera sur l'itinéraire du Carthaginois qui s'écartera du littoral de la Provence et cherchera un autre passage que celui des Alpes-Maritimes. Il prendra un chemin plus long et plus difficile et préférera se confier au Gaulois, Volkes et Allobroges, que de courir à une perte certaine en pénétrant sur les territoires soumis à l'influence des Massaliotes (35).

 

En agissant ainsi Massalia, sût ménager habilement les intérêts de son avenir. Les résultats de la seconde guerre punique, dit Amédée Thierry, (36) furent immenses pour la colonie phocéenne. Les établissements carthaginois en Espagne étaient détruits, la Campanie et la grande Grèce horriblement saccagées et esclaves, la Sicile épuisée ; Massalie hérita du commerce de tout l'occident. Durant et après la troisième guerre punique elle suivit en Afrique, en Grèce, en Asie, les Romains conquérants. Partout où l'aigle romain dirigeait son vol, le lion massaliote accourait partager la proie. La ruine de Carthage, la ruine de Rhodes, l'assujettissement des métropoles marchandes de l'Asie mineure livrèrent à cette ville le monopole de l'Orient : elle. avait déjà celui de l'Occident ».

 

Après la prise de Sagonte, Annibal réunit une armée de 90.000 hommes d'infanterie, 37 éléphants, et 12.000 chevaux, qu'il divisa trois corps pour le passage de l'Ebre. On a supposé que les trois points sur lesquels la rivière fut franchie sont Ampossa où passa Lord Bentick en 1813, Mora où Suchet établit en 1810 un pont volant et Méquinenza (37).

 

Il semble qu'après le passage du fleuve espagnol et au cours de la traversée du pays qui correspond à la Catalogne actuelle que Tite-Live, appelle la Lacétania, Annibal dût surmonter une certaine résistance de la part des indigènes : les Ilergètes, les Bergusii, les Ausetani, les Acrenosii et les Andosini, car l'armée carthaginoise arriva au pied des Pyrénées sensiblement diminuée.

 

Annibal laissa cette nouvelle conquête à la garde de son frère Amon avec 10.000 hommes et 1.000 chevaux. Il licencia quelques contingents qui ne lui inspiraient qu'une médiocre confiance, soit pour prévenir des désertions certaines, soit encore pour masquer des défections déjà produites. L'armée se trouva de ce fait réduite à 50.000 hommes et 9.000 chevaux.

 

Certains historiens font partir Annibal d'Ampurias, mais Camille Jullian fait remarquer (38) que c'est bien improbable, car la ville grecque était demeurée fidèle aux Romains (Tite-Live XXI-60).

 

D'autres supposent que le. Carthaginois a franchi .les Pyrénées en trois colonnes, parce qu'il a eu à lutter contre la malveillance des peuplades gauloises, qui retranchées sur leurs montagnes inaccessibles (Polybe III - 40), devaient à chaque instant l'inquiéter. Bien qu'il se fut rendu maître des passages (Tite-Live XXI-23) il savait bien que des maraudeurs isolés et même des groupes hostiles ne pouvaient manquer de harceler ses colonnes.

 

Le jeune général eut sans doute à emporter d'assaut plus d'un village, à livrer plus d'un combat d'arrière-garde (39) et cette nécessité de montrer sa force, dit Amédée Thierry, ne nuisait pas médiocrement à la confiance que ses déclarations pacifiques avaient d'abord inspirées ».

Les trois colonnes carthaginoises eurent néanmoins raison des mauvaises dispositions des montagnards et parvinrent sans essuyer trop de pertes aux places du Roussillon.

 

HEennebert pense (40) que partant d'Ampurias avec Elne comme premier objectif, l'armée carthaginoise a dû ranger la cote d'aussi près que possible et par conséquent s'est éclairée au moyen d'une colonne légère glissant par le col de Belistre (voisin du Cap Cerbère) et que cette colonne d'éclaireurs s'est effectivement approchée de Collioures avant d'arriver à Elne. Une deuxième colonne, celle du centre serait passée par le col de Banyuls, tandis que la troisième empruntant le col de Carbassera serait descendue par la Tour de Massane. Les trois colonnes auraient fait leur jonction à l'intérieur de l'angle que forme la Massane entre son embouchure et Argelès. Elles auraient ensuite franchi ensemble ce cours d'eau, puis la Tech et seraient enfin arrivées sous les murs d'Illibéris (Elne).

 

C'est aussi l'opinion de Napoléon qui sans diviser l'armée carthaginoise en trois corps, lui fait franchir la chaîne sur trois points différents, comme il l'avait fait lui-même dans les Alpes, avant la bataille de Marengo.

 

Divers auteurs (41) ont aussi admis le passage en trois points, en utilisant par exemple les cols de Perthus, de Massane et de Banyuls, ou le passage par un seul des cols (généralement le Perthus) déjà indiqués ou d'autres encore. Mais chacun prend soin de préciser comme il convient, que la solution qu'il propose est la seule acceptable.

 

Si l'on en croit la légende, Annibal est passé partout ; son nom est aussi répandu dans la chaîne des Pyrénées que celui de Roland ou que celui d'Horace dans les environs de Tivoli. N'en déplaise aux historiens et aux archéologues, mais sans prétendre tirer un argument quelconque des lieux portant le nom d'Annibal, nos préférences vont à la légende plutôt qu'aux interprétations historiques d'un fait aussi mal connu. En effet Annibal avait besoin de passer vite, il a fait des détachements et il est passé dans le même temps partout où il a pû.

 

Notons qu'il n'y a rien dans les textes qui puisse servir de base à l'hypothèse d'un passage en trois ou un plus grand nombre de colonnes. Mais c'est la seule solution militaire acceptable, car il nous parait qu'Annibal, chef averti, n'a pas songé à engager une colonne interminable qui atteignait une longueur de 50 kilomètres sur bonne route et 100 kilomètres et même davantage en fille indienne, dans un unique et étroit défilé qui pouvait lui être interdit par une poignée d'hommes résolus.

 

Arrivé à Illibéris (Elne), Annibal s'arrêta pour attendre le résultat des négociations qu'il avait fait engager avec les Gaulois. Rome, tout comme Carthage, avait aussi essayé de gagner les indigènes à sa cause.

 

Mais les Volkes Tectosages accueillirent par des éclats de rire les envoyés romains qui leur demandaient de prendre les armes, pour s'opposer par la force au passage des Carthaginois, trouvant plaisant ces gens qui excitaient les autres à. la guerre pour n'avoir pas à la subir eux-mêmes.

 

Les Gaulois n'ayant reçu ni injure de Carthage. ni service de Rome garderaient leur neutralité, dirent-ils. Ils savaient au surplus que les Gaulois avaient été chassés par le Peuple romain de leurs terres et de l'Italie même, que d'autres leur payaient tribut et soufraient des choses indignes. (42) Cependant l'or carthaginois accomplit sourdement sa besogne. :

 

Annibal, reçut les chefs barbares, obtint le libre passage sur leur territoire, et décida avec eux du règlement juridique des contestations et des dégâts. Il put enfin lever le camp.

 

L'armée carthaginoise n'avait rien à redouter des populations indigènes, au moins jusqu'à l'Hérault où commençait le territoire des Nîmois demeurés hostiles aux. Puniques, sans doute sous la pression de leurs voisins,. les Massaliotes.

 

On doit encore se demander si l'armée d'Annibal, a traversé le Bas-Languedoc en une seule colonne ou bien si elle s'est plus ou moins largement étalée. Colin ne croit pas à cette dernière formation parce. qu'il tallait, dit-il. se, tenir prêt à combattre d'un instant à l'autre les Romains dont l'armée partie d'Ostie pouvait débarquer à l'improviste sur la côte, et aussi parce que les cours d'eau, les marais, imposaient à tout moment des passages étroits en nombre limités.

 

Ces raisons ne résistent pas à l'examen et sont même contraires à la démonstration vers laquelle elles tendent. Rappelons une fois de plus que la colonne unique aurait eu au minimum une longueur de 50 kilomètres, que les armées antiques campaient tous les soirs rassemblées et vraisemblablement retranchées comme le faisaient les armées romaines, et que par conséquent l'hypothèse d'une seule colonne est inadmissible, puisque sa longueur était égale à trois fois celle de la journée de marche.

 

Il était nécessaire d'avoir encore ici au moins trois colonnes pour permettre le déplacement simultané de toute l'armée : les Carthaginois durent en conséquence utiliser tous les chemins disponibles.

 

Sans vouloir donner à notre opinion d'autre valeur que celle d'une simple hypothèse nous croyons que les bagages, impedimenta et troupes lourdes (éléphants) ont dû pro­gresser suivant la direction générale de la future Voie Domitienne, avec une couverture mobile à droite sur la Voie Héracléenne, au nord des étangs, pour prévenir tout danger venant de la côte et des colonies massaliotes, et une couverture mobile à gauche, suivant de plus ou moins près la lisière sud des Garrigues, afin d'éventer toute attaque débou­chant des couloirs qui descendent des Cévennes méridionales.

 

Cette solution est militairement la meilleure. Une telle répartition ne constitue pas une dispersion mais bien au contraire un rassemblement permanent qui permettait à l'armée carthaginoise avançant sur un front large, articulé et souple, d'intervenir immédiatement le cas échéant avec la totalité de ses forces.

 

Ici encore Annibal est passé partout.

 

D'autre part, il se hâtait ; l'été touchait à sa fin et il voulait arriver aux montagnes avant les premiers froids (43).

 

Le spectacle de cette magnifique armée, que nous avons sommairement décrite, dut impressionner profondément les populations, car les indigènes du pays de Nîmes, n'osèrent pas résister sur leur territoire (44), traversèrent le Rhône, s'unirent aux habitants de la rive gauche, les Salyens probable­ment, qui gravitaient dans l'orbite de Marseille et entreprirent de s'opposer tous ensemble au franchissement du fleuve. C'est Agde, dit-on, qui prévint Marseille de l'approche d'Annibal, et c'est â Nîmes que celui-ci apprit l'arrivée de Publius à l'embouchure du Rhône.

 

On peut évaluer à environ quinze jours, vingt au maximum le temps employé par Annibal pour aller des Pyrénées au Rhône. Les auteurs ne men­tionnent aucun engagement, ni aucune résistance de la part des autochtones, cependant Polybe estime à 12.000 fantassins et 1.000 chevaux les pertes carthaginoises depuis Elne jusques et y compris le passage du fleuve. Ce chiffre parait bien élevé s'il n'y a pas eu de combat, mais il a pu y avoir beaucoup de désertions. Hirchfeld croît à des défections et à des batailles sur ce parcours et rapporte le chiffre donné aux pertes éprouvées avant le passage du Rhône depuis le départ de Carthagène (45).

 

« Ces pertes prouvent surabondamment, écrit Dom Vaissette (46) que les Carthaginois avaient eu divers combats contre les Volces qui occupaient toute cette étendue de pays ».

 

Hennebert dit aussi  :

 

« Des 13.000 hommes perdus pendant la marche des Pyrénées au Rhône les uns avaient succombé à la fatigue, aux maladies, les autres s'étaient noyés, la plupart avaient été tués par les Gaulois ». (47)

 

Ces opinions sont raisonnables (48) et contredisent celle de Napoléon pour qui la traversée du Bas-Languedoc par Annibal :

«... a été celle d'un voyageur... » (49).

 

Elles nous confirment dans l'hypothèse, que nous avons faite, qu'Annibal est passé dans notre pays, en plusieurs colonnes marchant parallèlement, en liaison et prêtes au combat.

 

NOTES CHAPITRE III

(33). Hennebert, op. cit, Tome 1, p. 315.

(34) C. Jullian, op. cit; Tome I -p. 454.

(35) Hennebert,.op. cit, tome 1, p. 342.

(36) Amédée Thierry. « Histoire des Gaulois a. Tome 1, p. 542.

(37) Desjardins. « Géographie de la Gaule romaine ». Tome II, p. 259.

(38) C. Jullian, op. cit. p. 458, note 2.

(39) Hennebert, op. cit. pp. 424-425.

(40) Hennebert, op. cit. p. 422.

(41) voir M. Lavalette. « Recherches sur l'histoire du passage d'Hannibal d'Espagne en Italie à travers la Gaule ». Montpellier 1838.

(42) C. Jullian op, cit. Tome I, p. 451, d'après Tite-Live, XXI - 20.

(43) C. Jullian op, cit., p. 463. Voir Tite-Live XXI-21, Silius III, 446.

(44) Polybe semble cependant parler de l'emploi de la force (III-41) de même Silius parle de luttes chez les Volsques mêmes et de ravages du pays , C. Jullian, op. cit p. 463, note 3.

(45) C. Jullian op. cit. p. 489, note 6,

(46) «Histoire Générale du Languedoc», Tome I p. 216.

(47) Hennebert, op. cit, p. 463.

(48 Sauf en ce qui concerne les noms des peuples auxquels Annibal a du livrer bataille, ainsi qu'on le verra plus loin.

(49) Napoléon. « Notes sur les considérations du Général Rogniat publiées par Montholon »

 

 

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