NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Décadence et désolation

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910


Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.


IX


Le sanctuaire de Rochefort allait passer par de ter­ribles épreuves. Déjà il avait souffert beaucoup, par suite de l'éloignement de la cour pontificale et des guerres qui se renouvelaient trop souvent dans le voi­sinage d'Avignon.

Partout d'ailleurs les temps devenaient mauvais. L'autorité religieuse était moins respectée ; la piété et la foi se refroidissaient dans les âmes, et malgré les efforts constants de l'Église, les liens de la discipline ecclésiastique se relâchaient. Dès lors, les mœurs se corrompaient, l'ignorance religieuse gagnait les masses, les sacrements, les pèlerinages et toutes les saintes pra­tiques, peu à peu abandonnées, tombaient dans le mé­pris.

Notre sanctuaire ne pouvait échapper aux tristes influences de la décadence générale. Le nombre des pieux pèlerins diminuait sensiblement, les dons deve­naient plus rares, et les prodiges de la grâce moins fré­quents. L'édifice sacré et le couvent adjacent mena­çaient même de tomber en ruines ; car l'abbaye de Saint-André éprouvait beaucoup de peine, non seule­ment à y faire les réparations nécessaires, mais encore à pourvoir le prieuré d'un nombre suffisant de reli­gieux.

Cette abbaye, autrefois si peuplée, avait perdu beau­coup de ses moines ; en 1435, elle en comptait seize en tout dans la communauté. D'ailleurs, l'épuisement de ses ressources occasionné, durant le schisme, par la perte de ses bénéfices, la mettait dans l'impossibilité de recevoir un plus grand nombre de sujets. Elle ne pouvait pas même réparer ses propres bâtiments, en­dommagés par le temps et par la guerre. Bientôt d'au­tres désastres allaient fondre sur le pays avec le fléau de la Réforme ou du Protestantisme.

Le feu de l'erreur, allumé d'abord au fond de l'Alle­magne, se propagea dans presque toute l'Europe avec la rapidité de l'incendie. La Provence, le Dauphiné, les Cévennes et le Languedoc furent bientôt envahis ; ces belles provinces semblaient une proie de prédilec­tion pour la nouvelle hérésie.

Or, les réformateurs luthériens et calvinistes, sous prétexte de tout renouveler, se font une loi de tout détruire. A l'imitation de tous les hérétiques leurs de­vanciers, ils en veulent surtout aux religieux et aux prêtres, qu'ils outragent ou égorgent impitoyablement; aux monastères et aux églises, qu'ils démolissent, aux images du Christ et des saints, qu'ils mutilent, aux re­liques qu'ils dispersent, aux vases sacrés qu'ils pro­fanent. Le blasphème à la bouche, le glaive ou la tor­che incendiaire à la main, ils promènent leur fureur et leurs dévastations.

Le sanctuaire de Rochefort était tout désigné à leur rapacité et à leur fureur; aussi, à partir de 1560 jusque vers la fin du XVIe siècle, ne cessa-t-il guère d'être pro­fané, pillé, saccagé.

D'un côté, le farouche baron des Adrets, ce nouvel Attila dont le nom rappelle tant de massacres et de pillages, était accouru du Dauphiné, avait échoué de­vant les remparts d'Avignon, mais s'était emparé de Saint-Laurent-des-Arbres, où il avait commis d'horribles cruautés, de Roquemaure et de Châteauneuf-du­ Pape, où il avait établi son quartier général.

D'un autre côté son digne émule Jacques de Crus­sol, surnommé Dacier, occupait Montfrin avec une forte garnison.

De ces deux centres, les Huguenots faisaient d'in­cessantes excursions dans toute la contrée, pillant, brû­lant, ravageant les villes et les bourgs.

Rochefort fut quelque temps protégé par son sei­gneur, Laurent d'Arpajon, vaillant guerrier, qui exer­çait un commandement important dans les armées catholiques du Midi, et fut plus tard gouverneur de la ville d'Orange.

Mais l'année 1567 fut tout spécialement désastreuse. Les villes d'Aramon, Beaucaire, Nîmes sont prises ; tous les environs sont livrés au pillage. Uzès, Bagnols; Viviers, Saze, Rochefort, Barjac, Montpellier, n'ont pas un meilleur sort ; leurs églises sont rasées ou sac­cagées, les prêtres et autres catholiques sont massacrés. Il en est de même dans trois cents autres villes, bourgs ou villages, tombés aux mains des Pro­testants.

La haine qui les animait contre la Sainte Vierge et tout ce qui se rapportait à son culte, désignait particu­lièrement à leur sacrilège fureur la chapelle et tous les édifices de Notre-Dame; tout fut profané.

Les années suivantes, à plusieurs reprises, Roche­fort fut encore ravagé. En 1570, par exemple, l'amiral de Coligny vint de Nîmes camper sous le château de Saint-Privat, près du pont du Gard. Les villages de Saint-Hilaire, Théziers et Bezouce, composés de ca­tholiques, éprouvèrent sa fureur à son arrivée; il y fit un massacre général, de sorte qu'ils restèrent tout à fait déserts. De là ses soldats couraient les campagnes, pil­lant et brûlant les métairies, et tuant tous ceux qu'ils rencontraient. Ils s'emparèrent de Tresque, de Pujaut, des Angles, de Rochefort où ils s'établirent avec l'aide de quelques-uns des habitants qui étaient de leur religion.

Peu après ils furent repoussés par Henri de Montmo­rency ; mais en 1575, les Calvinistes reprirent Roche­fort, et obligèrent les habitants à contribuer à l'entre­tien de la garnison de Montfrin.

Après tant d'assauts, l'ancienne église paroissiale et le château de Rochefort n'offraient guère que des ruines ; pour en sauver les restes, les habitants in­voquèrent la protection du roi et du maréchal de Mont­morency, gouverneur du Languedoc.

Quant au monastère de Notre-Dame, livré sans dé­fense au vandalisme des Huguenots, il fut renversé de fond en comble. Les religieux prirent la fuite, quelques uns peut-être furent égorgés. La sainte chapelle de­meura fortement endommagée, et si une partie de ses constructions résista aux efforts redoublés des démo­lisseurs; elle ne le dut sans doute qu'à son extrême solidité.

Et le désastre n'est pas seulement matériel. Les ar­chives précieuses du sanctuaire, les livres de prières, les ornements, les vases sacrés, les images et les re­liques saintes, toutes les richesses du saint lieu ont été livrées au pillage ou à l'incendie par les Protestants. Et cet état de désolation va durer environ un demi­ siècle.

La colonne de pierre, jadis élevée par saint Guilhem au fond de l'abside, est demeurée debout ; mais l'an­tique statue de Marie qu'elle supportait, et aux pieds de laquelle tant de générations sont venues se proster­ner, a été abattue. Des mains pieuses la recueillirent et la relevèrent ; elle reparut quelque temps sur son trône. Mais on la reconnaissait à peine, tant elle était défigurée par le temps et par les mutilations de l'im­piété. On en vint jusqu'à ignorer qui elle représentait, et plusieurs attribuaient à quelque sainte inconnue le nom de Sainte-Brune (1), porté si longtemps par cette image de Notre-Dame.

Du nombre de ces ignorants fut peut-être l'ermite Grégoire, qui avait fixé sa demeure dans les ruines de l'ancien monastère. Toujours est-il que ce malheu­reux, voyant là cette grande statue de bois vermoulu, jugea bon de s'en débarrasser en réduisant en cendres l'antique madone. Quelque temps après avoir brûlé la statue, dans les premières années du XVIIe siècle, l'ermite Grégoire abandonna la montagne et ne fut point remplacé.

Et les ruines s'amoncelèrent de plus en plus dans notre infortuné sanctuaire, qui tomba dans un com­plet délabrement ; au point que les chroniqueurs le re­présentent comme étant « sans autels ni images ; les murailles ouvertes de toute part, recouvertes d'herbes et de ronces; le toit tout ruiné et défait, sans portes, ni serrures, ni fenêtres, ni aucun pavé. Il servait de re­traite au bétail et aux bergers du pays et des environs, qui y déposaient même le fumier de leurs troupeaux. C'était, en toute vérité, l'abomination de la désolation dans le lieu saint.

Les Bénédictins auraient voulu ramasser les pierres dispersées du sanctuaire, et du couvent de Notre ­Dame, dont ils continuaient d'être les possesseurs, ainsi que de l'église Saint-Bertulphe de Rochefort. En ce temps-là même ils rendaient un grand service au pays, en contribuant pour beaucoup à faire effectuer par les Chartreux de Villeneuve l'entier dessèchement de l'étang de Pujaut, Saze et Rochefort. Mais leurs efforts pour la restauration de Notre-Dame furent impuis­sants, à cause de leur extrême pauvreté. En 1608, quand l'étang de Rochefort fut desséché, les revenus de la pitance se trouvèrent accrus, à cause de la mise en culture des terres de cet étang, dont quelques-unes, comme nous l'avons vu, appartenaient à Notre-Dame. Mais cette augmentation de revenus était assez peu sensible, et ne servit guère qu'à soulager la détresse de Saint-André.

Notre montagne est-elle donc profanée pour toujours ? Non, la très sainte Mère de Dieu va bientôt en repren­dre possession, et y régner avec plus d'éclat que ja­mais

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Graves événements survenus autour d'Avignon en 1562
1562 Au mois d'août de l'année 1562, les Luthériens et Calvinistes, ayant à leur tête le baron des Adrets, se rendent maîtres de Roquemaure.
Ils arrivent à Villeneuve auprès du fort qui commandait l'accès du pont Saint-Bénézet, dans l'intention de s'en emparer par surprise avec l'aide de complices. Leur attaque sera repoussée par le célèbre florentin Scarfi, gouverneur du Languedoc, au nom de Charles IX, ils laissent 35 hommes tués et autant de prisonniers.
Les villes d’Uzès, de Barjac, du Pont saint Esprit, de Bagnols, ainsi que les villages de Tresque, de Laudun, de saint Laurent des Arbres et enfin Rochefort, tombèrent au pouvoir des religionnaires, la plupart des prêtres seront égorgés, les autels renversés, les églises brûlées et ruinées de fond en comble.

Cette façon de faire la guerre déplaît à Calvin. Le Baron est remplacé à Lyon, par Soubise au poste de lieutenant général. En novembre il rencontre le duc de Nemours, assiégé dans Vienne, qui offre au baron des Adrets le titre gouverneur du Dauphiné. Mais en décembre Condé le démet son poste.
Le baron quitte alors la religion protestante et revient au catholicisme. En 1567, il repart en guerre aux côtés de Gordes sous la bannière des catholiques. En 1569 il se remet en campagne, mais son infanterie est écrasée à Selongey.
Enfin, dans le Trièves, il gagne sa dernière bataille contre Lesdiguières. Il meurt dans son lit en 1587.



(1) Une série d'articles sur les Vierges Noires
> L'énigme des Vierges Noires




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