PAULIN TALABOT

SA VIE ET SON OEUVRE

1799-1885

par le Baron Ernouf, 1886

 

CHAPITRE

II

 

Éducation de P. Talabot - En sortant de l'École polytechnique, il est employé comme ingénieur à Brest, puis à Decize, aux travaux du canal latéral à la Loire - Détails sur ce canal - Arrivée de Didion; sa liaison intime avec Talabot. - Le conducteur des ponts et chaussées Bourdaloue.

 

Paulin Talabot, d'abord destiné au barreau, montra de bonne heure des dispositions exceptionnelles pour les sciences exactes, et son, père eut la sagesse de ne pas contrarier sa vocation. Il lui fit même donner des répétitions par le censeur du collège, un de ses anciens amis, mathématicien émérite. Aussi Paulin fut reçu à l'École polytechnique dès l’âge de dix-huit ans. Il en sortit en 1819 dans les ponts et chaussées, et fut d'abord employé dans le service de l'arrondissement de Brest, puis aux travaux du canal latéral à la Loire.

 

L'exécution de ce canal faisait partie du programme des lignes destinées à compléter le réseau de nos voies navigables, programme dont la première idée appartient au ministre libérateur du territoire, qui a porté dignement le nom de Richelieu. « Le but du canal latéral était d'affranchir le commerce des difficultés et des intermittences de la navigation de la Loire, en reliant les canaux du Centre et de Briare par une communication de même valeur et de même puissance. » (1) On avait affecté à son exécution le montant d'un emprunt de 12 millions, somme égale au devis établi pour la ligne principale. Cette évaluation était beaucoup trop modeste; les frais de premier établissement s'élevèrent, rien que pour cette ligue, à 32 600 000 francs.

 

(1) Granger, Voies navigables de la France, page 326.

 

Paulin Talabot ne prit part à ces travaux que jusqu'en 1829. II habitait alors la petite ville de Decize, à laquelle sa situation originale et pittoresque avait valu, sous le régime conventionnel, le nom burlesque de Rocher-la-Montagne. Elle occupe en effet, au confluent de la Loire et de l'Aron, un îlot rocheux dont le sommet est couronné par les ruines pittoresques d'un château féodal, auquel steamers et locomotives « crachent insolemment leur fumée au visage ». Comme on le voit dans les Commentaires de César, cette localité éduenne était déjà un centre de population important lors de la conquête romaine, à cause des facilités de refuge et de défense qu'offrait sa situation. Elle n'est pas moins heureusement placée aujourd'hui au point de vue commercial. C'est là, en effet, que vient aboutir le canal du Nivernais commencé avant la Révolution, terminé seulement en 1834, qui met en communication l'Yonne avec la Loire. (1)

 

(1) L'achèvement de ce canal important était compris dans le programme de 1820. Les travaux complémentaires, évalués alors à 8 millions, en coûtèrent 26.

 

De plus, cette escale est desservie présentement par le chemin de fer de Nevers à Autun, et par une section du canal qui met en communication la Loire avec le canal latéral depuis 1845. Ces communications multipliées suffisent à peine aujourd'hui pour le transport des charbons. Decize est en effet le centre d'un bassin houiller d'une superficie de plus de 8 000 hectares, dont les produits, qui ne s'élevaient encore qu'à 400 000 tonnes en 1844, ont sextuplé depuis.

 

Ce fut pendant la dernière année de son séjour à Decize, que Talabot fit connaissance avec Didion, plus jeune que lui de quatre ans. Élève très distingué d'un modeste pensionnat tenu par un ecclésiastique, ce qui prouve que les établissements libres ont quelquefois du bon, admis à l'École polytechnique le quatorzième et sorti le premier, Didion avait été employé d'abord à Niort comme élève ingénieur, promu ingénieur ordinaire en 1825, et appelé à Decize en 1828.

 

Ces premières relations avec Talabot eurent une grande et heureuse influence sur leur avenir. Didion resta attaché à la construction du canal latéral, jusqu'en 1832, époque où ces deux amis, qui se complétaient si bien l'un par l'autre, se retrouvèrent à Nîmes, et cette fois pour longtemps. Ils allaient figurer côte à côte, au premier rang, parmi les ouvriers français de la première heure, ou plutôt de l'aurore de la grande industrie des chemins de fer.

 

Ce séjour à Decize leur avait été profitable à tous deux. Ils y avaient acquis une expérience des travaux d'art, peu commune à cette époque. (1)

 

(1) II suffira de rappeler que la seule ligne principale du canal latéral à la Loire a nécessité la construction de quarante-deux écluses et de plusieurs ponts aqueducs. Le plus considérable, celui du Guétin, qui fait passer le canal au-dessus de l'Allier pour le réunir à celui du Berry, et auquel Talabot a travaillé, est d'une longueur de cinq cents mètres, avec dix-huit arches de seize mètres d'ouverture. En général, on peut dire que les travaux entrepris en exécution du programme de 1820 ont été, en fait, une préparation utile à ceux des voies ferrées. Il faut savoir gré au gouvernement royal d'avoir osé donner cette impulsion malgré ses difficultés personnelles, et à une époque encore aussi voisine des grands malheurs publics.

 

Ce fut là aussi qu'ils connurent plusieurs jeunes gens heureusement doués et de bonne volonté, qui devinrent ensuite leurs auxiliaires dans la construction des premières voies ferrées. L'un des plus capables, dont nous aurons à reparler, Bourdaloue, qui n'était encore que conducteur des ponts et chaussées, suivit Talabot à Nîmes dès 1829. Il était de Bourges comme le prédicateur son illustre homonyme, et probablement de la même famille.

 

 

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