L'occupation
du département du Gard par les troupes autrichiennes, en 1815, fut de courte
durée, mais elle fut une lourde charge pour les habitants.
Fin
juillet, les Autrichiens désignés communément sous le nom d'« Alliés
», stationnés en Provence, reçurent l'ordre de se préparer à franchir le
Rhône. Le 4 août, l'administration municipale de Beaucaire fut avisée qu'un
corps de 3.000 Autrichiens devait passer le pont prochainement. Le Maire, M.
Privat, écrivit aussitôt au Préfet protestant contre « l'injure d'une
occupation étrangère » et faisant valoir « la vieille fidélité de la
ville à la royauté, le trouble que cette occupation occasionnerait à la foire
de Beaucaire, enfin la difficulté de loger et ravitailler les troupes. »
Malgré ces protestations, 3.000 Autrichiens entrèrent à Beaucaire dans la
matinée du 7 août, mais ils repartirent le lendemain pour diverses directions
en laissant 300 hommes. Plus tard, d'autres troupes autrichiennes vinrent à
Beaucaire et y séjournèrent jusqu'à la fin de septembre. Elles étaient
cantonnées dans huit grandes baraques en planches construites sur la
promenade du pré. (1)
(1) Voir Nouvelle Revue du Midi, septembre 1926.
Le
8 août, le général Staremberg qui commandait les troupes, réquisitionnait à
Beaucaire, 400 shakos, 200 pantalons bleus à la housarde, 200 paires de souliers
brodequins, 400 fourreaux de baïonnettes, et 75 aunes de drap pour officiers
et soldats.
Les
alliés pénétrèrent ensuite peu à peu dans le Gard en très grand nombre. Uzès
reçut 250 hommes et 50 chevaux, Bagnols 200 hommes, le Pont-St-Esprit, 500
hommes et 100 chevaux, Villeneuve-lès-Avignon 800 hommes et 40 chevaux,
Aimargues 250 hommes, Alès 200 hommes et 50 chevaux, etc.
Les
autres localités occupées furent, presque tous les villages de la
Gardonnenque, puis St-Hippolyte, Quissac, Sauve, VaIIeraugue, St-Marcel, le
Vigan et tous les centres importants des Cévennes où se dessinaient des
mouvements bonapartistes.
Des
officiers français étaient joints, par cantons, aux officiers autrichiens
pour aplanir les difficultés.
Partout,
les troupes autrichiennes arrivaient sans être attendues et les maires se
trouvaient dans le plus grand embarras pour les nourrir. C'est ainsi que Calvisson
reçoit d'abord 642 hommes et le lendemain 3.099 hommes sans avertissement. Le
maire affolé envoie une estafette au préfet lui demandant d'urgence une somme
de cinq mille francs pour parer aux premiers besoins.
On
a accusé le préfet d'Arbaud d'avoir été l'instigateur de l'occupation du Gard
par les troupes autrichiennes. Mais il s'en défend dans ses écrits, et sa
correspondance conservée aux Archives départementales vient bien à l'appui de
son affirmation.
Dans
la préface de sa brochure intitulée « Troubles et agitations du
département du Gard en 1815 », le Préfet expliquant diverses mesures
prises pendant son administration, s'exprime ainsi au sujet de l'échauffourée
de Ners du 25 août, que nous racontons plus loin et dans laquelle furent
engagés des Autrichiens. « Le 25 août, dit-il, j'étouffai la première
étincelle d'une guerre civile par des mesures administratives aussi modérées
que fermes, aussi légales que promptes, et par le déploiement d'une force
militaire étrangère à toutes les passions qui agitaient les habitants du
Gard, et que la bonté céleste m'envoya malgré moi, et malgré tous les efforts
par lesquels je tentai inutilement d'en repousser l'entrée dans mon
département. »
La
brochure justificative donne quelques extraits de la correspondance échangée
entre le Préfet et les autorités autrichiennes : relevons une lettre assez
caractéristique.
Le
20 août, d'Arbaud répondait au comte de Chotek, intendant de l'armée
autrichienne du Midi, qui lui annonçait l'arrivée prochaine d'un corps de
troupes à Nîmes :
«
Je serais charmé de recevoir dans mon département un corps de votre brave
armée, et il y serait accueilli par la population comme de bons et loyaux
alliés de mon souverain. Mais je dois, pour préparer et exécuter les
dispositions mentionnées dans votre lettre, recevoir du Ministère de Sa
Majesté le Roi de France, les ordres, les autorisations et les instructions
qui me sont nécessaires.
Ce n'est qu'ainsi que je puis coopérer dans mon département a un
arrangement contraire aux seules conventions oui soient, à ma connaissance,
conclues sur l'emplacement des troupes alliées entre le Ministère de S. M. le
Roi de France et les Ministres des quatre souverains, ses augustes alliés.
Ces conventions fixent pour limites à la partie du territoire français occupé
par les troupes alliées, le cours de la Loire et celui du Rhône, à partir
d'en dessous de l'embouchure de l'Ardèche .....
Mes devoirs de fidèle fonctionnaire de S. M. le Roi de France me font
désirer que S. E. M. le général en chef baron de Bianchi fasse connaître à S.
M. l'empereur d'Autriche le projet que vous m'avez annoncé, comme, de mon
côté, je rends compte au Ministère de S. M. le Roi de France, mon auguste
Maître, de la réponse que j'ai l'honneur de vous faire, et que nous
attendions de part et d'autre ce qui sera consacré à cet égard entre les deux
gouvernements. » (1)
(1) Troubles el agitations du département du Gard en 1815
par d'Arbaud Jacques 1818.
D'autre
part, nous avons trouvé aux Archives Départementales une lettre adressée à
d'Arbaud par Fouché, duc d'Otrante, ministre de la sûreté générale en date du
9 septembre, confirmant que les Autrichiens sont entrés dans le Gard sans
avoir reçu aucun ordre de leur gouvernement.
«
II est à regretter, écrivait le Ministre, que les généraux autrichiens aient
persisté à pénétrer dans le département du Gard sans attendre les ordres de
leur gouvernement, et malgré les observations que vous avez faites. Des
représentations ont été adressées à cet égard à M. de Metternich. » (1)
(1) Archives départementales du Gard 6 M 20.
Le
24 août, Nîmes reçut 4.000 Autrichiens commandés par le général Staremberg. «
La cavalerie, disait le Journal du Gard, est belle et bien montée. Elle consiste dans un
régiment de hussard. L'infanterie est composée pour la majeure partie de
chasseurs tyroliens. Toutes ces troupes se font remarquer parleur tenue el
l'excellence de leur discipline. Nous sommes très heureux de les avoir dans
la situation où viennent de; nous replacer la révolte et la trahison »
Le
général commandant en chef les troupes Autrichiennes du Midi (2° corps)
était le feld maréchal de Bianchi (1) ; son quartier général était à Avignon.
(1) Né à Vienne en 1762, mort en 1855.
Le
général comte de Neipperg (1) avait sous ses ordres les troupes des
départements du Gard, de l’Ardèche et de l'Hérault.
(1) Né à Salzbourg en 1775 mort en 1829.
Neipperg épousa l'ex-impératrice Marie-louise en septembre
1821
Son
quartier général était à Nîmes, dans l'hôtel du général baron Merle, au
numéro 6 du quai de la Fontaine.
Hôtel
Merle - 6, quai de la Fontaine - Nîmes
Le
général comte de Staremherg avait le commandement spécial des troupes
disséminées dans le Gard, il occupait également l'hôtel du général Merle.
Détail
de la grille avec le "M" en fer forgé
L'intendant
chargé de toutes les troupes formant le 2eme corps d'armée autrichien était le
Comte de Chotek ; il résidait à Avignon. Par ses fonctions administratives,
il était en rapports constants avec les autorités royales des départements
occupés et les exigences des troupes d'occupation le mettaient souvent en conflit
aigu avec les Maires et les Préfets.
Les
troupes autrichiennes stationnées à Nîmes furent ainsi réparties : la caserne
fut affectée au régiment de cavalerie ; les soldats d'infanterie furent
d'abord logés chez les habitants, puis dans de, vastes baraquements
construits à la hâte, sur le Cours-Neuf.
Prévenus
de l'arrivée des Autrichiens les Chasseurs royaux du régiment de M. de
Calvières-Vézenobres quittèrent la caserne, au matin du 24 août, pour laisser
le quartier aux Autrichiens, et se dirigèrent sur Alès. Ils firent halte à
Boucoiran vers les sept heures du soir. Les Chasseurs étaient pour la plupart
sans armes, disent les récits officiels et conduisaient chacun un cheval en
laisse outre celui .qu'ils montaient. (1)
(1) D'après d'autres versions, les chasseurs armés de pied
en cap avaient été envoyés dans la région d'Alès uniquement pour disperser
les groupements de rebelles.
Tous
les hommes et chevaux n'ayant pu être logés dans Boucoiran, un détachement
fut dirigé sur Ners où il fut reçu chez les habitants.
Une
vive agitation régnait dans la Gardonnenque depuis la chute de l'empereur et
de nombreux rassemblements de révoltés s'étaient formés dans plusieurs
villages. Ners était un des principaux foyers de bonapartisme.
Alarmés
par l’arrivée de la troupe royale, les hommes du Village quittèrent leurs
demeures et se retirèrent à une distance de 600 mètres où ils formèrent une
sorte de camp ; ils furent bientôt rejoints par un millier de gardes
nationaux des environs. Au commencement de la nuit, un détachement de ces
gardes nationaux pénétra dans Ners sans doute pour y surprendre les chasseurs
royaux qui s’y trouvaient cantonnés. Aussitôt prévenu, le lieutenant de
Cabrières (1), des chasseurs royaux, s'avança au devant des gardes nationaux
afin d'obtenir leur éloignement par la persuasion. M. Perrier, ancien maire
de Ners, l'accompagnait en qualité de médiateur. Arrivés sur la place de la
Mairie, tous deux furent accueillis par des coups de feu ; M. de Cabrières
fut légèrement blessé au bras.
(1) Le lieutenant de Cabrières était le père du cardinal évêque
de Montpellier.
M.
Perrier grièvement atteint mourut dans la nuit (1).
(1) D'après une version bonapartiste M. Perrier aurait été
tué par un officier de l'armée royale.
Les
chasseurs cantonnés à Ners se retirèrent sur Boucoiran emmenant avec eux l'adjoint
de la commune de Ners, M. Cambon, qui accusé, injustement croit-on, d'avoir
tiré sur les troupes royales, fut passé par les armes en cours de route.
M.
de Cabrières, malgré sa blessure, vint à Nimes le lendemain de bonne heure
pour annoncer cette triste affaire et prendre des ordres. Six cents chasseurs
tyroliens faisant partie des troupes autrichiennes furent envoyés sur le
champ à neuf heures du matin. Ils arrivèrent près de Ners à une heure après midi
accompagné de deux cent chasseurs à cheval, et trouvèrent les rebelles rangés
en bataille au nombre de cinq à six cents. Une fusillade générale s'engagea
aussitôt, puis les chasseurs exécutèrent une charge qui mit les révoltés en
déroute. Les chasseurs tyroliens eurent quatre hommes tués et neuf blessés.
Les rebelles laissèrent sur le champ de bataille 60 à 80 morts ou blessés.
Plusieurs des prisonniers furent immédiatement passés par les armes, les
autres amenés à Nimes. Au sortir du Te Deum chanté sur l'Esplanade, le soir
de ce même jour, fête du Roi, le comte de Staremberg fit traduire en conseil
de guerre trois prisonniers ramenés par les troupes autrichiennes. Après un
jugement sommaire, convaincus d'avoir été pris les armes à la main, ils
furent fusillés devant les casernes, à sept heures du soir. D'autres
prisonniers arrivés dans la nuit subirent le même sort (1).
(1) On ne trouve sur les registres de l'état-civil de
Nimes aucun nom de ces victimes.
Le
lendemain 26 août 1815, de nouvelles troupes françaises et autrichiennes
furent envoyées dans la Gardonnenque et dans plusieurs villages en état de
rébellion. Bon nombre d'agitateurs, pris les armes à la main, furent fusillés
sur place.
Le
camp de Ners composé de fédérés des environs de Nimes, Montpellier, Arles et
Tarascon fut dispersé dès le 26 août. On a accusé à tort le général Gilly
d'avoir organisé le camp de Ners. Gilly, traqué par la police royale errait
de retraite en retraite, préoccupé uniquement de dépister les sbires qui le
poursuivaient avec acharnement sans pouvoir l'atteindre.
Ce
même jour où se déroulaient les sanglants événements de Ners, la fête du Roi
était célébrée à Nimes avec solennité. Le Journal du Gard rend compte ainsi
de cette fête à laquelle prirent part les Autrichiens :
«
Le soir, fut chanté un Te Deum solennel sur l'Esplanade où un autel avait
été dressé depuis la veille. Tout le clergé de la ville était réuni sur les
marches de l'autel et les autorités placées dans le cercle au-devant. La
musique autrichienne qui est de toute beauté, enchantait les oreilles ; celle
de la garde nationale, de son côté, se faisait entendre par intervalles,
jouant les airs chéris de tout bon français, au milieu des coups de canon
répétés et de l'allégresse générale.
Le général comte de Staremberg passa à cheval devant la ligne de tous
les corps aux cris de « Vive le Roi ! Vivent les alliés ! » On admirait la grâce et la tournure de ce général
qui est dans la fleur de la jeunesse, et la superbe tenue de ses troupes tant
à pied qu'à cheval.
Après
la bénédiction du drapeau de la garde nationale, le comte de Staremberg fut
engagé à monter sur l’autel. Dès qu’il fut aperçu à cette hauteur, des
milliers de voix crièrent de toutes parts : Vivent les Alliés ! Le
prince: se retourna alors vers l’assemblée avec une grâce particulière en
criant de son côté : Vive le Roi ! Vive la France !
Le
30 Août 1815 le général comte de Neipperg faisait afficher la proclamation
suivante dans toutes les communes du Gard :
Le
général comte de Neipperg
«
Son Excellence le baron de Bianchi général en chef du 2e corps de l'armée
autrichienne d'Italie, m'a confié le commandement militaire dans les
départements du Gard, de l’Ardèche et de l'Hérault dans lesquels sont
stationnées les troupes de ma division. Son intention positive est que je
dois concourir avec tous les moyens qui sont à ma disposition, à y maintenir,
de concert avec les autorités civiles et militaires nommées par S. M. le Roi
de P'rance, la tranquillité publique.
J'en préviens les habitants de ces départements et je me flatte qu'il
ne se trouvera point parmi eux des personnes assez ennemies de leur patrie,
pour y susciter de nouveaux troubles. Je veillerai particulièrement à ce que
le désarmement qui a été adopté, comme mesure de sûreté, s'effectue par mes
colonnes mobiles, dirigées par les commissaires de l'autorité militaire française
nommées par le maréchal de camp commandant le département sur la demande de
Son Excellence le général en chef baron de Bianchi, et je m'attends qu'il
s'opérera sans retard ni difficulté.
Si contre toute attente, les scènes tumultueuses qui viennent d'être
apaisées devaient se renouveler, dans les Cévennes, alors je me verrais
contraint de mettre en usage tous les moyens pour obtenir par la force ce que
la persuasion n'aura pu effectuer. Je suis muni de pleins pouvoirs suffisants
pour punir avec toute la sévérité les lois militaires les malveillants que
mes troupes trouveraient les armes à la main. »
Fait à Nimes le 30 août 1815 :
Le Lieutenant Général comte DE NEIPPERG,
Commandant une division de l'armée autrichienne.
Cette
proclamation était ainsi apostillée par le préfet et le général commandant
les troupes françaises dans le Gard : Les autorités civiles et militaires du
département du Gard, saisissent avec le plus grand empressement l'occasion de
montrer aux habitants du Gard la parfaite harmonie d'intention et d'action
qui existe et existera toujours entre les généraux de S. M. I. l'empereur
d'Autriche et les autorités civiles et militaires de S. M. T. G, le Roi de
France, notre bien aimé souverain pour le maintien de l'autorité royale et le
rétablissement de l'ordre public partout où il pourrait être troublé encore
par des passions qui seront réprimées dans tous les partis et des actes
arbitraires et brigandages qui seront punis, par qui que ce soit que ces
excès aient été commis.
«
Le préfet du Gard, d'Arbaud-Jonques, le maréchal de camp, commandant le
département du Gard, comte Ch. de Vogüé. »
La
journée du 5 septembre fut consacrée à des fêtes données en l'honneur des
troupes autrichiennes. Nous en trouvons une narration datée du six septembre
dans le Journal du Gard du 9 septembre.
«
II y eut hier une belle fête donnée par les officiers de la garde nationale
et des troupes de ligne au général et aux officiers des troupes
autrichiennes. Elles furent annoncées au point du jour par neuf coups de
canon. Dans un instant le pavillon sans tache du lis orna toutes les fenêtres.
Avant
dix heures un peuple immense remplissait déjà les gradins et toutes les
places de ce vaste amphithéâtre, monument de l'importance et de la population
de notre ancienne cité, dans lequel une loge commode avait été préparée pour
le général comte de Neipperg et son état major, et pour les autorités
constituées.
On
donna le spectacle d'une course de taureaux et d'une lutte entre les plus
fameux athlètes du département. L'affluence des spectateurs, la beauté du
jour, la présence de nos libérateurs, les sons d'une musique harmonieuse,
tout portait dans l'âme une joie vive et pure, bien partagée par nos
illustres hôtes qui heureusement ne fut troublée par aucun accident. Grâce à
l'adresse de nos tauréadors, pas un d'eux ne fut blessé et la course se
termina de la manière la plus agréable. La nouveauté de ce divertissement
parut intéresser beaucoup M. le général et les officiers autrichiens.
« A
l'issue de ce spectacle, il y eut un repas dans la salle de la Comédie. Cette
salle, l'une des plus belles de province, était magnifiquement décorée. Son
enceinte était entourée de guirlandes et de festons, surmontés de devises
ingénieuses inspirées par l'estime et la reconnaissance. Au fond du théâtre
dominait le buste de notre bon Roi, Louis le Désiré, sans lequel il ne
saurait plus y avoir de fête pour nous. A ses côtés s'élevaient deux
pyramides portant les Armes de France et d'Autriche.
Une infinité de lumières qui éclairaient la salle faisaient ressortir
et briller de tout leur éclat la beauté et la parure des dames dont toutes
les loges étaient remplies. Un couvert de trois cents personnes avait été
dressé ; à la tête était une table réservée aux officiers généraux et aux corps
constitués. Les autres places furent occupées avec beaucoup d'ordre par les
soins des commissaires chargés de la direction qui avaient placé
alternativement, autant que possible, un officier autrichien et un officier
français.
Tout se passa avec la plus rigoureuse décence dans cette réunion, où
régna d'un bout à l'autre une joie franche et expansive qui ne dépassa jamais
les bornes d'une honnête gaîté. C'était vraiment une réunion de frères,
animés du même esprit et les deux peuples étaient confondus en un seul. La
musique jouait par intervalles nos airs chéris :
Vive Henri IV ; C'est un Bourbon ; Où peut-on être
mieux, etc… »
Des
toasts furent portée par le comte Charles de Vogué maréchal de Camp à S. M.
l'Empereur d'Autriche, l'ami el l'allié du Roi de France ; par le comte de
Neipperg, commandant les troupes autrichiennes à S. M. le Roi de France ; par
le Préfet, à la reconnaissance du département du Gard, pour le 2e corps de
l'armée autrichienne et pour son brave et illustre général le comte de Neipperg
; par M. le comte de Neipperg à la Duchesse d'Angoulême, puis par le
lieutenant général de Banges ; M. d'Anglas colonel de la garde nationale ; le
général de Lagarde ; le colonel de Bernis ; le marquis de Calvières et de
Gabriac, sous-préfet de Nîmes. Enfin un dernier toast fut porté par M. de
Neipperg : Aux Lis et aux Dames.
Après
le repas, il fut tiré un feu d'artifice qui termina la soirée à onze heures.
A
Alais les Autrichiens furent reçus comme à Nimes avec une grande sympathie.
Une représentation fut donnée au théâtre en leur honneur, et à l'issue du
spectacle un bal plein d'entrain fut organisé sur la scène. Le souvenir de la
galanterie des officiers alliés resta longtemps vivace aussi bien dans la
Société Alésienne que dans la société Nîmoise.
Les
officiers autrichiens furent encore très fêtés par la Société royaliste de
Pont Saint-Esprit qui organisa en leur honneur plusieurs réunions. Le Pont
Saint-Esprit fut l'une des premières villes du département occupées par les
Alliés ; elle fut évacuée la dernière, à la fin du mois d'octobre.
Une
curieuse correspondance du maire nous donne les noms des officiers les plus
choyés par la Société Spiripontinoise ; c'étaient François de Wolf, capitaine
au 4e bataillon de chasseurs autrichiens, Edmond de Getzek et Vincent de
Tshogyl, lieutenants au même bataillon, de Walter lieutenant de hussards, du
régiment de Lichtenstein et son frère D. de Walter sous-lieutenant au même
régiment.
Le
maire de Pont Saint-Esprit demanda au préfet d'accorder à ces officiers la
décoration du Lys récemment créée par Louis XVIII. D'Arbaud répondit
sèchement qu'il n'avait pas les pouvoirs nécessaires pour délivrer cette
distinction réservée à récompenser des Français.
Le
25 août la municipalité de Pont Saint-Esprit offrit un banquet aux sous-officiers
autrichiens et fît distribuer vingt sols à chaque soldat.
Les
troupes d'occupation dans le département du Gard furent au maximum d'un
effectif de 12.000 hommes, qui varia ensuite de 8.000 à 5.000 hommes, jusqu'au
départ du quartier général, puis fut réduit à 1.800 hommes.
Un
relevé, d'ailleurs très incomplet, des dépenses occasionnées par les Alliés
pendant les mois d'août et septembre porte un total de 600.000 francs. Les
frais de table des généraux et officiers figurent sur ce relevé pour la somme
de 57.000 francs : les fournitures de pain, vin, légumes et eau de vie pour
les troupes à la somme de 222.759 francs ; la viande pour 60.128 francs ; les
fourrages pour 40.650 francs ; le tabac pour 27.089 (1) ; journées
d'hôpitaux, transports, médicaments pour 41.647 francs ; indemnité au général
commandant, 1.000 francs.
(1) La fourniture de tabac fut sûrement plus importante
car les demandes étaient incessantes, d'après la correspondance des maires.
Malgré
toutes les preuves officielles de sympathie que montraient avec affectation
les autorités du département à l'égard des Alliés, il n'en existait pas moins
contre eux une sourde hostilité causée par les exigences multipliées et les
actes de brutale autorité de la plupart des officiers autrichiens. Le Préfet
et les Maires se trouvaient constamment en conflit avec eux. Les officiers
français envoyés dans chaque canton pour aplanir les difficultés suscitées
pour les Alliés avaient un rôle extrêmement ingrat et leur action était
presque nulle.
Soit
mauvaise volonté, soit impossibilité réelle, les maires des communes occupées
n'obéissaient que très imparfaitement aux ordres imposés par les Autrichiens
aussi bien pour le désarmement des gardes nationales hostiles au
gouvernement, que pour les réquisitions de vivres et vêtements. Dans toutes
ces communes le désarroi était le plus complet, ainsi qu'en témoigne la
correspondance des Maires avec la préfecture.
Une
lettre en date du 10 septembre, adressée au Ministre de la guerre par M.
Lafond, commissaire des guerres à Nîmes, signale dans quelles conditions
déplorables fut organisé le ravitaillement des troupes autrichiennes. « La
précipitation avec laquelle les troupes autrichiennes se sont répandues dans
le département, dit-il, n'a pas laissé aux autorités compétentes le temps
d'assurer le service d'une manière légale ; il en est résulté beaucoup
d'inconvénients fâcheux. D'un côté M.M. les Maires ont frappé des
réquisitions, de l'autre il a été passé des marchés onéreux au département,
etc (1). »
(1) Archives départementales du Gard, 6. M. 172.
Les
maires étaient débordés de réclamations qu'ils renvoyaient au Préfet.
Le
15 septembre, le Maire de Nimes, M. de Vallongue, écrivait au Préfet : « Je
n'ai pas pu encore faire dresser le bordereau des fournitures faites aux
troupes alliées dans cette ville pendant le mois d'août dernier que vous me
demandez par vos lettres des 6 et 13 de ce mois. Depuis plusieurs jours, les
employés de mes bureaux peuvent à peine suffire pour fournir aux demandes de tout
genre que me font les Autrichiens et aux réclamations sans nombre qu'elles
occasionnent. »
Pour
faire face aux dépenses occasionnées par l'occupation des troupes
autrichiennes-, le Préfet avait ordonné le 23 août, une imposition
extraordinaire de dix centimes par franc pour tous les contribuables dont les
cotes étaient de 20 francs et au-dessus. Le produit de cette contribution fut
de 640.000 francs. Excédé par les exigences des Autrichiens, d'Arbaud
écrivait le 4 septembre au comte de Chotek la lettre suivante :
«
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 30 août
contenant la demande de diverses fournitures d'équipement pour les troupes
autrichiennes et un tableau détaillé décès fournitures.
J'ai réuni la Chambre de commerce de mon département et l'ai chargée
après les plus profondes recherches de me présenter le rapport le plus exact
des moyens et des ressources de ce département dans tous les genres de
denrées et de matières nécessaires pour les fournitures que vous me demandez.
J'ai l'honneur de vous adresser une copie de son rapport par moi
certifiée conforme. Il vous dévoilera la plus profonde misère, le total dénuement
dans lequel les troubles publics de la France, les calamités dernières que le
plus violent des tyrans et des usurpateurs y a apportés, l'anéantissement du
crédit, de la confiance, du commerce et de l'industrie, du travail
manufacturier, la disparition du numéraire/ l'énormité des impositions
extraordinaires (1) et enfin la nécessité, dans cette situation, de pourvoir
avec les faibles débris d'une misérable récolte à la subsistance et à
l'entretien journalier de plus de 10.000 hommes de troupes autrichiennes ont
conduit ce département aujourd'hui le plus infortuné de toute la France.
Je ferai faire néanmoins à ce malheureux département de très grands
efforts pour vous procurer bien peu de choses. La chambre de commerce me
laisse espérer la possibilité de vous fournir un millier de paires de
souliers, quinze ou seize de guêtres. Je l'entreprendrai. Je tâcherai d'y
joindre le drap nécessaire, s'il est possible de le trouver, pour un millier
de shakos. J'ose espérer, Monsieur le Comte, que ces efforts du zèle et de
l'impuissance réunis prouveront aux généraux et aux administrateurs des
armées de S. M. I. et R. notre bonne volonté tout à la fois et notre
infortune. »
(1) Le département du Gard était imposé pour la
contribution de guerre à la somme de 1 million 400.000 fr. (16 août 1815).
Déçu
de ne pas obtenir des municipalités toutes les fournitures exigées, de Chotek
menaça durement le préfet d'ordonner lui-même des réquisitions dans tout le
département. D'Arbaud lui répondait le 8 septembre.
«
Bien loin de trouver par la force, ce que vous demandez en vain à ce
département, je vous le déclare avec vérité, Monsieur le Comte, au premier
acte de cette nature, les subsistances mêmes manqueront à l'instant à vos
troupes et à ma population, car il n'y a que l'action régulière de l'autorité
civile et la confiance qu'elle inspire, qui créent dans ce département des
ressources qui seront anéanties à l'instant où cette action cessera : et elle
cessera à l'instant où je ne pourrai plus exercer librement, dignement et
conformément à ses ordres, les fonctions que le Roi, souverain, m'a confiées,
etc. » (1).
(1) Archives départementales série 9 K 32.
D'Arbaud
eut encore à défendre ses administrés contre de nouvelles menaces de de
Chotek.
L'intendant
autrichien, contestant les affirmations du préfet, voulait exiger une
expertise générale de tous les objets qui pourraient être fournis à ses
troupes. D'Arbaud, par une lettre très digne, en date du 14 septembre,
protesta avec énergie contre une semblable prétention, et l'expertise n'eut
pas lieu.
Se
rendant compte enfin des mille difficultés occasionnées par le séjour de ses
troupes dans le département du Gard, le feld maréchal de Bianchi ordonna le
départ de la plus grande partie des Autrichiens. Les Alliés quittèrent
d'abord la ville de Nimes le 18 septembre.
Le
général de Neipperg adressa au Maire de Nimes la lettre suivante :
Monsieur le Maire,
« En vous assurant, au moment de mon départ que ni mes troupes, ni
moi, n'oublions jamais l'accueil cordial et amical que nous ont fait éprouver
les magistrats et les habitants de la ville de Nimes, pendant le temps que
nous nous sommes trouvés parmi eux, je prends la liberté de vous recommander
de nouveau les malades que nous laissons ici entre les mains de ces dames de
la charité qui leur ont administré jusqu'à cette époque des soins aussi
généreux qu'utiles, que je me suis empressé de porter à la connaissance de
mes supérieurs.
Veuillez agréer, etc. ».
Les
autres localités du Gard furent évacuées rapidement, du 18 au 22 septembre.
Des
détachements de cavalerie, 1.800 hommes environ, séjournèrent encore quelques
temps dans le département et tenaient garnison à Beaucaire, Bagnols,
Villeneuve-lès-Avignon et le Pont St-Esprit.
Le
13 octobre d'Arbaud écrivait à de Bianchi pour protester contre la
prolongation du séjour de ces troupes dans le département.
« Dans
la situation d'accablement et d'épuisement dans lequel se trouve mon
département, disait le préfet, je ne vous cache pas, M. le Comte, que la
présence non nécessaire aujourd'hui d'environ 1.800 hommes de troupes
autrichiennes dont une grande partie cavalerie, répartie au Pont Saint-Esprit,
à Beaucaire et à Villeneuve-lès-Avignon et que le département du Gard
continue à défrayer de toutes dépenses de nourriture et d'entretien, achève
de combler mes embarras pécuniaires et d'accabler ce département.
Quelques faibles détachements suffiraient pour garder ces passages du
fleuve dans un pays qui ne vous offre que des amis et des cœurs
reconnaissants et où certes on est bien loin de songer à embarrasser la
liberté de vos communications.
Accordez-moi donc la grâce, Monsieur le Comte, de réduire à une centaine
d'hommes les postes que vous jugerez devoir conserver sur la rive droite du
Rhône, au Pont-St-Esprit à Beaucaire et Villeneuve. Si ce sont des postes de
cavalerie, ces 300 hommes coûteraient environ 600 francs par jour à mon
département et c'est beaucoup dans la position où ses malheurs l'ont plongé. »
Fin
octobre le département du Gard était complètement libéré de l'occupation
étrangère.
Extrait de la Nouvelle Revue du Midi, 1927, N°2 et 3 - L.
Aillaud
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