I
PIERRE-HUGUES-VICTOR MERLE (1) est né à Montreuil-sur-Mer
(Pas-de-Calais), le 26 août 1766, d'une famille originaire du Languedoc. Son
père, que des circonstances particulières avaient attiré, jeune encore, dans
cette ville, s'y maria, y résida un certain temps, mais l'amour du changement
et peut-être un peu de nostalgie le ramenèrent finalement avec sa petite
famille au village de Faugères, son pays natal (2).
(1) Voir le Dictionnaire historique et biographique
des Généraux français. - L'Arc-de-Triomphe de l'Etoile, (Article Merle.)
(2) Près Bédarieux, dans le département de l'Hérault.
Victor avait alors près de douze ans : un penchant décidé
pour l'état militaire se manifestait fortement en lui; aussi à peine eut-il
atteint sa quinzième année qu'il s'enrôla comme volontaire dans le régiment de
Foix en garnison dans le Midi à cette époque. Mais une grave maladie (la petite vérole), qu'il contracta sur
ces entrefaites, l'obligea de quitter le service et de retourner dans ses
foyers.
Ce ne fut pas pour longtemps : présenté après son
rétablissement au marquis de Gayon, colonel du régiment d'Angoumois en ce
moment à Béziers, il s'attira par sa bonne mine et son intelligence précoce la
bienveillance de cet excellent homme qui se l'attacha désormais et voulut pourvoir
lui-même à son avancement.
Le 14 septembre 1784, Victor Merle, par les conseils de son
protecteur, entra définitivement dans le régiment d'Angoumois. La Révolution,
le trouva à Bayonne sergent-major de grenadiers (promotion d'avril 1789).
Trois ans après, à la retraite de son digne colonel que le
nouvel ordre de choses privait de ses fonctions, Merle était sous-lieutenant :
c'est en cette qualité qu'il partit pour l'armée des Pyrénées occidentales ; il
y devint successivement et en peu de temps capitaine d'une compagnie de
canonniers attachée au régiment, puis chef de bataillon de la même arme. La
part qu'il eut aux diverses et premières rencontres de la campagne fut
considérable : elle lui valut le grade de général de brigade à l'Age de 28 ans
(17 mai 1794).
Un tel avancement, même à cette époque de fortunes rapides,
était une exception glorieuse; Merle l'avait mérité au prix de son sang.
A cette date ; les défilés de la vallée de Bastan étaient
occupés, les hauteurs de Sainte-Anne, sur la Bidassoa, conquises, l'armée
française qui avait imprudemment suspendu son mouvement offensif fut attaquée à
son tour dans ses nouvelles positions. Le 23 juin, les Espagnols se portèrent
en forces devant le camp des sans-culottes
; mais, reçus avec vigueur par le brave Latour d'Auvergne et assaillis de flanc
à l'improviste par Merle à la tête de 400 hommes, ils essuyèrent une véritable
déroute.
Cet acte décisif entraîna l'invasion de la vallée de Bastan.
Quelques temps après, la prise du camp de Saint-Martial nous livra les villes
de Fontarabie et de Saint-Sébastien. Merle fut détaché le 9 août vers Tolosa et
s'en empara à la vue du général en chef espagnol qui, croyant avoir sur les
bras toute l'armée française, battit précipitamment en retraite sous la
protection de sa cavalerie.
Ainsi nous trouvons le jeune Général présent à toutes les
affaires importantes de la campagne.
Vers la fin d'octobre, Moncey, l'un des généraux
divisionnaires, fut élevé au commandement en chef. Après une courte et heureuse
expédition dans la fameuse vallée de Roncevaux, il fut poussé, par les
commissaires de la Convention, tout puissants à cette époque, à tenter malgré
lui un coup de main sur Pampelune. L'entreprise échoua et faillit avoir des
suites funestes dans cette saison déjà avancée. Moncey, obligé de se retirer en
présence de l'ennemi, combina, pour détourner son attention et faciliter le
mouvement de ses troupes, une attaque sur Bergara, la clef de la vallée
d'Araguil.
Bergara est dans une position d'un accès très-difficile :
les Espagnols y avaient élevé des retranchements d'une grande valeur et les
occupaient en forces, prêts à tomber, quand le moment serait venu, dans les
flancs et sur les derrières de notre armée. Ils furent prévenus. Le 28 à midi,
Merle, soutenu sur ses ailes, eut ordre d'attaquer l'ennemi de front, pendant
qu'on essayerait en même temps de tourner sa position. Après un choc des plus
violents, les retranchements furent emportés, 500 hommes restèrent sur le
terrain, 250 se rendirent prisonniers; 4 drapeaux, 5,000 fusils, la caisse
militaire et 38 caissons furent le prix d'une telle énergie. L'armée se retira
dès-lors paisiblement sans être inquiétée (1).
(1) Victoires et Conquêtes, tome III — Jomini, tome V.
Merle, mis à la tête de la 2ème division de l'armée, fut chargé
d'administrer une partie des provinces nouvellement conquises. Voici la manière
dont le général en chef appréciait à quelques temps de là les qualités du jeune
et brillant officier. Un témoignage de cette importance dispense de bien des
commentaires.
« C'est tin besoin toujours pressant pour moi, mon cher
général, de témoigner ma gratitude à ceux qui ont bien servi la République. Tu
as fait aimer les lois de notre patrie aux habitants que nous avons conquis, tu
as maintenu l'ordre et la discipline parmi les troupes par une sévérité guidée
par la justice, éclairée par la prudence; enfin, mon cher camarade, pendant
tout le temps que tu as commandé une division, tu t'es conduit d'une manière
qui fait également l'éloge de ton courage, de ta prudence et de tes talents, et
c'est pour t'en remercier que j'exprime ici les sentiments de ma
reconnaissance, de toute ma gratitude, ceux de l'amitié et de l'estime que tu
m'as inspirées. Amitié et fraternité.
Moncey
(1)
(1) Lettre du 4 prairial an III (26 avril 1795), dans
les papiers du Général et au dossier de son procès, page 2.
L'armée des Pyrénées-Occidentales traversait en ce moment
une rude épreuve. Vers les premiers mois de 1795 une effroyable épidémie
s'abattit sur elle et, s'il faut en croire les historiens, lui enleva en moins
de soixante jours 35000 hommes. La disette succéda aux horreurs du fléau : à
l'ouverture de la deuxième campagne il fut impossible de rien lancer
d'efficace. Il fallut attendre des renforts et le milieu de l'été; à cette
époque, des opérations décisives amenèrent enfin la séparation des deux corps
de l'armée espagnole, leur défaite successive et la prise de Bilbao et de
Vittoria. Merle, présent partout, avait engagé, de concert avec Harispe,
l'action principale à Irurzun.
Désormais, la Biscaye et l'Alava étaient à nous, la Navarre
ouverte et Pampelune sérieusement menacée, quand la nouvelle de la paix arriva
à l'armée, le 9 août 1795. Chacune des parties belligérantes rentra dans ses
cantonnements respectifs. (1)
(1) Pour ce qui concerne ces premières campagnes, voir
Jomini : Histoire des guerres de la Révolution française, tome V, passim.
Cette paix glorieuse était, à tous égards, une bonne fortune
pour la République. Le Directoire, qui venait de succéder à la Convention
(Constitution de l'an III), jaloux de mettre un terme aux troubles de
l'intérieur, se hâta de faire refluer, des frontières d'Espagne en Vendée,
20000 hommes disponibles, dont la présence dans les départements insurgés
devait amener les plus heureux résultats.
Merle, parti des Pyrénées au commencement d'octobre, arriva à
Niort à la tête de sa brigade vers le milieu de novembre. La perspective d'une
guerre, dont les horreurs étaient généralement connues, le remplissait de pitié
et de tristesse ; il se promit bien de mettre toute sa fermeté à contenir la
violence et la fureur du soldat et à tempérer, par son humanité, les excès de
nos dissensions intestines.
Ses premières expéditions, dirigées principalement dans les
Deux-Sèvres et la Vendée, eurent un plein succès ; grâce â son activité
habituelle et à un heureux mélange d'indulgence et de sévérité, il contribua
puissamment à la soumission des habitants. On lui confia le commandement de la
division du Sud qu'il exerça jusques vers le milieu du mois de février suivant
(1796).
C'est sur ces entrefaites qu'un incident remarquable et dont
les suites faillirent devenir extrêmement fâcheuses, vint l'arracher
momentanément à ses travaux.
Un jour, vers la fin de février, Merle reçut avis que le
château de Saint-Mesmin (Vendée), contenait un rassemblement considérable de
rebelles. Se mettre en mouvement, cerner à l'improviste le château désigné
furent l'œuvre d'un moment; 80 vendéens, d'autres disent 200, tous armés,
tombèrent entre ses mains. L'ordre était précis à leur égard ; Merle, aussi
clément que brave, passa outre, au risque de compromettre par sa magnanimité sa
fortune militaire et sa vie : les malheureux prisonniers, plus égarés que
coupables, furent sauvés de la mort. Une telle désobéissance eut un grand
retentissement dans une armée, malheureusement habituée à ne voir chez les
Vendéens que des séditieux voués au dernier supplice. Le général en chef Hoche,
débordé par les clameurs de quelques lieutenants soi-disant patriotes, en butte
lui-même à la calomnie et mal assuré de la confiance du Directoire, fit taire
un moment la considération qu'il avait pour la sagesse et l'honnêteté du
glorieux délinquant ; il l'envoya aux arrêts de rigueur à Fontenay-le-Comte. La
punition ne fut pas entièrement subie, et le 18 mars, Merle, sur l'invitation
directe du commandant en chef, quittant les lieux témoins de sa noble conduite,
alla, sur la rive droite de la Loire, délivrer le département de la Mayenne des
Chouans qui l'infestaient.
Ses mesures prudentes et habiles eurent bientôt déconcerté
les factieux dont l'audace ne connaissait plus de bornes : en peu de temps, les
deux rives de la Mayenne furent entièrement libres, et Merle eut la consolation
de s'entendre appeler le pacificateur de ces contrées qui lui devaient en effet
le retour à l'ordre et à la tranquillité (1).
(1) Voir aux pièces justificatives le titre A.
Quand, dans les premiers jours de juin, Gratien fut amené à
lui succéder, il n'eut qu'à poursuivre par les mêmes moyens un ouvrage déjà
très-avancé. Au bout de trente jours la paix était complète dans ce
département, l'un des derniers à rentrer dans le devoir (juillet 1796).
Le Directoire crut pouvoir réduire sans inconvénient
l'effectif de ses forces dans la Vendée désormais soumise et en tirer des
secours pour la guerre extérieure. Merle, reçut ordre de conduire une colonne
de 10000 hommes à cette armée d'Italie, dont la renommée publiait les
surprenants triomphes. Il quitta son commandement, au milieu des regrets et des
félicitations de ses amis sur une destination qu'ils ambitionnaient tous. Mais,
lui, partit, l'âme assiégée de noirs pressentiments et, quand à son arrivée à
Chambéry ; il se vit retenu par Kellermann à l'armée des Alpes, sa disgrâce ne
lui sembla plus douteuse. Des amis sincères placés à l'oreille du pouvoir eurent
beaucoup de peine à le détromper et à dissiper en lui des craintes qui dataient
de l'événement de Saint-Mesmin et qui étaient loin de disparaître à cette
heure.
Cependant, Kellermann, heureux d'avoir sous la main un
officier dont il entendait vanter les services et les talents, lui confia la tâche
d'organiser les troupes nouvellement arrivées au quartier général et qui
devaient, après leur instruction, être successivement envoyées au-delà des
monts avec Bonaparte.
Merle, toujours soumis, déploya dans ce genre d'occupations
son activité accoutumée et mérita par son dévouement et son zèle la pleine
estime de son nouveau Chef. Sur la fin de septembre, les dernières colonnes de
secours s'acheminaient par la vallée de Suze vers le Mincio ; il reçut alors le
commandement de Barcelonnette désolée par les Barbets et la mission de punir
ces malfaiteurs (1).
(1) Il paraitrait, d'après quelques documents, que
Merle, avant de se rendre dans les Basses Alpes, aurait exercé des fonctions
administratives importantes à Marseille : mais son séjour dans cette ville a
été de trop courte durée pour que nous ayons cru devoir le mentionner ici.
Les Barbets étaient, à l'origine de nos longues guerres, des
réunions de pillards et d'assassins qui, de temps immémorial, infestaient les
défilés des Alpes. Les malheurs de cette époque orageuse en avaient
singulièrement accru le nombre : aujourd'hui, ils comptaient dans leurs rangs
des miliciens congédiés et sans ressources, des déserteurs de toute nation,
jusqu'à des paysans laborieux et paisibles que la misère et le désespoir
poussaient aux derniers crimes. Les Barbets occupaient tous les passages,
toutes les gorges de ces montagnes, interceptant les convois, arrêtant les
estafettes, égorgeant les traînards et les sentinelles perdues. Nos armées
avaient dû disposer contr'eux de forces considérables, car, à une certaine
époque, soutenus par l'or de nos ennemis, ils étaient devenus la terreur de ces
contrées. Des détachements entiers, peu nombreux à la vérité, avaient été
obligés de faire le coup de feu avec eux quand la nuit ou la difficulté des
sentiers favorisaient leurs entreprises.
La paix récemment conclue avec le Piémont (mai 1796),
permettait d'obtenir leur répression. Kellermann prit, en vue de ce résultat,
les mesures les plus efficaces que le gouvernement Sarde promit de seconder de
tous ses moyens. Des officiers qui avaient fait leurs preuves contre les
Chouans furent mis à la tète des colonnes chargées de balayer le Col de Tende
et les vallées voisines. Merle eut a exercer plus particulièrement sa vigilance
dans les communes et villages qui ressortent de Barcelonnette. Le prince
Victor-Emmanuel de son côté fit fouiller, sur la demande du Général, les
repaires de Démont, Coni, Pignerol, Fénestrelle (1), etc., etc. Partout les
bandits furent traqués sans relâche, on en arrêta un bon nombre, plusieurs se
soumirent volontairement, quelques-uns plus entêtés continuèrent la lutte et
finalement furent passés par les armes. Il se fit des restitutions
considérables de troupeaux, d'armes, de munitions, etc. En moins de quarante
jours il ne restait plus un seul de ces pillards, tous les chemins étaient
libres.
(1) Voir aux pièces justificatives le titre B.
Après de tels services Merle croyait avoir enfin atteint le
but de sa généreuse ambition, c'est-à-dire une place parmi les officiers de
l'armée active d'Italie. Quel ne dût pas être son désappointement le jour où il
reçut à Barcelonnette, l'ordre daté de Paris du 12 novembre 1796 (23 brumaire
an V), de se rendre immédiatement dans la 8ème division militaire, où
l'attendaient des fonctions d'une grande importance ?
Il hésita quelques jours à accepter le poste qu'on lui
offrait ; c'est qu'un commandement dans la Provence n'avait rien de bien
attrayant à cette époque, même pour un caractère moins élevé que celui du
Général, et le rôle qu'il venait de jouer dans nos discordes civiles lui avait
suffisamment appris que les services rendus en de pareilles circonstances, sont
toujours ingrats et ne laissent d'autre satisfaction que celle d'un devoir
loyablement rempli.
Il se décida pourtant : ses lettres de service furent
enregistrées à Marseille le 27 décembre et, deux jours après, il prit en main
le gouvernement de la -subdivision d'Aix, qui renfermait les villes de
Tarascon, Arles, Lambesc, etc., et leurs dépendances.
Il n'entre pas dans mon plan de raconter en détail
l'administration du jeune Général pendant son séjour dans les Bouches-du-Rhône.
Chacun, au souvenir de nos dernières révolutions peut se faire une idée de
l'extrême réserve, de l'honnêteté de vues et de la fermeté nécessaires à tout
magistrat, au milieu des partis qui, par leurs dissensions, plongent une
contrée dans la plus affreuse anarchie. Or, il s'agit ici d'un pas où fermentaient
déchaînées toutes les passions d'un peuple à l'âme mobile et ardente, surexcité
encore par les crises incessamment renouvelées de ces temps malheureux. « Pour calmer l'esprit de vengeance qui
animait les citoyens les uns contre les autres, le Général lui-même Ce sujet,
il aurait fallu toute la puissance de la Divinité (1). » Néanmoins, sans se
laisser ébranler, il se mit hardiment à l'œuvre, l'œil ouvert sur les menées
qui s'ourdissaient dans l'ombre autour de lui, intimidant les sociétés
secrètes, contenant les terroristes et déjouant leurs complots. Fidèle à ses
principes, il fit avant tout respecter les personnes et les propriétés et ne
cessa de concilier les devoirs de sa charge avec les droits de l'humanité. Le
nom du général Merle est resté en vénération dans cette partie de la Provence.
(1) Rapport du Général, à S. A. R. le duc d'Angoulême,
sur la campagne de 1815, dans le Midi de la France, page 27 et passim.
Non content de maintenir, autant qu'il était en lui, l'ordre
et la tranquillité dans les villes de son commandement, Merle, étendant sa
vigilance sur les départements voisins, ne cessa d'attirer l'attention et les
ressources du Gouvernement vers le comtat Venaissin, dévoré en quelque sorte
par une fièvre révolutionnaire et devenu un moment le rendez-vous de tous les
factieux. Il contribua également, par ses avis, sages est désintéressés, à la
conservation de la paix à Nîmes et dans le département du Gard.
Huit mois s'écoulèrent ainsi dans des occupations de tous
les instants, mais, après le 18 fructidor, Merle, dont la modération et la tolérance,
envers les citoyens suspects au nouveau régime, avaient été remarquées,
encourut le ressentiment des patriotes fougueux : il fut brusquement destitué
le 19 septembre 1797.
Un coup si imprévu et si immérité, il faut le dire, frappait
cruellement le Général : il courba silencieusement la tête devant ce nouvel
orage et se retira dans les environs de Lambesc. Là, par les conseils de
quelques amis, ou, plutôt, cédant à la dureté des circonstances qui le
laissaient sans ressources, il épousa une jeune veuve dont les vertus et la
position de fortune lui promettaient, pour l'avenir, des jours meilleurs.
Mais tant d'émotions avaient ébranlé sa forte santé : durant
un court voyage qu'il fit à Nîmes, peu de jours après son mariage, il tomba
dangereusement malade et fut conduit en un instant aux portes du tombeau.
Sa constitution triompha avec peine. Vers les premiers jours
du printemps suivant, au sortir d'une longue convalescence, Merle, sur
l'invitation de l'ex-député Courtois, écrivit au Ministre de la guerre pour
connaître enfin les vrais motifs de sa destitution. Ses diverses lettres
restèrent sans réponse. Pressentant avec raison quelques machinations
ténébreuses, et jaloux pour sa renommée, en vue d'un avenir qui ne lui
paraissait pas entièrement fermé, il se rendit promptement à Paris afin de
dissiper lui-même tous les nuages et de confondre ses ennemis. Il y fut arrêté
et jeté au Temple (4 août 1798).
Sept mois durant on le tint dans une ignorance à peu près
complète des motifs de son incarcération. En vain ses réclamations arrivèrent
aux oreilles du Ministre de la police et des membres du Directoire, elles ne
furent pas écoutées.
Enfin, il apprit qu'un conseil de guerre, convoqué à
Marseille, se disposait à instruire son procès et il reçut avis de son départ,
pour cette ville, fixé au 25 février 1799.
Nous devons dire ici que, pendant cette longue détention,
les témoignages de bienveillance et d'intérêt ne manquèrent pas au prisonnier.
Ses amis et, parmi eux, le plus illustre Moncey, l'honnête Moncey, tombé
lui-même en disgrâce, sous un gouvernement faible et corrompu, lui prodiguèrent
toutes sortes de consolations et d'encouragements. L'ancien général en chef de
l'armée des Pyrénées-Occidentales mit généreusement sa bourse à la disposition
de son malheureux compagnon d'armes, et eut la satisfaction de voir ses offres
acceptées (1).
(1) De tels détails seraient indignes de l'histoire,
s'ils ne disaient clairement le désintéressement de ces hommes qui avaient
commandé des armées ou administré des provinces. Voir aux pièces justificatives
le titre C.
Au reste, il fallait que le portrait de l'ex-général Merle
eut été revêtu de bien sombres couleurs, par la haine de ses ennemis, car il
eut à subir, durant le voyage, les plus durs traitements. Arrivé à Marseille,
on le conduisit, à pied, jusqu'au fort Saint-Jean, à travers toute la ville,
les mains enchaînées comme un malfaiteur.
Le 12 mai (22 floréal an 7), Merle comparut devant le
conseil de guerre « sous la prévention,
dit le rapporteur, de complicité dans les attentats qui se sont commis dans les
Bouches-du-Rhône, sous son commandement (1). »
(1) Voir le dossier du procès, p. 201.
On faisait allusion à quelques troubles, si communs alors,
survenus à Lambesc, un jour de fête, la veille précisément du 18 fructidor et
principalement à une rixe sanglante, survenue dans un café, entre quelques
jeunes gens d'Aix et des militaires de passage en cette ville, cinq jours après
la destitution du Général.
L'accusation fut portée avec cette véhémence et cette fureur
que peut seule tolérer la tourmente révolutionnaire. Elle ne manqua pas de
rappeler, pour les besoins de sa cause, les événements de Saint-Mesmin et de
s'élever avec force contre la induite, coupable à ses yeux, du prévenu.
L'auditoire, où se trouvaient les plus fanatiques démocrates, était agité et
menaçant ; au dehors se pressait la multitude, toujours avide de tragiques
spectacles, s'attendant ici à une condamnation capitale et l'appelant
hautement.
Devant de semblables dispositions, le cœur faillit à l'avocat
du Général : Merle fut obligé de se défendre lui-même. Quatorze heures il resta
sur le banc des accusés, répondant à toutes les récriminations, détruisant les
objections, confondant la calomnie et le mensonge. S'il faut en croire des
témoignages, parvenus jusqu'à nous, de ces temps déjà bien éloignés, Merle fut
grand de calme, de sang froid, d'éloquence. Sa fermeté, l'assurance de son
maintien et de son langage, sa jeunesse enfin, triomphèrent des répugnances
d'un tribunal dont la composition lui inspirait les plus grandes craintes. Il
fut acquitté : ses amis qui, au sortir de l'audience, avaient dû le soustraire
aux fureurs d'une populace aveuglée, le ramenèrent à sa maison de Lambesc, où
il vécut désormais dans une tranquille obscurité.
Le 18 brumaire vint l'arracher à ces loisirs. Merle rappelé
à l'activité, par un gouvernement réparateur, reçut, avec son épée, l'ordre de
conduire dans les provinces troublées de l'Ouest, un corps de volontaires,
attaché à la garnison de la capitale. C'étaient ses anciens services, dans ce
pays, qui le désignaient aujourd'hui à la confiance des Consuls : elle ne fut
pas trompée. Investi du commandement des troupes stationnées dans
l'Eure-et-Loir, il ne tarda pas à pacifier ce département : il défit ensuite,
sous les murs de Mortagne, la légion royale du Perche, la mena battant jusqu'à
Meslé-sur-Sarthe et la dispersa entièrement. Entre tous les chefs royalistes,
M. de Frotté, dans la Basse-Normandie, s'opiniâtrait, à cette époque, dans une
lutte désespérée. Mais en vain il mit un instant en émoi les départements de
l'Eure, de l'Orne et du Calvados, il fut traqué avec une telle vivacité par
Chambarlhac et Merle qu'il ne lui resta bientôt plus d'autre ressource qu'une
prompte soumission. Merle cependant poursuivait ses avantages et, après avoir
châtié un dernier rassemblement de Chouans, près de Gacé, se mettait en devoir
de nettoyer l'Orne des bandes ennemies, quand la prise de M. de Frotté et le
décourageaient de ses partisans amenèrent une pacification générale (fin
janvier 1800) (1).
(1) Pour ce qui a trait au rôle du Général dans les
diverses guerres de la Vendée, indépendamment de ses papiers, nous avons
consulté : Crétineau-Joly, Vendée militaire; - Guerre des Chouans et des
Vendéens contre la République, par un officier supérieur, etc. etc., tome VI. -
Rapports et Bulletins de l'époque, etc. Voir aux pièces justificatives le titre
D.
Cette tâche remplie, Merle, avec 30 000 des meilleurs
soldats de l'Ouest, s'achemina vers les Alpes où Bonaparte leur avait donné
rendez-vous.
Libre enfin du côté de l'intérieur, le Premier Consul allait
frapper ses ennemis du dehors et leur imposer la paix à leur tour.
C'est ainsi que Merle assista « à cette immortelle entreprise qui devait prendre place dans
l'histoire à côté de la grande expédition d'Annibal (1). » Il eut part aux
triomphes de Marengo et plus tard, lors du passage du Mincio, sous les ordres
du général Brune, se signala encore, avec l'héroïque division Boudet, dont il
faisait partie, à l'attaque du pont de Borghetto.
(1) Thiers, Histoire du Consulat et l'Empire, tome
1er.
Le Premier Consul rémunéra libéralement ses services, lui
donna un sabre d'honneur et le nomma successivement gouverneur des places
d'Alexandrie et de Turin.
Merle occupa longtemps ces divers postes qui lui
fournissaient l'occasion de manifester aux yeux du nouveau maitre, ses talents
d'administrateur. A la paix d'Amiens, il rentra en France, se rendit au camp de
Boulogne où il fut remarqué, pour l'excellente tenue de ses troupes et mérita
d'être compris dans la première promotion des officiers de la Légion d'honneur
(14 juin 1804).
Au renouvellement des hostilités, Merle passa, avec la
division Legrand, à l'armée d'Allemagne (1805). Il fit partie du 4ème corps,
confié au maréchal Soult, franchit, avec lui, le Rhin à Spire, le Danube à
Donawerth et arriva le 8 octobre à Augsbourg : chemin faisant, il avait pris
part à divers engagements, aidé à la poursuite des Autrichiens, battus à
Wertingen par Murat ; le 10, il assista à la prise de Memmingen où furent faits
5,000 prisonniers et concourut, de la sorte, à la capitulation d'Ulm, signée le
28 octobre.
La journée d'Austerlitz le couvrit de gloire : placé à
l'extrême droite du champ de bataille, vers les villages de Kobelnitz et de
Telnitz, à quelques pas des marais de ce nom, il tint tête aux Russes, dès le
commencement de l'action et, comme Davoust et Friant, ses voisins, leur opposa
une résistance invincible. Sa brigade fut réduite à une poignée d'hommes, mais
n'en resta pas moins maitresse de ses positions. Le Général lui-même reçut de
fortes contusions et eut trois chevaux tués sous lui.
A une heure, l'Empereur qui, des hauteurs de Pratzen
récemment enlevées, promenait sa lunette sur le champ de bataille, fut témoin
de tant d'héroïsme. Après la victoire, il manda le Général, le complimenta
devant tout son état-major et, peu de jours après, récompensa sa valeur par le
grade de général de division.
Merle, après le départ de l'année, séjourna encore longtemps
à Braunau, sur l'Inn, où le maréchal Soult avait reçu ordre de laisser une
forte garnison. Il exerça même, dit-on, les fonctions de gouverneur dans cette
place importante ; quoiqu'il en soit, sa conduite désintéressée et la
discipline sévère de ses soldats lui valurent, de la part des souverains
d'Autriche et de Bavière, des marques d'estime, infiniment honorables,
auxquelles le Général attachait avec raison le plus grand prix (1).
(1) Nous devons mentionner surtout une panoplie d'un
travail inestimable.
-oOo-
II
Arrivés à cette partie de notre travail, nous touchons à la
période la plus brillante de la carrière du général Merle, les jours d'orage
qui ont si longtemps pesé sur la France et dont il a eu personnellement tant à
souffrir, semblent disparus sans retour; un gouvernement sage et plein de force
tient en main nos destinées ; les hommes qu'il a investis de sa confiance,
débarrassés de ces mille tracasseries, suscitées par l'imprévoyance et la
faiblesse, n'ont qu'à marcher librement dans la voie qui leur est tracée.
Nous allons voir le Général, recueillant les fruits de cette
heureuse révolution, paraître avec éclat sur un nouveau et plus vaste théâtre,
très-digne assurément de son caractère et de ses grands talents. Nous aurons à
le suivre pas à pas dans les rudes et glorieuses épreuves qu'il va traverser, à
divers titres, tantôt indépendant et maitre absolu de ses mouvements
stratégiques les plus étendus, tantôt à la tête de sa division, renfermé dans
les cadres des armées actives, auxqu'elles il prêta un concours aussi puissant
qu'empressé; ici chef réel d'état-major ou en exerçant les fonctions
intérimaires, là général en chef à son tour, dans les circonstances les plus
critiques qu'un sage capitaine ait eues à traverser. Et partout, en Espagne
comme en Russie, sur le Tage comme sur la Meuse, nous n'aurons que des éloges à
enregistrer, pour une conduite si pleine à la fois de sagesse, d'intelligence
et de vigueur.
Mais n'anticipons pas sur les pages qu'on va lire et
reprenons la marche de notre récit.
Pendant que Merle était retenu en Bavière, la grande armée
s'était vue conviée à de nouveaux triomphes, dans les pleines d'Iéna et de
Friedland. En résultat, le traité de Tilsitt (7 juillet 1807), avait mis encore
une fois l'Europe continentale aux pieds de Napoléon.
Cependant, le moderne Conquérant avait eu à se plaindre,
durant ses dernières campagnes, de la conduite du Cabinet Espagnol. Il se hâta
d'accumuler des forces considérables aux portes de la Péninsule. Bientôt après
survinrent de pénibles conflits et le monde s'éveilla un matin, à la nouvelle que
les troupes françaises , en vue de l'occupation récente du Portugal et des
menaces perpétuelles des Anglais, avaient envahi le cœur de l'Espagne.
Ces troupes étaient toutes composées de jeunes soldats pris
dans les bataillons de dépôt et les légions dites de réserve, sans expérience,
peu ou point rompus aux fatigues qui les attendaient dans une contrée
dévorante, sous un ciel presque africain. Heureusement les cadres étaient bons
et la capacité des chefs telle, quelle allait suppléer à l'insuffisance des
moyens employés. Presque tous les hommes de guerre qui avaient combattu en
Espagne, dans les premières années de la Révolution, furent appelés à cette
armée. Merle, revenu d'Allemagne, eut le commandement d'un corps de 6 à 7 000
hommes, dit des Pyrénées-Occidentales, avec mission d'occuper Pampelune et la
Navarre, où nous l'avons vu inaugurer sa carrière.
En même temps, d'autres corps d'armée poussaient jusqu'aux
portes de Madrid.
Les choses en étaient là, le patriotisme ombrageux des
Espagnols s'alarmait et voyait les uniformes français avec défiance et
inquiétude lorsque la nouvelle des événements de Bayonne fit éclater, dans la
Péninsule, un soulèvement général.
La journée du 2 mai 1808, à Madrid, devint le signal d'une
insurrection qui, en quelques jours, atteignit les provinces les plus reculées
et nous mit sur les bras une population transportée de ressentiment et de rage.
Alors commença cette guerre longue, terrible, implacable ;
guerre sans pitié ni trêve, semée d'assassinats, d'embûches, d'extermination.
Ici, peu ou point de grandes et décisives opérations militaires, mais des
engagements isolés, partiels, toujours renaissants. Les chefs, le plus souvent
livrés à eux-mêmes, combattent sous la responsabilité de leurs propres actes ;
les soldats, à leur tour, sont appelés au rôle d'officiers : excellente école,
d'ailleurs, pour notre héroïque jeunesse, si elle n'en avait été
malheureusement le tombeau.
Napoléon, sans se laisser déconcerter par des événements
prévus peut être, mais sur la gravité desquels il était loin d'avoir tout
appris, donna les ordres les plus prompts pour réprimer avec énergie les;
premiers soulèvements. Il enjoignit à Merle qui, après l'invasion de la Biscaye
et de la Navarre, gardait la ligne d'opération de l'armée, de se porter sans
retard sur Santander, afin de ramener cette ville révoltée, de pacifier la
Montana et de contenir les Asturies où s'agitait une race d'hommes de tout
temps indomptable.
Merle quitta, le 2 juin, Burgos où était son quartier
général, mais à peine avait-il fait quelques pas du côté de Reynosa, qu'il se
vit ramené précipitamment en arrière par le soulèvement de Valladolid, la
première cité du nord de l'Espagne, pour son importance et sa situation.
De concert avec le général Lasalle, accouru de son côté, il se
mit en devoir d'éteindre ce nouveau foyer d'incendie. Les révoltés vinrent à
leur rencontre et prirent position à Cabezon, derrière la Puyserga, sur la
route de Burgos à Valladolid, à deux lieues en avant de cette dernière ville.
Ils avaient à leur tête le dernier capitaine général de la Vieille-Castille,
don Grégorio de La Cuesta, et ne comptaient pas moins de 6 000 bourgeois ou
paysans, soutenus par un millier de soldats réguliers, trois cents cavaliers du
régiment de la Reine et quatre pièces d'artillerie. C'était la première fois
que l'insurrection espagnole osait se mesurer avec les Français en rase
campagne : elle n'eut pas à se féliciter de ce début.
Le 12 juin au matin, Lasalle, qui commandait alors une
division mi-partie de troupes d'infanterie et de cavalerie, fit charger par ses
fantassins l'ennemi sur son front, pendant que Merle, pour affaiblir sa
résistance, essayait de tourner la position. Mais, aux premiers coups de feu,
les jeunes soldats de ce dernier, emportés par leur ardeur, sans attendre le
résultat de cette manœuvre, joignirent ceux de Lasalle et, tous ensemble,
culbutèrent les Espagnols et leur enlevèrent leur artillerie. La cavalerie
lancée après les fuyards en sabra un nombre considérable.
Ce coup de vigueur mit Valladolid épouvantée à la merci des
vainqueurs. L'intervention de son évêque, toute puissante aux yeux de Merle, la
sauva. Seulement, les habitants furent désarmés, livrèrent cinquante otages et
envoyèrent à Bayonne, auprès de Joseph, une députation chargée d'implorer sa clémence.
La ville demeura sous l'autorité de Lasalle, qui avait désormais à surveiller
les mouvements du général espagnol.
Merle retourna en toute hâte à sa première destination : il
parut le 20 à Reynosa où, depuis son départ, les insurgés avaient établi leurs
avant-postes. L'évêque de Santander, sous le titre de régent souverain de
Cantabrie, dirigeait en personne le mouvement de ces contrées. Il venait de
recevoir un renfort considérable des Asturies, sous la conduite de don Juan
Manuel Vélarde et, dans son ardeur patriotique et religieuse, méditait quelque
entreprise décisive, quand l'arrivée du Général français vint couper court à
ses projets.
Celui-ci avait, cette fois, avec lui 10 bataillons
d'infanteries, 1 000 chevaux et 8 pièces de campagne. Il s'engagea résolument
dans les gorges où passe la route de Reynosa à Santander, chassant de toutes
parts les ennemis surpris de cette soudaine irruption. Un premier corps de 800
hommes, posté à Lantuéno, avec deux pièces d'artillerie sous le commandement de
Vélarde, avait promis de faire résistance, mais il fut abordé avec tant de
vivacité en flanc et en tête, qu'en un instant il perdit ses canons et fut mis
en pleine déroute. Le deuxième corps, placé non loin de là, à un coude du
chemin, ne fut pas plus heureux, malgré la présence de l'évêque. Merle, après
l'avoir rudement maltraité, continua sa marche sur trois colonnes, balayant
tout devant lui. Le 22, il tourna et lit tomber, par ses habiles manœuvres, une
position inexpugnable où s'étaient rassemblés les débris des Asturiens nombre
de prisonniers, tous les canons, une grande quantité de fusils et de munitions
restèrent en son pouvoir. Après ce dernier succès, la petite armée réunit ses
détachements et entra à Santander : l'évêque épouvanté s'était sauvé avec la
Junte, dans les montagnes, laissant la ville aux mains de quelques soldats
Anglais qui tinrent un moment à peine et se hâtèrent de remonter sur leurs
vaisseaux.
Le même jour, une autre colonne française, sous les ordres
du général Ducos, de la division Merle, pénétrait à Santander, par la route de
Miranda, après avoir dispersé, de son côté, les rassemblements. Merle confia à
cet officier la garde de la ville, lui laissa quelques bataillons à cet effet
et reprit, sans s'arrêter, le chemin de la Vieille-Castille où l'attendaient de
nouveaux travaux (1).
(1) Dans le récit des événements de cette seconde
guerre d'Espagne, nous avons surtout pris pour guide le général Foy, témoin
occulaire, très-véridique d'ailleurs : Guerres de la Péninsule, 1829, tome III
; voir encore l' Histoire d'Espagne, de MM. Paquiz et Dochez , t. II ; M.
Thiers, Histoire du Consulat et de I 'Empire, etc., etc.
Il est à remarquer que l'éminent Historien du Consulat
et de l'Empire, ne mentionne pas le général Merle, dans son compte-rendu des
campagnes d'Italie, en 1800, extrêmement remarquable au reste ; ni dans son
récit de la bataille d'Austerlitz où Merle se distingua pourtant, à côté des
chasseurs du Pô et de la brigade Levasseur, d'une manière exceptionnelle.
Il le nomme pour la première fois seulement, à
l'affaire du pont de Cabezon, attribuant le principal honneur de la journée à
la cavalerie de Lasalle qui cependant n'engagea d'abord que son infanterie.
L'Empereur n'avait pas encore appris à ses lieutenants à faire enlever, par ses
dragons et ses chasseurs - ( tome IX, 281, 455 et passim) - les retranchements
élevés par les armées espagnoles. Enfin, dans les nombreux détails qu'il donne
sur le soulèvement de la Péninsule, après la journée du 2 mai, il se tait
complètement sur l'importante expédition de Merle dans la Montana. Ce silence,
vis-à-vis de notre héros, ne laisse pas que de paraitre surprenant.
Cependant rien ne faisait encore prévoir l'indomptable
résistance que nous devions trouver en Espagne : partout l'insurrection s'évanouissait,
du moins en apparence, devant nos soldats. C'était, ce semble, le moment de
frapper un grand-coup aux yeux des Espagnols.
Joseph entra en Espagne avec une armée de 16 à 20 000
hommes, réorganisée en quelques jours par les soins du maréchal Bessières, son
nouveau chef, et composée de deux fortes divisions d'infanterie, l'une de vieux
soldats, avec le général Mouton (comte Lobau), l'autre de jeunes gens de
nouvelle levée, aux ordres de Merle. Lasalle commandait la cavalerie.
Dès ses premiers pas le nouveau roi put se convaincre de
toute la haine que lui portait le patriotisme espagnol. En avant de Burgos il
apprit que l'armée vaincue à Cabezon, un mois auparavant, et retirée depuis à
Bénavanta, renforcée maintenant par quelques bataillons des Asturies et l'armée
entière de la Galice, conduite par Blake, se disposait à lui barrer le chemin
de sa capitale.
Les généraux espagnols pouvaient mettre en ligne de 28 à
30,000 hommes, fantassins et cavaliers et 30 pièces d'artillerie. Ils assirent
leur camp à Médina-del-Rio-Secco, sur un plateau difficile à aborder et
attendirent leurs ennemis avec confiance.
Le 12 juillet au matin, l'armée française au nombre de 10 à
12 000 hommes (1), commandée par le maréchal Bessières, les trouva formés sur
deux lignes inégales, l'une derrière l'autre, séparées entr'elles pour un assez
long intervalle.
(1) Nous venons de dire que cette armée, au départ de
Joseph, comptait de 16 à 20 000 hommes, mais, depuis ce premier jour, les
marches, les détachements laissés sur la route parcourue, l'avaient
considérablement réduite. Joseph, seul, avait à Burgos une escorte nombreuse
qui ne renfermait pas moins de la moitié de la division Mouton, sans parler de
la cavalerie.
Elle s'avança sur le champ, décidée à battre isolément les
deux corps avant leur réunion. Merle, avec sa division toute entière, placé à
l'aile gauche, devait engager l'action; Mouton, qui n'avait plus que la moitié
de la sienne, à droite, était chargé de le soutenir. Lasalle et ses cavaliers
se tenaient prêts à les appuyer suivant le besoin.
Au signal donné, nos fantassins s'ébranlent : Merle fait
avancer au pas de charge trois bataillons, commandés par le général Sabathier,
pour assaillir l'ennemi de front, pendant, qu'avec le reste de sa division, il
se propose de lui tomber dans le flanc et, à cet effet, se dirigé en toute
hâte, à gauche, vers l'endroit le plus escarpé du plateau. En un instant,
malgré les feux d'une artillerie formidable, la première ligne espagnole,
vivement attaquée de face, est rompue à coups de baïonnettes. La position est à
nous, lorsque la deuxième ligne, composée en partie de troupes régulières et
dirigée par La Cuesta, se porte rapidement en avant, rallie les fuyards et
parvient à ramener d'abord quelques tirailleurs de la division Mouton. Au
milieu du désordre de la lutte, deux pièces d'artillerie, que nos fantassins
conduisaient avec eux, tombent aux mains des Espagnols. Ceux-ci gagnent du
terrain et malgré les brillantes charges de la cavalerie de la garde, sont sur
le point de reprendre le-plateau. Mais, en ce moment, paraît le général Merle,
son mouvement est terminé, il se trouve dans le flanc droit de la colonne
assaillante : opérant un changement de front, il se précipita sur elle, à
l'arme blanche, pendant que Mouton l'aborde résolument de son côté et qu'un
escadron de chasseurs, lancé à propos, achève de l'ébranler. Après une courte
mais terrible mêlée, la seconde ligne a le sort de la première et se voit jetée
dans une effroyable déroute.
La cavalerie de Lasalle, lancée sur les fuyards, en fit un
carnage horrible; Médina, malgré sa résistance, tomba aux mains de notre
infanterie.
Cette éclatante victoire, qui nous coûta quelques centaines
de morts et de blessés, avait fait perdre près de 10 000 hommes tués ou
prisonniers aux ennemis, dix-huit bouches à feu, des drapeaux et une multitude
de fusils. Elle ouvrait au nouveau roi la route de sa capitale, lui soumettait
le nord de l'Espagne et devait porter le découragement dans l'âme de
l'insurrection. C'était le fruit d'une attaque aussi bien conduite que bien
conçue et dont l'honneur, ainsi qu'on vient de le voir, après le maréchal
Bessières, appartient principalement au général Merle (1). « Jamais, disait-il, plus tard, en racontant
les détails de cette journée, on ne vit chez des assaillants pareille furie ;
mes jeunes soldats au reg étaient tous des lions; ils firent des prodiges. »
(1) C'est la manière de voir du général Foy, qui se
trouvait sur les lieux, des auteurs de l'Histoire d'Espagne (tome II, page 554-556),
enfin de Napoléon lui-même.
M. Thiers, sans être aussi explicite, fait encore dans
son récit, une large part à l'intervention du général Merle.
Napoléon, plein de joie, combla de faveurs l'armée
victorieuse : Merle eut une large part à ses munificences habituelles et fut fait,
en outre, Grand-Officier de la Légion-d'Honneur.
Les soldats vaincus de Blake et de La Cuesta, poursuivis
l'épée dans les reins, ne s'arrêtèrent qu'aux frontières de la Galice. Le
maréchal Bessières se disposait même à envahir cette province, quand le
désastre de Baylen (22 juillet), le rappela sur ses pas, jusqu'à Burgos. Il
était encore désigné pour protéger la marche du roi Joseph qui, cette fois, la
douleur dans l'âme, fuyait sa capitale et se retirait sur l'Ebre, à Miranda.
(Août 1808.)
Napoléon était à Bordeaux lorsqu'il apprit les dernières et
tristes nouvelles qui lui arrivaient d'Espagne : réparer sur le champ les
fautes commises, relever le courage abattu de son frère, le ramener lui-même à
Madrid, fut désormais le but de son infatigable activité. La grande armée
d'Allemagne lui fournissait 150 000 hommes et des chefs éprouvés, il les
achemina sur Bayonne et, au commencement de novembre 1808, vint se mettre à
leur tête.
Les soldats qui avaient triomphé à Médina-del-Rio-Séco,
réorganisés et accrus de quelques escadrons de cavalerie et de plusieurs
batteries de campagne, passèrent aux ordres du maréchal Soult et, sous le titre
de 2ème corps, formèrent d'abord le centre de la grande armée d'Espagne.
Mais, après l'occupation de Burgos, l'Empereur les envoya
vers Reynosa, afin de tourner l'armée de Blake, en ce moment aux prises avec
nos généraux, dans la Biscaye. Ils devaient ensuite envahir les Asturies,
occuper des pays qu'ils connaissaient déjà, pour la plupart, et où ils avaient
l'habitude d'agir et enfin surveiller les Anglais dont la présence, sur le sol
espagnol, était encore mal précisée à cette date.
Ce plan tracé d'avance, par Napoléon lui-même, fut exécuté
avec rapidité et précision. De Burgos à Reynosa on donna la chasse à quelques
bandes fugitives de l'armée de Blake, récemment battue à Espinosa, on lui
enleva une immense quantité de voitures, de bouches à feu, de munitions, tout
l'attirail en un mot des troupes nombreuses en campagne. Le 14 novembre, le
deuxième corps pénétra dans les Asturies, fouilla tous les ports de cette
province et, après de nombreux et très-vifs engagements, reçut la soumission
générale des habitants. Dans ces diverses rencontres, Merle ne cessa de donner
l'exemple de la plus intelligente bravoure : ce fut principalement d'après ses
ravis et sur ses indications propres, que les opérations s'exécutèrent : c'est
pourquoi il s'attira, à partir de cette époque, l'estime particulière du
maréchal Soult, qui venait de discerner en lui un excellent chef d'état-major.
Restait la deuxième partie du programme vis-à-vis l'armée
anglaise. Celle-ci, venue partie du Portugal, partie de la Corogne, était
commandée par John Moore et s'avançait dans l'intérieur de l'Espagne, avec une
sage circonspection. Napoléon instruit, un peu tard, de sa marche sur
Valladolid, forma le dessein de l'envelopper et de la prendre toute entière. Il
enjoignit, en conséquence, au maréchal Soult de repasser dans le royaume de
Léon, de s'y réunir au corps de Junot, nouvellement arrivé et, si les Anglais
faisaient mine d'avancer, de les attirer adroitement dans l'intérieur des
terres; de les poursuivre, au contraire, à outrance, s'ils prenaient le parti
de se retirer.
Moore fut averti à temps des terribles manœuvres de son
adversaire et, dans la nuit du 24 au 25 novembre, se hâta de décamper. Le
deuxième corps ne connut que le 26, la présence des Anglais à Sahagun; il se
mit incontinent à leur poursuite et atteignit, sur l'Esla, l'arrière-garde,
formée d'Espagnols, qu'il détruisit presque entièrement. Le 1er janvier on
était à Léon.
Le 3, Moore qui n'avait cessé, jusque-là, de fuir à tire
d'aile, semant sa route de traînards, de bagages, de chevaux, résolut de
s'arrêter en avant de Villafranca, au-delà du défilé de Cacabellos, pour donner
à ses troupes harassées, le temps de se remettre et, à l'aide d'une vive
résistance, permettre à ses colonnes en retard, de rejoindre le corps de
bataille. Il plaça, à cet effet, sur les hauteurs de Piétros, position bien
choisie et d'un accès très-difficile, une arrière-garde de 6 000 hommes dont
600 à 700 chevaux et une nombreuse artillerie.
Le général Merle, avec sa belle division, le général
Colbert, à la tête de la cavalerie légère, dépassèrent le défilé et,
franchissant la plaine qui les séparait du village de Piétros, assaillirent
résolument les Anglais. Colbert tomba au commencement de l'action, percé d'une
balle. Sans se laisser déconcerter par cet accident, Merle fit charger l'ennemi
de front, au moyen d'une forte colonne, pendant que nos tirailleurs essayaient
de déborder sa droite. En quelques moments les Anglais furent culbutés,
laissant entre nos mains trois cents hommes tués ou prisonniers. La nuit seule
mit fin à notre poursuite que Merle devait reprendre le lendemain avec ardeur.
Dans cette course haletante, les français avaient eu aussi à
souffrir des difficultés de la route, des rigueurs de la saison, de la disette
qu'ils rencontraient, pour prix de leurs efforts, dans un pays dévasté. C'est
là, sans doute, ce qui explique la tardive concentration de l'armée entière,
opérée les 5, 6 et 7 devant Lugo que les Anglais défendaient, rangés en
bataille, dans une assiette inexpugnable.
Quoiqu'il en soit, le maréchal Soult laissa paraître, dans
cette circonstance, une hésitation qui ne lui était pas naturelle. Il permit à
son ennemi d'abandonner Lugo pour ne le rejoindre qu'à la Corogne.
Malheureusement pour les Anglais, à leur arrivée dans cette
ville, le port était vide, pas un seul des navires qu'ils attendaient, avec une
impatience facile à comprendre, n'était arrivé ; il leur fallut se préparer à
une nouvelle et terrible résistance. Moore s'abrita derrière le cours de Méro,
qui forme une première ligne de défense, en fit sauter tous les ponts et
échelonna ses troupes sur le cercle des hauteurs qui environnent la Corogne.
Les Français arrivèrent le 11 et le 12, Merle avec sa division toujours en
tête. Le 13 et le 14, les ponts détruits furent rétablis avec peine et les
Anglais culbutés une première fois, par Mermet et Merle, des collines de
Villaboa. Enfin, le 16, l'armée entière, ralliée et reposée, se mit en devoir
de les déloger de leurs positions.
La bataille s'engagea vers deux heures de l'après-midi et
dura jusqu'à la nuit, avec des chances très-partagées : à mi-chemin des deux
armées, le village d'Elvina, situé sur notre gauche et occupé par les Anglais,
fut attaqué avec énergie, pris, repris plusieurs fois et finalement enlevé par
le général Merle. Nos soldats ne s'arrêtèrent que sur le terrain de l'ennemi,
mais celui-ci conserva ses principales positions. Merle déploya dans cette
journée une vigueur au moins égale à la ténacité britannique et, sans nul
doute, il aurait, avec le brave Mermet, emporté tous les obstacles, si le
maréchal Soult, non content de laisser dans l'inaction la troisième division,
n'eut fait cesser le combat, malgré ses lieutenants engagés (1). Néanmoins,
cette brillante affaire eut, pour l'armée française, tous les résultats d'une
victoire décisive. Les Anglais, après avoir perdu leurs deux principaux chefs
et l'élite de leurs soldats, furent contraints de se rembarquer, en toute hâte,
sur les navires que la fortune leur amenait enfin, au dernier moment (17-18
janvier 1809) (2).
(1) C'est l'opinion bien arrêtée du Général sur cette
affaire, que nous insérons ici.
(2) Voir la correspondance du roi Joseph publiée par
Du Casse, tome IV-V-VI-VII, passim, sur tous ces événements, et les rapports du
duc de Dalmatie au major-général Berthier, durant ses deux premières campagnes
dans la Péninsule.
Napoléon avait dit à Souk : « Quand les Anglais seront embarqués, vous marcherez sur Oporto..., vous
envahirez le Portugal...., vous occuperez Lisbonne. » Le Maréchal se hâta
d'obéir : après un mois de repos accordé à ses troupes, Pour les refaire, il
quitta Vigo, le 15 février, à la tête de 26 000 hommes, décidé à passer le
Minho devant lui et à marcher sur Braga et Oporto par le littoral. Mais le
manque de bateaux et les pluies torrentielles de la saison, qui avaient
singulièrement grossi ce fleuve à son embouchure, lui suscitèrent un premier obstacle.
Il remonta péniblement jusqu'à Orense, envahit le territoire Portugais par
cette dernière ville et se dirigea sur Oporto, au milieu de difficultés sans
nombre, accrues par la haine et le patriotisme des habitants. Il fallut enlever
de vive force tous les passages, tous les hameaux, toutes les villes, s'avancer
sur des monceaux de cadavres, au milieu des ruines et du sang. A Monterey, à
Chaves, à Braga sur l'Ave, ce furent des combats toujours renouvelés et
épouvantables; Merle, présent à toutes les ici rencontres, paya encore ci de sa
personne, comme il savait le faire à chaque occasion.
Le 27 mars, l'armée française, exténuée de fatigue, parut
devant Oporto. Soixante mille hommes, tant soldats réguliers que paysans et
gens du peuple, en défendaient les approches. Ils occupaient, avec deux cents
pièces de canon, le cercle de redoutes qui fermait la ville et dont les deux
extrémités venaient aboutir au Douro. Fiers de leur nombre et de leurs
positions dominantes, ils se refusèrent à toutes les propositions d'accommodement.
Le maréchal Soult, après une longue et inutile attente, se vit obligé, le 29,
d'ordonner un assaut général : il fut terrible.
Le général Merle formait la droite de ses colonnes : pendant
que Mermet et Delaborde enlevaient les retranchements ennemis, à la course, au
centre et à gauche et pénétraient dans les rues de la ville, lui, se portant
non moins rapidement à droite, triomphait de tous les obstacles et acculait au
Douro les malheureux Portugais qu'il avait en tête. Ils y périrent tous, en
voulant le traverser à la nage. La bataille était complètement gagnée : seul,
un gros d'ennemis retranché dans les bâtiments de l'évêché, faisait une opiniâtre
résistance, Merle, les fit charger à outrance et parvint enfin à les déloger,
non sans faire quelques pertes.
Lui-même, sur la fin de l'action, fut atteint d'une balle au
cou et obligé de se retirer. C'était la première forte blessure qu'il recevait,
depuis le commencement de sa carrière militaire ; elle mit ses jours en péril
et le força à l'inaction, pour le reste de la campagne. Sa division fut
provisoirement dissoute ; une brigade resta à Oporto, avec Mermet, l'autre
passa, avec Loison, à Amaranthe. C'est ainsi que Merle n'eut aucun rôle à jouer
dans les événements qui marquèrent l'établissement de l'armée à Oporto, et
amenèrent finalement l'évacuation du Portugal.
Merle acheva sa convalescence à Lugo, dans la Galice, où
l'armée s'était un moment arrêtée. Le 15 juin, il avait rejoint à Zanora le
Maréchal qui, récemment investi du commandement général des armées du nord de
l'Espagne, le prit, dit-on, pour son chef d'état-major (1).
(1) Mon chef d'état-major, lui dit, un jour, le duc de
Dalmatie, vous êtes le seul que je n'ai jamais rabroué. - Mais M. le Maréchal,
lui répondit Merle en riant, c'est bien heureux a vous, je ne me serais pas
laissé faire. » Nous tenons
ces détails de l'honorable M. Pagésy, un ancien aide-de-camp du Général,
aujourd'hui colonel en retraite à Nîmes.
Mais les principaux événements de la saison, s'étant passés
en dehors de leur influence directe, nous ne croyons pas devoir nous occuper
ici de projets restés, pour la plupart, sans exécution. Au reste, Merle ne
remplit que quelque temps ces fonctions éminentes et difficiles, si propres à
développer les grandes qualités de son caractère.
Vers les derniers mois de 1809, après le départ du maréchal
Soult, que Joseph appelait auprès de lui, il reprit le commandement de sa
division au 2ème corps, chargé de surveiller les Anglais, retirés d'abord en
Estramadure et, peu après, rejetés, par la victoire d'Occana, jusqu'en
Portugal. Il passa ainsi près d'une année à Plasencia, à Truxillo, sur le Tage,
etc., dans un pays entièrement ravagé par la guerre. C'était le moment où les
Guérillas avaient atteint leur plus grand développement et infestaient
principalement toute cette partie de la Péninsule. Le 2ème corps ne cessait de
fournir contre eux de forts détachements.
Le 5 juillet 1810, dans une de ces expéditions, Merle
rencontra, près de Xérès delos Caballeros, une colonne de 8 000 hommes, appartenant
aux armées Espagnoles. Surpris tout d'abord par elle, il se remit promptement,
l'attaqua avec fureur et la détruisit presque entièrement : les débris
coururent s'enfermer dans Badajoz.
Vers le milieu de cette même année 1810, les affaires de
l'Empire prospéraient dans toute l'Europe. La victoire de Wagram et le mariage
de Napoléon avec une archiduchesse, avaient désarmé et rallié l'Autriche.
L'Espagne toujours frémissante, mais gardée par 200 000 soldats, se lassait:
enfin d'une guerre épouvantable. Les Anglais, nous venons de le dire, étaient
encore une fois rejetés en Portugal, par les derniers événements. Napoléon se
crut au moment de les expulser définitivement de la Péninsule.
Sur ses pressantes invitations, Masséna, le premier de ses
lieutenants, accepta le commandement de cette nouvelle expédition. Le 14
septembre, il fut rejoint par le 2ème corps, toujours cantonné en Estramadure,
sous Reynier, et destiné à former la gauche de l'armée d'invasion. Le 2ème
corps comptait au plus 15 000 hommes, privés de solde depuis plusieurs mois,
presque nus, mais aguerris, rompus aux fatigues et capables de tout
entreprendre. Il comprenait les deux divisions Merle et Hendelet, avec
d'excellents généraux de brigade, Foy, Graindorge, Sarrut, etc., tous investis
de la confiance de leurs soldats.
Notre intention n'est pas de décrire avec détail, cette
troisième et mémorable campagne de Portugal, si mal jugée jusqu'ici et qui
devait trouver, de nos jours, un historien digne des hommes qui y prirent part
et des grands faits qui la signalèrent. Il n'y a plus rien à dire, après
l'admirable récit de l'histoire du Consulat et de l'Empire.
Toutefois, je ne dois pas laisser passer, sans les indiquer
au moins, quelques inexactitudes échappées à la plume de l'éminent Ecrivain, en
ce qui concerne notre héros, ni sans les réparer des oublis naturels,
peut-être, dans un ouvrage de longue haleine, mais inexplicables de la part
d'un auteur si minutieusement informé.
A la terrible bataille de Busaco, livrée, comme on sait, le
27 septembre 1810, à l'armée Anglo-Portugaise, Merle, à la tête de ses soldats,
entra le premier en action, dès le point du jour. Jamais, peut-être, dans sa
carrière déjà si remplie, il n'avait assisté à un aussi rude engagement. Les
Alliés, au nombre de 60 000, défendaient les crêtes de Busitco, qui ont 150
mètres d'élévation, des bords taillés à pic, inaccessibles à la cavalerie et
hors d'atteinte des bouches à feu. Merle, dans les assauts répétés qui leur
livra, fut héroïque. Tantôt à la tête des carabiniers du 2ème léger, tantôt au
milieu des tirailleurs, il affronta le feu, comme le dernier de ses soldats. Un
de ses généraux, Graindorge, deux colonels furent tués à ses côtés, lui-même
tomba, le bras droit fracassé par une balle. On le crut mort (1), mais il se
releva et, quoique couvert de sang et en proie à d'horribles souffrances, il
resta debout sur le champ de bataille, jusqu'à la fin de l'action.
Trois jours après, lors de l'entrée des Français à Coïmbre,
il commandait sa division (2). C'est dans cette ville qu'il reçut des soins
devenus indispensables.
(1) Il tombe, dit M. Thiers, mortellement
blessé....... on l'emporte du champ de bataille....... et, dès lors, conséquent
avec lui-même, cet Historien ne cite plus désormais le nom du Général.
(2) Voir, pour tout ce qui suit, les mémoires de
Masséna, tome VII.
Un mois plus tard, le 11 novembre, quand l'armée s'établit à
demeure à Santarem, l'illustre malade, encore convalescent, avait repris son
service actif.
A partir de ce moment jusqu'au 5 mars suivant, époque
définitive de la retraite, Merle partagea les misères de toute sorte qui
pesèrent principalement sur sa division et celle de Hendelet. Quant aux alertes
causées par l'ennemi, elles ne furent jamais bien redoutables pour les soldats
qui défendaient Santarem.
Le 20 mars, on se rapprochait des frontières d'Espagne.
Reynier qui, par un faux mouvement, avait fait manquer l'établissement de
l'armée sur la rivière de l'Alva, se trouva harcelé d'une manière extrêmement
pressante par la cavalerie ennemie. Merle veillait à l'arrière-garde et, selon
sa coutume, fermait le plus souvent lui-même la marche.
Cependant quelques cavaliers qui l'avaient reconnu,
s'étaient attachés à sa personne et, de temps à autre, le serraient vivement.
Le Général, montait ce jour-là, un des rares chevaux qui lui restaient,
singulièrement affaibli par de récentes blessures et les fatigues d'une
campagne de sept mois ; le péril était des plus grands. Mais, voilà qu'à un
moment donné, profitant habilement des accidents du terrain, il s'embusque à un
angle tournant de la route et attend, dans cette position sûre, ses imprudents
agresseurs. Ceux-ci accouraient hors d'haleine, séparés les uns des autres,
ainsi qu'il arrive en pareil cas, par d'assez longs intervalles. Soudain le
premier qui se présente est assailli à l'improviste, et atteint d'un si furieux
coup de sabre sur la tête, qu'il tomba comme foudroyé. Le Général se retourne
vivement vers le second et, d'un coup de pistolet, tiré presque à bout portant,
le met à son tour hors d'état de nuire ; il s'élance alors sur les suivants,
sans même donner le temps à ses soldats d'arriver à son aide: mais l'ennemi
avait tourné bride et cette fois pour ne plus revenir (1).
(1) Cet exploit remarquable qui fournit au Général
l'occasion de donner, suivant ses propres expressions, le plus beau coup de
sabre de sa vie, a été diversement raconté : nous avons suivi la version la
plus vraisemblable.
De nombreux incidents, sur lesquels nous ne croyons pas
devoir insister, marquèrent encore cette retraite. « La division Merle, dit un écrivain, désormais habituée à cette guerre
de montagnes et de défilés, donnait toute sécurité à l'armée, quand l'armée
savait que cette division veillait sur ses derrières (1). »
(1) Histoire de l'Armée, tome III, page 290.
Le 3 avril, un combat d'arrière-garde eut lieu à Sabugal,
sur la Coa. Merle avait sous la main le 2ème léger et le 36ème de ligne, de la
brigade Sarrut, avec quelque artillerie ; il voulut donner une dernière et
vigoureuse leçon à son ennemi. Ses dispositions furent bientôt prises. Quelques
volées de coups de canon tirés à propos arrêtèrent subitement les Anglais, qui
marchaient avec leur assurance accoutumée. Merle, profitant de cette surprise,
les fit charger à la baïonnette : après une vive et courte mêlée, ils furent
culbutés, laissant des morts et des prisonniers.
L'armée atteignit enfin la Vieille-Castille.
A la campagne suivante, conduite encore par l'héroïque
Masséna, Merle, toujours avec le 2ème corps, était à la droite de l'armée. Il
assista à la bataille de Fuentèsd'Onoro, livrée dans les premiers jours de
mai, vit la prise du village d'Alaméda, sur la gauche des Anglo-Portugais, et
contribua au refoulement de ces derniers, au-delà du Dos-Casas, derrière leurs
retranchements.
De graves accusations se sont élevées contre les lieutenants
de Masséna, à propos du rôle qui leur était dévolu et qu'ils ne remplirent pas
dignement dans cette rencontre. C'est à eux, dit-on, qu'il faut s'en prendre si
la journée de Fuentès-d'Onoro, malgré l'indomptable ténacité de Masséna, malgré
la valeur incomparable de ses soldats et les avantages qu'elle leur donna sur
leurs adversaires, fut loin d'être décisive. Disons bien vite que, quelle que
soit la part à faire à chacun des généraux, dans les fâcheux incidents qui
marquèrent si tristement ces deux dernières campagnes, Merle ne saurait être
compris parmi les officiers mécontents ou indisciplinés que le blâme de
l'histoire a atteints avec une juste sévérité. Sa conduite ne se démentit pas
un seul jour et, à Busaco comme à Fuentès-d'Onoro, il fit noblement son devoir.
Ajoutons même que, dans cette dernière circonstance, il ne tint pas à lui que
le concours de sa division ne fut souverainement efficace. C'est ce qui résulte
des précieux souvenirs pieusement recueillis de la bouche, d'ailleurs, si
discrète du Général, souvenirs que nous nous sommes fait un devoir de
reproduire fidèlement dans cette étude.
Au reste, Masséna et Soult, ses supérieurs immédiats, ont
bien su alors, comme plus tard, dans des circonstances éclatantes (1), lui
prouver toute l'estime qu'il leur avait inspirée. Leurs rapports ou leurs
mémoires sont pleins de ses éloges. D'ailleurs, leur juge à tous et le meilleur
ne manqua de reconnaître, comme il savait le pire, un si complet dévouement.
(1) A Paris et à Marseille en 1814 et 1815.
Déjà, ainsi que nous l'avons vu plus haut; le Général avait
reçu de brillantes rémunérations, lors de la première campagne d'Espagne. Il ne
faut pas oublier que l'Empereur, peu de temps avant la journée de Médina-del-Rio-Séco,
lui avait envoyé le titre de Baron avec une dotation considérable en Wesphalie.
Plus tard, en 1809, sur les rapports du maréchal Soult, il
ajouta à ces munificences une importante et nouvelle dotation dans la Poméranie
suédoise et, plus tard encore, des gratifications moins retentissantes, peut
être, mais tout aussi utiles, tout aussi honorables pour celui qui en était
l'objet (1).
(1) Les lettres patentes du titre de Baron et la
dotation en Westphalie d'un revenu de 10001,01 fr, ont été concédées le 19 mars
1808. - La dotation en Poméranie de 10 000 fr de revenu, fut concédée le 15
août 1809.
Ces dotations ont une valeur d'autant plus grande, que
l'Empereur les donnait à ses serviteurs, intégralement acquises du prix de ses
deniers.
Quelques documents, à la vérité insuffisants, donnent
à entendre que le général Merle, aurait reçu, vers la fin de 1811, le titre de
Comte.
C'est que Napoléon savait que Merle n'avait pas de fortune
et que son désintéressement ne lui permettrait jamais d'en acquérir dans une
carrière où la modestie et la droiture restent habituellement pauvres.
De telles distinctions, de telles faveurs obtenues à une
armée et dans un pays auxquels le maître ne prêtait forcément qu'une attention
précaire et distraite, disent bien hautement les mérites de notre héros.
Après le départ de Masséna, Merle ne tarda pas à quitter
l'Espagne : il se retira, durant quelques mois, au milieu des siens, avant de
courir à de nouveaux exploits.
Napoléon cependant mettait la dernière main aux longs préparatifs
de la guerre de Russie. Au commencement de 1812, ses corps d'armée étaient tous
organisés. Merle, Verdier, Legrand, avec ce qu'il fallait de cavalerie et
d'artillerie, placés à la tête de trois divisions d'infanterie, cantonnées en
Hollande, devaient former le deuxième corps de la grande armée, sous le
commandement supérieur du duc de Reggio. La division Merle, à elle seule,
comprenait 10 à 12 000 hommes suisses, croates ou hollandais, avec les généraux
de brigade Candras et Amey, officiers du plus grand mérite. On sait que
l'invasion de la Russie s'effectua, le 24 juin 1812, par le passage à jamais
célèbre du Niémen.
Le 2ème corps fut immédiatement dirigé sur Wilkomir, à
gauche de la grande armée, afin de contenir d'abord et de refouler ensuite Wittgenstein,
que le général en chef Russe avait laissé pour couvrir la route de
Saint-Pétersbourg. De rudes et sanglantes échauffourées marquèrent les
mouvements de nos soldats sur cette route, jusques vers le milieu du mois
d'août.
A cette époque, le duc de Reggio ayant été blessé dans une
rencontre, le chef du 6ème corps, récemment arrivé sur les lieux, Gouvion
Saint-Cyr prit en main le commandement des forces réunies. Avec ce chef
intelligent, une première bataille fut livrée aux Russes, sous les murs de Polotsk,
aux bords de la Dwina. L'ennemi était loin de s'attendre, en ce moment, à une
si vigoureuse offensive ; il fut refoulé en désordre sur ses lignes et, après
deux heures d'une mêlée générale, obligé de battre en retraite, laissant entre
nos mains beaucoup de prisonniers et le pièces de canons. Dans cette journée,
qui valut à Saint-Cyr le bâton de maréchal, Merle se comporta vaillamment et
repoussa avec une partie de sa division, dit le rapport, une attaque que
l'ennemi avait faite sur notre gauche pour protéger sa retraite (1) (18 août).
(1) M. Thiers l'accuse d'avoir péché par trop
d'ardeur, ce qui doit plutôt s'entendre de la deuxième bataille de Polotsk,
Histoire du Consulat et de l'Empire, page 261. (Voir le rapport de Saint-Cyr à
l'Empereur sur cette journée.)
A partir de ce jour, l'armée française resta paisiblement en
avant de Polotsk, s'étendant au loin pour vivre, sans être inquiétée par
l'ennemi.
Mais, tout changea, à cet égard, vers le milieu d'octobre.
L'Empereur de Russie, entièrement libre du côté de la Turquie et de la Suède,
conçut la pensée de réunir ses armées du nord et du midi, sur les derrières de
Napoléon, alors retenu à Moscou, de lui barrer tout passage à son retour, de
l'accabler enfin sous une concentration de forces irrésistibles. A cet effet,
Wittgenstein, renforcé par l'armée du nord, reçut ordre d'assaillir Saint-Cyr à
Polotsk, de l'écraser, de le distancer sur la Bérésina, pour donner la main à
l'amiral Tchitchakoff qui, à la tête de l'armée du midi, s'avançait à marches
forcées vers cette rivière.
Saint-Cyr avait tout au plus avec lui 22 000 hommes ; il
s'apprêta, du mieux qu'il put, à faire face aux périls qui le menaçaient.
Son plan de bataille était admirable; trop de vivacité,
peut-être, de la part des soldats et notamment de la légion étrangère, ne lui
permit pas d'en recueillir tous les fruits; néanmoins, la victoire fut
complète. C'est que, dit avec raison un auteur bien informé, quels que fussent
le mauvais état de l'armée française et la faiblesse de son camp retranché,
c'était par trop téméraire de vouloir y forcer 20 000 soldats, commandés par
Saint-Cyr et par des lieutenants tels que Maison, Legrand et Merle (1)
(1) Baron Fain. (Manuscrit de 1812, tome II, page
357.)
Toutefois, le Maréchal, prévoyant avec raison de nouvelles
et plus furieuses attaques, jugea prudent de se retirer; il fit ses
dispositions pour que le soir même ses troupes fussent prêtes à franchir la
Dwina, dans le plus grand silence. Vers la chute du jour, soit que le feu eût
été mis par imprudence aux baraques du général Legrand, soit qu'il fût le
résultat des projectiles que l'ennemi n'avait cessé de lancer, un immense
incendie éclata dans la ville entièrement construite en bois de sapin et, en un
instant, l'enveloppa dans toute son étendue.
Les Russes, avertis dès-lors de nos mouvements, firent feu
de leurs batteries et appuyèrent cette horrible canonnade et ce bombardement
par une attaque des plus vives sur toute la ligne. Ce fut une lutte de géants :
cinq fois les Russes, ivres de fureur, s'élancèrent à l'assaut de nos,
retranchements ; cinq fois ils furent arrêtés à leur pied qu'ils couvrirent de
leurs cadavres amoncelés; les flammes, qui s'élevaient de toutes parts,
répandaient dans les campagnes une lueur sinistre et mêlaient leurs rugissements
aux éclats de la fusillade et aux détonations des bombes et des obus. On se
battait comme en plein jour : cette nuit a conservé dans l'histoire le nom
d'infernale.
L'artillerie défila d'abord, puis les troupes de ligne, chaque
corps se retirant dans le plus grand ordre, défendant pied à pied le terrain,
jusqu'à ce que les bagages, les munitions, les blessés eussent achevé de
repasser le fleuve (1).
Merle, avec quatre régiments, fut chargé de couvrir la
retraite dans cette solennelle rencontre, rendue plus effroyable encore par les
cris et les gémissements d'une population en proie au désespoir. Il avait reçu
l'ordre d'abandonner la ville à minuit ; il s'y maintint opiniâtrement jusqu'à
quatre heures du matin, donnant ainsi le temps aux traînards et aux éclopés de
se mettre à couvert : les rues, les places, les maisons étaient jonchées de morts
qui, pour les Russes, atteignirent dit-on, le chiffre de 15 à 16 000 hommes (2).
(1) Voir aux pièces justificatives, sous le titre D,
la lettre du général Merle au duc de Conégliano, document précieux et
intéressant, qui nous a beaucoup servi pour la rédaction de ce paragraphe. -
Victoires et Conquêtes, tome XXI.
(2) Il est digne de remarque que M. Thiers, d'ailleurs
si complet, fait à peine mention des événements qui suivirent la 2ème bataille
de Polotsk et qui tiennent une si belle place dans la carrière de notre héros. Il
est vrai qu'il a oublié de rappeler le nom du général Merle dans le récit de la
bataille, quoique ce nom ait été cité avec éloges dans le rapport du maréchal
Saint-Cyr, et le 28ème Bulletin. — loco cit., tome XIV, pages 519-522.
Merle franchit la rivière, lui cinquième, et fit
immédiatement sauter les ponts aux yeux et presque sous les pas des ennemis,
exaspérés d'une telle résistance (1).
(1) Vingt fois dans cette affaire, la vie du Général
courut les plus grands périls. A un moment donné, il se trouvait, avec tout son
état-major, dans une mauvaise maison en planches, faisant ses dispositions de
retraite, quand tout-à-coup, une bombe, passant à travers la porte, tombe au
milieu du groupe attentif. « Messieurs tous à terre! s'écrie le Général, qui
reste seul debout immobile ; la bombe roule, éclate et couvre l'assistance de
débris. Il n'y eut heureusement personne de tué.
Nous devons les détails de cette anecdote à
l'honorable M. Ambroise Blachier, alors aide-de-camp du Général et acteur
remarqué dans cette rude campagne, aujourd'hui colonel de gendarmerie en
retraite, à Nîmes. (Auguste Bosc réalisera un buste de ce colonel, il obtiendra
même la médaille d'or de la commission des beaux-Arts de Nîmes pour cette
œuvre.)
Le maréchal Saint-Cyr, blessé d'une balle au pied gauche,
dans le courant de l'action, s'était vu forcé de quitter le commandement,
Legrand, le plus ancien des généraux divisionnaires, était malade. Merle, dans
ces conjonctures, dût prendre en main l'autorité supérieure et pourvoir au
salut de l'armée.
Après le passage de la Dwina, on se dirigea sur Ouchatz,
Lepel et Tschasniky, dans l'espoir de rencontrer le duc de Bellune , sur la rivière
de l'Oula.
Victor, en effet, à la tête du 9ème corps, avait été amené,
dans ces derniers temps, sur les derrières de la grande armée, avec ordre de se
porter rapidement au secours, de celle des deux ailes qui serait la plus
compromise. La bataille de Polotsk l'avait décidé, tout récemment, à courir au
nord, vers un point de réunion, que le maréchal Saint-Cyr venait de lui
indiquer. Le 13 novembre, il atteignit Tschasniky où le général Merle se
trouvait rendu depuis la veille.
Le malheureux 2ème corps ne comptait plus que 10 à 12 000
hommes. Depuis le 20 octobre, jour de départ de la Dwina, il n'avait pas eu un
instant de répit ; c'était tous les jours de nouvelles alertes, de rudes
combats à soutenir contre un ennemi altéré de vengeance, que rien ne pouvait rebuter.
Merle, cependant, l'avait vigoureusement contenu et, à
chaque rencontre, lui avait tué du monde et fait des prisonniers. Dans cette
longue et douloureuse retraite, effectuée par un temps affreux, à travers des
chemins à peu près impraticables, il ne perdit pas une seule voiture de toutes
celles qui entravaient et retardaient ses mouvements.
A Tschasniky, Merle, en déposant son commandement, proposa
au duc de Bellune d'unir leurs forces et de marcher droit à l'ennemi : « Ce sont bien là mes intentions, répondit le
Maréchal, vous connaissez la position de l'ennemi, faites vos dispositions en
conséquence, je vais mettre sous vos ordres votre ancienne division et celle du
général Girard que j'amène avec moi. »
Le lendemain, au point du jour, Merle était prêt : à la tête
de sa division il alla droit aux Russes qui s'avançaient avec résolution, les
joignit vivement et ne tarda pas à leur faire perdre du terrain ; leurs canons
même abandonnaient précipitamment le champ de bataille ; Merle, donna ordre à
la division Girard, laissée en réserve, d'avancer en toute hâte : la division
Girard resta immobile. Merle, ainsi arrêté dans son élan, fut peu après
contraint, à son tour, de se retirer.
C'était le duc de Bellune qui, sourd à toutes les
représentations de son lieutenant, venait en personne lui arracher les fruits
d'une victoire assurée. On ne sait pour quel motif ce Maréchal ne voulut
jamais, en cette circonstance, se prêter à une action générale et probablement
décisive. Mais il est certain qu'il perdit, par sa faute, l'occasion unique de
refouler, de détruire peut-être, les corps réunis de Wittgenstein et de
Steingell. Les intentions de Napoléon furent méconnues, le salut de l'armée
entière compromis et Victor, condamné par son indécision, à retrouver les
Russes dans une situation plus fâcheuse cent fois, que celle que lui offrait
aujourd'hui la fortune. Cette faute irréparable remplit de douleur et
d'amertume l'âme de notre héros (1).
(1) Il est curieux de comparer ce récit d'après la
correspondance du général Merle, avec ceux que l'on trouve dans les auteurs.
Voir notamment l'Histoire du Consulat et de l'Empire, tome XIV, pages 589 et
658, qui donne, sans s'en douter, entièrement raison à notre héros, contre le
maréchal Victor.
Quelques jours après ces tristes événements, Oudinot,
rétabli de sa blessure, vint se remettre à la tête du 2ème corps : les deux
Maréchaux réunis, ne pouvant s'entendre, furent obligés de se séparer, au moins
pour quelque temps.
Cependant, Napoléon, qui revenait du fond de la Russie avec
une armée entièrement ruinée par la marche, les combats ou les rigueurs de la
saison, était arrivé le 22 novembre, aux bords de la Bérésina. Il s'agissait de
franchir cette dernière barrière, avant quelle ne fût complètement au pouvoir
de l'ennemi. Le 2ème corps faisait désormais l'avant-garde de toute l'armée
réunie ; il reçut ordre de se porter immédiatement sur Borisow, afin d'occuper,
en forces, le pont de cette ville, défendu seulement par un faible détachement
polonais.
Quelle que fût la diligence du maréchal Oudinot, il ne put
arriver à temps; le pont de Borisow, l'unique planche de salut, était tombé aux
mains des Russes : on dût se contenter de donner la chasse à quelques bandes
ennemies, à qui Legrand fit un bon nombre de prisonniers et enleva une quantité
énorme de bagages : les ponts furent livrés aux flammes.
Dans cette horrible position, nous avions, dit le général
Merle, une armée et une rivière bordée de marécages devant nous, le général
Kutusoff sur nos derrières et Wittgenstein dans le flanc droit. Il fallait
sortir de cette impasse ou s'ensevelir sous les neiges de la Russie. Par les
ordres de l'Empereur, deux ponts de radeaux furent construits et établis sur la
Bérésina, dans l'espace de 24 heures, presque sous les yeux et à l'insu de
l'ennemi, qu'on amusait par de fausses démonstrations.
Le 26 novembre, à une heure de l'après midi, le 2ème corps
défila sur les ponts, dans l'ordre suivant : d'abord Castex et la cavalerie
légère, puis les divisions Legrand et Maison, Merle et ses Suisses et Croates,
enfin les cuirassiers de Doumerc et les restes des Polonais de Borisow (1).
Immédiatement après le passage, le général Legrand, fondant sur quelques
troupes légères, détachées de l'armée Russe, leur tua 200 hommes ;
malheureusement il reçut un coup de feu qui lui fracassa l'épaule droite et le
mit pour longtemps hors de combat (2).
(1) Baron Fain, loco cit., p. 377. - Mortonvat,
Campagne de 1812. - Gourgaud, Napoléon et la grande armée en Russie, chapitre
VIII, etc., etc.
(2) M. Thiers donne à entendre, mais à tort, que
Legrand fut blessé dans la matinée du 28. - (Voir tome XIV pages 609 et 621)
Le 2ème corps s'établit dans une bonne position.
Le passage des divers détachements de l'armée et de
l'Empereur, s'effectua pendant toutes les journées du 26 et 27. Seul, Victor,
avec le 9ème corps, resta sur la rive gauche, s'apprêtant à couvrir la fin de
cette opération décisive.
Le moment solennel approchait : soldats et capitaines
étaient tous pénétrés de l'immense responsabilité qui pesait sur eux : ils
s'attendaient à une lutte effroyable, ils la soutinrent vaillamment et avec le
plus grand succès.
C'était le 28, au point du jour, date lugubre et
impérissable : le 2ème corps eut d'abord sur les bras toute l'armée du Midi,
aux ordres de Tchitchakoff, renforcée même par quelques détachements de l'armée
du centre.
Le choc fut épouvantable, le combat longtemps incertain. Le
brave Oudinot, qui s'exposait comme le dernier de ses soldats, fut grièvement
blessé dans une charge héroïque et obligé de quitter le champ de bataille.
Merle, pour la seconde fois, se vit appelé à la tête du 2ème
corps.
S'arrachant aux douloureuses étreintes d'un mal qui, depuis
quelques temps, épuisait ses forces ; stimulé d'ailleurs par la grandeur d'une
situation sans exemple dans les fastes de la guerre, il se hâta d'obéir aux
ordres de l'Empereur, transmis directement par le maréchal Ney.
Durant cinq heures, il soutint les efforts désespérés d'un
ennemi supérieur en nombre, sans perdre un pouce de terrain; à deux heures de
l'après-midi, il n'avait pas un officier autour de lui ; de ses deux généraux
de brigade, Candras était mort, Amey blessé (1) ; tous les autres étaient à peu
près hors de combat; plus d'officiers d'état-major, plus de colonels. Merle,
resté presque seul, avait à se suffire à lui-même et à ses hommes exténués.
(1) Gourgaud, témoin oculaire, loco cit., page 455. -
M. le colonel A. Blachier.
Cependant l'ennemi, déconcerté par une telle résistance,
modérait en ce moment même ses feux, s'apprêtant sans doute à une dernière et
vigoureuse attaque. A cette heure suprême, Merle rallie sa troupe, forme de
tous ses régiments six bataillons disposés en masses, plaçant sur leur flanc
gauche un millier de cuirassiers en colonne par escadrons. Soudain, tout
s'ébranle : infanterie, cavalerie se soutiennent et franchissent d'un même élan
l'intervalle qui les sépare des Russes : rien ne peut ralentir l'ardeur de nos
soldats. La colonne ennemie, qui formait l'avant-garde, forte de 7 à 8 000
hommes, est abordée et rejetée sur son corps de bataille; on l'enfonce à coups
de sabre et de baïonnette, tout est pris ou tué.
Les cuirassiers de Doumerc, la légion de la Vistule, Ney,
avec les débris de tous les corps, un moment raffermis sous sa main, achevèrent
une victoire indispensable. Partout, sur la droite de la Bérésina, les Russes
furent refoulés au loin dans les bois et la profondeur des marais.
Le même jour et aux mêmes heures, le duc de Bellune, sur la
rive gauche, réparant glorieusement ses erreurs passées, avait contenu Wittgenstein,
ménagé le salut d'un nombre considérable de soldats attardés et, finalement,
ramené à l'Empereur, les restes de ses divisions victorieuses.
Après le passage de la Bérésina, les deux corps d'armée, qui
avaient jusqu'ici conservé quelque apparence d'organisation (le 2ème et le 9ème), se débandèrent entièrement.
C'est à peine s'il resta dans les rangs un millier d'hommes, dont Ney se servit
pour livrer un dernier combat aux Russes (3
décembre).
Le général Merle, succombant presque à la fatigue, aggravée
encore par la maladie qu'il avait pu maîtriser dans un moment critique, monta
en traîneau, avec son premier aide-de-camp, M. Ambroise Blachier, et partit de
nuit pour Wilna où devait se réunir l'armée. Après des péripéties sans nombre,
au milieu d'un pays semé de bois et de marais, infesté de partis ennemis, par
un froid qui descendit successivement à 20° et 30° réaumur, il atteignit cette
dernière ville où régnait la plus inexprimable confusion. Là, grâce à
l'intelligente activité de son fidèle aide-de-camp, moins maltraité que lui,
sous ce ciel rigoureux, il obtint, à prix d'or, de marchands juifs polonais,
une mauvaise voiture qui le transporta, avec les siens, à Kowno et Marienbourg
sur la Vistule, d'où il se rendit, accompagné d'un seul domestique, jusqu'à
Berlin (1).
(1) Les souvenirs de M. le colonel Blachier,
rapprochés de la lettre du Général au duc de Conégliano, nous ont été
extrêmement utiles, pour la confirmation des faits relatés ici.
Le maréchal Augereau, qui commandait en cette ville, l'obligea,
après quelques jours de repos, à rentrer en France, pour refaire une santé
actuellement fort délabrée.
Tel est le rôle glorieux, assurément, qui échut à Merle,
dans cette mémorable campagne de 1812. Après cela, on est en droit de s'étonner
du silence presque continu, affecté même, dans lequel s'enveloppe à son égard,
l'Historien du Consulat et de l'Empire. Il n'a pu trouver un mot pour lui, pour
ses malheureux lieutenants, Amey et Candras, pour sa division mise en lambeaux,
dans le récit d'ailleurs, si émouvant du passage de la Bérésina. Et pourtant,
c'est ce même écrivain qui a dit (1) : «
Si j'éprouve une sorte de honte à la
seule idée d'alléguer un fait inexact, je n'en éprouve pas moins à la seule
idée d'une injustice envers les hommes...... L'injustice pendant la vie, soit
!...... mais après la mort, la justice au moins......, sinon pour celui qui
l'attendit sans l'obtenir, au moins pour ses enfants. »
(1) Loco cit., tome XII, préf., pages XXVII et XXVIII.
Il est .vrai qu'il ajoute immédiatement : « Mais qui peut se flatter en histoire de
tenir les balances de la justice d'une main tout-à-fait sûre ?...... »
La conclusion à tirer de tout ceci est, qu'en fait
d'histoire, quelqu'un l'a dit, tout le talent et toute l'imagination du monde
ne sauraient suppléer à la connaissance de documents certains, quand on a la
patience de les étudier pour le triomphe de la vérité.
Après la bataille de Hanau, livrée le 30 octobre 1813, le
général Merle, revenu à la santé, reprit son épée (1) et fut dirigé sur les
Pays-Bas, menacés en ce moment par les Anglais d'un côté, par les Suédois et
les Russes de l'autre, en proie d'ailleurs aux troubles qu'amènent les révoltes
d'une population désaffectionnée.
(1) Il avait été, sur ces entrefaites, nommé comte de
l'Empire : le malheur des temps ne lui permit pas de faire régulariser
complètement un titre que lui reconnaissent, dès-lors, toutes les relations
officielles.
On lit dans le Dictionnaire véridique des Origines des
maisons nobles de France, tome II, page 232, édition in-8°, 1819:
Merle, noblesse consacrée par la Charte avec titre
légal de Comte.
Services. Un Lieutenant-général (les armées du Roi,
Grand-Officier de l'Ordre Royal de la Légion-d'Honneur, Inspecteur général de
la gendarmerie, Chevalier de Saint-Louis.
Armes. Coupé, au 1er, d'argent, au chevron de gueules,
accompagné en pointe, d'une tête de lion, arrachée du même; au chef d'azur,
chargé de trois étoiles d'or. Au 2 de gueules à la bande d'or, chargée d'un
merle de sable et accostée de deux molettes d'éperon d'argent - couronne de
comte.
Il se fixa momentanément à Wésel, au confluent de la Lippe
et du Rhin, et, à l'arrivée du comte de Lagrange, alla prendre, à Maëstricht,
le commandement de la 25ème division militaire, qui lui avait été primitivement
assignée (décembre 1813).
Le duc de Tarente qui, vers le même temps, s'efforçait aux
environs de Cologne, d'organiser une armée pour la défense du Bas-Rhin, vint à
Maëstricht prendre les avis de Merle, sur ce qu'il y avait à faire en pareille
occurrence. Il y eut entre ces deux hommes de guerre plusieurs conférences et,
dans la suite, une correspondance très-active, dont les détails ne nous ont
malheureusement pas été conservés. On sait seulement qu'il fui, un moment,
arrêté par eux de proposer au Ministère de la guerre l'abandon des places
fortes, préalablement démantelées; la réunion de leurs garnisons respectives en
une seule armée, avec laquelle on tiendrait la campagne en présence de
l'ennemi. Mais ce projet fort sage ne put être réalisé.
Merle s'enferma dans Maëstricht dont le siège en règle ne
fut à la vérité jamais entrepris : il y eut, toutefois, entre la garnison et
les alliés qui battaient les champs, de nombreuses échauffourées, force coups
de canon et de chaudes alertes où les Français ne furent pas les plus
maltraités. Nos lecteurs nous dispenseront de détails pleins d'intérêt, mais
sans influence sur l'issue fatale de la lutte et qui ne purent que consoler
l'orgueil de nos soldats.
Le général Merle se montra ici, ce que nous l'avons connu,
dans le cours de cette histoire, prudent et ferme, comme il convenait avec des
troupes inaguerries, au sein d'une population secrètement hostile.
Le 12 mars, Napoléon envoya enfin à toutes les garnisons qui
tenaient encore dans les Pays-Bas, et elles étaient nombreuses, l'ordre de se
donner la main les unes aux autres, de former une seule masse et de tomber sur
les derrières de l'ennemi. Cet ordre, porté à la connaissance de l'état-major,
dans un conseil de guerre, fut reconnu irréalisable. Quel succès se promettre en
effet d'une telle mesure, avec les éléments dont on disposait, sur un ennemi
qui négligeait sciemment les extrémités de sa ligue pour porter toute son
attention vers un but désigné d'avance à ses longs efforts ? Les garnisons
restèrent dans leurs places.
Quelques jours encore et la fortune de l'Empire croulait
entièrement. Paris tomba aux mains de l'Europe coalisée contre nous, et
l'ancienne maison royale des Bourbons, après un interrègne de vingt-cinq ans,
remonta sur le trône de ses pères.
Merle sortit enfin de Maëstricht, vers les premiers jours
d'avril, après la soumission des dernières places (1) (Anvers). Les troupes
disséminées dans toutes les villes fortifiées de son commandement suivirent son
exemple.
Cependant, la Restauration, qui n'oublia pas toujours
d'honorer le mérite et de reconnaître la droiture et le désintéressement, nomma
le général Merle, Chevalier de Saint-Louis et, peu après, sur la recommandation
du Maréchal Moncey, Inspecteur de la gendarmerie, dans le Midi du royaume.
(1) Nous devons la connaissance des détails qui
précèdent à l'obligeance de MM. les colonels Blachier et Pagésy qui, tous tes
deux, se sont distingués dans cette campagne. - Chute de l'Empire, par Eugène
Labaume.
C'est dans le moment où, investi de ses fonctions nouvelles,
il se délassait, après une première tournée, à sa maison de campagne, située
aux environs de Nîmes, que le retour de l'Ile d'Elbe (le 1er mars 1815), vint
le jeter dans des perplexités faciles à comprendre.
Néanmoins, quels que fussent ses sentiments secrets, il
suivit les instincts de droiture et d'honnêteté qui lui étaient naturels et
n'hésita nullement à se mettre aux ordres du duc d'Angoulême. Ce Prince,
accouru de Toulouse, en toute hâte, sur le bruit du débarquement de Napoléon,
provoqua, à Nîmes, un conseil de guerre où se trouvèrent, à divers titres, les
généraux Ambert, Compans, Solignac, Merle, etc. Mais, sans attendre le résultat
des mesures projetées et comme entraîné par un fatal aveuglement, il courut au
Pont-Saint-Esprit, avec une poignée de troupes, décidé à pousser vivement
jusqu'à Lyon (28 mars). En vain, le général Merle qu'éclairaient les défections
de tous les jours et la désertion des volontaires royaux eux-mêmes, en outre,
mieux placé que personne pour voir le véritable état des choses, essaya de le
détourner de son entreprise : ses avis, ses conseils furent repoussés. II finit
même par importuner de son insistance l'entourage du Prince. On éleva des
doutes sur son dévouement et il fut laissé à l'arrière-garde, avec deux
bataillons de garde nationale, pour défendre le Pont-Saint-Esprit, contre une
agression imminente.
Humilié mais fidèle jusqu'au bout, Merle se dévoua à une
tâche impossible : la désertion croissante et l'indiscipline de ses volontaires
dont les trois-quarts n'avaient jamais manié un fusil, le forcèrent enfin à
écrire au Prince une dernière lettre remplie des plus sages avertissements et à
exiger son rappel (4 avril).
M. de Vogué, un ancien émigré, lui succéda dans son
commandement, mais, deux jours après ces mutations, l'apparition des coureurs
ennemis du côté de Bagnols, répandit une telle terreur au Pont-St-Esprit, que
soldats et officiers désertèrent en masse à la nuit tombante. Le 8 avril, il ne
restait pas un soldat royaliste au St-Esprit (1).
(1) Mémoires et rapports du général Merle au duc
d'Angoulême, sur les événements de 1815, dans le midi de France. Voir MM.
Lubis, Nettement, Vaulabelle, etc.
Merle, dès l'origine, s'opposa à toute marche
offensive sur Lyon et conseilla au Prince de s'arrêter au Pont-St-Esprit, soit
pour surveiller et contenir le Gard et l'Hérault, soit, en cas d'événements
l'Adieux, pour atteindre plus facilement les Bouches-du-Rhône, se couvrir de-
la Durance et s'appuyer sur un pays qui lui était affectionné. Le Prince se
rendit, mais trop tard, à des avis longtemps méconnus ; il fut pris par Gilly
au moment où il effectuait sa retraite.
Ou sait le reste : Merle, après la capitulation de La Palud,
retourna tristement à Nîmes.
Durant les Cent-Jours, il fut attiré à Paris et vivement
sollicité de reprendre du service. Il hésita, quelques temps ; mais enfin,
l'imminence de périls certains, l'exemple de ses vieux compagnons d'armes, et
les instances réitérées de ses amis, firent taire ses scrupules sans doute
exagérés et le décidèrent à reparaître aux armées. Il reçut le commandement de
la 24ème division d'infanterie, à l'armée d'observation sur le Var (mai 1815).
Aux premiers jours de juillet suivant, le Général qui venait
d'accomplir un dernier acte de bon citoyen, en dissuadant le maréchal Brune,
avec lequel il se trouvait, de tout projet offensif sur Aix et Marseille,
accompagna sa division à Toulon, où le 2ème corps d'observation était appelé.
Quant à lui, après avoir couru de sérieux dangers, à Cuges (1) dont la population
en délire parlait d'immoler tous les bonapartistes, il se retira définitivement
auprès des siens, résolu à s'ensevelir dans un éternel oubli.
ll fut sauvé par l'intervention d'un de ses anciens
soldats qu'il avait arraché à une mort certaine en Espagne.
Tant et de si vives secousses avaient ébranlé et froissé son
âme forte : il sentait, peu à peu, se glisser en lui le dégoût des choses de la
terre et cette lassitude que l'âge et les souffrances, longtemps endurées,
amènent chez les caractères les plus vigoureusement trempés.
Vers le mois de mai 1816, il sollicita sa retraite qui lui
fut accordée, le 7 août suivant, avec 6 000 francs de pension.
-oOo-
III
Quelle que fût, aux yeux du général Merle, l'importance des
motifs qui ont amené sa retraite définitive, on ne saurait trop regretter, avec
ses amis, une semblable détermination de sa part.
A son âge, - il avait à peine 50 ans, - et avec sa forte
constitution (ébranlée un moment, il est
vrai, par tant de chocs divers, mais non détruite, la suite le fit bien voir),
l'avenir lui réservait encore de brillantes perspectives. Les nuages
accidentellement élevés, à son égard, dans les hautes sphères du pouvoir,
allaient disparaître : Merle avait imposé silence à toutes les clameurs, par
ses loyales explications, sur la part ingrate qui lui échut, dans les
malheureux événements du midi, en .1815 (1).
(1) Voir ses lettres, mémoires et rapports au duc
d'Angoulême publiés en 1816 et aux pièces justificatives le titre E.
Sa franchise, sa mâle véracité lui auraient ramené ouvertement
des sympathies, tenues secrètes, qui ne demandaient qu'à se produire. On eût
fait appel à ses talents, à son expérience, principalement en Espagne où de
nouvelles vicissitudes devaient nous ramener bientôt; et comment douter que le
bâton de maréchal, n'eût enfin récompensé une vie si longue et si bien remplie
? (1)
(1) Avons-nous besoin de dire que, dans tout ceci,
nous ne hasardons rien et que nous nous contentons de reproduire la manière de
voir de personnages placés pour juger sainement des hommes et des choses.
Parmi ses dignes émules et nième ses inférieurs, à cette
époque, le plus grand nombre devait atteindre prochainement ce faite des honneurs
militaires.
Mais, ainsi que nous l'avons dit, sa grande âme avait été
courbée sous les coups inattendus de révolutions nouvelles et multipliées. En
proie à des souffrances physiques inopinément réveillées, mécontent, attristé
par cette succession vertigineuse des événements, il dit adieu à ses grandeurs
passées, à ses rêves de gloire et s'enferma silencieusement dans la vie privée.
Une heureuse pensée le soutenait et l'encourageait dans son inébranlable
résolution ; c'était de remonter lentement le cours de sa vie et de raconter
succinctement les grands événements, auxquels il avait été mêlé. Diverses notes
rédigées, au courant de la plume, pendant ses rudes campagnes ou dans les rares
loisirs quelles lui faisaient, laissaient entrevoir la réalisation de cette
tâche, non moins glorieuse, non moins utile que ses services actifs. Mais le Général
n'en était pas au bout de ses mécomptes et, quand, vers les premiers jours de
1817, le moment de se mettre à l'œuvre fut arrivé, il acquit la certitude que
tous ses papiers avaient péri dans un incendie.
En effet, durant les jours troublés qui suivirent la seconde
Restauration, dans le midi de la France, une bande de forcenés s'était portée
sur Bois-fontaine, l'habitation aimée du Général, aux environs de Nîmes et,
après l'avoir pillée et saccagée, l'avait livrée aux flammes; il y périt des objets
d'une inestimable valeur. A cette fatale nouvelle, Merle baissa la tête. « Dieu ne l'a pas voulu, » dit-il, et
désormais, il s'enveloppa dans un invincible silence, sur tout ce qui avait
trait à sa vie passée. Calme et rassuré, d'ailleurs, vis-à-vis la postérité, il
attendait son jugement, fort des actes de sa glorieuse carrière : noble et
touchante confiance qu'il manifesta souvent dans l'intimité de ses proches et
de ses amis !
Deux villes s'étaient toujours partagé ses affections : Nîmes
et Lambesc ; mais la première, qu'il préféra longtemps et où il avait fait
d'importantes acquisitions territoriales, lui parut bien changée après 1815.
Les esprits inquiets et turbulents qui l'agitaient alors, les dégoûts dont ils
l'abreuvèrent, le réduisirent à se choisir, ainsi qu'il le dit lui-même, un
séjour plus tranquille. Il s'arracha, non sans effort, aux pressantes
sollicitations de ses amis et se retira à Lambesc, qui avait à ses yeux bien
des charmes.
Là, entouré d'un petit cercle d'élite, il vécut désormais
les jours les plus calmes de son orageuse existence : la culture des lettres,
pour lesquelles il se sentit pris d'une véritable passion, des œuvres de
bienfaisance et le soin de ses affaires domestiques absorbaient ses loisirs. Il
s'attira l'estime et l'affection de tous ceux qui l'avaient approché.
« Obligé, vers la fin
de 1830, de se rendre à Marseille, il y tomba malade, atteint d'une hydropisie
cruelle et mourut le 5 décembre de la même année. L'approche de la mort, qu'il
avait tant de fois bravée, ne l'effraya point. Il supporta ses souffrances
jusqu'au dernier moment, avec le plus héroïque courage et n'exprima, d'autre
regret que celui de n'avoir pas perdu la vie sur un champ de bataille (1).
»
(1) Arc de Triomphe de l'Etoile, tome II. L'article
Merle a été rédigé, en majeure partie, sur quelques notes fournies à la hâte
par la famille du Général. Nous aurions pu, sans injustice, taire le nom de cet
ouvrage resté inachevé.
Qu'il nous soit permis, en terminant cette étude,
d'appliquer à notre héros, les paroles-que M. Dupin a dites du maréchal Moncey,
son meilleur ami, avec lequel il eut plus d'un trait de ressemblance : « En cet homme, l'importance du commandement
était rehaussée par des vertus qui ont surtout honoré son caractère. Plein d'humanité
et de ménagements pour les vaincus, il était sévère pour les officiers placés
sous ses ordres, sans cesse occupé du bien-être de ses soldats, juste et probe
envers tous et, pour lui seul, d'un désintéressement chevaleresque. » La
droiture, la modestie, l'amour de l'ordre étaient ses qualités dominantes.
Le général Merle avait une taille élevée, une physionomie
ouverte, empreinte à la fois de douceur et-de sévérité, des yeux grands, pleins
de feu et d'intelligence. Sa force musculaire était prodigieuse. On dit, qu'au
sein des combats, sa voix tonnante, un air de puissance et d'autorité répandu
dans toute sa personne, fixaient sur lui tous les regards.
Ses états de services portent, 19 campagnes, 4 fortes
blessures, dont une, reçue à Busaco, lui rendit, durant longtemps, les
mouvements du bras droit très-difficiles. Il eut sept chevaux tués sous lui.
Privé de descendants, mais jaloux de ne pas laisser
s'éteindre un nom que ses exploits militaires avaient illustré, le général
Merle avait, durant ses vieux jours, appelé auprès de lui, dans la pensée de
l'adopter, un de ses neveux, M. Fortuné Combes, pour lequel il eut constamment
l'amour d'un père la mort ne lui permit pas de réaliser à temps ce projet.
Toutefois, comme il avait eu soin de l'instituer, par un acte authentique, son
légataire universel, en l'invitant expressément à prendre son nom, avec les
prérogatives qui s'y trouvent attachées, M. Combes, s'empressa de solliciter du
gouvernement l'insigne faveur de porter ce nom glorieux. Une ordonnance royale
lui en a conféré depuis longtemps l'autorisation.
Aujourd'hui, M. Fortuné Merle habite la ville où nous
traçons ces lignes et nul, mieux que nous, ne sait combien les mâles vertus du
Général revivent dans son digne héritier et dans ses enfants.
Notre tâche est remplie. Il serait inutile d'étendre encore
ce récit, de multiplier des citations et des pièces justificatives qui, au
reste, ne nous font pas défaut. Le lecteur en sait assez, nous nous plaisons à
le croire, pour être convaincu qu'aucun fait n'a été relaté ici qui ne s'appuie
sur un ou plusieurs témoignages authentiques et de grande valeur.
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