Notice sur M. Benjamin Valz
par M. René Deloche, membre résident de l'Académie. (décédé le 2 mars 1914)
extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1875


Benjamin Valz
né à Nîmes le 27 mai 1787
décédé à Marseille le 22 avril 1867
et enterré au cimetière protestant de Nîmes.


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MESSIEURS,
Lorsque j'ai sollicité de votre bienveillance l'honneur de rappeler devant vous la vie et les travaux de notre regretté confrère, M.L. Benjamin Valz, je m'étais laissé entraîner par le désir bien naturel de tenir les engagements que mon père avait contractés envers l'Académie. Je ne me doutais pas alors de la difficulté de la tâche que j'allais entreprendre , et je croyais trouver, dans les papiers de mon père, une étude assez avancée pour pouvoir, dans un délai très-court, vous présenter un travail à peu près complet. Mes prévisions sur ce point ont été déçues ; et, en présence de notes confuses, de pages les unes à peine ébauchées, les autres rédigées plus complètement, j'ai du me résoudre à tout reprendre dès le début, sauf à conserver pieusement dans mon texte tous les passages qui avaient reçu de mon père une forme définitive.

Je devais, du reste, trouver dans le sujet que j'avais à traiter des difficultés bien autrement sérieuses. Je savais, en effet, comme tout le monde à Nîmes, que M. Benjamin Valz avait consacré sa vie à l'étude des sciences ; ma pensée se portait sur cette tour qui surmonte la maison qu'il habitait dans la rue Marguerittes, observatoire où il passait les nuits à étudier le cours des astres, et où fut découverte la planète Nemausa ; j'avais appris enfin qu'il était fauteur d'un projet qui eût pu amener â Nîmes, il y a cinquante ans, les eaux dont nous sommes à peine dotés. Ma surprise a été grande, quand j'ai trouvé, mêlées à ces travaux, des recherches sur les questions les plus ardues de l'astronomie et des solutions de problèmes de haute analyse, que les savants de premier ordre peuvent seuls aborder. A la vue de ces nombreux mémoires sur des sujets si difficiles approfondir, plus difficiles encore à exposer clairement, j'ai regretté d'autant plus mon imprudente promesse ; convaincu de mon insuffisance, je m'étais décidé à vous demander de me relever de mes engagements, mais j'ai été retenu par cette pensée, que je pouvais compter sur votre bienveillance, et que, si je ne vous présentais qu'une esquisse à peine ébauchée d'une vie si bien remplie, vos souvenirs combleraient facilement les lacunes de mon travail.

I

La vie des Hommes qui sont parvenus à la renommée est particulièrement intéressante dans ses commencements. On aime à savoir ce que la nature a fait pour eux, ce qu'ils doivent à l'éducation et aux circonstances, et ce qu'il leur a coûté d'efforts pour s'élever au-dessus de la foule. Tout a concouru pour inspirer à Benjamin Valz le goût des sciences et pour lui donner, avec la puissance du travail, cet esprit de suite et de méthode qui la rend féconde.

II naquit le 27 mai 1787, aux approches de cette révolution qui, après des débuts pacifiques, finit par couvrir la France, de deuil et de ruines. Son père fut une des dernières victimes de la Terreur, de ce régime sanglant qui ne pardonnait pas le modérantisme, même chez un républicain sincère. Sa mère, plongée dans la douleur, s'isola dès-lors complètement du monde, pour ne plus connaître de la vie que les devoirs qu'elle impose. Cet austère milieu était peu favorable aux élans de l'imagination, et il n'y pouvait germer que des pensées sérieuses. Aussi les facultés de réflexion et de raisonnement dont Benjamin Valz était doué furent-elles les seules à se développer, et ses dispositions, naturellement inclinées vers les connaissances positives, se prononcèrent de plus en plus dans ce sens.

Cette tendance se manifesta clairement, lorsqu'il commença ses études d'écolier. Placé, à l'âge de treize ans, dans une pension de Lyon, il y remporta, pendant les deux années qu'il y passa, le premier prix de mathématiques. Les mêmes récompenses l'attendaient quand, rappelé de Lyon, il fut placé dans l'établissement d'enseignement public qui venait de s'ouvrir à Nîmes.

L'instruction était dispensée à cette époque par ces Écoles Centrales que la Convention avait décrétées en 1795, pour remplacer les universités et les collèges, que la tourmente révolutionnaire avait emportés. L'enseignement qu'on y donnait ressemblait assez à ce qu'on appelle aujourd'hui l'enseignement secondaire spécial, c'est-à-dire qu'il se composait d'un peu de littérature et de beaucoup de sciences, comme si on devait être d'autant plus savant qu'on est moins lettré.

Le plan d'études était divisé en trois sections, d'une durée chacune de deux ans. Admis à douze ans dans la première section, les élèves devaient y apprendre le dessin, l'histoire naturelle, les langues anciennes et les langues vivantes. Dans la deuxième section, ils ne s'occupaient que de mathématiques, de physique et de chimie. Enfin, dans la troisième, ils recevaient des leçons de grammaire générale, de belles-lettres, d'histoire et de législation. De cette façon, à dix-huit ans, le jeune homme avait fatalement terminé son cours d'études et savait, ou était censé savoir, tout ce qui était réputé nécessaire au citoyen de la République.

Cette innovation dura peu et n'eut pas beaucoup de succès. Elle rompait trop nettement et trop brusquement avec le passé et la tradition qui professaient pour les belles-lettres un culte un peu exclusif. La plupart de ces écoles manquèrent non-.seulement d'élèves, mais de maîtres, et elles ne firent toutes que végéter jusqu'au jour où elles se fondirent dans les Lycées, créés par la loi du 1er mai 1802, et organisés définitivement dans le courant de l'année 1805. C'est, en effet, de cette époque que date cette organisation de l'enseignement universitaire, véritable retour aux pratiques du passé, enseignement qui a fait quelque honneur à la. France, et peut encore, avec des modifications moins profondes qu'on ne croit, répondre aux besoins de notre époque.

L'école centrale de Nîmes fut pourtant une de celles qui, sans prospérer, donnèrent quelques résultats. Elle dut ce privilège aux professeurs d'élite qui s'y rencontrèrent et qui s'appelaient Alexandre Vincens et Gergonne. Avec les leçons de l'illustre auteur des Annales de mathématiques, les dispositions du jeune Valz ne pouvaient que s'affermir et s'étendre. Les succès qu'il obtint dans la classe de mathématiques en donnèrent la preuve; et quand, à l'âge de dix-huit ans, en 1805, il quitta l'école centrale, son avenir était irrévocablement voué aux recherches scientifiques.

Sa mère, cependant, n'ayant pas deviné sa vocation, le destinait au commerce. Pour le former à cette profession, elle le plaça comme en apprentissage chez un négociant de Nîrnes. L'épreuve fut bientôt terminée. Après quelques mois d'essais peu satisfaisants, le jeune commis fut relevé de son emploi, et, faute de savoir qu'en faire, livré à ses méditations et à ses calculs. C'était probablement ce qu'il désirait; c'était à coup sûr ce qui convenait le mieux à son intelligence et à son aptitude.

A cette époque, l'attention publique était vivement excitée par les comètes , ces astres mystérieux dont la forme fantastique, l'apparition inattendue et le cours capricieux produisaient jadis tant d'effroi et de consternation. Aux terreurs superstitieuses d'autrefois avait succédé la crainte réfléchie d'une rencontre entre une comète et la terre, et on était encore sous l'impression de la vive frayeur qui, en 1773, s'était répandue à Paris et communiquée à toute la France, sur la simple annonce d'un mémoire dans lequel Lalande déterminait celles des comètes observées qui pouvaient le plus approcher de la terre.

Laplace, dans son Exposition du système du monde, dépeint de la manière suivante les ravages qu'occasionnerait le choc contre la terre d'une comète dont la masse serait un peu grande: « L'axe et le mouvement de rotation changés; les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur ; une grande partie des hommes et des animaux noyée dans ce déluge universel ou détruite par la violente secousse imprimée au globe terrestre ; des espèces entières anéanties, tous les monuments de l'industrie humaine renversés, tels sont les désastres que le choc d'une comète a dû produire, si sa masse a été comparable à celle de la terre. On voit alors pourquoi l'Océan a recouvert de hautes montagnes sur lesquelles il a laissé les marques incontestables de son séjour, on voit comment les plantes et les animaux du Midi ont pu exister dans les climats du Nord, où l'on retrouve leurs dépouilles et leurs empreintes. Enfin, on s'explique la nouveauté du monde moral dont les monuments certains ne remontent pas au-delà de quatre mille ans. L'espèce humaine, réduite à un petit nombre d'individus et à l'état le plus déplorable, uniquement occupée pendant très-longtemps du sain de se conserver, a dû perdre entièrement, le souvenir des sciences et des arts, et quand les progrès de la civilisation en ont fait sentir de nouveau les besoins, il a fallu tout recommencer, comme si les hommes eussent été placés nouvellement sur la terre ».

Ce tableau, qui ne diffère pas beaucoup du récit que fait la Bible du déluge universel, faisait penser aux meilleurs esprits ce que le grand Halley et d'autres avant lui avaient indiqué, que cette grande catastrophe historique devait être attribuée à une pareille rencontre. Cette conjecture paraissait même extrêmement probable ; car s'il est vrai, comme on le dit, que la comète de Newton, qui s'est montrée en 1680, fasse sept révolutions en 4028 ans, elle a dû apparaître en 2349 avant Jésus-Christ, c'est-à-dire à la date que la chronologie assigne au déluge universel.

Les préoccupations du monde savant au sujet des comètes indiquaient à notre jeune astronome la route à suivre. Des astres qui causaient de telles préoccupations étaient un sujet d'études bien attrayant pour un jeune homme animé de l'esprit des recherches scientifiques. Benjamin Valz s'en éprit ; dès lors, la direction de ses travaux fut déterminée et il devint astronome.

N'ayant d'abord aucun instrument à sa disposition, il commença à faire de l'astronomie à la manière des anciens Chaldéens, en suivant des yeux le cours des astres. C'est par de simples configurations géométriques qu'il détermina la marche des comètes de 1807 et de 1811. Quelques années plus tard, il possédait une des meilleures lunettes de Dollond, son observatoire était construit, et il y commençait la longue suite d'observations qu'il a faites à Nîmes pendant dix-neuf ans, jusqu'en 1836, époque á laquelle il fut appelé à la direction de l'observatoire de Marseille.

Sa première ambition fut d'appartenir à l'Académie du Gard. Il y fut admis le 20 janvier 1819, lorsque M. Tédenat, savant mathématicien et le premier recteur de l'Académie de Nîmes, obtint sa mise à la retraite et quitta notre ville pour rentrer dans sa famille. Les titres du nouvel élu étaient ses premiers travaux sur les comètes. « Comment pourrais-je mieux répondre à vos vues », dit-il au début du discours de réception qu'il prononça dans la séance du 16 aout 1819, « comment pourrais-je mieux répondre à vos vues qu'en vous offrant quelques aperçus sur ces astres singuliers qui, cette année encore, ont si vivement excité la curiosité publique ? » Et il fait ensuite l'exposé de ce qu'on savait alors sur le retour périodique des comètes, ce qui était en effet la grande question du moment en 1819.

Sur 122 comètes dont on avait alors calculé la marche, il n'y en avait qu'une seule dont on pouvait prédire le retour d'une manière certaine. C'était celle de Halley, qui la vit en 1682 et détermina les éléments de son orbite. Les comparant à ceux de deux grandes comètes apparues en 1531 et en 1607, Halley conclut à l'identité des trois comètes ; et, comme les intervalles entre les trois apparitions de 1531, 1607 et 1682 étaient de soixante-quinze à soixante-seize ans, il prédit une apparition nouvelle pour l'année 1757. La comète ne fut pas exacte au rendez-vous. On ne la vit ni en 1757 ni en 1758. Mais Clairaut démontra qu'elle avait dû être retardée de six cent dix-huit jours par l'attraction que les planètes Jupiter et Saturne avaient exercée sur elle, et qu'elle ne devait se montrer que vers les mois de mars ou d'avril de l'année 1759. Et, en effet, elle apparut le 12 mars de cette même année.

La comète de Halley avait été vue en 1456, en 1381, en 1305 et à des intervalles de soixante-quinze ans. En 1456, elle passa très prés de la , terre ; sa queue occupait soixante degrés du ciel. Elle répandit alors la terreur dans toute l'Europe, déjà consternée des progrès rapides des Turcs qui venaient de renverser l'empire de Byzance. Mais ses dimensions décrurent progressivement à chaque retour, et lors de sa dernière apparition, en 1835, quoiqu'elle ait beaucoup approché de la terre, elle a passé inaperçue et n'a éveillé que l'attention des astronomes. Elle reviendra, le 18 mai 1910, ainsi qu'on l'a déjà calculé, à moins qu'elle n'ait achevé d'ici là de se fondre dans les espaces célestes qu'elle parcourt.

Peu de temps avant l'entrée de M. Valz á l'Académie, du Gard, c'est-à-dire vers la fin de 181$, les calculs de Halley avaient été appliqués à une autre comète découverte à Marseille, dans la constellation de Pégase, par M. Pons, directeur de l'Observatoire. « Elle était », lisons-nous dans le discours que nous avons déjà cité, « elle était fort petite, sans queue et invisible à la vue simple. Peu d'astronomes ont pu l'observer. M. Enke, directeur adjoint de l'Observatoire de Gotha, vient de prouver qu'elle est identique avec la première des deux qui ont paru en 1805, et il a parfaitement représenté les observations de 1805 et de 1818. par une ellipse de trais ans et demi. Cette comète aurait donc dû reparaître en 1808, en 1811 et en 1815 ; mais sa situation dans le ciel a empêché de la voir. M. Olbers a prouvé également que les comètes de 1775 et de 1786 étaient encore la même ... Depuis la fameuse prédiction de Halley, en ,1682, qui se vérifia en 1759, le ciel n'avait plus offert un événement pareil à celui que nous sommes à la veille de voir s'accomplir une autre fois ... Trois ans suffiront pour confirmer une théorie aussi intéressante ».

Cette comète, attendue en 1822, fut, cette année-là, invisible pour l'Europe. Elle ne fut reconnue qu'à Paramatta, dans la Nouvelle-Galles-du-Sud. Mais, en 1825, elle fut aperçue et étudiée dans tous les principaux observatoires, et M. Valz fut le premier astronome qui la détermina et constata son identité.

Le retour périodique des comètes n'a plus le même intérêt, depuis que les observations, en s'accumulant, ont montré qu'il est moins rare qu'on ne le supposait. Les catalogues dressés par les astronomes contiennent les éléments de la marche de plus de huit cents de ces astres. Un plus grand nombre a été vu à différentes époques, sans que leur marche ait été soumise au calcul ; et il ne se passe pour ainsi dire pas de jours qu'on ne découvre de nouvelles comètes à l'aide des télescopes. Enfin, il en est une dizaine dont on peut prédire et vérifier le retour périodique. En 1825, la connaissance des comètes était moins avancée, et l'ardeur des astronomes à les étudier se justifiait pleinement.

M. Valz fit, vers cette époque, une remarque qui attira l'attention des savants : c'est que le diamètre de la nébulosité visible ou, en d'autres termes, de la queue se contracte rapidement, quand la comète se rapproche du soleil, et se dilate avec la même rapidité, quand elle s'en éloigne. L'Académie des sciences, frappée de ce fait singulier, mit au concours de 1832 la question suivante : « De la diminution du volume des nébulosités cométaires à mesure qu'elles s'approchent du soleil » ; c'est-à-dire qu'elle demandait l'explication des faits observés par M. Valz. Ce phénomène faisait depuis trop longtemps l'objet de ses méditations habituelles pour qu'il ne se mit pas au nombre des concurrents. Notre savant compatriote supposa l'existence d'un milieu éthéré dont la densité irait en croissant vers le soleil, et il démontra, par le calcul, que la pression exercée par ce milieu sur les nébulosités cométaires pouvait produire la diminution du volume observé. Son mémoire fut couronné par l'Académie, et notre confrère reçut, avec la médaille d'or, le titre de .membre-correspondant de l'Institut. Cette haute récompense ne voulait pas dire que l'explication donnée par M. Valz était la seule vraie, mais qu'elle rendait compte des faits et qu'elle était préférable aux théories proposées par ses concurrents.

« Et, en effet, il est bien possible, comme le dit Herschell dans son Traité d'astronomie, qu'il n'y avait pas d'autres expansions ou condensations de volume que celles dues à la convergence ou à la divergence de diverses paraboles décrites par chaque molécule à partir du sommet commun, ou que les apparences observées proviennent du passage des molécules situées dans les hautes régions d'une atmosphère transparente, de l'état de gaz invisible à celui de nébulosités visibles et réciproquement ».

Du moment où M. Valz eut pris place à l'Académie du Gard, il ne cessa plus de se livrer à l'étude. Le nombre de ses publications, de 1822 à 1867, époque de sa mort, est réellement inimaginable. Nous en avons compté vingt-deux dans les annales de notre compagnie, et cinquante-huit dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. Pour en faire l'énumération complète, il faudrait compulser encore la Correspondance astronomique du baron de Zach, la Bibliothèque universelle de Genève, la Correspondance mathématique de l'Observatoire de Bruxelles, les Mémoires de la Société royale astronomique de Londres, ceux de l'Académie de Marseille et de la Société de statistique de cette ville, l'Annuaire de la Société Météorologique de France, etc., etc. Parmi ces publications, on en trouverait au moins trente qui ont été très-remarquées et qui mériteraient une mention particulière.

N'attendez pas de moi, Messieurs, que je me livre à l'analyse de ces remarquables travaux : l'entreprise serait trop au-dessus de mes forces, et d'ailleurs, comment pourrais-je, en des sujets si abstraits, retenir jusqu'au bout votre attention. Je dois cependant vous arrêter un instant sur deux des communications faites par M. Valz à l'Académie des sciences, parce que vous y verrez, la perspicacité vraiment remarquable de notre éminent confrère dans les choses de l'astronomie.

Ceux d'entre vous qui ne sont pas restés étrangers â ce qui se passe dans le monde des astres, n'ont certainement pas oublié qu'il y a trente ans, on constatait encore, dans la marche de la planète Uranus, des anomalies étranges et qui ne pouvaient s'expliquer avec la loi de la gravitation universelle.

Fallait-il attribuer le désaccord constaté à des observations mal faites ? Personne n'y songeait sérieusement , car les écarts dépassaient de beaucoup les erreurs probables d'observation. Fallait-il, au contraire, l'attribuer à l'inexactitude de la loi de Newton ? On n'aurait pas osé, car cette loi avait jusqu'à ce jour parfaitement expliqué la marche de tous les astres.

C'est alors qu'un astronome, peu connu du public jusqu'à cette époque, eut l'idée d'attribuer les anomalies constatées à l'attraction d'une planète inconnue. Renversant le problème qu'on résout habituellement en astronomie, il se proposa de déterminer les éléments d'une planète inconnue qui, conjointement avec Jupiter et Saturne, produirait la perturbation d'Uranus. Tout le monde se rappelle la vive émotion qui saisit le monde savant, lorsque M. Le Verrier annonça, en 1865, qu'il avait démontré l'existence de cette planète nouvelle et qu'elle devait à telle époque occuper telle position dans le ciel. Mais cette émotion se changea en véritable triomphe, quand M. Galle, astronome de Berlin, vit, le 23 septembre 1846, « à la place précise indiquée par le Géomètre français », la planète annoncée depuis un an et connue sous le nom de Neptune.

Je vous étonnerai peut-être, Messieurs, en vous disant que notre savant confrère avait, près de dix ans auparavant, pressenti l'existence de Neptune. Et pourtant, n'était-ce pas Neptune qu'avait en vue, en 1836, M. Benjamin Valz, quand il envoya à l'Académie des sciences un mémoire relatif à « l'existence, probable d'une planète au-delà d'Uranus et qui se manifesterait par des perturbations dans la marche de la comète de Halley ? »

N'est-il point intéressant de constater la perspicacité scientifique de M. Valz, et n'aurions-nous pas le droit de dire qu'il a failli ravir à M. Le Verrier la gloire de sa grande découverte ?

La seconde communication sur laquelle je veux appeler votre attention est relative aux observations d'étoiles filantes faites à Nîmes dans la nuit du 12 au 13 novembre 1837.

Ce sont peut-être les premières qui aient été faites suivant des méthodes scientifiques. Sur ce point encore, M. Valz devançait son époque ; car ce n'est que tout récemment qu'on a soumis ces météores à des observations méthodiques.

Il paraît que les étoiles filantes se rattachent, au moins pour la plupart, à deux essaims auxquels on a donné les noms de Léonides et de Perséides, parce que leurs centres d'émission paraissent occuper, l'un la constellation du Lion et l'autre celle de Persée. L'apparition de ces deux essaims est assez régulière; vers le 10 août pour l'un et vers le 10 novembre pour l'autre, on assiste à des passages fort intéressants pour les savants, et quelquefois même pour les simples curieux. Depuis quelques années, pendant plusieurs nuits de suite, et aux époques indiquées, des hommes de bonne volonté se placent dans des observatoires improvisés pour compter les étoiles filantes et en relever la trajectoire. Parfois les brillantes voyageuses manquent au rendez-vous et la veillée est fort longue, surtout pour les astronomes amateurs que le zèle scientifique ne retient pas toujours ; mais parfois aussi les passages sont si rapides, les météores si brillants et si nombreux, qu'ébloui d'un spectacle magique dont rien ne peut donner l'idée, on oublie de tracer sur la carte céleste les trajectoires observées.

Du temps de M. Valz, ces observations régulières ne se faisaient pas encore. Il aurait applaudi, j'en suis sûr, à cette vaste organisation dont il semblait pressentir l'importance dès 1837. Mais qu'aurait-il dit, s'il avait assisté au passage inattendu du 29 novembre 1872 ? Ne peut-on pas supposer qu'il aurait été un des premiers à reconnaître que ces étoiles inconnues apparaissaient à la place de la comète de Biéla, qu'on attendait à cette époque et dont elles étaient peut-être les derniers débris ?

Ainsi, M. Benjamin Valz, à force d'étudier le ciel, avait pressenti les progrès futurs de l'astronomie. Telle est, en effet, la conséquence des études auxquelles les hommes d'élite se livrent avec passion, de développer en eux comme une prescience instinctive des découvertes , futures. Or, c'était réellement de la passion que notre confrère portait dans ses études astronomiques. Nous en verrons une dernière preuve dans le soin qu'il mit à assurer la continuation de ses études dans son observatoire de Nîmes.

Après avoir, pendant dix-neuf ans, passé des nuits à observer le ciel, M. Valz, en 1835, sentit le besoin de s'adjoindre un aide. Il venait, du reste, d'être appelé à la chaire d'astronomie, à la Faculté des sciences de Montpellier, poste qu'il n'occupa que peu de temps avant d'aller prendre la direction de l'observatoire de Marseille. Il choisit pour cela M. Laurent, jeune homme que ses goûts attiraient vers ce genre de travaux, et qui continua les observations régulières de son prédécesseur. Aussi pendant que, sous la direction du maître, on découvrait à Marseille les planètes Massalia (1852) et Phocéa (1853) ; qu'on étudiait les planètes Polymnie et Circé (1855), les planètes Harrnonia, Isis et la 43e (1856), son élève et successeur à Nîmes, dans son observatoire particulier, reconnaissait et déterminait complètement, le 22 janvier 1858, la 51e planète à laquelle on a donné le nom de Némausa.

II

Ce serait une erreur de croire que M. Benjamin Valz fût absorbé par les études astronomiques. Ses dispositions naturelles et l'éducation qu'il avait reçue avaient développé eu lui les facultés du raisonnement et de la réflexion, et il se trouvait prêt á parcourir avec les mêmes succès toutes les carrières où ces facultés trouvent plus habituellement leur application. Les circonstances l'avaient fait astronome, mais il avait quelque temps failli être ingénieur; et dans le fait on peut dire que, pendant toute sa vie, il fut à la fois l'un et l'autre.

C'est ainsi qu'au début de sa carrière, en 1812, nous le voyons, pendant quatre ans, au canal d'Arles, dont il fit exécuter des tronçons considérables ; c'est ainsi que nous allons le retrouver, d'abord à Nîmes, puis à Marseille, auteur de projets très sérieux et très consciencieusement étudiés.

Ce fut en 1822 que le conseil municipal de Nîmes fit, pour la première fois, appel aux lumières de M. Valz dans une question qui relevait surtout de l'art de l'ingénieur.

Cette, année a été célèbre, au moins dans nos, contrées, par son extrême sécheresse. La disette fut si grande à Nîmes qu'on fut obligé de charrier l'eau avec des tonneaux, non-seulement dans la ville, mais encore dans les villages voisins. Une commission fut nommée pour faire un jaugeage de la source de la Fontaine dans son état de plus grand étiage. Cette commission se composait de MM. Grangent, Simon Durant, Alphonse de Seynes et Benjamin Valz, rapporteur. Elle opéra avec une très grande précision et d'une manière bien plus exacte que Clapiès en 1719 et en 1739, et que Maréchal en 1745. Elle fit construire un déversoir dont le produit. fut reçu dans des vases exactement jaugés et mesura à part les diverses pertes. Elle trouva pour débit total 44 pouces fontainiers et 79 centièmes (597,23 litres par minute).

Mais elle fit en outre une remarque Importante : c'est que, quand les eaux étaient relevées à plus de 1,30 m au-dessus du pavé du Nymphée, elles cessaient complètement de couler ; si, au contraire, on détruisait le barrage pour abaisser les eaux au niveau du pavé, on trouvait 83 pouces 27 centièmes (1129,29 litres par minute). Frappé de ce résultat, M. Valz posa dans son rapport la question de savoir si on ne pourrait pas, en abaissant le plan d'eau à la source, en augmenter suffisamment le débit pour tous les besoins de la, ville. Malheureusement, et en supposant cette induction exacte, le sol de nos rues, qui s'est tant relevé depuis l'époque romaine jusqu'à nos jours, ne permettrait pas de conduire aux bornes-fontaines des eaux dont le niveau à la source serait abaissé de 1,30 m.

Ces premières études inspirèrent sans doute à notre savant confrère l'idée de rechercher comment il pourrait fournir à sa ville natale toute l'eau dont elle aurait besoin; car nous le trouvons prêt à figurer avec le plus grand honneur au concours ouvert en 1825 par la ville de Nîmes, et à présenter un projet assez hardi pour l'époque et dont je dois vous faire connaître l'économie et les dispositions principales.

C'est une histoire fort intéressante, Messieurs, que celle des eaux de Nîmes et de tous les moyens qui ont été proposés pour rendre à notre cité les eaux abondantes dont elle jouissait sous les Romains et dont l'avaient privée les malheurs des temps. Cette histoire, vous la connaissez tous. Elle vous a été racontée par un de nos confrères, M. Jules Teissier, avec une verve et un savoir que nul ne saurait égaler. Qui n'a présents à la mémoire les brochures et les articles par lesquels M. Teissier a su, pendant de longues années, retenu, sur une question si compliquée, l'attention publique, toujours si prête à se lasser?

C'est dans ces publications que nous avons appris à connaître les projets qui, depuis les Romains jusqu'à nos jours, sont venus solliciter l'attention de nos pères et la nôtre. Permettez-moi de vous rappeler sommairement toutes les solutions qui ont été proposées.

Plusieurs ont songé à obtenir l'eau nécessaire à la ville par un meilleur emménagement de la source de la Fontaine et la captation des eaux souterraines qu'on a toujours cru très-abondantes. M. Fontanier, avocat féodiste, en 1770, espérait même trouver ainsi les moyens d'alimenter un canal de navigation de Nîmes à Aigues-mortes. Telle était également, en 1774, l'idée de M. Angrave, ingénieur de la province ; telle fut un instant celle des frères Blachier, qui vinrent quelques années après lui. Nous l'avons vue reproduite de nos jours et en quelque sorte mise à exécution sous nos yeux, mais dans des proportions restreintes, par M. Prunier, dont le puits, je crois, subsiste encore.

D'autres ont pensé qu'il fallait prendre l'eau au Rhône. Les premières propositions dans ce sens datent de 1561. Elles étaient à cette époque un peu prématurées. Deux siècles après, en 1750, M. Maréchal proposait de faire un canal partant de la roche de Comps et d'alimenter ainsi la ville et une voie navigable qui suivrait le cours du Vistre. C'est encore à la roche de Comps, mais avec des machines élévatoires, qu'en 1787, un ingénieur dont je n'ai pas retrouvé le nom, se proposait de prendre les eaux. En 1842, M. Ernest Dombre voulait faire un canal à pente qui partirait de Viviers et serait navigable; et la même année, se présentait une compagnie qui se chargeait de pomper, à la roche de Comps, l'eau qu'elle conduirait à Nîmes. Vous le voyez, Messieurs, la Société dite des Eaux de Nîmes, qui voulait dériver le Rhône au Pouzin, M. Dumont, l'éminent et audacieux ingénieur, auteur du projet exécuté et dont la ville recueille aujourd'hui les fruits, ont eu, l'un et l'autre, de nombreux devanciers, et leurs projets n'ont été, en somme, que la résurrection de ceux que nous venons de faire connaître.

Le Gardon, qui passe si près de nous, ne pouvait non plus être oublié dans les recherches qui ont été faites pour doter Nîmes des eaux nécessaires à son alimentation et à son industrie. Mais tout le territoire qui sépare Nîmes de cette rivière est occupé par des collines nombreuses, au relief tourmenté, formant une chaîne, dont les cols sont à un niveau relativement très-élevé et ne peuvent être franchis par un canal à pente. Les Romains, dont l'aqueduc suit pourtant sur une grande longueur la vallée du Gardon, n'avaient pas puisé dans cette rivière l'eau dont ils avaient besoin; car le niveau auquel ils voulaient arriver à Nîmes ne le leur permettait pas, à moins de remonter fort loin dans la vallée. Ils s'étaient contentés des sources d'Eure, aujourd'hui en grande partie utilisées à Uzès, et dont le débit devait être de leur temps bien supérieur à ce qu'il est aujourd'hui. Mais vers la fin du XVIIe siècle, Denys Veyras avait eu l'idée de faire un canal de navigation qui aurait joint le Gardon au Vistre et aurait desservi Nîmes. Un siècle plus tard, les frères Blachier, qui avaient renoncé à alimenter un canal de navigation avec la source de la Fontaine, remontèrent la vallée du Gardon et indiquèrent la possibilité de prendre les eaux au moulin de Calvière, à Boucoiran. Cette idée frappa les Etats-généraux de Languedoc, qui chargèrent leur ingénieur, M. Delille, de l'examiner en détail. Mais cet ingénieur s'empara, du projet Blachier et le présenta sous son nom après l'avoir à peine remanié. À peu, prés à la même époque, Delon proposa de restaurer l'aqueduc romain, depuis le Pont du Gard jusqu'à Nîmes, et de puiser les eaux du Gardon au droit même du Pont du Gard. Cependant, malgré le concours ouvert par l'Académie du Gard, malgré la promesse de subvention de Mgr de Balore, la question ne progressait pas ; car l'administration municipale hésitait toujours entre toutes les solutions proposées et qui avaient chacune leurs partisans convaincus. D'ailleurs, les troubles de la Révolution et les guerres continuelles de l'Empire, avaient détourné les Nîmois de leur préoccupation constante. Mais, quand la paix et la prospérité furent rendues au pays, l'esprit d'entreprise se développa de nouveau, et de nouveau on songea au Gardon. Ainsi, en 1822, MM. Despuech et Durand proposaient de faire un canal navigable d'Alais à Aigues-Mortes passant par Nîmes ou prés de Nîmes et alimenté par le Gardon. En 1825, M. Benjamin Valz présentait le projet que nous examinerons tout à l'heure ; en 1832, M. Talabot, que notre compagnie s'honore de compter parmi ses membres, avait l'idée de combiner les ouvrages du chemin de fer d'Alais, alors à l'étude, de manière à conduire à Nîmes les eaux dont elle avait besoin. En 1838, M. Perrier, qui est devenu depuis inspecteur général et président du Conseil des ponts et chaussées, modifiait et améliorait les propositions de M. Valz. En 1842, commencèrent les nombreuses et intéressantes études de M. Jules Teissier, qui avaient toutes pour point commun la restauration de l'aqueduc romain, et dont l'une, un peu modifiée constitue le projet de notre confrère, M. l'ingénieur Ch. Dombre. Enfin, à des époques diverses, MM. Bouchet aîné, Delachaize et Sigaud, Peyret-Lallier, demandaient encore au Gardon les eaux dont notre ville avait tant besoin.

Pour que ce rapide résumé de l'histoire des eaux de Nîmes soit complet, je ne dois pas oublier que M. Thouvenot, en 1868, voulait nous amener les eaux de l'Ardèche. Seul entre tous ceux de notre époque, le projet de cet ingénieur a constitué une idée neuve et originale, puisque toutes les autres avaient depuis longtemps, et à différentes reprises, fait l'objet de propositions nombreuses et variées.

Vous ne me demandez pas, Messieurs, de comparer entre elles ces diverses études et de vous faire connaître mon sentiment sur chacune d'elles. Ce serait sortir de notre compétence, et quel intérêt d'ailleurs présenterait cet examen rétrospectif en présence du fait accompli ? D'ailleurs, il me tarde de revenir à M. Benjamin Valz et à son mémoire, dont on comprendra beaucoup mieux l'économie et le mérite, après l'énumération complète des divers projets qui l'ont précédé et de ceux qui l'ont suivi.

M. Valz, qui pour ce travail s'était associé un de ses confrères de l'Académie, M. Fauquier, capitaine du génie, commence par déclarer qu'il faut à Nîmes 800 pouces fontainiers (185 litres par seconde) ; puis il fait observer qu'on peut obtenir les eaux, soit en les élevant par des machines, soit en les conduisant par la pente ; enfin les machines peuvent être mues, soit par l'eau, soit par la vapeur. Mais il observe en commençant, que, pour élever 204 pouces seulement à 300 pieds, il faut un débit de 30000 pouces agissant par une chute de 5 pieds, et il en conclut qu'il n'est guère possible d'avoir la force nécessaire à un moteur hydraulique. Quant aux moteurs à vapeur, ils dépensent 40000 fr. par an, rien que pour élever 300 pouces, non compris (bien entendu) l'intérêt et l'amortissement du capital, et M. Valz trouve cette dépense excessive. Il rejette donc, d'une manière absolue, les machines à vapeur comme trop coûteuses, et les machines hydrauliques comme irréalisables. Enfin, on doit encore, suivant lui, éviter les aqueducs sur voûtes, parce que ce sont des ouvrages trop hardis, ce que démontre la destruction de tous ceux qui ont été construits jusqu'à ce jour. M. Valz est ainsi conduit à adopter un canal à pente, et dès lors il ne peut hésiter qu'entre les eaux de la fontaine d'Eure, celles du Rhône et celles du Gardon.

Il écarte tout d'abord la fontaine d'Eure. Cette source est une propriété privée ; pour la conduire à l'aqueduc romain restauré à cet effet, il faudrait reconstruire encore 2000 mètres d'aqueducs sur arcades, ce qui serait une forte dépense. Si aux arcades on substitue des siphons, on n'aura plus que de petits volumes d'eau ; enfin, les eaux de la fontaine d'Eure sont impropres à la teinture. Les eaux du Rhône sont sans contredit bien meilleures; mais, comme ce fleuve n'a qu'une pente de 0,64 m par kilomètre, il faudrait remonter à 150 kilomètres, soit au-delà de Viviers, pour arriver à Nîmes à la hauteur reconnue nécessaire. Il ne reste donc de possible, aux yeux de M. Valz, qu'une dérivation du Gardon.

Or, en amont du pont de Ners, à l'extrémité supérieure du canal de M. de Calvières, les eaux du Gardon se perdent pour ne reparaitre que beaucoup plus bas, dans des gorges où on ne peut les utiliser. On peut aisément les dériver dans cette région où elles se perdent, sans susciter les réclamations des riverains. Si on place la prise d'eau plus en amont, pour essayer de passer dans la vallée du VidourIe, et de là dans celle du Vistre, en contournant les côteaux, on augmente considérablement la longueur du parcours ; on est obligé d'adosser le canal à des terrains crevassés qu'il faut revêtir de maçonneries ; enfin, on ne peut disposer que d'un moindre volume d'eau tout en s'exposant à des réclamations plus nombreuses de la part des usagers inférieurs. Si, au contraire, on suit la vallée même du Gardon, pour rejoindre l'aqueduc romain, on a à franchir des gorges profondes par des ouvrages très-coûteux et difficiles à établir dans un sol si escarpé.
M. Valz se trouve ainsi conduit à préférer un tracé intermédiaire, qui, partant du dernier moulin de Calvières et passant près du moulin de Nozières, ira longer les coteaux au-dessus de Sauzet et de Saint-Genies et contourner les collines de la Rouvière. En remontant alors la vallée de la Braüne, on n'aura, pour atteindre Nîmes, qu'à faire un percé de 13000 mètres au-dessous de Vallongue, de Vallonguette, du mas de Granon et du Cadereau. Le canal construit suivant ce tracé n'aura qu'une longueur de 23,438 m. Sa pente totale sera de 15,047 m.
MM. Valz et Fauquier ne se dissimulèrent pas que le point délicat de leur projet était la construction de ce percé de 13 kilomètres, malgré, les puits intermédiaires qu'on pouvait creuser, et ils s'attachèrent à démontrer que cet ouvrage ne présentait aucune impossibilité technique. Ils citèrent, du reste, l'exemple des galeries pratiquées dans les mines de Himmelfürst et dans celles du Hartz.

Ce projet, quoique généralement bien accueilli, souleva cependant bien des contradictions . Pour les combattre, M. Valz et son collègue publièrent, en 1832, deux nouveaux mémoires. Ils s'attaquèrent surtout au projet de M. Talabot, qui, disaient-ils, était lié à l'exécution d'un chemin de fer de 80 kilomètres de longueur, le plus long connu, qui comportait deux tunnels, un pont de six arches de 16 mètres d'ouverture chacune, tous ouvrages d'une, exécution difficile, d'une solidité douteuse et d'une dépense exagérée. Ils produisirent enfin, comme pièces justificatives, de nombreux rapports faits par des hommes d'une compétence incontestable et tendant tous à établir la possibilité de cette galerie de 13 kilomètres de longueur.

Aujourd'hui, Messieurs, que les progrès dans l'art de la construction, nous ont habitués à des tunnels gigantesques, tels que ceux du Mont-Cenis et du Saint-Gothard, nous sommes tentés de sourire de toutes ces discussions et de toutes ces craintes. Notre pensée se reporte involontairement au projet de tunnel sous le Pas-de-Calais, dont la possibilité a été, suffisamment justifiée aux yeux des gens compétents pour obtenir de la part des gouvernements intéressés des faveurs officielles. Nous savons par, conséquent que, au point de vue technique, les impossibilités absolues sont fort rares et qu'on n'est limité que par le chiffre de la dépense. Mais il faut juger les hommes et les choses dans leur temps ; et dès lors, nous n'hésitons pas à reconnaitre, dans le projet de M. Benjamin Valz, des idées neuves, originales, hardies et consciencieusement étudiées. C'est ce qui explique la faveur avec laquelle il fut accueilli par le conseil municipal, qui accorda un prix à son auteur et des fonds pour faire des essais de forage de puits. Vous savez, Messieurs, comment, en présence des nombreux projets que vit éclore cette époque, l'administration de la ville n'osa pas prendre une décision définitive.

En quittant Nîmes, M. Valz n'eut garde de se désintéresser de la question des eaux. En 1840 , il donna lecture à l'Académie du Gard d'une notice sur l'aqueduc romain. Il y établit deux points ; le premier que la branche principale, dont le tracé était resté jusqu'alors incertain, présentait un percé de 300 mètres sous la butte des moulins à vent; le second, qu'il existait, comme il l'avait lui-même indiqué en 1827, une branche secondaire allant de Nîmes â Marguerittes, distincte de la première, et que Delon n'aurait pas regardée comme faisant partie du canal principal, s'il avait observé que sa pente était en sens inverse de ce qu'il faut pour conduire les eaux à Nîmes.

Plus tard, M. Valz, toujours préoccupé de cette question des eaux de Nîmes, remarqua que l'aqueduc romain présente, de Sernhac à Nîmes, une pente quadruple de celle qui existe entre le Pont-du-Gard et Lafoux. Il affirma alors que les Romains, ne faisaient rien sans motif, et que cette pente avait été ainsi accrue parce que le débit du canal devait être augmenté par une prise pratiquée dans l'étang de Laugnac. À la suite de ces études, il indiqua la possibilité de conduire à Nîmes les eaux qui, par voie de drainage, pénètrent dans l'aqueduc romain.

Serait-ce suffisant, Messieurs, pour justifier le titre d'ingénieur, que je me suis plu à donner à M. Valz, d'avoir fait ces découvertes sur l'aqueduc romain, ou même d'avoir eu l'idée d'un canal à pente pour conduire à Nîmes l'eau du Gardon ? Non, sans doute, puisque nous savons que des archéologues, des banquiers, des avocats ont eu le même mérite,

L'idée première, tout le monde en effet peut l'avoir; ce qui constitue l'ingénieur, c'est la présentation d'un projet bien étudié, se tenant dans toutes ses parties et d'une exécution certaine. Or, ces qualités se remarquent à un haut degré dans le travail de M. Valz. Nous allons, du reste, les retrouver encore dans un projet présenté en 1838, pour l'établissement à Marseille de docks et de nouveaux ports. Certes, Messieurs, je n'hésite pas à le déclarer, si on voulait juger ce nouveau projet de notre confrère d'après tout ce que nous avons vu et appris depuis quarante ans, on le trouverait un peu insuffisant. Mais savait-on, en 1838, quelle influence exercerait sur le commerce l'ouverture des lignes de chemins de fer ? Avait-on l'idée qu'on pût jamais percer l'isthme de Suez et mettre ainsi l'extrême Orient à. quelques jours à peine de la France ? Et comment s'étonner alors des proportions restreintes que M. Valz propose de donner aux ports de Marseille ? Remarquiez cependant, Messieurs, que d'idées justes dans ce projet sommaire ! Le port nouveau sera dans l'anse de la Joliette, des docks s'élèveront le long des quais, et ces docks seront en communication avec le chemin de fer de Lyon à Marseille. Le tout sera construit par une compagnie qui se remboursera en percevant des taxes sur les marchandises entreposées. Tout ce projet est très-pratique; discuté et étudié dans tous ses détails, comme peuvent seuls le faire les gens qui connaissent à fond le métier ou qui ont toutes les aptitudes nécessaires pour le connaître.

Ces études, ces projets, malgré leurs qualités réelles, n'étaient pour M. Valz qu'une distraction à ses travaux astronomiques. C'était à ceux-ci qu'il reverrait toujours avec une prédilection marquée. Les comètes, les planètes, les appareils astronomiques, les méthodes d'observation, les sciences mathématiques, auxquelles les astronomes ont si souvent recours, finirent par absorber tous les loisirs que lui laissaient ses fonctions de directeur de l'observatoire. C'est au milieu de ces occupations sérieuses, continuées même après sa mise à la retraite, que la mort vint le prendre, le 22 avril 1867. Il avait vécu prés de quatre-vingts ans, dont soixante au moins avaient été consacrés au culte exclusif de la science.

Une de ses dernières pensées fut pour sa ville natale; car il recommanda à sa fille, Mme Alphonse Dumas, qui a pieusement déféré à ce désir, de donner à la Bibliothèque de Nîmes tous les ouvrages scientifiques qu'il possédait et dont le nombre dépassait 11000.

J'ai essayé, dans ce qui précède, de donner une idée générale de cette vie si bien remplie. C'est à votre mémoire, Messieurs, aux souvenirs que M. Valz a laissés parmi vous, que je fais appel pour combler les nombreuses lacunes de mon travail. S'il m'a fallu votre bienveillance pour retenir votre attention sur des sujets scientifiques, que d'autres que moi auraient su rendre intéressants, il me la faut encore pour toutes les choses que j'ai omises et que quelques-uns d'entre vous auraient petit-être voulu voir rappeler ici. Il n'est que trop vrai que le panégyriste n'était à la hauteur ni de son sujet ni de son auditoire; mais, vous lui tiendrez compte de sa bonne volonté, comme il a lui-même compté sur votre indulgence.

Et d'ailleurs, la vie de M. Valz n'offre-t-elle pas par elle-même un charme tout particulier ? Cette vocation qui s'impose, ce labeur continu de soixante années, cette grande fécondité scientifique, sont fort intéressants à connaître, utiles à méditer, et démontrent, à mon sens, tout ce que peuvent l'amour du travail et le dévouement à la science. Grande leçon, Messieurs, pour la génération actuelle ! Aujourd'hui, on travaille encore, mais on travaille sans affection et sans ardeur. On se soumet, d'un cœur plus ou moins résigné, à cette nécessité de notre condition mortelle ; mais on ne l'accepte pas comme une source réelle de jouissances intérieures et de satisfactions profondes. Quant à la science, on ne l'aime plus. On en fait tout juste assez pour les examens qui ouvrent les carrières libérales ; mais, ces examens passés, on se hâte d'oublier le peu qu'on a appris pour les subir.

La vie de M. Valz tout entière proteste contre une pareille conduite ; et, si je voulais l'apprécier en quelques mots , j'emprunterais à Augustin Thierry ce que cet historien a dit de lui-même : « Si, comme je me plais à le croire, l'intérêt de la science est compté au nombre des grands intérêts nationaux, j'ai donné à mon pays tout ce que lui donne le soldat mutilé sur le champ de bataille; quelle que soit la destinée de mes travaux, cet exemple, je l'espère, ne sera point perdu. Je voudrais qu'il servît à combattre l'affaissement moral qui est la maladie de la génération actuelle... Avec l'étude, on traverse les mauvais jours sans en sentir le poids, on se fait à soi-même sa destinée, on use noblement sa vie. Voilà ce que j'ai fait et ce que je ferais encore; si j'avais à recommencer ma route, je prendrais celle qui m'a conduit où je suis. Aveugle, et souffrant sans espoir et presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage qui, de ma part, ne sera pas suspect : Il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé elle-même, c'est le dévouement à la science ». 

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EN SAVOIR PLUS SUR BENJAMIN VALZ

> Etude sur l'aqueduc rétrograde le la Fontaine à Marguerittes, 1827
> Proposition d'amener l'eau à Nîmes par Benjamin Valz, 1832
>
 L'observatoire de Benjamin Valz, rue de l'Agau en 1835

> Découverte de la planète Némausa en 1858
> Benjamin Valz, par René Deloche, 1875


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