. L’ANCIEN PETIT THEATRE ROMAIN
DU JARDIN DE LA FONTAINE DE NIMES
extrait du Vieux Nîmes, n°20 avril 1945 pages 14 et
15,
par le Conservateur des Musées de Nîmes, H. B.
. Fin 1943 et début 1944, sur
l'initiative de M. Chauvel, architecte en chef des Monuments Historiques, des
sondages ont été fait à la Fontaine pour retrouver les, vestiges du petit
théâtre romain ayant existé jadis à l'emplacement actuel de la pelouse créée
voici quelques cinquante ans, à l'Est de la première terrasse, à côté de
l'affreuse rocaille qui fait si vilaine tâche dans l'harmonieuse ordonnance de
notre promenade. Ce petit théâtre, très
endommagé au moment de l'inopportune création précitée, a toujours été méconnu.
Il a été complètement laissé en dehors des plans de Mareschal qui, en temps
utile, aurait pu le sauver et le remettre en bon état de présentation. Mais à
cette époque, par suite du voisinage d'une canalisation, qui n'avait aucun
rapport avec lui, ce monument l'ut considéré comme une piscine. Par analogie
avec les escaliers en courbe établis au bord de la source, les gradins encore
visible, au nombre de 9, eurent la même attribution; simples marches de
descente vers la surface des eaux, et, parfois, sièges de repos, entre deux
plongeons,, pour les baigneurs supposés de la piscine. Cette croyance à la
piscine persista jusqu'au milieu du XIX° siècle. Le Dr Teissier-Rolland dans
une de ses nombreuses études sur la restauration et réutilisation de l'aqueduc
du Pont du Gard, publiée en 1842, voyait encore dans les vestiges du théâtre un
des réservoirs indiqué par Ménard dans ses commentaires sur la conduite
présumée des eaux de la Fontaine d'Eure jusqu'à proximité de notre source. Auguste Pelet, lui-même, au
début de ses patients travaux sur nos monuments, croyait aussi à l'existence de
la piscine. Dans les premiers, catalogues de ses monuments en liège il donne à
celui-ci la dénomination de Baptisterium. C'est en 1851, seulement,
dans une brochure sur le site de la Fontaine intitulée « Confidence du
dieu Nemausus » que le Dr Teissier-Rolland émit l'hypothèse du théâtre et
la soutint avec de judicieux arguments, basés sur une étude très attentive et
des comparaisons avec divers autres édifices antiques. Auguste Pelet, par la
suite, adopta en partie les conclusions de son collègue de l'Académie, mais
sans être catégorique, et laissant dans ses commentaires sur l'édifice, place
aux deux possibilités d'usage. Il eut le grand mérite de faire une maquette
très précise, sans se laisser entraîner a aucune restauration. C'est grâce à ce
précieux travail que survit encore l'exacte figure de l'intéressante ruine.
Sans elle et sans le dessin du Dr Teissier-RolIand, figurant dans le 4e volume
de son ouvrage sur les eaux de Nimes, nous ne posséderions rien pour
matérialiser les descriptions de l'édifice, assez contradictoires suivant
l'époque de leurs rédactions. Nous avons déjà indiqué que
Mareschal avait complètement dédaigné le petit théâtre dans son plan
d'aménagement des vestiges antiques. Laissé à l'abandon il fut petit à petit
dépouillé de tous les restes de riches décorations que l'on avait pu voir
gisant dans le bassin supposé, lors de sa première mise à jour et dont rien n'a
été conservé, à moins que diverses pièces ornementales puissent s'y rapporter
parmi les nombreux documents sans indications d'origine conservés au Musée
Lapidaire. La descente des, terres, à
la suite de chaque orage, combla assez rapidement les sondages de Mareschal et
tout disparut. Clérisseau dans son bel ouvrage du XVIIIe siècle ne consacre
aucune place à cette ruine qu'il n'a pu voir. C'est en 1854 seulement que, sur
les désirs d'Auguste Pelet, une partie des crédits votés pour des chantiers de
chômage furent affectés à des recherches nouvelles. Le théâtre fut rapidement
retrouvé et dégagé dans ses principales parties, tel que le montre la maquette
de Pelet. On pouvait espérer revoir aussi une partie de ses, dépendances du
côté de l'Ouest, mais les travaux entrepris n'avaient pas la faveur du public.
Il y avait sur ce point de la promenade un site assez agreste, alors connu sous
le nom de « Creux Coumert » et l'on estimait que la destruction des
végétations qu'entraînent les fouilles en sous sol étaient plus désagréables
que ce que pouvaient avoir d'intérêt quelques nouvelles pierres mises à Jour.
Les fouilles furent interrompues avant résultat complet. Il s'ensuivait un
nouvel abandon du théâtre; quelques restes, architecturaux, trouvés dans le
voisinage, eurent le même sort que ceux dispersés au XVIII° siècle. Les broussailles
reprirent possession du sol et lorsque, vers 1890, naquirent les projets
d'aménagement de cette partie, alors inculte, du Mont d'Hausser les ruines du
théâtre n'apparaissaient plus que très partiellement. Elles réapparurent à peu
près complètement durant quelques jours, au cours des travaux, mais pour
disparaître définitivement cette fois; les pierres, recouvrant les gradins
utilisées dans la structure de l'affreuse rocaille ou les soubassements de la
nouvelle terrasse, et le squelette du théâtre enseveli sous la pelouse. A plusieurs, reprises,
voici quelques années, le Commandant. Espérandieu avait eu velléité d'employer
une partie de ses crédits archéologiques à des sondages pour rétudier la ruine
disparue. Nous ne l'encourageâmes guère dans la réalisation de ce projet. Nos
souvenirs de jeunesse nous permettaient de supposer qu'il ne demeurait pas
grand chose du joli monument méconnu. Ainsi que nous venons de le dire, nous
avions vu, certain jour, le remploi des pierres antiques dans les substructions
des nouveaux aménagements du jardin. Nous ne fûmes pas plus
enthousiaste lorsque, récemment, M. Chauvel entreprit les recherches qui
viennent d'avoir lieu. Toutefois nous nous gardâmes de présenter la moindre
objection; il aurait été trop maladroit de décourager un haut fonctionnaire de
l'administration des Beaux-Arts daignant s'occuper, en dehors de ses grands
monuments classés, des vestiges archéologiques de notre ville. D'autre part, la
recherche entreprise pouvait avoir tout au moins l'avantage de fixer, par la
correspondance avec un tracé extérieur, l'emplacement précis du monument. C'est
ce qui a été fait. Cet emplacement, aisément rencontré, grâce à la maquette de
Pelet, ne donna que la mélancolique vue de ce qui n'avait pu être enlevé; quelques
entailles de la roche marquant la place des degrés inférieurs. Cette constatation,
confirmant malheureusement notre pessimisme, ne pouvait inciter l'architecte
des monuments historiques à pousser plus loin la recherche des ruines
saccagées. Une levée de plan fût minutieusement effectuée et la place jadis
occupée par le théâtre marquée sur la pelouse lui servant de tombe verdoyante. Cette précision ne sera pas
sans intérêt si, plus tard d'autres rencontres de vestiges antiques permettent
d'avoir une plus sure évocation de ce que fut l'ensemble des monuments ayant
entouré la Source Sacrée.
Extrait du Vieux Nîmes, avril 1945, page 14-15, H.B.
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. Découverte d'un petit théâtre romain
au Jardin de la Fontaine
titre original "Nouvelles fouilles exécutées en 1854" -
Extrait
des Mémoires de l'Académie, 1854-1855, pages 236-252, par M. A. Pelet
(1785-1865) ..Les fouilles du petit Théâtre en 1854 - Collection Gérard Taillefer.
. Que
notre insistance auprès de l'autorité municipale eût contribué â rendre à
l'archéologie un édifice dont l'historien de Nîmes avait à peine indiqué la
place et la destination ; que ce monument soit un théâtre (1), un exèdre (2),
une palestre (3), un odéon (4), une école publique ou bien une naumachie, comme
seraient disposés à le croire les savants de la capitale, peu nous importe ! la
couronne monumentale de notre antique cité s'est enrichie d'un fleuron de plus,
c'est là une vérité que personne ne contestera !
. (1) Comme ceux que l'on voit à Orange et à
Arles. (2) Les Exèdres étaient de petites académies
entourées d'un theatridium, c'est-à-dire, des gradins disposés comme ceux des
théâtres sur lesquels on venait écouter les discussions des gens de lettres,
des philosophes, des théoriciens qui se réunissaient dans ces lieux ; les
Exèdres étaient richement décorés et pavés ; à ce double point de vue, notre
theatridium aurait pu servir à cet usage. (3) La .Palestre était un lieu d'exercice où
les anciens, devant un public assis sur le theatridium, s'exerçaient à la
gymnastique médicinale et athlétique , à la lutte, au palet, au disque, au jeu
de dard et autres jeux analogues. Mais le terrain destiné à cet usage était
couvert de sable et de boue pour empêcher que les athlètes ne se meurtrissent
en se renversant par terre, ce qui exclut l'idée que notre theatridium pouvait
avoir appartenu à une Palestre. (4) L'Odéon était un petit filaire en tout
semblable au grand, il avait son proscenium, sa scène, ses cinq portes ; il
devait être situé à la gauche du théâtre tragique et couvert, tel enfin que celui
que l'on voit aujourd'hui à Pompéi. C'est là que l'on faisait les répétitions
(Vit, lib. v , cap. 9). Odeon erat locus in theatri speciem, in quo de more
poemata ostendebantur, antequam in theatro publicarentur.
. La
reprise des fouilles se chargera, il faut bien l'espérer, de résoudre, tôt ou
tard, le problème ; quelle que soit cette solution, nous n'aurons pas même la
satisfaction de pouvoir dire : je l'avais deviné ! car, si nous adoptons de
préférence l'opinion de l'historien nîmois, c'est que, plus rapproché d'un
siècle du moment où ces vieux restes furent couverts, il a pu, mieux que nous ,
en connaître la destination. L'importance
de Nîmes, sous les Romains, ne peut laisser aucun doute sur l'existence d'un
théâtre dans cette antique métropole ; occupait-il l'emplacement où se trouve
aujourd'hui le Palais-de-Justice, comme nous le supposons ? C'est fort
incertain, mais rien ne nous démontre jusqu'à présent, que nous ayons enfin mis
la main sur un de ces monuments d'origine grecque, dont la ville d'Arles et
surtout d'Orange conservent de si beaux restes. Dans
cette incertitude, nous nous bornerons à faire connaître le résultat de nos
découvertes nouvelles , avec cette arrière-pensée, toutefois, que le vieux
blénard pourrait bien avoir eu raison de donner le nom de piscines au monument
dont nous exhumons aujourd'hui le theatridium. Il
y avait chez les Romains plusieurs genres de piscines ; on aurait tort de
supposer qu'il s'agit ici de ces viviers pour la construction desquels les
riches citoyens de Rome, que Cicéron appelle par ironie Piscinarii, dépensaient
des sommes immenses, dans le seul but d'entretenir et de conserver des poissons
(1). Ce
n'était pas là non plus une de ces piscines ou grands réservoirs d'eau couverts
de voûtes, dans le genre de celle dont Pison fut l'auteur, où les flottes
romaines stationnant au port de Cume, venaient s'approvisionner d'eau douce. Mais
la piscine dont notre theatridium faisait partie était comme celle dont parle
Festus (2), piscina publica, grand
réservoir d'eau froide clans lequel bon nombre de personnes pouvaient se
baigner à la fois (3) et même nager ; c'est là que les parents eux-mêmes venaient
exercer leurs enfants à cet art qui faisait partie de l'éducation romaine. Si
l'on voulait simplement se baigner, on s'asseyait sur l'un des trois gradins
inférieurs, les seuls qui fussent submergés, tandis que les gradins supérieurs,
dont aucun n'existe aujourd'hui, étaient destinés à servir de siège aux
personnes qui s'amusaient à voir les exercices de natation.
. (1) (*)
Ædificantur magno, magna implentur, aluntur rnagno (Varron). Lucullus fit, pour la construction d'une de
ces piscines, une dépense qui lui mérita le surnom de Xerxes togatus : Lucullus
exciso monte juxta Neapolin ; majore impendio quam villant œdificaverat,
Euripum et Maria admisit quâ causa, Magnus Pompeius Xerxem togatum appellabat
(lib. 9). (2) (*)
Piscina publica hodièque nomen manet, ipso non extat, ad quam et natatum
exercitationes alioqui causâ veniabat populus. (3) (*)
Les mœurs des Grecs et des Romains permettaient l'usage des bains en commun ;
la séparation dans los bains ne fut ordonnée que sous Hadrien. Cet usage
s'explique, dit Matois (page 72), par la simplicité des mœurs des premiers
temps, tris-reculés ; nous avons un exemple d'un autre pays qui prouve que ces
mœurs y restaient pures jusques aux temps modernes. Un envoyé du Pape, qui
venait d'assister è un concile où les discussions avaient été tant soit peu
vives, passa par Baden-Bade pour calmer ses émotions dans les eaux célèbres de
ces bains ; voici la description qu'il en fit au XVe siècle à l'un de ses amis
d'outre-monts. « Quelle fut ma surprise de voir descendre
dans le même bain avec les hommes, les femmes et les jeunes filles,
complètement déshabillés les uns et les autres, ne cachant absolument rien à la
vue de tout le monde. Cela me rappelle les fêtes florales des anciens. Mais ce
que j'y admire le plus, c'est cette simplicité de mœurs ; personne n'y fait
attention, personne n'en dit et n'en pense du mal ; l'indécence n'y est même pas
soupçonnée ; on s'amuse, on est au milieu de l'eau et l'on y passe son temps à
des jeux innocents. Là, il ne s'agit pas du partage des biens de ce monde, mais
de la jouissance paisible de ce qui est partagé : Oh que je leur envie ce
calme, ce bonheur 1 nous qui, jamais rassasiés, ne cherchions qu'a acquérir,
qu'à amasser trésor sur trésor, et qui, en crainte des biens de l'avenir,
passons en craintes et peines le présent. »
. NDLR (*)
Beaucoup de citations et références sur les coutumes romaines qui n'ont rien à
voir avec les fouilles du site du Creux-Coumert. Auguste Pelet a développé une
théorie sur l'usage du petit théâtre de la fontaine qui par la suite s'est
avérée fausse, il n'y avait pas de bains, seulement un théâtre.
. Si
nous trouvons un peu trop vulgaire l'expression de piscine appliquée à notre
découverte, pourquoi ne lui donnerions-nous pas le nom plus poétique de baptisterium
dont les néologues romains firent usage, après là conquête de la Grèce, pour
désigner ces grands réservoirs d'eau froide dans lesquels les anciens se
baignaient et nageaient au besoin (1).
. (1) Piscina forinsecùs, sen Grœcci mavis,
baptisterium (Sidoine, ép. 1, liv. 1). Pline le jeune avait une de ces piscines
dans sa maison de campagne , ép. 1 , liv 11. 17.
. Au
surplus, voici, sans commentaires, quel a été, sur ce point, le résultat des
fouilles de 1854. Taillé
dans le rocher qui formait ; à l'est, l'enceinte des thermes romains, exposé à
toute l'ardeur de notre soleil couchant (1), on a découvert un édifice de forme
demi-circulaire s'élevant en theatridium jusqu'à la hauteur de 5 mètres du sol
antique (2) ; les gradins exhumés sont, jusqu'à présent, au nombre de neuf, et
l'on juge par la disposition du rocher qu'il ne devait y en avoir guère plus ;
les trois premiers et le mur de l'enceinte existent seuls en grande partie , on
compte les six autres par le roc taillé en gradins qui servaient d'appui à ceux
qu'on a enlevés. La hauteur des gradins qui restent est de 34 centimètres, et,
comme chacun d'eux devait servir en même temps de siège et de marchepied, ils
avaient tous une largeur égale de 74 centimètres. Toutefois, le gradin le plus
bas, au-dessous duquel personne ne devait s'asseoir, n'avait pour marchepied
qu'un espace de 25 centimètres qui formait le commencement du mur intérieur de
l'enceinte, dont la hauteur est de 65 centimètres et la courbe de 12 mètres de
rayon. Nous
devons faire remarquer ici qu'il y a une grande différence dans la hauteur des
gradins des théâtres et amphithéâtres que nous connaissons, et celle des sièges
de notre baptisterium ; les premiers
ont de 45 à 51 centimètres d'élévation, tandis que ces derniers, comme nous
venons de le voir, n'ont que 34 centimètres.
. (1) C'est encore aujourd'hui, à Nîmes, la
petite provence des bonnes d'enfants et le refuge des cagnards pendant l'hiver. (2) Ce sol extérieur est déterminé par un pavé
mosaïque qu'on détruit tous les jours et qui n'existera bientôt plus que par le
dessin que nous en avons pris, il y a prés d'un demi-siècle.
. Disons,
en passant, que cette hauteur est rigoureusement la même que celle des quatre
gradins dont se composent les deux hémicycles antiques qu'on voit dans le
bassin de notre source, et qu'il pourrait bien se faire que cette conformité ne
tînt qu'à l'analogie de leur destination (1).
. (1) L'architecte romain ne précise pas la
hauteur des gradins dans les théâtres ou les amphithéâtres ; il dit seulement
que ceux des ces gradins sur lesquels on mettait quelque chose pour s'asseoir :
gradus spectaculorum ubi subsellia componuntur, ceux-la devaient avoir, an
moins, un pied. un palme, et au plus un pied six doigts, ce qui correspond à 15
de nos anciens pouces , soit 40 centimètres, dimension exacte des gradins du
théâtre d'Arles à la première précinction ( Vitruve , ch. v).
. Selon
toute apparence, le theatridium que
nous découvrons était, à l'instar des théâtres anciens , divisé en quatre cunei par cinq petits escaliers (itinerœ) tracés dans la direction des
rayons, et formés par le gradin lui-même taillé en deux marches sur sa hauteur.
Cette disposition avait pour but de faciliter la circulation sur les gradins.
Sur les trois qui restent, on voit encore un de ces itinerœ ; il a 90
centimètres de large ; on reconnaît aussi celui qui était établi sur l'angle
nord de l'hémicycle par une entaille de la même largeur, creusée sur le
marchepied du premier gradin à une profondeur de 5 centimètres. Comme ces
petits escaliers n'arrivent, dans ce monument , que jusqu'au marchepied , ces
entailles diminuaient la hauteur du mur d'enceinte et facilitaient les nageurs
novices qui voulaient descendre au fond du baptisterium. Dans
l'intervalle qui sépare ces deux itinerœ, à la hauteur du quatrième gradin,
niveau auquel pouvaient facilement arriver les eaux de la Fontaine d'Eure, le
rocher se trouve tranché sur une largeur de plus d'un mètre. Cette circonstance
peut faire supposer que l'aqueduc romain qui amenait cette source à Nîmes,
aqueduc que nous avons vu, il y a quarante ans, à quelques mètres de là, dans
cette direction (1), pouvait avoir, dans cette tranchée, un tuyau de
communication avec notre piscine ; c'est là un fait que nos neveux sont appelés
à vérifier ; ainsi se trouverait confirmé ce que disait l'historien de Nîmes en
parlant de nos découvertes nouvelles dont il connaissait l'existence, il y a
déjà plus d'un siècle : «
En creusant dans cette partie, dit Ménard
(2), on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur revêtu de grandes
pierres de taille (c'est celui dont nous parlons ) ; l'autre inférieur taillé
dans le roc (le creux Coumert) ; à la suite du premier était une auge et une
martellière ou écluse qui servait à faire passer les eaux dans le second. Ces
réservoirs, au reste , ajoute l'historien, n'avaient rien de commun avec les
eaux de la Fontaine ; celles qui les remplissaient dérivaient uniquement du
grand aqueduc du Pont du Gard » (3).
. (1) A cette époque, M. Benjamin Valz ,
directeur de l'Observatoire de Marseille, et moi, fûmes appelés par M.
Beaucourt , propriétaire du local contigu (aujourd'hui à M. Féminier), pour
voir l'aqueduc romain dans lequel se trouvait planté un olivier qu'il
arrachait. (2) Ménard, Histoire de Nimes, volume VII,
page 69. (3) On a découvert à Néris, dans un pré, à
proximité de la route allant de Montluçon à Clermont, une grande piscine, de
construction romaine, formant un peu plus que la demi-circonférence d'un
cercle, avec gradins, ayant à droite et à gauche deux antres piscines
rectangulaires avec lesquelles elles communiquaient par de grandes baies. Le sol, formé par une couche de béton fort
épaisse, était recouvert, ainsi que les gradins, de plaques de marbre dont il
reste de nombreux fragments, etc. ( Bulletin Monumental de 1855, 3e série, tome
1er ou XXIe volume de la collection, page 55.)
. Nos
fouilles nous donnent, en effet, les deux bassins tels que les décrit Ménard ;
à la suite du premier, sur la prolongation du diamètre de l'hémicycle, on
trouve le canal de communication, l'auge et l'emplacement de la martellière. Ce
canal, dans la direction du nord, a 21 mètres de longueur ; sa largeur, en
sortant du bassin circulaire, est de 2m34, mais à 4m60 de ce point, cette
largeur se réduit de 20 centimètres de chaque côté par un avancement
rectangulaire de ses murs latéraux ; c'était peut-être là l'emplacement de la
vanne à laquelle ces deux angles servaient de butée. Il n'existe maintenant de
ce canal qu'une partie du radier et la première assise de ses murs, qui
s'élevaient jusqu'au niveau du neuvième gradin, si l'on en juge par une
entaille horizontale taillée dans le rocher pour recevoir les dalles dont ils
étaient couronnés. A
7 mètres au nord de l'endroit où nous supposons la vanne, on a trouvé l'auge
indiquée par Ménard, incrustée dans le sol (1), elle a 1m90 de long ; elle est
percée de deux trous débouchant dans un canal dont la pente, extrêmement rapide,
se dirige vers les bains ; ce canal, par sa disposition, servait d'écoulement
aux deux piscines.
. (1) Les ouvriers qui travaillaient aux
fouilles l'ont maladroitement arrachée de la place où elle était fixée dans
l'épaisseur du mur.
. C'est
là probablement qu'était placé le gros tuyau de plomb qu'on trouva, dans cette
direction, lors de l'établissement du bélier hydraulique (1). On peut, en
quelque sorte, suivre encore sa marche ; il passait sur la digue qui retient
l'eau dans le bassin de la source, et qu'à cet effet on avait creusée en forme
d'auge ; il se dirigeait vers le Nymphée dans ce canal qu'on voit établi sur
son axe ; puis, à 3 mètres avant d'atteindre l'entrée de ce Temple, il se
bifurquait en forme d'Y pour alimenter des cascades dans les deux grandes
niches placées à côté de cette entrée. Ici
nous devons dire, avec franchise, que c'est à tort que nous avions supposé
jusqu'à présent que la galerie voûtée qui vient, du côté du nord, s'amortir
contre le mur du Nymphée n'était qu'une continuation de l'aqueduc romain venant
de la Fontaine d'Eure ; les fouilles des dernières années ont démontré que
cette galerie faisait partie de l'édifice nouvellement découvert autour de ce
monument. «
L'emplacement qu'occupaient ces bassins,
ajoute l'historien de Nîmes (2), quoique d'une étendue très bornée et très resserrée, ne
laissait pas d'être orné de beaux édifices qui ne le cédaient peut-être pas à
ceux des bains. On a trouvé le bassin inférieur rempli de débris de colonnes,
de bases de chapiteaux , de marbres, qui désignaient une grande magnificence.»
. (1) D'après une note écrite sur le plan des
fouilles exécutées sur l'emplacement des anciens bains, en 1739, par
Dardaillon, alors architecte de la ville, on trouva sur cet emplacement un
tuyau en plomb ayant 25 pieds de long, six pouces de diamètre et pesant trente
quintaux. (2) Ménard , volume XII, page 70.
. Nous
faisons tous les jours de semblables découvertes sur ce même emplacement, et
tout semble indiquer, qu'en effet, la décoration de ces deux bassins était en
harmonie avec l'imposant établissement thermal dont les belles ruines nous
révèlent l'importance passée. En
donnant quelques légers détails sur nos premières découvertes, nous disions,
dans le Courrier du Gard, du 21 février dernier : « L'état des fouilles ne nous
permet pas d'en dire davantage ; comment se fait-il qu'un travail aussi
intéressant ait été interrompu ? » Peut-on faire un emploi plus utile des
deniers municipaux ? Je ne doute point que la sollicitude de l'administration
éveillée ne s'empresse de mettre la main à l'œuvre !
» Jusqu'à
présent notre espoir ne s'est point réalisé, l'administration a fait
sourde-oreille, de sorte qu'en émettant aujourd'hui une opinion sur ces
fouilles seulement commencées, on aura quelque droit à la qualifier de prématurée
; nous en acceptons d'avance toutes les conséquences , disant avec Cicéron : Ut humanus et sencx possum falli. Ce
n'était qu'après avoir satisfait aux besoins de la cité par la distribution
qu'on en faisait au Castellum dividiculum
que l'excédant des eaux de la Fontaine d'Eure était amené dans les thermes à
une hauteur encore suffisante pour qu'en alimentant des piscines disposées
comme celles que nous venons de décrire, il fût aussi possible d'en faire
écouler l'eau, ce que ne permettait pas le niveau de la source de Nemausus. Ici,
au contraire, après avoir été utilisées pour les bains, elles pouvaient servir
encore à former des cascades, des jets d'eau, des lacs, etc., décorations en
harmonie avec le luxe d'un établissement thermal sous les Empereurs romains ;
établissements, dit Ammien-Marcellin, dont on ne pouvait qu'admirer la
grandeur, le nombre et la magnificence. Les cuves étaient, en général, de
marbre fin, de granit oriental ou de porphyre, quoique d'une grandeur
extraordinaire, comme on peut en juger par celles que l'on a trouvées dans les
ruines de ces édifices (1). Outre ces cuves si larges, on y AVAIT ENCORE MÉNAGÉ
DE VASTES.BASSINS PLEINS D'EAU POUR CEUX QUI VOULAIENT S'EXERCER A NAGER, EN
SORTE QU'ON N'AVAIT RIEN OUBLIÉ DE CE QUI POUVAIT CONTRIBUER A LA SENSUALITÉ ET
A L'AMUSEMENT (2). Il
pourrait bien se faire qu'en amenant dans les thermes de Nîmes les eaux de la
Fontaine d'Eure, l'architecte romain n'eût pas eu seulement pour but d'ajouter
à la magnificence de ce monument de luxe et de sensualité ; des motifs non
moins importants pourraient bien aussi l'avoir guidé dans cette détermination. D'après
l'auteur que nous venons de citer, on réunissait, dans les anciens thermes,
toutes les espèces de bains qu'on pouvait se procurer, même ceux d'eau de mer
auxquels on attribuait une vertu toute particulière ; on sait de plus que chez
les anciens les sources étaient sacrées, qu'on les honorait d'un culte religieux
(3), qu'elles étaient le séjour des Nymphes ; n'y avait-il pas déjà dans ces
considérations des motifs suffisants pour engager nos pères à réunir à leur
belle Fontaine, au sein même de la métropole, une des plus importantes sources
de la contrée ?
. (1) La plupart servent aujourd'hui de
fontaines à Rome. (2) Voyez Mongès, art. Thermes. (3) Sénèque, ép. 41.
. On
ne saurait douter aujourd'hui que cette réunion ne se soit opérée. Elle est
constatée par un monument découvert, il y a plus d'un siècle, sur l'emplacement
même où les Nymphes d'Eure et de Nemausus vinrent se donner la main (1). C'est
un autel votif, en pierre de Lens, sur la face principale duquel on voit un
personnage ayant la tête couverte d'un pan de sa toge à la manière des sacrificateurs
; de la main droite, il tient une patère avec laquelle il verse des parfums sur
un trépied qui lui sert d'autel ; au-dessus de sa tête on lit : AVGVSTI
LARIBVS, aux Lares Augustes, et au bas du cippe : CVLTORES VRAE FONTIS, les
prêtres de la Fontaine d'Eure (2).
.. (1) Topographie de Nimes, page 562. (2) Cet autel est actuellement au Musée
lapidaire de Lyon, sous le n°....... Voici ce que raconte à son égard M.
Artaud, ancien conservateur : « J'étais à Nîmes, le hasard me fit entrer
dans un petit jardin dont la porte était ouverte, j'aperçus cet autel, et après
une assez longue conversation et un bienveillant accueil du propriétaire, j'en
fis l'acquisition en témoignant au vendeur toute ma reconnaissance. Mais quel
était ce complaisant et affectueux vendeur ? L'exécuteur des hautes-œuvres,
dont j'ignorais le titre. Artaud racontait le plaisir qu'il avait ressenti dans
cet entretien, et le pénible sentiment qu'il éprouva ensuite en apprenant les
fonctions de son interlocuteur, qu'il considérait comme un amateur très
honorable. » ( Musée lapidaire de Lyon, page 352 ; Comarmond. ) Il parait que nous avions été mal renseigné
lorsque nous avions dit que cet autel avait été vendu à M Artaud par M. Bouchet
, libraire. - Le vendeur était M. Démarez, logé dans la maison appartenant
actuellement à M. Pognon, rue des Chassaintes , n°......
. M.
l'abbé Greppo, dans ses Études archéologiques des eaux minérales et thermales à
l'époque romaine, fait remarquer, à propos de cet autel, que c'est le premier
exemple qu'on connaisse d'un collège de prêtres attachés au culte des
fontaines. «
M. Comarmond se demande, à cet égard, où résidait ce collège de prêtres ?
Etait-ce à la source ou à l'arrivée des eaux à Nemausus ? Il est assez naturel de
penser, dit-il, que cette corporation exerçait ses fonctions dans la capitale
de la colonie qui était vivifiée par cette belle fontaine. La représentation du
prêtre qui sacrifie sur un autel devient encore un témoignage de l'existence
des cultores fontis Urœ ou prêtres de
la Fontaine d'Eure (1). Dans
l'opinion de notre savant ami, M. Jules Teissier, ce monument aurait été placé
sur les bords de notre Fontaine par les cultores de la Fontaine d'Eure, le jour
même de l'arrivée de ses eaux à Nimes : Nymphes
de Nemausus ! dit M. Jules Teissier, au moment de l'arrivée des eaux d'Uzès, la
reconnaissance publique vous célèbre encore, mais les hommages sont partagés,
car les prêtres de la Fontaine d'Eure élèvent un autel nouveau sur lequel ils
écrivent la preuve de leur double respect, au moment où les deux sources vont
se confondre :
. Nymphis Augustis, cultores Urœ fontis
(2). . (1) Musée lapidaire de Lyon, page 352,
Comarmond. (2) Etudes sur les eaux de Nimes, tome II, 2me
partie, page 24, Jules Teissier.
. Le
caractère sacré de la Fontaine d'Eure pourrait bien n'être pas le seul motif
pour lequel les anciens habitants de Nimes ont jugé convenable d'amener ses
eaux dans les thermes de la cité. Deux monuments antiques nous portent à penser
qu'à l'époque romaine, cette source pouvait bien être considérée comme minérale
et que ses eaux avaient alors quelques vertus conservatrices de la santé, que
la tradition ne nous a pas fait connaitre. L'un
de ces monuments fut découvert, il y a plus d'un siècle, dans l'enclos
d'Alizon, traversé par l'aqueduc d'Uzès ; c'est un autel assez bien conservé,
en pierre de Roquemalière (1) ; on y lit :
.
SVLPICIVS• COSMVS. RES
LARIBVS AVG
SACRVM ET
MINERVÆ
NEMAVSO
VRNIÆ
AVICANTO
T. CASSIUS. T. L
FELICIO EXS. (Exsolvit)
VOT.
|
Sulpicius Cosmos l'a rétabli.
Consacré aux Lares Augustes
et à Minerve
à Nemausus
à Urnia
à Avicantus
Par T. Cassius Felicion, affranchi
de Titus, pour l'accomplissement
d'un vœu.
|
. (1) Ce monument forme le pied-droit d'une
porte dans l'enclos d'Alizon, maison Gervais, a Nimes.
. Les
vœux que les anciens exprimaient sur les autels avaient pour objet de se rendre
propices les dieux auxquels ils étaient adressés, ou bien , de leur témoigner
la 'reconnaissance des bienfaits qu'ils avaient obtenus par leur intercession,
nous croyons, avec le savant M. de La Bastie, que c'est dans cette dernière
catégorie qu'il faut classer l'inscription ci-dessus ; elle exprimerait la
reconnaissance de Félicion envers les dieux protecteurs de la famille, puis à
Minerve, non point en sa qualité de déesse de là sagesse, mais à Minerve Hygie
ou Medica, en remerciement de la santé qu'il avait recouvrée ; ensuite aux
divinités des eaux de Nimes, d'Eure et du Vigan : Nemausus , Urnia, Avicantus
(1), dont l'usage avait peut-être provoqué la guérison de celui qui
accomplissait ce vœu. Le
second monument dont nous voulons parler est conservé à Uzès, dans la cour du
château de M. le Duc ; c'est une inscription trouvée près de la Fontaine d'Eure
; elle mentionne un édicule bâti aux Nymphes (2). Cette construction n'a pas
laissé de traces, mais il n'en a pas toujours été ainsi, comme l'a très-bien
fait observer M. Jules Teissier ; Grasserus, qui écrivait vers l'an 1600, avait
vu les débris de l'édifice mentionné dans l'inscription ; il dit : Aquœ
colligebantur prope Uticam, UBI TEMPLI NYMPHARUM VESTIGIA et plura romanorum
monumenta vidi : per diversos canales in magnum ilium Gari aquœductum derivatœ Nemausum
ducebantur (3).
. (1) Étude des Eaux de Nimes, tome II, 2e
partie, pages 73 et 69. (2) Les sources d'Eure sont multiples ; celles
d'Airan et plusieurs autres viennent s'y joindre pour former l'Alzone. (3) Jacob Grasseri, De Anquitalibus
Nemausensibus, page 1606.
. Voici
ce que porte l'inscription dont nous parlons :
. ..... X. POMPEIVS. COGNOMINE. PANDVS. QVOIVS. ET. HOC. AB. AVIS. CONTIGIT. ESSE. SOLVM ÆDICVLAM. HANC. NYMPHIS. POSVIT. QUA. SAEPIVS. VSSVS. HOC. SVM. FONTE. SENEX. TANBENE. QVAM. IVNIS
. «
Moi, Sextus, surnommé Pandus, à qui cette
terre est advenue de mes aïeux, j'ai consacré un œdicule aux Nymphes, parce
qu'ayant le plus souvent usé de cette source, je m'en trouve dans ma vieillesse
aussi bien que dans mes jeunes années. » Nous
ne résistons pas au plaisir de rapporter ici l'interprétation que le surnom de
Pandus a suggérée à notre confrère M. Jules Teissier, non-seulement à cause de
l'originalité de cette interprétation, mais aussi parce qu'elle vient à l'appui
de l'opinion que nous émettons sur les effets médicamentaux des sources d'Eure. «
Il est un mot dans l'inscription, dit M.
Jules Teissier, que personne n'a cherché à interpréter et qui me semble
important , c'est le surnom de Pandus que Pompeius se donne à lui-même ; que
peut-il signifier ? Ce mot, employé par Ovide et par
Quintilien, veut dire courbé, incliné, plié, penché, Pandus homo, d'après
Vitruve, c'est un homme voûté. Je vois tout de suite un
vieillard, un homme courbé par l'âge, c'est Pompeius cognominé Pandus : on
riait peut-être, mais celui-ci répond sans se déconcerter : Savez-vous, mes amis, pourquoi
l'on m'appelle le courbé, le voûté, pourquoi si vieux je suis bien vigoureux
encore, et le fus toute ma vie ? c'est que dans mon patrimoine coule une source
salutaire et que j'ai toujours bu de cette eau. - Aussi je déclare que j'ai,
par ce motif, élevé un œdicule à ces nymphes..... - N'était-ce pas le meilleur
moyen, pour un bossu, que d'en prendre gaîment son parti ! Ne mettait-il pas
les rieurs de son côté ! Pandus lui convenait mieux que Gibbus. Le rusé
vieillard grava peut-être cette inscription pour faire valoir sa propriété en
cas de vente ; les bossus ont toujours eu de l'esprit. Aujourd'hui on ferait
une réclame de journal ; le pull romain se gravait sur la pierre !
» C'est
généralement au hasard que l'on doit la découverte des vertus et des bienfaits
des sources médicales qui rendent la santé à tant d'individus de tout âge, de
tout sexe, et de tous les pays. Qui sait si l'analyse chimique ne nous éclairera
pas un jour sur les effets thérapeutiques de cette eau froide et transparente
qui contient un sédiment si abondant, tandis que les eaux de la Fontaine de
Nîmes ne laissent aucune trace de dépôt. Cette découverte, renouvelée des
Romains, grands dénicheurs d'eaux thermales qu'ils dépistaient à trente lieues
à la ronde, nous expliquerait les motifs qui ont porté l'architecte à
construire dans les thermes de Nemausus une piscine, où le peuple, sans courir
à 12 milles de distance, pût jouir des bienfaits de la source d'Eure dont les
principes minéralisateurs, si différents de ceux de notre Fontaine, avaient
peut-être des vertus hygiéniques dont le temps nous a envié la connaissance. «
Nous sommes loin de vouloir donner pour
évident ce qui n'est que probable ; en hasardant une opinion, nous ne faisons
que profiter des avantages que nous donne l'historien de Nîmes ; nous restons
ainsi à couvert des coups que pourraient nous porter ceux qui ne trouveraient
pas, dans notre système, la même certitude, ou plutôt, la même probabilité que
nous y trouvons nous-mêmes. » . |
. BAPTISTERIUM
A NIMES
extrait des Monuments
lièges d'Auguste Pelet, 1876. Pages 325 à 332. .
Maquette en liège du monument par
Pelet - Musée d'archéologie, Nimes
.. Que notre
insistance auprès de l'autorité municipale ait contribué à rendre à
l'archéologie un édifice dont l'historien de Nimes avait à peine indiqué la
place et la destination ; que la fouille commencée en 1854 et non encore
terminée rende à la science un théâtre, un exèdre, une palestre, un odéon, une
école publique ou bien une naumachie, comme seraient disposés à le penser les savants
de la capitale, peu nous importe ! La couronne monumentale de notre antique
cité s'enrichira d'un fleuron de plus, c'est là une vérité que personne ne
contestera ! La reprise
des fouilles commencées au levant des anciens bains se chargera, tôt ou tard,
de résoudre le problème ; quelle que soit la solution, nous n'aurons pas même
la satisfaction de pouvoir dire : je l'avais deviné ! car, si nous adoptons de
préférence l'opinion de l'historien nimois, c'est que, plus rapproché d'un
siècle du moment où ces restes furent couverts, il a pu, mieux que nous, en
apprécier la destination ; nous croyons donc que Ménard pourrait bien avoir eu
raison en donnant le nom de piscine au monument dont on n'a encore exhumé
qu'une partie du theatridium. Il y avait
chez les Romains plusieurs genres de piscines ; on aurait tort de supposer
qu'il s'agit ici de ces viviers pour la construction desquels les riches
citoyens de Rome, que Cicéron appelle par ironie Piscinarii, dépensaient des
sommes immenses, dans le seul but d'entretenir et, de conserver des poissons. Ce n'était
pas, là non plus une de ces piscines ou grands réservoirs d'eau, couverts de
voûtes, dans le genre de celle dont Pison fut l'auteur, où venaient
s'approvisionner d'eau les flottes romaines stationnant au port de Cumes. Mais la
piscine dont notre theatridium faisait,
partie était, comme celle dont parle Festus (1) piscina publica, grand réservoir d'eau froide dans lequel bon
nombre de personnes pouvaient se baigner à la fois et même nager ; c'est là que
les parents eux-mêmes venaient exercer leurs enfants à. cet art qui faisait
partie de l'éducation romaine. Si l'on voulait. simplement.se baigner, on
s'asseyait sur l'un des trois gradins inférieurs, les seuls qui fussent
submergés (2), tandis que les gradins supérieurs, dont aucun n'existe
aujourd'hui, étaient destinés à servir de siège aux personnes qui s'amusaient à
voir les exercices de natation.
. (1) Piscina publica, hodieque nomen manet, ipsa non extat, ad quam et,
natatus exercitationis causa vemebat populus. (2) Selon le niveau nouvellement pris de la fontaine d'Eure qui
alimentait ce bassin près duquel nous avons retrouvé, en 1820, une partie du
grand aqueduc du Gard.
. Si nous
trouvons un. peu trop vulgaire l'expression de piscine appliquée à notre découverte, pourquoi ne lui
donnerions-nous pas le nom plus poétique de baptisterium,
dont les néologues romains firent usage, après la conquête de la Grèce, pour
désigner ces grands réservoirs d'eau froide dans lesquels les anciens se
baignaient et nageaient au besoin (1). Au-surplus,
voici, sans commentaires, quel a été, sur ce point, le résultat des fouilles de
1854. Taillé dans
le rocher qui formait à l'est l'enceinte des thermes romains, exposé à toute
l'ardeur de notre soleil couchant, on a découvert un édifice de forme
demi-circulaire s'élevant en theatridium jusqu'à la hauteur de cinq mètres du
sol antique : les gradins exhumés sont, jusqu'à présent, au nombre de neuf et
l'on juge, par la disposition du rocher qu'il ne devait y en avoir guère plus :
les trois premiers et le mur d'enceinte intérieur existent seuls en grande
partie ; on compte les six autres par le rocher taillé en gradins qui servaient
d'appui à ceux qu'on a enlevés.
. (1) Piscina, forinsecus seu Grœce mavis, Baptistorium. (Sidoine, p. 1. L.
1.) Pline le jeune avait une de ces piscines dans sa maison de campagne (E. 1.
Liv. II, 17.)
. La hauteur
des gradins qui restent est de 54 centimètres, et comme chacun d'eux devait
servir, en même temps, de siège et de marchepied, ils avaient tous une largeur
égale de 74 centimètres. Toutefois, le gradin le plus bas, au-dessous duquel personne
ne devait s'asseoir, n'avait pour marchepied qu'un espace de 25 centimètres qui
formait le dessus du mur de l'enceinte intérieure, dont la hauteur est de 65
centimètres et la courbe de 12 mètres de rayon. Nous devons faire
remarquer qu'il y a une grande différence dans la hauteur des gradins des
théâtres et des amphithéâtres que nous connaissons, et celle des sièges de
notre baptisterium ; les premiers ont
de 45 à 81 centimètres d'élévation, tandis que ces derniers, comme on vient de
le voir, n'ont que 54 centimètres. Selon toute
apparence, ce theatridium était,
comme les théâtres, divisé en cunei ;
on en distingue quatre indiqués par cinq petits escaliers, itenerœ, tracés dans la direction des rayons, et formés par le gradin
lui même, taillé en deux marches sur sa hauteur, cette disposition avait pour
but de faciliter la circulation sur les gradins. On voit encore un de ces itenerœ sur les trois derniers;
il a 90 centimètres de largeur ; on reconnaît aussi celui qui était établi sur
l'angle nord de l'hémicycle par une entaille de la même largeur, creusée sur le
marchepied du premier gradin, à une profondeur de cinq centimètres. Comme ces
petits escaliers n'arrivent, dans ce moment, que jusqu'au marchepied, ces
entailles diminuaient la hauteur du mur d'enceinte et facilitaient les nageurs
novices qui voulaient descendre au fond du baptisterium. Dans
l'intervalle qui sépare ces deux itenerœ,
à la hauteur du quatrième gradin, niveau auquel pouvaient facilement arriver
les eaux de la fontaine d'Eure, le rocher se trouve tranché sur une largeur de
plus d'un mètre. Cette circonstance peut faire supposer que l'aqueduc romain
qui amenait cette source à Nimes, aqueduc que nous avons vu, il y a un
demi-siècle, à quelques mètres de là, dans cette direction, pouvait avoir, dans
cette tranchée, un tuyau de communication avec notre piscine ; c'est là un fait
que nos neveux sont appelés à vérifier ; ainsi se trouverait confirmé ce que
disait, il y a plus d'un siècle, l'historien de Nimes, en parlant de nos
découvertes nouvelles dont il connaissait l'existence, mais qu'il n'avait pas
vues : « En creusant dans cette partie dit Ménard
(1), on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur, revêtu de grandes
pierres de taille (c'est celui dont nous parlons), l'autre inférieur taillé
dans le roc (le creux Coumert); à la suite du premier était une auge et une
martillière ou écluse qui servait à faire passer les eaux dans le second. Ces réservoirs, au reste, ajoute
l'historien, n'avaient rien de commun avec les eaux de la fontaine ; celles qui
les remplissaient dérivaient uniquement du grand aqueduc du Pont-du-Gard. »
(a)
. (1) Histoire de Nimes, volume VII, page 69. (a)
. Nos fouilles
nous ont, en effet, donné les deux bassins tels que les décrit Ménard ; à la
suite du premier, sur la prolongation du diamètre. de l'hémicycle, on trouve le
canal de communication, l'auge et l'emplacement de la martillière. Ce canal,
dans la direction du nord, a 21 mètres de longueur ; sa largeur, en sortant du
bassin circulaire, est de 2m34 ; mais à 4m60 de ce point, cette largeur se
réduit de 29 centimètres de chaque côté, par un avancement rectangulaire de ses
murs latéraux ; c'était peut-être là l'emplacement de la vanne à laquelle ces
deux angles servaient de butée. Il n'existe maintenant de ce canal qu'une
partie du radier et, la première assise de ses murs, qui s'élevaient jusqu'au
niveau du neuvième gradin, si l'on en juge par une entaille horizontale taillée
dans le rocher pour recevoir les dalles dont il était couronné. A 7 mètres
au nord de l'endroit où nous supposons la vanne, on a trouvé l'auge indiquée
par Menard, incrustée dans le sol ; elle a 1m90 de long ; elle est percée de
d'eux trous débouchant dans un un canal dont la pente, extrêmement rapide, se
dirige vers les anciens bains ; ce canal, par disposition, servait
d'écoulement aux deux piscines. C'est là
probablement qu'était placé le gros tuyau de plomb qu'on trouva dans cette direction
lors de l'établissement du bélier hydraulique (1). On peut, en quelque sorte,
suivre sa marche encore aujourd'hui ; il passait sur la digue qui retient l'eau
dans le bassin de la source qu'à cet effet on avait creusé en forme d'auge: il
se dirigeait vers le Nymphée dans un canal établi sur son axe ; puis, à 5 mètres
avant d'atteindre l'entrée du Temple, il se bifurquait en forme d'Y pour
alimenter des cascades dans les deux grandes niches placées à côté de cette
entrée. « L'emplacement
qu'occupaient ces bassins, ajoute l'historien de Nimes (2), quoique d'une étendue
très-bornée et très-resserrée, ne laissait pas d'être orné de beaux édifices
qui ne le cédaient peut-être pas à ceux des bains. On a trouvé le bassin inférieur rempli de
débris de colonnes, de bases, de chapiteaux, de marbres, qui désignaient une
grande magnificence.» (a) En donnant
quelques légers détails sur nos premières découvertes, nous disions dans le
Courrier du Gard (3): a L'état des fouilles ne nous permet pas d'en dire
davantage ; comment se fait-il qu'un travail aussi intéressant ait été interrompu
? peut-on faire un emploi plus utile des » deniers municipaux ? Je ne doute
point que la sollicitude de l'administration éveillée ne s'empresse de mettre
la main à l'œuvre Jusqu'à présent notre espoir ne s'est pas réalisé, l'administration
a fait sourde oreille, de sorte qu'en émettant aujourd'hui une opinion sur ces
fouilles seulement commencées, on aura quelque droit à la qualifier de
prématurée ; nous en acceptons d'avance toutes les conséquences, disant avec Cicéron
: ut humanus et senex possum falli !
. (1) D'après une note écrite sur le plan des fouilles exécutées sur
l'emplacement des anciens bains, en 1739, par Dardaillon, alors architecte de
la ville, on trouva, sur cet emplacement, un tuyau en plomb ayant 25 pieds de
long, six pouces de diamètre et pesant trente quintaux. (2) Ménard, volume VII, page 70. (3) Courrier du Gard, 21 février 1854.
. (a) NDLR : Voici le paragraphe intégral de Ménard dans sa version en vieux
français. Dans son texte abrégé, Pelet oublie une partie importante, il s'agissait
de vestiges de bassins trouvés au pied des rochers, au niveau de l'actuelle
statue d'Auguste Bosc et non pas au niveau des fouilles du petit Théâtre situé
une dizaine de mètres plus haut. Niveau compris entre 65 et 70 mètres, donc
impossible à alimenter depuis le Castellum, arrivée des eaux du Pont du Gard,
lui même situé à la côte 60 : « Je ne dois pas oublier
de parler ici des conferves ou refervoirs d'eaux, placés au levant du baffin de
la fontaine fur l'extrémité & au pied du rocher d'où fort cette fource. En
creufant dans cette partie qui depuis long-temps formoit un champ cultivé par
des particuliers, on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur
revêtu de grandes pierres de taille, l'autre inférieure taillé dans le roc,
mais plus grand que le précédent. A la fuite du premier étoit une auge &
une martelliere ou éclufe qui fervoient à faire passer les eaux dans le fecond.
De-là ces eaux étoient conduites dans un petit aqueduc, marqué 22, de 3 pieds
de la large, dont on à trouvé les débris & les veftiges, conftruits
derrière la partie orientale, & à 3 toifes de diftances de l'enveloppe ou
enciente des bains. Elles alloient fe décharger à l'ouverture des différents
aqueducs deftinés pour la distribution de la ville.Ces refervoirs, au refte, n'avoient
rien de commun avec les eaux de la fontaine. Celles qui les rempliffoient
dérivoient uniquement du grand aqueduc du pont du Gard. Nous verrons en
l'article de ce monument, comment & et par quelle fuite de elles étoient
portées. L'emplacement quocupoient ces baffins, quoique d'une étendue
très-bornée & très-refferrée, ne laiffoit pas d'être orné de beaux édifices
qui ne le cédoient peut-être pas à ceux des bains. On a trouvé le baffin
inférieur rempli de débris de colomnes, de bafes, & de chapiteaux de
marbre, qui désignent une grande magnificence. »
.
-oOo- ..
Le
Creux-Coumert en 1998. De nos jours, le crocodile fleuri a disparu.
.
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