Fouilles de la Nécropole de la Place du Chapitre

à l’occasion de la construction

d’un abri en 39/40

rapport de Henri Bauquier, 1940.

 

 

 

Le creusement du sol opéré place du Chapitre en Septembre Octobre 1939 pour la construction d'un abri souterrain avait donné occasion de procéder à une étude intéressante, quoique malheureusement trop rapide, de sépultures antiques. Ces tombes se trouvaient au-dessous des nombreux caveaux et charniers ayant existé sur ce point de la ville au cours du Moyen-Age et plus récemment.

 

Ce sont les notes prises au moment de ce travail en sous-sol, augmentées d'un complément de remarques dû à une reprise des travaux, faite en Mai 1940 pour agrandir l'abri, que nous allons donner aujourd'hui.

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Avant de passer à la communication des notes précitées, il nous paraît intéressant de rappeler sommairement quelques détails se rapportant à l'ensemble des sépultures successivement mises à jour dans le voisinage de notre Cathédrale, autour de laquelle, durant plusieurs siècles, furent ensevelis de nombreux habitants de la Cité, ainsi que la chose a eu lieu aux abords de toutes les anciennes églises.

 

De nos jours encore, dans de nombreux villages, les inhumations continuent à avoir lieu autour des églises, persistance de la vieille coutume chrétienne s'attachant à rapprocher le champ des morts de la Maison de Dieu, à l'encontre des habitudes païennes qui, au contraire, plaçant les tombes le long des routes, les éloignaient des Temples et des enceintes habitées. Les prescriptions modernes d’hygiène constituent un certain retour vers cet usage, les cimetières étant présentement, dans les grandes villes surtout, établis au delà des faubourgs.

 

La première étude des sépultures avant environné notre cathédrale date de 1824, l'année même où des travaux de pavage exécutés devant la façade mirent à découvert, à peu de distance de la surface du sol, plusieurs sarcophages monolithes, dont un particulièrement intéressant, creusé dans un bloc orné de sculptures antiques et reposant sur deux chapiteaux d'origine également romaine. C'est M. Alphonse de Seynes, architecte et archéologue, qui donna en appendice, dans une brochure consacrée aux fouilles faites à la Maison Carrée en 1821 et 1822, les renseignements se rapportant à cette intéressante trouvaille. Un excellent dessin de ce sarcophage, actuellement au Musée Lapidaire, reposant encore sur les deux chapiteaux, accompagne les indications données par M. de Seines. Le Musée Lapidaire possède également les couvercles de deux autres sarcophages, anciennes stèles funéraires où figure ni des inscriptions indiquant une .provenance non moins antique que celle du bloc orné de sculptures.

 

Les inscriptions de ces deux stèles sont signalées dans l'ouvrage de Germer-Durand et Aimer N° 340 et 437 ; leur rédaction est très sobre; elles ont la particularité de présenter la simple invocation « Manibus » au lieu et place du « Diis Manibus » habituel.

 

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Près d'un siècle s'écoula avant que d'autres indications fussent données sur les sépultures ayant avoisiné la Cathédrale. Par négligence, certainement, car la construction et la démolition d'une halle couverte sur la place du Chapitre, la plantation d'arbres pour orner le square ayant succédé à cette halle, ne purent être effectuées sans mettre à jour un certain nombre des inhumations ayant foisonné suite! point. Mais nul ne se préoccupa malheureusement, au cours de ces travaux, d'étudier les parties du sous-sol mises à découvert.

 

Il faut arriver au mois de Septembre 1917 pour avoir, grâce à des notes prises par Mazauric, quelques autres indications, très différentes, sur les sépultures entourant la Cathédrale. Il s'agit cette fols de fouilles accidentelles et rapides faites au-dessous de l'une des maisons accolées à la Cathédrale, sur la face bordée par la rue Saint-Castor. Les sépultures alors rencontrées n'étaient plus des sarcophages monolithes, mais des tombes dites c< à caissons » constituées avec un certain nombre de pierres ajustées. Félix Mazauric fit une communication à l’Académie de Nimes au sujet de ces tombes et eut l'excellente idée de la reproduire in extenso dans le dernier fascicule de ses précieux mémoires archéologiques « Recherches et Acquisitions », année 1917, page 34.

 

Mazauric ne signale aucun objet recueilli dans, ces tombes à caissons, qui sont généralement très pauvres, mais peut-être les difficultés de re-cherches au fond d'une fouille étroite et profonde ne lui ont-elles pas permis de regarder et rechercher avec toute la minutie désirable.

 

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Peu de temps après, en juillet 1920, sur des indications données par M. Brain concernant une base de colonne aperçue aux abords de la cave de son magasin, le Commandant Espérandieu ouvrit un vaste chantier de recherches sur toute la partie de la place aux Herbes s'étendant au devant de ce magasin. Les résultats de ces fouilles ont été publiés douze ans plus tard, en 1932, de façon très complète, dans le N° 1 de l'actuelle série du Bulletin du Vieux Nîmes. Indiquons simplement aujourd'hui, comme simple rappel, que plusieurs des sépultures exhumées au corn; s des fouilles de 1920 étaient monolithes comme celles trouvées en 1824, creusées dans de grands blocs antiques, reconnaissables à la présence du trou de « l'Ove » et dont l'un portait trace d'une moulure, indication d'une précédente utilisation dans la corniche d'un monument. Il fut également mis à jour, avoisinant les tombes monolithes, des tombes construites avec des dalles, pouvant se rapprocher un peu des tombes à caissons de la rue Saint-Castor. Les seuls objets recueillis dans ces diverses tombes, toutes vidées avec grand soin, furent quelques menues monnaies féodales, un petit bronze de Constantin, des vestiges de bouterolles en cuivre et un joli pégau de terre noirâtre déposé, selon l'usage, à coté des pieds du squelette.

 

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Les dernières sépultures étudiées

 

 

 Lorsqu'en Septembre 1939, l'autorité municipale décida de faire établir un abri souterrain place du Chapitre, nous pensâmes, de prime abord, à la rencontre possible de substructions de l'ancien cloître de la Cathédrale et, subsidiairement seulement, à celle de sépultures anciennes. Or des bases de l'ancien cloître rien ne fut mis à jour et les sépultures furent aussi nombreuses qu'intéressantes.

 

On peut supposer que les substructions de l'ancien cloître correspondent aux quatre rues entourant le carré central de la place, à l'intérieur duquel ont été limités les travaux. Les seules maçonneries rencontrées, à l'exception de plusieurs murs de charniers, ont été les traces des points d'appui en pierres ajustées où avaient eu reposer les bases des piliers ayant autrefois soutenu la toiture de la Halle couverte.

 

Les, sépultures, par contre, se rencontraient à profusion, dès 50 centimètres à peine au-dessous du niveau du sol, jusqu'à près de 2 mètres en profondeur. La rapidité avec laquelle devaient avoir lieu les travaux d'urgente actualité, l'obligation pour le service des Musées de donner à ce moment son attention primordiale à la mise en lieu sûr des collections les plus précieuses, ne nous ont pas permis, à notre grand regret, d'étudier chaque sépulture avec tout le soin qu'elle méritait, ni de tenir un journal minutieux et précis se rapportant à la marche des travaux et aux circonstances des découvertes. Ce n'est qu'un résumé des constatations générales, qui peut, aujourd'hui, être présenté aux archéologues et aux Nîmois dont, au moment des travaux hâtifs de l'abri souterrain, les documents extraits de ce sous-sol de la vieille cité ont retenu particulièrement l'attention, malgré tous les soucis du moment.

 

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L'extrême abondance d'ossements rencontrés dès les premiers coups de pioche, à la très petite profondeur de 40 à 50 centimètres, a donné l'impression à beaucoup de passants que l'on se trouvait en présence d'ensevelissements massifs effectués en période de peste. La chose n'est pas certaine. Il paraît peu vraisemblable qu'aux époques de grandes épidémies des ensevelissements de ce genre aient eu lieu en plein coeur de la ville. C'est plutôt en des fosses de circonstance, creusées sur des points moins habités, que devaient avoir lieu les inhumations en série des temps de peste. L'abondance d'ossements groupés place du Chapitre doit venir de ce qu'un cimetière rapprocha de la Cathédrale et, de ce fait, assez privilégié, devait être très recherché. En dehors de quelques tombeaux de familles ou de corporations, d'une jouissance dite perpétuelle, les inhumations courantes devaient être fréquemment renouvelées pour donner successivement satisfaction aux décédés, où, plutôt, à leurs familles. Le transfert des squelettes, exhumés périodiquement pour donner place à de nouveaux cadavres, devait avoir lieu, à dates rapprochées, dans de grandes fosses collectives situées sur divers points de l'enclos funéraire.

 

L'hypothèse de charniers ayant reçu directement des apports successifs de cadavres frais paraît peu probable, étant donné le dispositif presqu'en surface de ces rassemblements d'ossements.

 

Pour les squelettes restés en place, le plus souvent allongés face au Levant, la profondeur moyenne des inhumations commençait à un mètre environ. Les sépultures les plus anciennes, desquelles proviennent les documents qui feront, un peu plus loin, l'objet de descriptions détaillées, ont été rencontrées à un mètre cinquante, ce qui, en ajoutant la hauteur de leur construction, donne près de deux mètres pour leur base. Au moment de leur mise en place, elles n'avaient vraisemblablement pas telle profondeur, le sol s'étant exhaussé depuis, à la suite des destructions ultérieures subies par la ville de Nimes.

 

Le type de ces tombes était celui des nécropoles chrétiennes primitives, sauf un détail. La construction en grandes dalles plates ne comportait que des côtés et une couverture, sans présence semblable pour le fond. Les corps avaient été déposés à même le sol naturel, préalablement damé pour obtenir durcissement et surface plane. L'impression donnée par leur étude était que les parois et la couverture de ces tombes avaient été déposées autour des corps après leur dépôt sur le sol et qu'il n'y avait pas eu de caveau construit à l'avance.

 

On peut voir ci-dessus le dessin d'une de ces sépultures alors qu'elle se trouvait encore en place dans la tranchée centrale.

 

Comme, d'ordinaire, les tombeaux chrétiens des premiers siècles sont extrêmement pauvres en mobilier funéraire et n'ont archéologiquement d'intérêt que lorsque l'une ou plusieurs des dalles de constructions présentent des inscriptions antiques, ainsi que le fait s'est produit lors des mises à jour faites devant la façade de la Cathédrale en 1824 et lors de rencontres de nécropoles analogues rue Sainte-Perpétue et au terrain Bosc, à la Valsainte notre attention s'était portée, au début des travaux de la place du Chapitre, bien plus sur les matériaux de construction des tombes que sur leur contenu. Notre surprise fut grande lorsque les ouvriers nous montrèrent les premiers fragments de verreries trouves à l'intérieur de ces tombes. Autant que nous avons pu nous, rendre compte par leur récit et par quelques remarques personnelles ultérieures, les fioles de verre, éclatant comme des bulles de savon à la moindre pression des doigts eu des terres retournées, se trouvaient, soit isolées, soit par deux, jamais davantage dans une tombe du côté de la tête du défunt, à l'encontre de ce qui a lieu pour le pégau de l'époque romane, généralement placé à côté des pieds.

 

Pour simplifier la présentation des divers objets extraits des sépultures de la place du Chapitre en Septembre Octobre 1939, les plus nombreux, et en Mai 1940, nous allons la faire non tombe par tombe, mais par catégories de documents: verreries, céramiques et coquilles Saint-Jacques, en donnant préalablement un plan sommaire de l'abri où se trouvent marqués les emplacements particuliers des trouvailles les plus notables.

 

Les Verreries

 

Les 19 verreries recueillies, plus ou moins brisées, mais dont plusieurs ont pu être reconstituées dans leur forme générale, sont toutes, sauf une exception dont il sera parlé en dernier lieu, de petites fioles à larges panses arrondies et à cols étroits et allongés.

 

On peut établir trois groupes particuliers de ces verreries.

 

 

figure A1

 

Dans l'un, auquel se rattache le plus grand nombre d'exemplaires et que nous désignons par la lettre A, la panse rappelle la rondeur d'une pomme. Ce groupe contient les plus petits spécimens, n'ayant que 11 centimètres de hauteur et 6 de diamètre au point le plus ample de la partie renflée (voir figure A 1) Cette partie renflée, dans le petit exemplaire en cause, a 4 centimètres 1/2 de hauteur, ce qui laisse 6 centimètres 1/2 pour celle du col, à peu près vertical, avec diamètre de 1 centimètre 1/2, se terminant par un léger évasement. Dans le même groupe, d'autres exemplaires vont, par gradation, jusqu'à 15 centimètres de hauteur et 8 de diamètre au renflement de la panse; les autres dimensions en proportion.

 

figure A, 2, 3, 4

 

Un certain nombre, notamment les plus petits, sont entièrement unis, mais d'autres ont le col orné de cannelures verticales ou spiraliformes (figure A-2 et 3) Les cannelures spiraliformes ont, suivant les pièces, une inclinaison plus ou moins accentuée et parfois (voir figure A-5) elles partent de la partie supérieure de la panse.

 

 

figure A 5

 

Toutes les verreries rattachées au groupe A sont blanches.

 

figure B

 

Le second groupe, désigné groupe B, comprend des pièces de taille uniforme, 14 centimètres de hauteur sur 10 de diamètre, mais tantôt en pâte blanche, tantôt en pâte verdâtre. La panse est plus large et un peu plus aplatie, côtelée comme certains petits melons (voir figure B) Le col, un peu moins haut par rapport à la panse, va en s'évasant de la base au sommet, de 10 mm. au départ à 15 mm à l'extrémité. Il est généralement uni, mais orné à la naissance d'une assez forte bague, de couleur bleue lorsque la fiole est blanche et de même teinte que l'ensemble du flacon, simplement un peu plus foncée, lorsque celui-ci est en pâte verdâtre.

 

Il nous a été remis, recueilli dans la seconde période des travaux, mais provenant vraisemblablement d'une sépulture ouverte durant la première période, un col isolé que nous avions d'abord classé parmi les débris du groupe A (voir fig. A 4) mais qui, à examen plus minutieux, doit plus vraisemblablement se rattacher à ceux du groupe B. Il porte dans sa partie supérieure une décoration serpentiforme à sept tours et à relief très aigu, se présentant un peu comme un pas de vis. Cette décoration n'est pas prise dans la pâte, comme les cannelures verticales ou spiraliformes; elle a été appliquée, à la manière des bagues signalées à la base des cols de ce groupe et, d'autre part, on peut voir, en regardant attentivement, un tout petit reste d'annelure bleue vers la base cassée de ce col. De plus, mieux qu'au groupe A, sa hauteur et sa forme l'apparentent au groupe B, dont il constituerait une variante à ornement supplémentaire.

 

figure C

 

Le troisième groupe, ou groupe C, présente des panses presque sphériques avec cols plus larges et renflés entre la base et le sommet (voir figure C) Les deux pièces de cette for-me venues entre nos mains, quoique paraissant plus grandes à premier coup d'œil, sont de hauteur et de largeur à peu près semblables à celles des spécimens précités: 14 à 15 centimètres de hauteur; 8 à 9 de diamètre. Elles sont de teinte bleu verdâtre avec picotis en creux sur toute la panse, ce qui donnait à l'une d'elles, patinée de brun par émanation cadavérique, l'apparence d'un vase métallique martelé. Les parois des flacons C ont un peu plus d'épaisseur et offrent plus de résistance à la pression des doigts. L’un des deux exemplaires étudiés a été retire de la sépulture presque intact ne portant qu'une cassure ancienne vers le haut du col; l'autre exemplaire, placé dans un caisson de pierres contenant plusieurs squelettes, devait être aussi en bon état, mais fut brisé d'un coup de pioche. Il montre également trace d'une cassure ancienne à l'extrémité du col.

 

Il est à retenir que les noies du groupe A ont été toutes recueillies dans la tranchée centrale orientée Est-Ouest et le couloir d'entrée-sortie Ouest. Les pièces des groupes B et C viennent de la partie Est, les quatre fioles du groupe B recueillies deux par deux à proximité de l'escalier de descente, celles du groupe G aux abords de la tranchée centrale.

 

figure D

 

Enfin, vers le milieu de cette tranchée, dans les déblais de sépultures antérieurement effondrées, il a été trouvé, point D du plan, la partie inférieure d'une fiole de forme tout à fait différente, à flancs étroits et élancés, presque verticaux, mais marquant, en montée, un léger évasement partant de la base qui n'a que 3 cent. de diamètre et se prolongeant jusqu'à la formation de l'encolure qui devait en compter 4. Le fond intérieur de la fiole, se relevant très haut, présente l'aspect d'un entonnoir retourné à extrémité très aiguë (voir figure D). II existe à la Maison Carrée un type de verrerie analogue, un peu plus grand, dont le col, se rattachant par un plan incliné au corps du vase,, est assez court. Toute la pièce est unie.

 

Ces remarques communiquées, une double question se pose, quel fut l'usage de ces fioles et à quelle époque assez précise peuvent remonter les sépultures qui les contenaient ?

 

Ces petits carafons ne paraissent pas avoir été des réceptacles, à parfums comme on en trouve souvent en certain nombre autour des urnes cinéraires, dans les sépultures païennes où ne sont contenues que les cendres des corps incinérés. Les flacons à parfum sont de volume bien plus réduit et de forme généralement tubulaire, plus facile à tenir entre les doigts. Les petits carafons de la place du Chapitre paraissent plutôt destinés à être posés sur des meubles, sur des autels, qu'à être usuellement tenus en mains.

 

Ne doit-on pas, en ce cas, les considérer comme des récipients ayant servi à contenir des liquides rituels, eau de baptême ou d'aspersion, vin de communion, huile des onctions ordonnatrices ou de dernière heure ?...

 

Dans cet ordre d'idées, ne seraient-ce pas des burettes de messe placées dans des  sépultures d'ecclésiastiques ?...

 

Leur présence plusieurs fois constatée deux par deux ne serait-elle pas une indication à ce sujet ?...

 

Mais cette disposition ne paraît pas avoir été une règle absolue; les carafons du groupe C, entr'autres, ont été trouvés isolés.

 

L'analyse chimique de poussières recueillies au fond de quelques flacons n'a donné aucune indication. Nous devons donc nous contenter d'émettre une hypothèse, d'esquisser une orientation, sans conclure à aucune certitude. Seuls, des rapprochements avec d'autres découvertes pourront donner de plus substantielles indications.

 

En ce qui concerne l'époque de construction des tombes et, par suite, l'âge des verreries, on ne peut remonter au delà du IVe siècle. La ville de Nimes étant restée longtemps païenne, on ne voit pas des chrétiens venant ensevelir leurs morts en plein centre urbain, aux approches du temple s'élevant sur l'emplacement de l'actuelle Cathédrale, avant que l'édit de Milan, promulgué par Constantin en l'an 313, ait donné à leur culte une existence régulière. Jusque là, les inhumations de chrétiens ont dû rester cantonnées dans les faubourgs hors murailles, où se constituèrent leurs premières agglomérations, notamment aux extrémités de la rue de la Biche et de la rue Sainte-Perpétue actuelles.

 

Mais si les sépultures ne peuvent pas être antérieures au IV° siècle, rien ne commande de les croire contemporaines de l'entrée du Christianisme dans la Cité; elles peuvent être encore postérieures d'un siècle ou deux. A la première rencontre des verreries nous avions été enclin à les considérer comme des produits gallo-romains et, de ce fait, à rapprocher le plus possible du IV° siècle les sépultures les contenant, mais un examen plus attentif de leur composition nous les a montré assez différentes de celles de la période antique, généralement plus résistantes. Il a été établi que la fabrication du verre n'a pas été interrompue au moment de la dislocation de l'Empire romain; elle a été continuée au cours de la période visigothique; les pièces provenant de la place du Chapitre peuvent très bien se rapporter à cette fabrication un peu moins soignée. Il n'y aurait pas, désaccord entre les âges réciproques des tombes et de leurs verreries, en les plaçant entre les IV° et VII° ou VII° siècle.

 

Les céramiques

 

Dans la seconde période des travaux, en Mai 1940, lors de l'élargissement de l'abri, il a été trouvé côte à côte,, à peu près au milieu de la tranchée centrale, dans la paroi Nord, point E. F. du plan, vers, le bas d'une sépulture construite à 1 mètre 30 de profondeur, c'est-à-dire à niveau un peu supérieur à celui d'es sépultures à verreries, rencontrées vers 1 mètre 50, deux petites céramiques, de forme différente l'une de l'autre, que nous n'avons connu jusqu'à ce jour qu'en dimensions bien plus grandes.

 

L'une de ces céramiques a le déversoir trilobé; elle mesure 9 centimètres de hauteur pour un diamètre de base de 8 centimètres, se rétrécissant à 5 centimètres vers la mi-Hauteur, très cintrée, et s'évasant ensuite jusqu'à 6 centimètres 1/2 à l'ouverture supérieure ; (voir figure E)

 

figure E

 

Ce petit broc ou burette est recouvert d'un assez maigre vernissage à fond blanc sale, orné de chevrons verts, à l'intérieur desquels sont peints des triangles marrons; une étroite bande de même teinte marron court à là base et au sommet et, par endroits, marque aussi la ceinture.

 

figure F

 

La seconde céramique, (figure F), dont la partie supérieure manque, pulvérisée par la pioche, mesure 6 cent. de diamètre à là base et devait avoir environ 9 cent. de hauteur comme sa compagne; elle va se rétrécissant de la base au sommet comme les grands « pichets de barque » que l'on fabriquait à Meynes pour les nautoniers du Rhône et, comme eux, pouvait avoir un déversoir tubuliforme placé très haut Cette petite cruche est revêtue d'un vernissage jaune irrégulièrement piquetée de quelques très petits points verts n'ayant aucun rôle décoratif.

 

Les parois du petit cruchon F, 3 millimètres, sont nettement plus minces que celles du petit broc E, 5 mm. Le peu de résistance offert par une surface si mince explique la destruction de la partie supérieure dont nous avons parlé et que l'on peut voir sur le dessin.

 

Les deux pièces ont une anse chacune, allant de 1 centimètre au dessous du rebord supérieur à 1 centimètre au-dessus de la base. La taille et la disposition identiques de leur anse est le seul point de ressemblance entre les deux: céramiques. L'anse est toutefois un peu plus épaisse dans la pièce E que dans la pièce F.

 

Quel rôle et quel âge peut-on donner à ces deux petits pichets ?...

 

Le point d'interrogation se pose plus délicat que pour les verreries.

 

A la rigueur, leur rôle pourrait se rapprocher de celui des verreries : récipients à usage rituel ?...

 

Mais l'époque de fabrication paraît postérieure; le vernissage des deux pièces indique plutôt une facture médiévale (la sépulture qui les a livrées était du reste établie à une profondeur un peu moindre que celle ayant donné les verreries). A dire vrai, si les deux céramiques n'avaient pas été recueillies côte a côte, dans la même pelletée de terre, nous les rattacherions à des époques assez différentes; le petit broc à bec trilobé classé plus ancien que le cruchon jaune, aussi bien à cause de sa forme que de sa décoration. Or, la communauté d'âge est établie par l'apparentement des tailles réduites, également spéciales, tout à fait en dehors des dimensions ménagères. Dans ces conditions, comment se permettre l'énoncé d'une date rationnelle !...

 

Disons simplement Moyen-Age, sans préciser s'il s'agit du Haut, du Moyen ou du Bas.

 

Mentionnons d'autre part, pour mémoire et sans voir de lien entre les deux rencontres, qu'un pégau de terre grise, de taille et ampleur habituel-les 17 centimètres de hauteur et 15 de diamètre à la panse rompu antérieurement et auquel il manquait le bec et partie de son entourage, a été trouvé à profondeur semblable vers la même paroi Nord de la tranchée centrale au point P plus rapproché de l'entrée-sortie Est. De menus débris d'autres pégaus ont été vus en divers points de la fouille, depuis longtemps brisés et dispersés à la suite d'inhumations d'époque ultérieure à celle correspondant à leur présence rituelle dans les sépultures primitives.

 

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figure G

 

Dans la tranchée centrale, mais tout proche de l'entrée-sortie Est, au point G, et du sein d'un éboulis de terre provenant de sépultures voisines a été sorti, vers la fin de la 1" période de travail, en Octobre 1939, une lampe d'argile à trois orifices d'éclairage, figure G, qui pourrait être la pièce capitale des documents trouvés dans la nécropole du Chapitre, si une certaine réserve ne s'imposait à son sujet. L'authenticité de cette lampe a été mise en doute par le Conservateur des Antiquités grecques et romaines du Musée du Louvre, M. Merlin, à qui nous avons, en son temps, signalé cette trouvaille. L'opinion d'une personnalité de si grande érudition nous oblige donc à beaucoup de circonspection dans la présentation de cette pièce curieuse, sur laquelle nous devons quand même donner dès à présent quelques détails, tout étant possible en l'occurrence, l'authenticité aussi bien que la fantaisie. Cette lampe, avant la forme d'une tête masculine, aux yeux clos et à la barbe divisée en trois pointes, dont chacune forme tube pour le passage d'une mèche, rappelle beaucoup la Sainte Face du voile dit de Véronique, l'antique « Vera icon » conservée au Vatican. Cette « Vera icon » a pareillement les yeux clos, la moustache tombante et la barbe à trois pointes. Faut-il voir dans la lampe de la place du Chapitre une facture inspirée par l'effigie du Christ ?...

 

De la correspondance échangée avec plusieurs conservateurs des Musées de France possédant des collections gallo-romaines ou du haut christianisme, il résulte qu'aucune lampe analogue n'est à leur connaissance. Par contre, des objets faux de même type sont parfois mis en vente à Carthage et c'est sur leur existence que repose l'éventualité de non authenticité de celui-ci (1).

 

(1) Nous avons pu voir des spécimens des lampes fausses de Carthage, grâce à la complaisance du R. P. Lapeyre, Conservateur du Musée Lavigerie, qui a bien voulu nous les communiquer. Il y a, de toute évidence, similitude d'inspiration, mais l'exécution du travail diffère sensiblement. Les lampes fausses de Carthage sont de facture très grossière, celle de la place du Chapitre est d'un travail plus achevé, plus fin et plus expressif. S'il n'y a pas authenticité, il s'agit d'un faux très perfectionné, arrivant à l'imitation complète d'un original, alors que les lampes tunisiennes ne sont que de vulgaires moulages.

 

La lampe du Chapitre, avons-nous dit, a été recueillie non pas directement dans une sépulture, mais au fond de la tranchée centrale, dans un éboulis provenant, de sépultures bouleversées. Notre collaborateur M. Almuès, qui surveillait le déblaiement de la tranchée au moment où la lampe fut sortie de terre et nous en avisa dès notre retour sur le chantier, a vu le terrassier Hudchinson rechercher pendant un moment la partie de l'appendice de préhension qui venait d'être cassé par la pioche et croit à la réalité de la trouvaille dans les déblais provenant de sépultures voisines.

 

D'autre part, le terrassier, qui reçut simplement la petite gratification accordée pour toute remise en nos mains de pièces en bon ou assez bon état, aurait eu intérêt, si la lampe, ayant une autre origine, lui avait appartenu, à nous l'apporter en dehors du travail, l'achat par le Musée pouvait être, en ce cas, plus avantageux pour lui.

 

Mais il reste à envisager l'hypothèse de l'objet apporté de nuit et caché par un mauvais plaisant dans le but de mettre en défaut les connaissances archéologiques des professionnels et d'en tirer raillerie. C'est telle éventualité qu'il conviendrait de retenir si des examens ultérieurs plus approfondis ne confirmaient pas l'authenticité de cette lampe.

 

En ce qui touche l'existence d'exemplaires faux chez des antiquaires de Carthage, on peut penser que ces imitations doivent être vraisemblablement celles d'un original authentique plutôt que des créations fantaisistes, et la présence d'un autre original de même type dans une nécropole nîmoise n'aurait rien d'extraordinaire si l'on tient compte des nombreux pèlerins ayant jadis traversé notre région en revenant de Terre Sainte avec détour par Saint-Jacques de Compostelle. La présence et la mort de pèlerins dans notre ville aux époques anciennes est attestée par des inhumations les concernant dont nous allons donner indication un peu plus loin, après avoir terminé le chapitre des céramiques.

 

Celles que nous avons à signaler maintenant sont d'origine romaine et ont été recueillies au-dessous des sépultures chrétiennes, à 2 mètres environ de la surface du sol. Rien à retenir concernant les nombreux débris d'amphores de tailles diverses et les spécimens courants de poteries rouges du type Samien ou de la Graufesenque; aucune marque de potier. Par contre, il y a lieu de noter les fragments de quatre vases perforés trouvés côte à côte au point H de la tranchée sortie Est. Ces quatre vases ont été brisés sur place au moment de quelque écroulement d'immeuble car nous avons recueilli à peu près tous les morceaux qui nous ont permis des reconstitutions assez complètes, ce qui n'aurait pu avoir lieu si les fragments avaient eu provenance étrangère, comme ceux des amphores et des poteries rouges.

 

figure H

 

Les vases perforés (voir figure H) sans fond et comprenant, tous, trois trous circulaires vers leur base, sont connus depuis assez longtemps dans la région nîmoise; il en a été trouvé à plusieurs reprises dans le sous-sol romain, mais ils n'ont jamais été l'objet de présentation publique. Nous profitons de l'occasion pour le faire.

 

La hauteur de ces vases est variable; les quatre qui viennent d'être re-cueillis place du Chapitre, ont respectivement 10 centimètres, 10 centimètres 1/2, 11 centimètres et 11 centimètres 1/2 de hauteur pour 12 à 13 centimètres de diamètre à l'ouverture supérieure et entre 7 centimètres et 7 centimètres 1/2 à celle du fond; d'autres sont plus trapus, avec différence plus grande entre les diamètres supérieur et inférieur. Un exemplaire recueilli voici quelques années rue Emile Zola présente 8 centimètres 1/2 de hauteur, 13 centimètres de diamètre dans le haut et 5 dans le bas; dans un ensemble mis à découvert rue Bât d'Argent, en 1914, la hauteur n'est que de 7 centimètres pour des diamètres de 11 centimètres à l'ouverture supérieure et de 4 centimètres à l'inférieure.

 

Le diamètre des trois perforations dans les flancs du vase est à peu près le même dans tous les exemplaires, 2 centimètres 1/2 environ.

 

Ces perforations se trouvent toujours à 2 centimètres de la base, quelle que soit la hauteur du vase, ce qui les fait paraître plus ou moins haut placées suivant les dimensions des exemplaires, dont la différence de taille leur donne place dans la partie inférieure, à tiers de hauteur ou même à mi-hauteur. Dans les pièces de la place du Chapitre, les parois sont un peu plus minces, 3 et 4 mm, que dans les autres, 5 à 6 mm.

 

Quel a été l'usage précis de ces vases perforés ?

 

Les avis ont été d'abord partagés. On a voulu y voir, par quelques analogies de dispositif avec des céramiques modernes, des vases à oignons floraux ou des pièces d'abreuvoir pour les jeunes poulets. Ces deux suppositions ne sont pas à retenir, car, pour les admettre, il faut placer l'appareil dans le sens opposé à celui de notre reproduction, réduite de moitié, figure H. Telle position ne serait pas normale, le rebord de la grande ouverture étant lissé comme il est naturel dans une partie apparente, alors que celui de la plus petite est resté brut, n'étant pas destiné, servant de base, à être vu. Le renversement des positions qui mettrait le plus petit diamètre dans le haut serait un contresens.

 

L'hypothèse que nous avons, toujours admise, à laquelle se sont ralliés la plupart de nos confrères, est celle de petits réchauds ménagers, que l'on installait dans l'âtre pour parachever la cuisson de certains mets ou, simplement, leur conserver la chialeur en attendant le transfert sur la table. Les trois perforations des flancs permettaient la ventilation de la braise disposée dans l'intérieur et l'évidement de la base facilitait leur équilibre lorsqu'ils étaient placés sur une surface encombrée de cendres ou de menues charbonnilles.

 

Lors de l'examen des pièces de la rue Bât d'Argent, où elles se trouvaient en assez grand nombre, notre distingué collègue de la Commission Municipale d'Archéologie, feu M. le Ct de Villeperdrix, avait émis l'hypothèse d'ustensiles de potier, utilisés pour séparer les unes des autres des céramiques en cours de cuisson. L'attribution avait trouvé des adeptes. La rencontre ultérieure de vases analogues ou de leurs débris sur d'autres points et, surtout, la hauteur supérieure de ceux trouvés place du Chapitre paraissent l'infirmer. On voit mal, par l'emploi d'ustensiles de 11 centimètres de hauteur, l'espace perdu pour la mise en place des divers éléments d'une fournée que le potier a intérêt à grouper aussi nombreux que possible.

 

En tout cas, nous ne donnons ici la qualité de petits réchauds qu'à titre de vraisemblance, sans l'affirmer comme certaine jusqu'à plus précise documentation.

 

Comme autres céramiques romaines recueillies place du Chapitre, mentionnons une petite lampe de type courant, ornée au centre d'une figure debout de Diane Chasseresse, trouvée dans la descente sortie Ouest, point J dont la forme et la décoration très classiques ne nous paraissent pas valoir reproduction, ainsi que l'anneau de suspension d'un autre luminaire à plusieurs faces ou circulaire.

 

Enfin, se rattachant également à la période gallo-romaine, signalons encore un petit bronze du règne de Constantin ou de ses fils, portant au droit la figure casquée de Rome et, au revers, l'image de la louve allaitant Rémus et Romulus, monnaie non trouvée en place, malheureusement, mais recueillie ultérieurement dans les déblais extraits de l'abri, par un jeune voisin, M. Eugène Delafont, qui a bien voulu la donner au Musée. Cette monnaie, remontant au IVe siècle peut-elle entrer en considération pour dater les sépultures ?...

 

On ne pourrait l'affirmer qu'autant qu'elle aurait été trouvée à l'intérieur ou très près de l'une d'elles, ce qui, venons-nous de dire, est incertain : sa trouvaille dans les terres extraites de la fouille a tout de même une valeur indicatrice relative.

 

-oOo-

 

figure J

 

Enfin, en plus des verreries, céramiques et petite monnaie, il a été vu et rassemblé, surtout fréquentes vers la paroi extérieure de l'entrée-sortie Est, des coquilles dites de Saint-Jacques, portant deux perforations à proximité de leur charnière (voir fig. J). II s'agit là, sans erreur possible cette fois, de coquilles ayant été cousues sur des houppelandes de pèlerins, inhumés avec le vêtement traditionnel lors de décès survenus au cours de leur séjour à Nimes. La fréquence de ces coquilles dans une certaine partie de la nécropole donne à penser qu'il existait sur tel point un carré réservé aux pèlerins, si populaires et si nombreux dans le Haut Moyen-Age. Précisons toutefois que la trouvaille des coquilles perforées vers le point J n'est pas exclusive. Elles ont été, là, plus nombreuses, mieux en place, pouvant provenir d'une même période, mais il en a été trouvé trois autres sur des points différents, au milieu d'ossements entremêlés.

 

Ici se termine le résumé des remarques faites et des notes prises au cours des deux périodes de travaux souterrains effectués place du Chapitre en Septembre Octobre 1939 et en Mai 1940. La rapidité d'exécution des travaux, répétons-le, n'a pas permis de leur donner plus de précision en ce qui concerne les circonstances de trouvaille. Il ne s'est agi en aucune façon de recherches méthodiques en vue de résultats déterminés, mais de la Simple mise à profit accidentelle des « travaux de guerre » n'ayant rien à voir avec une étude archéologique.

 

Telles qu'elles ont pu être prises et telles que nous venons de les condenser, avec adjonction de quelques dessins, dus au concours d'un de nos jeunes concitoyens, M. Allègre, ces notes pourront toutefois avoir leur utilité ultérieure si des fouilles spécialisées étaient un jour exécutées sur les points de la place du Chapitre demeurés hors du tracé de l'abri. De plus, les verreries assez exceptionnelles, qui viennent d'être présentées donnent des aperçus nouveaux sur d'anciens usages funéraires jusqu'ici peu connus. Souhaitons qu'en des heures moins angoissantes, une reprise de re-cherches faites avec tranquillité leur apporte les compléments nécessaires pour passer du domaine des suppositions à celui des certitudes.

 

Henry BAUQUIER, ,1940.

 

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