L'HÔPITAL SAINT-JACQUES DE LA CALMETTE
de François Rouvière, 1900.
Extrait de la revue du Midi du 1er janvier 1900 - pages 49 à 56


Savez-vous que La Calmette a eu un hôpital ? Je l'ignorais encore avec tous les historiens locaux et les monographes qui ont eu à s'occuper de ce village placé au pied d'une colline dominant une plaine fertile, lorsque j'ai trouvé, dans les minutes du notaire Daleyrac, une transaction du XVIIe siècle qui m'en a révélé l'existence à une époque bien lointaine (1).

Cet acte fut passé dans des circonstances dont la seule narration constituera un historique d'autant plus curieux qu'aucun autre document connu ne mentionne l'établissement hospitalier dont il s'agit.*

(1) Les minutes du notaire Daleyrac sont au pouvoir de M. Degors, de Nîmes. L'acte auquel nous empruntons les éléments de cette note est consigné dans le 25e registre de Daleyrac fo 942 et porte la date du 25 décembre 1681.
T. XXVIII, ler Janvier 1900.

Un édit royal de décembre 1672 venait de confirmer la réunion, faite en 1608, de l'Ordre militaire de N.-D. du Mont-Carmel, - institué par Henri IV pour cent gentilshommes qui, à la guerre, devaient marcher près de la personne du roi, - et de l'Ordre des chevaliers de Saint-Lazare-de-Jérusalem, créé à l'époque des Croisades et dont le but était de donner l'hospitalité aux pèlerins, ainsi que de les protéger contre les infidèles (1).

(1) Les deux ordres furent désunis par un autre édit royal de mars 1693, et l'ordre du Mont-Carmel subsista jusqu'à la Révolution.

Le même édit remettait au nouvel Ordre ainsi formé « tous les hospitaux et maladreries et autres lieux pitoyables où l'hospilalité n'est ou n'a pas été gardée. »
En exécution de cet édit, Jean Domergue, procureur-fondé du Grand vicaire général et des « seigneurs commandeurs et chevaliers de l'Ordre de N.-D. de Mont-Carmel et de Saint-Lazare-de-Jérusalem estant du conseil de direction en Languedoc, » se mit en possession, le 6 novembre 1678, « de l'hospital Sainct-Jaques du lieu de la Calmette et de six terres qui en dépendaient, » et dirigea, devant M. de la Rouvière, ancien juge en la cour royale de Nîmes et commissaire subdélégué de la Chambre Royale séant à l'Arsenal à Paris, une instance en désiste desdites six pièces contre Claude Maltret, docteur et avocat, qui en jouissait.

Celui-ci fil appeler « en assistance de cause et garantie » les consuls et habitants de La Calmette par le motif que lesdits biens lui avaient été baillés par les consuls de l'année 1584 en paiement de la somme de 438 livres 7 sols 4 deniers « descendant d'une rémission à lui faite par sieur Pierre Crégut, receveur au diocèse d'Uzès, par contrat du 12 Juin de la même année, » homologuée par sentence de la Cour du Sénéchal du 25 septembre suivant.

Les consuls de La Calmette récusèrent M. de la Rouvière qui avait au plusieurs procès avec la communauté, et qui, sur une requête de Domergue, désigna comme commissaire, pour le remplacer , M, Novy, son successeur en la charge de juge royal de Nîmes, auquel les parties remirent « leurs pièces et productions. »

Par ordonnance du 17 septembre 1681, Maltret fut condamné « à [se] désister en faveur desd. seigneurs de l'Ordre des biens par lui possédés dud. hospital et à restituer les fruicts, rentes et revenus d'iceux depuis 29 ans avant le 6 novembre 1678, jour de la prise de possession, suivant l'estimation qui en seroit faite par experts accordés on pris d'office dans huictaine, dans lequel délay il est ordonné que lesd. consuls de La Calmelte feront faire les réparations nécessaires aux lieux dépendant dud. hospital pour le rendre en bon et suffisant estat, suivant la visitation qui en seroit faite par les mêmes experts, et remetront au greffe de la Commission tant la fondation que les originaux des titres, papiers et enseignements concernant la concistance des biens et revenus dud. hospital, dans lequel ils spécifieront quelles sont les maisons et biens dud. hospital,où ils sont situés, de quel revenu ils sont en quel état sont les maisons, qui en sont les fermiers, possesseurs et usurpateurs qui jouissoient desd. biens, droits et revennus, auquel effet il leur est enjoint d'assembler incessamment le Conseil Généra! de lad. communauté pour délibérer sur l'indication et détention desd. tiltres, dresse dud. estat, et de visiter leurs archifs pour en prendre connaissance ; » ensuite, tant les consuls que Maltret, devaient se présenter « personnellement » devant le juge « pour jurer et affirmer que par dol ou fraude ils n'en retiennent aucuns », et pour le tout « estre mis et déposé aux archifs dud. Ordre » , faute de quoi ils y seraient contraints « comme dépositaires de biens de justice ». La même ordonnance obligeait les seigneurs de l'Ordre à « faire garder l'hospitalité suivant la fondation, au désir des édicts et déclarations de Sa Majesté. »

Maltret était condamné aux frais liquidés à 31 liv. 3 sols, mais les consuls devaient le garantir « tant du prix des pièces à lui vendues, réparations et méliorations par lui faites en icelles, dépens, dommages et intérêts par lui soufferts et à souffrir, que de toutes les autres condamnations contre lui ordonnées avec despens de la garantie. »

Les habitants de la Calmette se pourvurent contre cette ordonnance devant M. de Chazel « qui estoit le véritable commissaire subdélégué » ; mais cela n'empêcha pas Domergue, qui prétendait avoir le droit d'exécuter, pour les dépens, ou Maltret, ou la communauté, à son choix, - « de faire faire commandement à Mazel (1) de payer ces dépens et, sur son refus, de faire saisir une mule lui appartenant, de la mettre sous séquestre, et de le faire mesme assigner en plus forte contrainte. »

(1) Paul Mazel, consul de La Calmette.

Les consuls se pourvurent encore devant M. de Chazel centre cette saisie. Ils se mirent en état d'en poursuivre la nullité, Maze1 n'étant point condamné personnellement.

Le 30 novembre 1681, les habitants prirent une délibération par laquelle ils déclarèrent « qu'ils ne savent point d'autre bien appartenant aud. hospital que lesd. six pièces jouies par led. sieur Maltret et qu'ayant visité leurs archifs ils n'ont rien trouvé de la fondation, rentes et revenus dud, hospital. »

Mazel, de son côté, prétendait avoir « des raisons justes et légitimes » à opposer à Maltrel et à l'Ordre, lesquelles consistaient principalement en ce que la communauté « ne croyait pas estre tenue à faire aucunes réparations au cazal dud hospital comme ne l'ayant pas destruit et ruiné et que la restitution des fruicts des pièces dud. hospital jouis par led sieur Maltret n'appartenoient pas auxd. seigneurs de l'Ordre, mais bien à lad, communauté, attendu que les consuls dud. lieu de chaque année avoient gardé l'hospitalité et fourni des sommes considérables tant pour la nourriture que pour le transport ou enterrement des pauvres, lesquelles jointes avec les charges ordinaires et extraordinaires auxquelles lesd pièces estoient sujettes, absorboient lad. restitution des fruicts. »

Mais comme Domergne prétendait n'être point obligé d'attendre le jugement sur le pourvoi, avoir droit d'exiger avant tout le paiement des dépens prononcés, comme il menaçait « de faire emprisonner les consuls ou de faire saisir les mules suivant la disposition dud. Edict et attendre la prise de possession, inhospitalité et démolition dud. hospilal, » les consuls pensèrent que l'intérêt de la communauté était « de se tirer d'affaires » envers Domergue « parce qu'ensuite elle en pourroit plus facilement sortir, soit à l'amiable, soit en justice, avec led. sieur Maltret, contre lequel lad. communauté avoit diverses autres prétentions. » Ils prièrent donc noble Guillaume de Tinellis, sieur de Castillet, l'un des principaux habitants du lieu, de se rendre à Nîmes « pour voir les moyens de terminer amiablement avec led. Domergue les différents que lad. communauté pourroit avoir avec lui. »

Castillet se fit assister de MM. de Cassagne, conseiller au Présidial, Étienne Mathieu, docteur et avocat (1), et Dumas, lieutenant de prévôt, « principaux taillables » de La Calmette. « Diverses conférences » eurent lieu avec Domergue, dans lesquelles tout fut réglé. Les conditions de l'accommodement ayant été approuvées par le Conseil général de la communauté réuni sur la demande expresse de Castillet, et Mazel ayant reçu mandat de traiter, la transaction fut faite, ainsi qu'il suit, entre Domergue, agissant en la qualité sus-indiquée, et Paul Mazel, consul de La Calmette, agissant pour cette communauté, en vertu d'une délibération des habitants prise le 21 décembre 1681, devant M. de Farges, lieutenant de juge, « et registrée dans le livre des deslibérations (2) » :

(1) Aïeul de Louis-Mathieu de Valfond, qui obtint, en 1764, le titre de marquis de La Catmette et de Massillan,
(2) Ce livre a disparu des archives communales, qui ne possèdent que les délibérations de 1650 à 1659 (B. B. I,), et de 1694 à 1697 (B, B, 2).

1° II est mis fin au procès par un désistement respectif;

2° La communauté de La Calmette paiera à Domergue, « toutes compensations faites », 260 livres, « soit pour la restitution des fruicts des pièces dud. hospital demandée et adjugée contre le sieur Maltrait,.., soit pour les réparations que led M. Domergue prétendoit que la communauté devait faire au cazal dud hospital (1), soit généralement pour toutes prétentions et demandes » de Domergue, somme exigible dans la quinzaine ;


(1) Cazal, enclos qui entoure une maison. Mistral, Trésor du Félibrige.

3° Domergue subroge la communauté dans les droits et hypothèques de l'Ordre « contre Maltret, tant pour la restitution des fruicts des pièces par lui jouies dud. hospital que pour la valeur des murailles du cazal dud. hospital par lui prises et employées à un bastiment qu'il faisoit aud La Calmette ».
Mais il se réserve de poursuivre contre Maltret pour ce qui concerne « le désistat » des six pièces confrontées dans le procès-verbal de prise de possession du G novembre 1678 et dans la délibération du 30 novembre 1681, Mazel déclarant « qu'il ne scait aucuns autres biens qui dépendent dud, hospital, ni avoir aucuns tillres, papiers, ni documents qui en dépendent, s'estant à ces[ effect purgé par serment, n'en détenir aucun par dol ni fraude et soumis, au cas il sen trouvera estre au pouvoir de lad communauté, aux peines de l'édit, à la charge par lesd seigneurs de l'Ordre de garder l'hospitalité conformément aux édicts et déclarations de Sa Majesté ».

4° Mazel se charge « de veiller à la récolte, perception des bleds, vins et autres fruicts pendant par les racines aux biens dud hospital la presente année, et de faire faire les cultures et travaux nécessaires aux biens dud hospital en payant icelles, jusqu'à ce que les seigneurs de l'Ordre les ayent affermées à une personne solvable qui en fera la condition Meilleure » ;

5° Les consuls « déchargent tous et chacuns les biens dud hospital Sainct-Jaques de tous les arrérages des tailles, impositions ordinaires et extraordinaires qui ont pu estre faites sur lesd biens par le passé », sauf à la communauté à les réclamer à Maltret (1).

(1) L'affaire, entre la communauté et Maltret, fut réglée par des arbitres en 1683. Notice historique sur le village de La Calmette, par P. Merle, p. 38.


L'hôpital Saint-Jacques de La Calmette, créé évidemment dans le but de donner asile aux pèlerins de passage, avait donc cessé d'exister en 1584, époque à laquelle la communauté crut pouvoir disposer de ses biens. Un siècle plus lard, le souvenir en avait complètement disparu, et on ne trouvait, dans les archives communales, aucun titre rappelant la fondation, les rentes ou les revenus de cet établissement hospitalier. Par suite de la disparition des registres des délibérations de la communauté de 1660 à 1693, l'acte reçu par le notaire Daleyrac, que je viens de résumer, acquiert un intérêt historique sur lequel il serait puéril d'insister.

François ROUVIÈRE, 1900.

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