•  LES CRECHES
  • LA FOIRE AUX SANTONS
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  • Extrait de Miettes de l'histoire de Provence
  • de Stéphen d'Arve, 1902.
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  •  Crèche de la Cathédrale St Castor à Nimes, décembre 2007
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    Dans la salle â manger en ville, dans la cuisine de la ferme aux champs, où la table du gros souper est dressée, un des angles de la pièce a reçu une décoration spéciale qui varie comme luxe et comme disposition.
    C'est la crèche. 
    La crèche est un pittoresque assemblage de petits personnages en terre coloriée. Représentant les divers acteurs de la divine épopée qui avait pour théâtre l'étable de Bethléem.
    Au premier plan l'étable, petite construction de carton indépendante, dans laquelle ou devant laquelle sont groupés, autour d'un petit Jésus couché sur la fraîche litière, la vierge Marie, Saint Joseph et un groupe de personnages divers debout ou agenouillés. Dix jours plus tard, le groupe se complétera par l'assistance des trois Rois Mages avec leurs pages et même les chameaux richement caparaçonnés de leur royal équipage.
    Autour et au-dessus de l'étable, sur les rochers de papiers gris capitonnésrle mousse, est étayée une série de personnages, représentant les divers corps de métiers, bergers, bergères, musiciens, joueurs de vielle et de tambourin.
    Les anachronismes pullulent dans ce délilé de voyageurs en route pour Bethléem, le chasseur avec son fusil à piston devançant au premier siècle l'invention de la poudre ; un gendarme courant après lui ; villageois chargés de présents de toute sorte. Le marchand de pots de fraises n'a pas encore été introduit dans la série ; on y viendra, n'en douter pas !
    Quelques-uns de ces paysages en relief sont de vrais chefs ­d'oeuvre de construction et de mécanisme, j'ai vu des cascades d'eau vraie habilement substituées aux ruisseaux, plus souvent figurés par des glaces, serpentant entre les mousses, des moulins faisant tourner leurs larges ailes en croix de Malte, etc., etc.
    Le dernier plan de ces constructions pittoresques offre dans un lointain de nuages de carton peint, un Jéhovah rayonnant, connu dans le commerce de cette spécialité sous le nom de Père Eternel.
    L'avant-scène du pieux théâtre reçoit une décoration très spéciale. Devant la rangée des petites bougies, lei candélétto, qui composent la rarnpe, on voit verdoyer, sur le tapis de mousse fraiche, le blé de la crèche dit le blé de la sainte Barbe.
    Une poignée de froment est semée, ce jour-là, dans de petites soucoupes, lei siétoun, qu'on arrose depuis la date de cette fête du 4 décembre jusqu'à celle de la Chandeleur 2 février.
    Les grains ne tardent pas à germer et forment bientôt un joli buisson de tiges vertes arrivant à leur plus luxuriante végétation à la date de l'installation de la creche le 25 décembre ; elles s'étiolent et jaunissent à la fête de la Chandeleur, dernier délai de l'exhibition.
    Dans les familles riches, cette décoration est ordinairement remplacée par d'élégantes potiches où baignent des racines de jacinthes ou de tubéreuses, luxe interdit à l'humble mansarde où triomphe la végétation plus légendaire du modeste siétoun.
     
     Crèche de la Cathédrale St Castor à Nimes, décembre 2007
     
    Esthétique et Généalogie du Santon
     
    Marseille a la spécialité de la fabrication de ces jolies petites figurines de terre appelées santons. Ce ne sont point des terres cuites, mais de l'argile simplement comprimée dans les moules. La foire de ces santons, qui remonte aux temps les plus reculés, se tenait jadis sur le cours Belzunce ; elle a été depuis quelques années établie sur les allées de Meilhan en concurrence avec les marchands de nougats.
    La fabrication, d'origine évidemment italienne, est très spécialement marseillaise. Une vingtaine de familles vivent de cette industrie qui a progressé et j'ai vu des Parisiens apprécier les diverses poses de ces figurines bien fouillées et vigoureusement coloriées au vernis. Les plus beaux santons valent de 60 centimes 1 franc la douzaine, le père Eternel est coté 50 centimes.
     
    « Les santonniers ont, la plupart, une collection de modèles qui leur ont été transmis de père en fils. C'est le soir, à la veillée, que l'on travaille aux santons. Toute la famille prend part à la besogne et rien de plus curieux que de voir le grand-père, ainsi que les enfants les plus jeunes, pétrir chacun liévreusement sa boule d'argile. Devant eux est posé le moule séparé par moitié. Avec le pouce et l'index, ils emplissent de terre le creux de chaque partie qu'ils rapprochent et joignent ensuite à l'aide de la barbotine. Une fois secs, les sujets sont coloriés à la gomme. Marseille est à peu près l'unique centre d'approvisionnement pour les départements du Var et des Bouches-du-Rhône. »
    Horace Bertin (Sémaphore)
     
    Une humble retouche au tableau du maître :
    Marseille est restée le grand centre de la fabrication mais l'art a conquis des adeptes dans divers points de la région, à Aix, à Venelles et Aubagne. Un disert émule dans la recherche et l'exhumation de nos traditions provençales, mon confrère Elzéard Rougier, vient de découvrir dans ce pays de l'argile rose et de la poterie artistique une nouvelle santoniére, Mme Neveu, qui a créé quelques types nouveaux d'une fraicheur et d'une naïveté savoureuse.
    Mais l'argile ne fut pas toujours l'humble matière de la fabrication des petits personnages du mystère de Bethléem. Le kaolin et le biscuit de Sèvres ont fourni quelques luxueux spécimens à cet art enfantin.
    On a pu voir figurer dans la collection des jouets de l'Exposition nationale de 1900, quelques crèches composées de petits personnages en porcelaine, fantaisies de grands seigneurs pieusement conservées dans leurs familles. Le musée du château Borelly, à Marseille, possède deux ou trois types du genre. C'est joli, c'est mignon; mais cela ne dit rien à l'âme du Provençal ; ce sont des bergers de Watteau ou des bergères de Florian.
    L'émulation des familles attachées à cette pieuse mais bien respectable tradition, vient d'ètre stimulée la première année du nouveau siècle par une bien originale institution.
     
    Un groupe de littérateurs et de provençaux de tous rangs a fondé un cercle artistique, qui a probablement une Revue en incubation, sous le titre de l'Idée Provençale. Il a mis dans son programme une distribution de primes aux crèches les plus habilement construites et les plus pittoresquement animées.
    Un jury constitué a pérégriné dans la ville et la banlieue pour cette inspection artistique. Mon excellent confrère Elzéard liougier, le pionnier et le Parler accrédité de ce groupe, nous a donné le palmarès de cette distribution de prix qui ouvre un avenir certain à cette branche d'art et par contre au respect de nos vieilles traditions provençales.
    Ce jury n'a pas dépassé dans son inspection d'examen la région de Marseille, il a promis d'étendre aux départements limitrophes son champ d'études ; il tiendra parole, son honneur patriotique est engagé.
     
     Crèche de la Cathédrale St Castor à Nimes, décembre 2007
     
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    J'ai dit que l'origine du santon était italienne et les recher­ches de plusieurs érudits en feraient remonter la création à saint François d'Assise qui, le premier, obtint dit pape l'autorisation de représenter, dans un oratoire des Abruzzes, les diverses scènes du mystère de la Nativité avec des ligures de bois et d'argile. Les populations rurales mirent bientôt en honneur ces pèlerinages à la crèche, où elles se trouvaient représentées autour de l'enfant Jésus, il divino Banbino.
    Les couvents de capucins se distinguaient toujours dans les constructions de ces crèches inaugurées par leur saint fon­dateur , et l'église de l'Ara-Cœli attire, à Rome, la foule des fidéles et des simples curieux à l'époque de ces pieuses démonstrations.
    Le père Claude Frassen, supérieur des Franciscains à Paris, assure, dans un appendice à la régle du Tiers-Ordre, que Pica Bernadone, mère de saint François d'Assise, était Provençale et issue de la très illustre maison de .Bourlemont. Les Provençaux avaient alors de grandes relations avec l'Italie, surtout avec le royaume de Naples. Le saint parlait facilement la langue provençale dans sa jeunesse et continuait à la trouver, au milieu de ses concitoyens, le parler le plus délectable, qu'il y eût au monde. Il accueillit passionnément les institutions de la Provence qui pénétraient de toule part en Italie, le gai savoir, les cours, les chansons d'amour ou de geste (1).
     
    (1) La jeunesse de saint François d'Assise, par l'abbé LEMONNIER.
     
    Le nom conservé par ces figurines est d'ailleurs bien italien, le peuple avait appelé santoni, petits saints, ces diverses figures de saint Joseph, de la Sainte Vierge et du du Sauveur. Le nom s'étendit, par corruption. à tous les autres personnages du drame pastoral, et notre mot santons proven­çal n'est certainement qu'un dérivé.
    En Provence, ce sont les chapelles des couvents divers qui présentèrent d'abord ces exhibitions ; l'église des Accoules, à Marseille, avait déjà une crèche au treizième siècle. Les autres paroisses de la ville tinrent à honneur d'avoir chacune leur crèche avec des personnages qui atteignaient souvent trois pieds de hauteur et fort artistement costumés. Quelques évêques trouvèrent à ces sortes de décorations un caractère trop profane et les proscrivirent. L'usage en est revenu presque partout à Marseille. à Aix, Arles et Avignon, où les paroisses rivalisent de zèle pour leurs crèches. Quelques-unes sont remarquables pour l'heureux groupement des divers personnages encadrés dans des décorations très pittoresque­ment brossées.
    Un vicaire de Mazargues, M. l'abbé Fulcran, mécanicien amateur distingué, inventeur d'un système d'automobile, vit affluer, dans ce village, les curieux devant une créche méca­nisée de sa construction. Un a pu voir, dans ces dernières années, d'autres crèches remarquablement installées dans plusieurs paroisses de Marseille, notamment à Saint-Michel et à Sainte Madeleine des Chartreux.
    Nous croyons savoir que la commission du jury des récompenses de l'Ideio Prouvençalo a compris quelques-unes de ces crèches de paroisses dans son palmarès, mais comme elle n'a franchi les frontières de l'arrondissement de Marseille que pour de rares exceptions, nous n'attendrons pas sa décision pour signaler à nos lecteurs un chef-d'oeuvre du genre installé depuis quelques années dans l'église de Solliès-Ville.
    Cette crèche est l'oeuvre du curé local, l'abbé Pirot, qui joint à ses études professionnelles le talent d'un peintre de mérite et d'un sculpteur de premier ordre.
    Je n'avais pas attendu qu'Elzéard Rougier, le pionnier infa­tigable et l'explorateur spécial de cette partie du monde artistique révélât sa découverte à ses lecteurs, pour aller m'accorder une heure d'extase devant le chef-d'oeuvre qui a pour cadre une merveilleuse église, celle d'un ancien couvent d'Augustins, et d'ailleurs classée dans les monuments historiques.
    J'emprunterai toutefois à ce confrère la description, si poétiquement imagée, qu'il fit de cette oeuvre d'art si remarquable.
     
    « Le digne curé, n'est pas un amateur qui s'amuse aux choses de l'art, c'est un artiste dans toute la belle conscience du mot. Mais sa composition maitresse, celle-là dont il a tous les droits d'être fier, c'est sa crèche. Je ne crois pas m'avancer trop en disant que la créche de Solliès-Ville est la plus remar­quable de la Provence entière. Tous les sujets en sont de gran­deur naturelle, copiés, observés, réalisés d'après nature. Il n'y a que l'Enfant-Jésus et la Vierge qui soient, bien que magnifiquement humains, le résultat de l'imagination, de la méditation plutôt de l'artiste. L'Enfant-Jésus est délicat et joli ; il sourit à sa mère, mais dans ce premier sourire, hélas ! déjà quelle mélancolie ! La Vierge, elle, est raphaëlesque, les souvenirs des classiques beautés italiennes devaient hanter le cerveau et le coeur de l'artiste alors qu'il la modelait. C'est une Vierge puissante et douce, magnifiquement maternelle. Elle est toute à l'allégresse de posséder son Enfant ; elle le tient sur ses genoux, idéal berceau; le protégeant de ses mains, le couvant de ses yeux et de sa bouche épanouie.
    Les autres personnages de la crèche sont l'exacte repro­duction de types qui vivent sous nos yeux. Dans les délicieux petits anges, vous reconnaitriez, si vous les connaissiez, les plus jolis enfants des environs de Solliés-Pont ; certain berger prosterné, à barbe noire, au nez aquilin, est un Syrien que l'abbé Pirot a rencontré sur les quais de Marseille et qu'il a croqué et comme recréé avec un bonheur remarquable. Le boeuf, d'une puissance sauvage et quasi menaçante, a été fait d'après nature; durant plusieurs journées, l'abbé Pirot est demeuré en tête-à-tête avec son modèle, ce qui n'est pas mal audacieux, dans une écurie du Logie-Neuf, un hameau voisin. Et l'âne, comme il a l'air doux, affectueux, et comme il semble heureux d'être associé aux joies candides et surnaturelles de la crèche. On dirait qu'il donne un peu de son âme avec son souffle.
    Cette créche modèle mériterait que des pélerinages de touristes fussent organisés en sa faveur ; que la Provence ou tout au moins la Provence maritime fournit un contingent de visiteurs ponr venir en admirer la beauté sereine et sculpturale. »
     
    (Le Soleil du Midi)
     
    Santons Fontanille.
     
    Vous apprenons avec satisfaction que la colonie Hyéroise en a fait l'objet de fréquentes excursions dans la saison der­nière.
    Ah, si le bon. curé connaissait la vertu de la réclame ! mais son talent si réel ne se double que de la plus belle des vertus chrétiennes : l'humilité.
    Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces descriptions techniques pour arriver â la partie historique qui doit nous offrir l'intéressante série des crèches parlantes et mécanisées dans leur ordre chronologique.
     
    Extrait de « Miettes de l'histoire de Provence »
    de Stéphen d'Arve, 1902.
    Documentation Philippe Ritter - Edition NEMAUSENSIS.COM - Décembre 2007
     
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