L’incendie du Théâtre de Nîmes en 1952



Le lundi 27 octobre 1952, 18h 30. Une date, une heure qui vont compter dans les anales de Nîmes : « Le Théâtre est en feu ».

Les samedi est dimanche qui ont précédé cet évènement le théâtre avait eu un programme très chargé. Le samedi soir on avait joué « La Juive » avec Humbert, un triomphe ; le dimanche en matinée, « Lakmé » avec Mado Robin et en soirée, « Les pêcheurs de perles », avec le ténor François Gatto, Jeannette Vivalda, soprano et Ernest Blanc. (a)


Le rideau de scène

Chronologie des interventions
Archives radiophoniques de Radio France 3 Nîmes, 1982.

« Archives radiophoniques de l’incendie, comprenant des enregistrements de 1952 ainsi que ceux du trentième anniversaire, en 1982, retranscrits par Philippe Ritter. »


Dans le théâtre quelques employés sont présents. Le chef électricien Robert Dauby, logé au dernier étage du Théâtre, côté rue Corneille, expliquera : « J’ai vu une lueur, puis nous avons entendu une explosion ». Le concierge, M. Sicard crie à tue-tête : « Le feu ! Le feu ! » C’est lui qui donnera le premier l’alerte aux pompiers. Des danseuses répétant dans une salle située à côté de la scène ont entendu un bruit : « On croyait que c’était un orage de grêle ». On a ouvert la porte, et nous avons vu la scène en feu.
Par la suite de nombreux appels arriveront au standard d’urgence. Un agent cycliste finissant sa ronde aperçoit de la fumée qui se dégage du théâtre. Ayant tambouriné à plusieurs portes, il finit par alerter M. Durand président du Syndicat d’Initiative, leurs locaux étant situés dans l’aile droite du Théâtre.
18h50, départ des pompiers, le Commandant Domergue dirigera les opérations, mais la caserne est éloignée, elle est située au Parc à Fourrage, route d’Avignon, et, comme il l’explique, « il n’avait que 8 pompiers à sa disposition, le corps étant composé en tout de 24 sapeurs, divisés en 3 équipes de 8. »
Au 1er appel, l’équipe en service part. Ce premier secours était composé d’un fourgon-secours, un fourgon-tonne, et un fourgon-pompe. Trois véhicules c’est tout ce que cette équipe réduite pouvait amener en urgence sur les lieux.
Le Commandant Domergue nous raconte : « Au départ de la caserne, je voyais déjà le ciel tout rouge en direction du théâtre, et, arrivé place des Carmes j’apercevais même les flammes. Arrivés sur les lieux, la scène était complètement en feu et la toiture écroulée.
L’échelle est arrivée 10 mn après avec le personnel de réserve, mais, à ce moment-là, la scène était complètement détruite et le feu commençait à se propager dans la salle. »
Rapidement les pompiers d'Alès seront appelés en renfort. Ils arriveront moins d’une heure plus tard avec une échelle et un fourgon. Ils attaqueront le feu à l’arrière du bâtiment, rue Racine, en protégeant les loges ils sauveront une partie des costumes de scène en les jetant depuis les balcons. Dans la rue, des employés, danseurs, ballerines, choristes, s’évertueront à les réceptionner et récupérer. (a)
Un peu plus tard, on fera appel aux pompiers de Montpellier, ils viendront avec du matériel moderne et surtout une Grande-échelle facile à mettre en œuvre. À côté d’eux, l’équipement du corps de sapeurs pompiers de Nîmes faisait rire ou plutôt faisait pleurer, vu les circonstances. (1)

NDLR : Pourquoi cette rapidité de propagation, le départ du feu ayant pour lieu d’origine la scène, et cette dernière étant isolée de la salle par un rideau de fer ?
Le témoignage suivant va nous apporter une partie de la réponse.


Témoignages
Archives radiophoniques


Toutes les photos de l'incendie sont des photos d'archives privées.

Antonin Domergue, commandant du Corps des pompiers de Nîmes :
A la retraite, Antonin Domergue interrogé 30 ans plus tard, nous explique :
« Le feu a pris pour deux raisons :
Premièrement : une grosse poutre de la scène en tombant, avait défoncé le rideau de fer et avait fait un trou, et ensuite, la porte qui communiquait avec la loge municipale et la scène était restée ouverte. Voilà par où le feu s’est propagé dans la salle.
Deuxièmement, le théâtre au point de vue sécurité était bien noté (2), puisqu’il y avait un rideau de fer, il y avait un rideau d’eau qui devait arroser le rideau de fer, ensuite il y avait un Grand-secours qui devait noyer la cage de scène, en cas de feu. Ce Grand-secours devait être manœuvré par deux vannes, une sur la scène, l’avant-scène, et une dans un local en dehors du théâtre. Personne ne l’a manœuvré. C’est un pompier qui l’a manœuvré après. Il était trop tard ! (1) Pour la bonne raison, c’est que les pommes d’arrosoir étaient en dessous la toiture, et les poutres en tombant, ont arraché le Grand-secours ; plus rien n’existant, à ce moment-là, il n’y avait plus rien à faire ! Si le Grand-secours avait été actionné de suite, la scène aurait été presque sauvée. La meilleure des preuves, c’est que le plancher de scène et tout le dessous n’ont pas brûlé et ont été intacts. »

 


Edgard Tailhades, maire de Nîmes en 1952.
« Je me rappelle parfaitement que j’étais à Paris à ce moment-là. J’ai reçu au soir de la catastrophe un télégramme : Ton théâtre flambe. Immédiatement, j’ai rejoint Nîmes, et j’ai mesuré, à ce moment-là, l’ampleur du sinistre. J’étais d’autant plus irrité que je savais qu’il était dû à une main criminelle, et que c’était une manifestation de vengeance. »
Le commentateur : « La disparition du théâtre, un coup sérieux, porté à la ville de Nîmes. »
Tailhades : « La ville perdait son théâtre et je n’ai pas besoin de vous dire que c’était là, tout de même, un évènement infiniment regrettable, et je sentais dès ce moment-là, que nous aurions à faire face à de nombreux problèmes. Problèmes d’architectes, problèmes de réalisation d’une nouvelle salle. Il fallait parer au plus pressé, mais je crois que même le temps étant passé, il faut que cette construction se réalise dans l’intérêt de tous. » (lire les conclusions)

                 

Jean-Charles Lheureux, chef d’agence au Méridional en 1952, chef d’agence au Midi Libre. Le 26 octobre 1982 :

Lheureux : « Le bureau du Méridional où je travaillais, était à 50 mètres, devant la Maison Carrée. Quand mon ami Hervé Collignon m’annonçait la nouvelle : Y a le théâtre qui brûle. J’étais en train de rédiger mon article sur le Crime de Vauvert. J’ai cru qu’il plaisantait, et lui ai répondu : Nous ne sommes pas le 1er avril ! »
Le commentateur : « Jean-Charles Lheureux, vous êtes chef d’agence du Midi-Libre, à l’époque vous étiez responsable du Méridional. Vous avez été un des témoins, puisque l’incendie du théâtre a débuté à moins de cinquante mètres de chez vous. Vous venez d’entendre cette émission au cours de laquelle nous avons recueilli pas mal de témoignages de Nîmois, recueilli et fait entendre des documents de l’époque. Ça a vraiment été quelque chose d’important pour Nîmes. »
Lheureux : « Effectivement, et même avec le recul du temps, on s’en rend compte encore mieux. L’incendie du théâtre a été un évènement qui a littéralement consterné Nîmes. Non seulement les Nîmois qui avaient l’habitude de se rendre régulièrement aux spectacles lyriques ou dramatiques, mais aussi tous ceux qui s’y étaient attachés, pour des raisons sentimentales.
C’est ainsi que je me souviens, à l’audition de ce document, que l’incendie de l’opéra a mis fin à une série de traditions de la presse nîmoise. Chaque année, en effet, au printemps, se déroulait dans le théâtre, avec de grands moyens, le traditionnel et annuel bal de l’Amicale de la presse. C’était un bal qualifié de « Mondain », où l’on pouvait voir de très belles toilettes féminines, et les messieurs étaient en smoking. Il y avait toujours des attractions de choix, un grand orchestre, et pour se faire, la salle réservée au public était entièrement recouverte d’un plancher amovible. Le bal de la presse se déroulait sur toute la surface du monument. C’était un spectacle exceptionnel. C’était l’évènement de la saison. »
Le commentateur : « Alors, il y eut un côté bien sûr sentimental, tous ces Nîmois qui voient brûler leur théâtre, mais également un impact économique. »
Lheureux : « Les administrateurs de l’époque étaient très conscients de la perte que ça représentait pour la ville, perte intellectuelle et perte financière, et ils s’étaient employés à très rapidement reconstituer le théâtre. Je me souviens que trois ou quatre jours après l’incendie, il y eut une conférence de presse du premier adjoint de l’époque, M. Drouhot, qui solennellement s’est engagé à ce que le théâtre incendié soit reconstruit dans un délai d’un an. »
Le commentateur : « On peut également, on n’en a pas eu le temps jusque-là d’en parler, étudier le rôle de M. Aymé. »
Lheureux : « Oui, M. Aymé a été très certainement, parmi les personnalités nîmoises, celui qui ont été le plus touchés affectivement, je ne veux pas dire matériellement, par la disparition de ce théâtre. Ferdinand Aymé, que nous avons perdu le 8 février 1982, était un homme qui surtout à cette époque-là ne vivait que pour l’art lyrique, et pour la tauromachie, évidemment à la belle saison. Et je me souviens que dans la semaine de l’incendie du théâtre, il avait réuni quelques amis et quelques personnes qui s’occupaient du théâtre, pour étudier les moyens de poursuivre la saison lyrique, car il avait en charge une troupe sédentaire avec des choristes et tout le petit personnel. Il était littéralement consterné. Il avait ce qu’on peut qualifier vulgairement une mine d’enterrement, et je me rappelle l’avoir vu pleurer »
Le commentateur : « On pourrait conclure sur ce qu’est devenue Eva Closset. »
Lheureux : « De nombreuses rumeurs ont couru sur Eva Closset. Le bruit avait même, à un moment donné, couru qu’elle était morte en prison. Mais je crois savoir, d’après des sources sûres, qu’Eva Closset a vécu une conduite exemplaire en prison. Elle était très croyante, et s’était réfugiée dans la religion pour expier ce qu’elle considérait enfin comme un crime. Parce qu’au moment du procès, elle apparaissait inconsciente des conséquences de son geste. Je crois savoir qu’Eva Closset, après sa libération conditionnelle, je pense qu’elle n’a pas entièrement terminé sa peine, elle décédera en Belgique un an et demi ou deux ans après sa libération. »
 
                   
 
M. Roger adjoint aux affaires Culturelles en 1952 :
Le commentateur : « Construit à la fin du XVIIIe siècle, le théâtre de Nîmes avait été inauguré le 03 février 1800, bien qu’inachevé. La construction avait commencé en 1798, d’après les plans de l’architecte Meusnier. »
Le théâtre de Nîmes était l’un des plus anciens théâtres de France. M. Roger, à l’époque adjoint aux affaires culturelles de la ville :
Roger : « Il était parmi les plus anciens. C’était un beau théâtre qui avait été conçu selon les règles d’autrefois et qu’on appelait : Le théâtre à l’italienne, c'est-à-dire un théâtre en hauteur, et qui restait à l’échelle humaine. C'est-à-dire que ce théâtre pouvait contenir (celui de Nîmes contenait à peu près un millier de personnes), mais la règle d’or d’un théâtre dit à l’italienne est que le public doit se situer entre 1000 et 1200 personnes au maximum, pour rester à l’échelle humaine.
Il avait un très beau lustre, et ce lustre avait une histoire. Comme il était majestueux, on ne pouvait pas ne pas le remarquer, et il avait était offert par la Compagnie du gaz. C'est-à-dire que lorsque l’on a installé le gaz à Nîmes, la Compagnie fit ce don, et évidemment ce lustre est resté jusqu’à la fin, il s’est écroulé au milieu des décombres, au moment de l’incendie. »
Une femme témoigne : « Un lustre magnifique, et je vous dis qu’il y avait un ténor, Baragno, lorsqu’il chantait, il faisait trembler le lustre ».
Roger : « Nîmes était un théâtre qui avait une très, très grande réputation, et qui d’autre part, comptait dans la vie d’un artiste. Avoir joué au théâtre de Nîmes était presque une épreuve, et était en tout cas une référence.
Le public d’ailleurs notait les artistes, et au début de chaque saison, le directeur faisait connaître la troupe, faisait connaître les ouvrages, et puis, quelque temps après, les spectateurs votaient pour dire quels étaient, à leur sens, les meilleurs artistes qui avaient joué. »
Un homme témoigne : « Il y avait tellement de succès, qu’on avait tout cassé dans le théâtre. C’étaient les gens du « Cinquième » qui s’étaient mis aux premières. On avait du appeler la police pour mettre de l’ordre »
Roger : « Il y eu des bagarres au théâtre de Nîmes, en particulier quand on donnait des représentations comme : La Juive en 1936. Le maire de Nîmes recevait des lettres anonymes des « Amis de La Liberté ». Ils font savoir au maire que si la représentation de La Juive est troublée par des factieux, et bien, ils annoncent que le sang coulera au cours de la représentation, si le maire ne prend pas les dispositions nécessaires pour assurer l’ordre public. »
Le commentateur : « De très grands artistes lyriques ont chanté sur la première scène de la ville : Caruso, Lily Pons, Villabella, José Luccioni, François Audiger, André Girard que nous venons d’entendre, Charles Hébréard, Géori Boué, Mado Robin, Régine Crespin. Des comédiens, comme Talma, y ont joué des œuvres classiques, des grands musiciens aussi. »
Roger : « La première tournée de Litz, qui a eu lieu dans toute la France, Lizt enfant s’est arrêté à Nîmes pour jouer ; il avait à ce moment-là 13 ans. »
Un homme témoigne : « En plus de la saison lyrique, qui durait six ou sept mois, avec une troupe sédentaire de choristes, de chanteurs, de musiciens, toutes les tournées passaient là : des tournées théâtrales, des chanteurs de variété. J’y ai vu après la guerre Maurice Chevalier, Charles Trenet, Georges Hulmer ; toutes les vedettes de l’époque venaient chanter au théâtre de Nîmes.
C’était un très beau théâtre à l’italienne, vous l’avez dit, avec quatre étages, puis un promenoir, en haut. Les amateurs de lyrique qui venaient écouter, peut-être pour la quarantième fois, juste au moment où il y avait le grand air de Carmen, montaient au cinquième étage, parce que l’acoustique était excellente.
C’est autre chose que le théâtre qu’on a fait, et qui n’a rien d’un théâtre. Un truc entièrement raté ! »
Le commentateur : « Il y avait un très beau foyer, avec des grandes glaces. C’était immense. Tous les gens qui étaient au théâtre venaient y faire les Cent-Pas, et bavarder pendant les entractes. Un foyer très agréable et très fréquenté. »
Une femme témoigne : « Il y avait un rideau qui faisait le dessin de deux pans de rideaux, et qui faisait effet de store, comme le rideau était ouvert. Dans ce rideau ouvert, vous avez au fond la Tour-Magne, la Maison Carrée, les Arènes et une partie des Jardins de la Fontaine. » (3)
 
                       

François Audiger, chanteur basse témoigne :
« J’étais chez moi, lorsque ma fille arrive en courant en pleurant ; elle se figurait que j’étais dans le théâtre. Elle me dit le théâtre brûle, le théâtre brûle. Je suis devenu tout pâle et retourné. Je suis allé jusqu’à la rue du Grand-Couvent, ensuite on ne m’a pas laissé passer. J’étais bouleversé, ça m’a fait une peine inouïe. Je considérais le théâtre un peu comme ma maison. Je devais y chanter Guillaume Tell le samedi d’après 1er novembre, évidemment, cette représentation n’a jamais eu lieu. »
Le commentateur : « A l’heure actuelle, lorsque vous passez devant les ruines.
« J’évite d’y passer, ça me fend le cœur. »
 
Anonyme :
« Lorsque j’ai vu le soleil rougeoyait, il était vers 18h 30, j’ai dit : Tiens c’est curieux, on dirait que le soleil se couche à nouveau ! Qu’est-ce que c’est que cette chose là ? J’étais en train de travailler en anglais avec mes élèves, et le bruit des gens qui courraient dans la rue est monté jusqu’à moi. Nous avons appris cette terrible nouvelle : le théâtre de Nîmes est en feu ! »
 
Anonyme :
« Ce soir-là, un de mes vieux amis, André Gabourdès, tous les Nîmois le connaissent bien, est venu à mon domicile. Nous habitions tout près du Palais des Congrès. Viens vite, y-a le théâtre qui brûle ! Nous étions venus place de la Maison Carrée, nous avons vu brûler le théâtre. Certains, comme moi, ne sont pas mélomanes ou férus de musique ou de théâtre, et ça nous a fait un peu de peine, mais enfin… Mais pas comme certains, comme mon ami Gabourdès, il en avait les larmes aux yeux. Il était bouleversé. »
 
Anonyme :
« C’était un grand coup, parce que c’était un théâtre qui datait de Napoléon, alors c’était comme un monument de la ville, pour ainsi dire. »
 
Anonyme :
« On en a presque pleuré. De la terrasse où on habite, on l’a vu brûler. Les gens du quartier faisaient leurs valises, de peur que le feu se propage à leurs maisons. »
 
Anonyme :
« On m’a dit : c’est le théâtre qui brûle, alors j’y suis allé. J’ai vu la toiture s’effondrer vers 1 heure du matin. Il y avait tout autour quatre ou cinq cents personnes, qui ont veillé le théâtre toute la nuit. »
 
Anonyme :
« Nous étions tous consternés, atterrés. C’était absolument effrayant, et j’ai vu, alors que nous étions Place d’Assas, s’effondrer la toiture, qui était en forme de coupole »
 
Une ballerine :
« Je passais mon temps à courir dans les couloirs, d’une salle à l’autre. Je connaissais le théâtre de fond en comble. Mon professeur était Mme Nina Perrini. Elle a fait 50 ans au théâtre. Elle a vu brûler son théâtre. Je pense que cela a été la cause de sa mort. Ça a accéléré sa fin, certainement !

 

Cyprien Julian, adjoint aux affaires culturelles, le 29 octobre 1982 :

Le commentateur : « M. Cyprien Julian, vous êtes adjoint aux affaires culturelles depuis trois mandats. Merci d’être venu pour évoquer tous ces problèmes de la saison lyrique en particulier. Vous venez d’entendre donc cette émission. Ces évènements qui remontent à trente ans, vous les connaissez tout de même. Vous vous en rappelez, car vous aviez, je crois, à l’époque 18 ans. »
Julian : « Oui, exactement ! Je peux vous dire que je m’en suis rappelé pendant ces trois mandats municipaux successifs, et je n’ai cessé de penser à ce qu’aurait pu être mon poste d’adjoint aux affaires culturelles, avec le théâtre que j’avais connu jadis. Ça aurait pu être quelque chose d’extraordinaire bien sûr.
On a dit d’ailleurs, dans votre émission, que le théâtre actuel n’était pas adapté, et c’est vrai. Nous l’avons inauguré en 1965, en entrant en mairie, avec la municipalité Jourdan, et tout de suite, nous nous sommes aperçus qu’il fallait, à tout prix, revoir le problème. Et je ne vous cache pas que depuis 1971, après avoir travaillé pendant trois ans sur le projet, je suis un fervent défenseur de la reconstruction d’un théâtre face à la Maison Carrée. Je l’intitule Palais des Arts pour une raison bien simple, c’est qu’au lieu de refaire un théâtre à l’italienne avec tous ces marbres, tous ces escaliers, toutes ces surfaces perdues, finalement, on pourrait très bien faire un théâtre modulable de 1000 à 2000 places. On pourrait remplacer tous les espaces où les dames faisaient voir leurs toilettes jadis, par un conservatoire et une galerie d’Art contemporain… Bref, je crois que c’était un projet tellement sérieux qu’il tient encore et qu’il va retenir l’attention de beaucoup de Nîmois et beaucoup d’autorités dans le domaine culturel. »
Le commentateur : « On nous parle beaucoup de projets d’ailleurs, sur cet emplacement de l’ancien théâtre, mais enfin, je crois que cela correspondrait bien à ce qu’attendent les Nîmois. »
Julian : « Oui, oui je crois que des projets ont été opposés, et je dis bien opposés à ce projet Palais des Arts. Je ne sais pas les raisons qui ont poussé à lancer ce que je considère comme des projets qui ne correspondent absolument pas à la réalité culturelle du lieu, ni à l’intérêt urbanistique de Nîmes. Alors, je crois que la raison finira par l’emporter. »
Le commentateur : « Très rapidement Mr Julian, car il ne nous reste une minute pour quelques informations nîmoises. La saison lyrique en 82 se porte bien ? »
Julian : « Et bien, la saison lyrique 82 va débuter dans quelques heures, si l’on peut dire, avec une représentation de « La Valkyrie », qui sera menée par l’orchestre, les chœurs et les solistes de l’Opéra de Trèves, en Allemagne. Et je crois que nous pouvons augurer d’une saison lyrique sérieuse, en attendant que les prochaines saisons lyriques, et ce sera mon vœu le plus cher, se déroulent dans un grand théâtre de Nîmes rénové : Le Palais des Arts. » (lire les conclusions)
 

Le procès de l’incendiaire Eva Closset
Archives radiophoniques


Eva Closset
Photo première page du Midi Libre du 31 octobre 1952


Maurice Rouquette, journaliste à la retraite :
Le commentateur : « L’émotion des Nîmois était loin d’être apaisée, lorsqu’éclatait une véritable bombe : L’incendiaire du théâtre venait de se dénoncer, après s’être confessée. Il s’agissait d’Eva Closset, artiste lyrique belge de second plan, alors âgée de 47 ans. Divorcée, elle était arrivée à Nîmes vingt jours auparavant, pour faire auditionner son beau-fils âgé de 20 ans : Henri Faes. M. Francis Lenzi, qui était codirecteur du théâtre avec Mr Ferdinand Aymé, ayant refusé d’engager comme choriste le jeune homme. Révoltée, Eva Closset décidait de se venger et de mettre le feu au théâtre pour donner, dira-t-elle plus tard, une leçon au directeur.
Lors de la reconstitution de son geste criminel, elle tenta de se suicider. Nous la retrouvons un an plus tard : le 10 juillet 1953, lors de son procès. »
Rouquette : « Entre l’incendie et le procès, il s’est déroulé moins d’une année, et le jour des débats, cette femme, qui avait quitté Liège où elle habitait, pour venir à Nîmes faire auditionner son fils Henri Faes, s’était présentée devant ses juges, vêtue d’une chemise de soie et d’un tailleur noir. Ses cheveux tressés étaient relevés sur sa tête. Son visage était calme et reposé.
L’audience prévue pour 9 heures ne débuta qu’à 9 heures 30. M. Vincent, Conseiller à la Cour, la présidait, assisté de Mr le conseiller Talber et de M. Clavel, remplaçant M. Jahire défaillant. »
Le commentateur : « La lecture de l’acte d’accusation par le greffier Paul PHILIP, donna l’occasion à l’accusée de protester lorsqu’elle entendit qu’on la dépeignait comme une exaltée, une extravagante. Les experts psychiatres affirmèrent à la barre que l’accusée est entièrement responsable de ses actes.
Vint l’heure des plaidoiries : Me Georges Richaud, partie civile, au nom de la ville de Nîmes réclama un verdict juste, mais ferme. Représentant « l’Association des Amis du Théâtre », Me Maurice Gony estima que la seule dette que l’accusée devait payer, c’était celle qu’elle devait à la société. »
Rouquette : « Après le réquisitoire de Mr Ponset, Avocat général, qui avait requis contre l’incendiaire vingt années de travaux forcés. Me Bernard de Montaud-Manse, défenseur de la liégeoise, prit la parole. »
Le commentateur : « Le célèbre avocat d’assise nîmois se surpassa. Il expliqua que le crime avait été provoqué par le ressentiment d’une mère pour qui son petit était le plus beau, le mieux fait. Ma cliente dit-il, est une pauvre fille folle d’amour maternel. »
Rouquette : « Il faut croire que M. de Montaud apitoya quelque peu le jury puisqu’Eva Closset ne fut condamnée qu’à sept ans de travaux forcés. »
Le commentateur : « Eva Closset effectua une partie de cette peine, dans une prison de femmes, elle quitta ensuite la France. Depuis, on en entendit plus jamais parler. »
 
Fin des retranscriptions.



Conclusions


Dès le lendemain de l’incendie,
le maire, Edgar Tailhades, avait déclaré à la presse « Le théâtre sera reconstruit à l’identique dans un délai de 3 à 5 ans ». Plus optimiste, son premier adjoint, M. Drouhot, 3 ou 4 jours après l’incendie, s’était solennellement engagé dans une conférence de presse « à ce que le théâtre soit reconstruit dans un délai d’un an. ».
Au cours des 2 mandats qui suivront, la municipalité Tailhades ne se donnera jamais les moyens de faire aboutir ce projet.



Pourquoi les choses n’ont pas abouti ?

Au début, cette affaire est rondement menée : « un architecte parisien M. Sonrel est chargé d’établir un avant-projet. Pour faire face aux problèmes d’éloignement il va fait appel à un architecte local, Georges Chouleur. Un cahier de charge draconien sera établi : construction sur le même emplacement, conservation de la façade avec son péristyle. Mais des difficultés vont s’accumuler. Le bâtiment n’était pas aussi bien assuré que l’avaient affirmé les politiques. Les 35 compagnies d’assurance qui couvraient le bâtiment présentent leurs expertises, l’indemnité totale est fixée à un peu plus de 95 millions de francs. Le 11 mai 1954, le projet de reconstruction est présenté au Conseil. Le coût total est évalué dans une fourchette comprise entre 750 et 800 millions de francs. C’est la douche froide, la ville ne peut financer un tel projet qu’avec la dette ou bien en réduisant au-delà du raisonnable des investissements projetés.
Il faudra 8 ans pour abandonner définitivement ce projet , cette décision n’étant prise qu’en janvier 1962. » (a)
 


En 1965, changement de Municipalité.
A la fin du troisième mandat de la municipalité Jourdan, le dossier de construction sur le site de l’ancien théâtre est toujours en état de projet. Le cahier de charge, conservation des colonnes reste, mais il n’est plus question de Théâtre, c’est une nouvelle Mairie qui est sur les rails.
Le projet va bon train, il est présenté lors d’une réunion, le Comité de quartier n’est pas chaud, il propose un autre lieu le Fort Vauban. Le Maire semble séduit par cette dernière proposition, mais le projet de Mairie reste.
Plusieurs études seront soumises à un jury, c’est celle de la BERIM de Montreuil-sous-Bois en Seine-Saint-Denis qui est retenue. Une Maquette est présentée au public au centre culturel Pablo Néruda le 20 novembre 1981. (b)
Ce projet, très discuté, ne comblera pas, visiblement, les attentes du public. L’année suivante, en octobre 1982, aux vues des déclarations de M. Julian, adjoint aux affaires culturelles, il était enterré.
« …finalement, on pouvait très bien faire un théâtre modulable de 1000 à 2000 places… un projet tellement sérieux qu’il tient encore et qu’il va retenir l’attention de beaucoup de Nîmois… »
Quelques mois plus tard, suite aux élections municipales, la municipalité Jourdan sera balayée.
 
Jean Bousquet arrive à la mairie,
en 1983, il aborde ce projet avec un œil neuf et des idées nouvelles, pas de Mairie, pas de Théâtre, mais une Médiathèque.
En bon prestidigitateur, il détourne le regard des spectateurs/électeurs, supprime du cahier de charge, colonnes, péristyle, et… déplace les vestiges en bordure d’autoroute.
 
La Médiathèque Carré d’Art, inaugurée en 1992.
En construisant sur l’emplacement de l’ancien Théâtre un bâtiment moderne signé par un architecte anglais de renom, Norman Foster, une page de l’histoire de Nîmes est définitivement tournée… sauf pour les historiens.  



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 Notes

 
(1) NDLR : Avec un nombre ridiculement réduit de pompiers, des équipements désuets et surtout une position excentrée de la caserne par rapport au centre-ville, notre théâtre n’avait aucune chance, à cela s’ajoutait une incroyable absence de procédures de sécurité. Sur place, personne n’était habilité à ouvrir la vanne du grand secours pour noyer la scène !
 
(2) Le 9 octobre 1952 juste avant l’ouverture de la saison théâtrale, un contrôle de la commission de sécurité avait donné un avis favorable. Dans sa conclusion elle précisait, que la sécurité du Théâtre était assurée dans les meilleures conditions possibles. (a)
 
(3) NDLR : Trente ans après cette dame avait oublié les détails des monuments représentés sur le rideau. Il y avait bien dessiné de chaque côté en trompe-l'œil deux rideaux ouverts retenus par des cordons, la Tour Magne et la Maison Carrée, mais pas de Jardin de la fontaine. Au centre non cité dans sa description figurait le Pont-du-Gard. »
 
(a) Extrait de la conférence en 2006, de Robert Chavalet, sous l'égide de SHMCNG.
 
(b) Renseignements puisés dans le livre de Claude Chaminas, « Place de l’Hôtel de ville Nîmes 1977-1984 », pages 139 et 140.

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Transcription enrichie de commentaires du document projeté en annexe de la conférence de Philippe Ritter, sur l'histoire des Pompiers de Nîmes, réalisée le samedi 6 octobre 2012, auditorium du centre Pablo Néruda.

Conférence donnée sous l'égide de la Société d'Histoire Moderne et Contemporaine de Nîmes et du Gard.

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En savoir plus

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