- DEUX
CURIEUX DESTINS
- BERMARD
DE SEPTIMANIE
- ET
- LA
PRINCESSE DHUODA.
-
- Ce texte de Dom Vaissete, en
vieux français, nous retrace une partie de l’histoire de notre région.
- Quatre personnages sont les
acteurs de cette histoire :
- Bernard de Septimanie, le fils
de Guillaume de Toulouse (compagnon de Charlemagne au même titre que Roland,
fondateur de St Guillem le désert et aussi de nombreux édifices religieux
dédiés à Marie, exemple Notre Dame de Grâce de Rochefort du Gard).
- La princesse Dhuoda son épouse
dont l’origine mystérieuse laisse planer un doute sur sa naissance, certains
prétendent qu'elle est une fille ou une nièce de Charlemagne, d’autres qu'elle
est la fille d’un noble nîmois d’origine Wisigothe.
- Guillaume le fils de Bernard
et Dhuoda, celui la même pour qui la princesse écrira le fameux Manuel d'éducation,
ensuite le roi de France, Charles le Chauve, qui encore selon la légende
pourrait être le fils naturel de Bernard, ce dernier ayant été à l'époque de sa
conception l’amant de sa mère. Et pour corser le tout, certains historiens
prétendent que Charles a tué de ses propres mains Bernard, ce Bernard qui
pouvait être son père.
- Après ce petit résumé bonne
lecture et n'oubliez pas d'aller lire la page donnée en liens au bas de ce
texte elle vous donnera un complément d’explication.
Georges Mathon, et maintenant place au formidable historien qu'était Dom Vaissette... -
-
- VII
-
-
- Bernard
duc de Septimanie négocie la paix entre le roi Charles et le jeune Pépin. Warin
duc de Toulouse ou d'Aquitaine pour le roi Charles, et Bernard pour Pépin.
(840)
-
- Charles
(le Chauve) étoit alors à Bourges où il avoit convoqué l'assemblée d'Aquitaine
pour conclure un accommodement avec Pépin, et pour se mettre par-là en état de
s'opposer plus aisément aux entreprises de Lothaire. Il attendoit avec
impatience l'arrivée de ce jeune prince que ses partisans qui avoient entamé
cette négociation, s'étoient engagez par serment d'amener à l'assemblée ; mais
ils differoient sous divers prétextes l'exécution de leur promesse, parce
qu'ils ne cherchoient qu'à éloigner les armes de Charles le Chauve jusqu'à
ce-que Pépin put recevoir du secours de Lothaire dont il étoit soutenu. L'un
des principaux qui s'emploia à négocier la paix entre Pépin et Charles, fut
Bernard duc de Septimanie qui étoit étroitement lié avec le premier. Ils
s'étoient promis par serment de ne faire aucun accord ni traité l'un sans
l'autre. Tous les Seigneurs Aquitains, partisans de Pépin, s'étoient liez avec
lui par le même serment.
-
- Bernard
devoit avoir épousé les intérêts de ce jeune prince avec d’autant plus de
chaleur, qu'il avoit eu des liaisons très étroites avec le roi son père : il étoit
d'ailleurs redevable à ce dernier, à ce qu'il paroit, du duché de Toulouse, ou
d'Aquitaine, auquel il l'avoit nommé, ce semble, après la mort du duc Bérenger;
mais comme il étoit également sujet de Charles le Chauve à cause du duché de
Septimanie qu'il tenoit de lui, il garda d'abord des mesures. De la vient sans
doute que voulant se ménager avec celui-ci, il fit semblant de s'entremettre
pour négocier la paix entre lui et Pépin. Bernard ne put cependant si bien
cacher ses menées secrètes et son union avec Pépin, que Charles n'en fût
informé; ce qui engagea ce dernier, qui le soupçonnoit d'infidélité, à nommer
de son côté au duché de Toulouse ou d'Aquitaine, Warin seigneur Bourguignon qui
lui étoit entièrement dévoué ; en sorte que depuis ce tems-là ce duché ou
gouvernement, qui comprenoit auparavant toute l'Aquitaine avec le comté
particulier de Toulouse, demeura partagé entre les partisans de Pépin et ceux
de Charles le Chauve, et que le duc de Toulouse ou d'Aquitaine nommé par l'un
et l'autre de ces deux princes n'administra plus qu'une partie de ce roiaume.
Il paroit, que Pépin étoit alors maître de Toulouse et des pays les plus
voisins de la Septimanie, et Charles le Chauve du reste de l'Aquitaine.
-
- X
-
- Bernard
duc de Septimanie encourt la disgrâce de Charles. (841)
-
- Charles
après avoir conclu le traité dont nous venons de parler, se rendit à Orléans où
il reçut quelques troupes de Bourgogne que lui amenèrent les comtes Theotbalde
et Warin, et où Bernard duc de Septimanie avoit ordre de venir le joindre avec
celles de son gouvernement. Ce dernier avoit fait semblant d'obéir et s'étoit
mis en marche ; mais il s'excusa de se joindre à ce prince, qui s'étoit avancé
jusqu'à Nevers pour le recevoir, sous prétexte des engagemens qu'il avoit pris
avec Pépin. Il offrit seulement d'aller trouver celui-ci, et de le porter,
aussi bien que tous ses partisans, à se soumettre et à faire leur paix, avec
promesse, s'il ne pouvoit réussir, de se dégager du serment qu'il lui avoit
fait, de venir trouver Charles au bout de quinze jours et de le reconnoître
pour son seigneur. Ce double engagement de Bernard envers les deux rois
confirme ce que nous avons déjà dit, que ce duc étoit vassal de Pépin pour le
duché de Toulouse ou gouvernement d'Aquitaine, et de Charles pour celui de
Septimanie.
-
- Ce
dernier comptant sur la parole du duc de Septimanie, s'avança jusqu'à Bourges
où il croioit le recevoir au jour marqué, qui tomboit au commencement de l'an
841. Bernard arriva en effet dans celle ville ; mais il n'amena ni Pépin ni
aucun des partisans de ce prince ; il refusa même de reconnoître Charles pour
son seigneur, comme il l'avoit promis. Ce roi extrêmement irrité contre le duc,
résolut de profiler de cette occasion, qui lui parut très favorable, pour le
punir tant de son infidélité passée envers l'empereur son père, que de sa
mauvaise conduite à son égard ; il se mit d'abord en état de l'attaquer et de
s'assurer de sa personne. Le duc de Septimanie fut averti un peu tard des
desseins de Charles ; il eut cependant le tems de s'évader quoiqu'avec peine
des mains de ce prince qui l'avoit déjà investi, et qui tua ou blessa une
partie de ses gens, fit les autres prisonniers et livra tous ses équipages au
pillage.
-
- XI
-
- Il
se réconcilie avec ce prince, et travaille à le réunir avec Pépin.
-
- Bernard
délivré d'un si grand péril, fut dans la suite beaucoup plus circonspect et
plus attentif sur ses démarches. Dans la vue de se conserver le gouvernement de
Septimanie qu'il craignoit de perdre, après avoir encouru la disgrâce de
Charles, il tâcha de se réconcilier avec ce roi. Il lui fit demander quelque
tems après son amitié, sans abandonner toutefois les intérêts de Pépin qu'il
favorisa toujours secrètement. Charles qui avoit dessein de se servir de lui
pour négocier sa paix avec ce prince, lui permit de venir le trouver à Bourges
où Bernard qui l'alla joindre, tâcha de l'adoucir par de grandes protestations
de fidélité qu'il prétendoit n'avoir jamais violée à son égard. Ce duc l'assura
qu'il lui en auroit donné des marques, s'il lui avoit été libre, dans le tems
qu'il avoit eu le malheur de lui déplaire, et que malgré Ses mauvais traitemens
qu'il avoit reçus de sa part, il épouseroit ses intérêts avec chaleur dans
toutes les occasions, et lui seroit toujours fidèle ; qu'il pouvoit compter sur
sa parole, et qu'il étoit prêt à se battre en champ clos contre quiconque
oseroit soutenir qu'il eût jamais manqué à ce qu'il lui devoit. Quelque
persuadé que fût Charles du peu de sincérité des protestations de Bernard, il
feignit néanmoins d'y ajouter foi, dans le besoin qu'il avoit de son puissant
crédit pour engager Pépin à se soumettre et à se détacher de la ligue que ce
jeune prince avoit faite avec Lothaire dont il avoit tout à craindre. Dans
cette vue il rendit non seulement son amitié à Bernard, mais il le combla
encore de grâces et de bienfaits, et le fit partir sur le champ pour aller
négocier avec Pépin et ses partisans la paix dont il s'étoit offert d'être le
médiateur.
-
- XII
-
-
- La bataille de
Fontenai
-
- Bataille de Fontenai.
Warin duc de Toulouse fait pencher la victoire du côté de Charles. Fuite de
Lothaire et de Pépin.
-
- Charles voiant que le tems
de l'ouverture de h de la dicte d'Attigni approchoit, assembla son conseil pour
délibérer sur la conduite qu'il devoit tenir dans la conjoncture des affaires.
Il fut conclu qu'en cas que Lothaire refusât de lui rendre justice par les
voies de douceur, il auroit recours à celles des armes. Cela fait, ce prince se
mit en marche à la tête de son armée, suivi de l'impératrice sa mère, escortée
par une partie des troupes d'Aquitaine ; il ordonna à tous les Aquitains qui
avoient pris son parti, de venir le joindre sous la conduite de Warin, et fit
assembler de toutes parts les troupes du reste de ses états qui lui étoient
demeurés fidèles. Bernard se mit de son côté à la tête de celles de son
gouvernement ; mais ce duc toujours attentif à se ménager entre ce roi et
Pépin, retarda exprès sa marche, et s'arrêta en Aquitaine dans le dessein de prendre
son parti suivant l'événement.
-
- Charles à son arrivée
auprès de la Seine trouva que les troupes de Lothaire, après avoir rompu les
ponts et retiré ou coulé à fond tous les bateaux, occupoient l'autre bord pour
lui disputer le passage. Voiant d'ailleurs qu'il ne pouvoit passer cette
rivière à gué, à cause d'une inondation qui l'avoit extrêmement grossie, il
prit le parti de descendre jusqu'à Rouen où s'étant emparé de quelques
vaisseaux marchands, il la passa enfin heureusement et mit en fuite un corps
d'armée qui en gardoit le passage de ce côté-là. Ce roi se rendit ensuite à S.
Denys où sur l'avis que les troupes qui tenoient le parti de Lothaire,
s'étoient mises en marche pour aller tomber sur celles que Theobalde, le duc
Warin et plusieurs autres seigneurs lui amenoient, il repassa promptement la
Seine. Après avoir marché foule la nuit, il arriva enfin au confluent de cette
rivière et du Loing entre Melun et Montereau-fault-Yonne où il joignit Warin,
et d'où il marcha ensuite vers Sens, dans l'espérance de surprendre l'armée de
Lothaire campée dans une forêt voisine : mais sur l'avis de son approche, elle
prit aussitôt la fuite. Charles n'aiant pu la poursuivre à cause de l'extrême
fatigue de ses troupes, se rendit le Vendredi-Saint à Troyes où il célébra la
fête de Pâques.
-
- Lothaire qui faisoit alors
la guerre en personne à Louis au-delà du Rhin et le poussoit vivement, aiant
appris que Charles avoit passé la Seine, partit incontinent pour tourner ses
armes contre lui, sous prétexte qu'avant l'assemblée d'Attigni et, sans sa
participation il avoit passé les bornes qui lui avoient été prescrites. Charles
se plaignoit de son côté de ce que Lothaire avoit enfreint le traité
provisionnel qu'ils avoient fait ensemble, et entr'autres de ce qu'il avoit attaqué
le roi de Bavière. Pour ne pas manquer cependant à sa parole, il se rendit à
Attigni le 6 de Mai, veille du jour marqué pour l'ouverture de l'assemblée. Il
y attendit vainement durant quatre jours l'arrivée de Lothaire Celui-ci pour
l'amuser se contenta de lui envoier faire de nouvelles propositions : mais
Charles les rejeta, sur l’avis qu'il reçut au même endroit, que le roi de
Bavière son frère s'étoit mis en marche et devoit venir le joindre
incessamment.
-
- Dans l'attente de ce
secours, ce prince partit d'Attigni pour aller à Châlon sur Saône au-devant de
l'impératrice sa mère qui s'avançoit avec les troupes d'Aquitaine. A son
arrivée dans cette ville il apprit que Louis aiant rencontré Adalbert duc de
Metz ou d'Austrasie qui lui disputoit le passage, avoit laissé ce général sur
la place, et taillé son armée en pièces dans une bataille qu'il lui avoit
livrée le 13 de Mai ; qu'il avoit passé le Rhin, et qu'il marchoit vers lui à
grandes journées. Ces deux princes se joignirent enfin malgré les efforts de
Lothaire, et lui envolèrent aussitôt des députez pour le supplier instamment de
ne pas les troubler dans la possession des états que l'empereur leur père leur
avoit laissez, et d'accorder la paix au roiaume ; avec offre de lui coder, pour
obtenir son amitié, tout ce qu'ils avoient dans leur armée, à la réserve des
armes et des chevaux.
-
- Lothaire insensible à ces
propositions, leur fit dire qu'il étoit résolu de décider par les armes le
différend qu'il avoit avec eux, et se mit en marche pour aller au-devant du
recours que Pépin lui amenoit d'Aquitaine.
-
- Charles et Louis se voiant
alors forcez d'en venir aux mains, s'avancèrent vers lui et le joignirent
auprès d'Auxerre, Les deux armées campèrent d’abord en présence; mais Lothaire
n'osant s'exposer à un combat avant l'arrivée de Pépin, s'éloigna peu de tems
après, de trois lieues du camp de ses frères : ceux-ci le suivirent avec une
partie de leurs troupes, et lui envoierent faire des plaintes de ce qu'il ne
vouloit ni combattre ni faire la paix. Lothaire qui ne cherchoit qu'à les
amuser jusqu'à sa jonction avec Pépin, répondit qu'il leur feroit sçavoir ses
intentions, et marcha cependant en même tems pour s'emparer de Fontenai, poste
avantageux dans le diocèse d'Auxerre. Les deux princes ses frères avertis de
son dessein, se hâtèrent de le prévenir; et aiant fait marcher toutes leurs
troupes, se rendirent maîtres d'un village appelle Tauriac, voisin de Fontenai.
Ils étoient prêts le lendemain 23 de Juin à en venir aux mains, lorsqu'ils
résolurent de faire auparavant une nouvelle tentative pour obtenir la paix de
Lothaire aux mêmes conditions qu'ils lui avoient déjà proposées. Ils lui
envoierent dire que s'il vouloit les accepter, ils lui cederoient, outre sa
portion, quelques pays aux environs du Rhin et de la forêt des Ardennes, s'il
n'aimoit mieux en venir avec eux à un nouveau partage de tout le roiaume.
-
- Lothaire que Pépin n'avoit
pas encore joint, demanda du temps pour délibérer sur ces nouvelles
propositions. On convint enfin d'une trêve de deux jours ; mais le lendemain
fête de S. Jean-Baptiste, Pépin étant arrivé avec ses troupes, il changea de
sentiment et ne voulut plus entendre parler de paix ni d'accommodement. Sur
cela, les deux rois après avoir rangé leur armée en bataille le 25 du même mois
à la pointe du jour, et s'être emparez d'une colline qui dominait sur le camp
de Lothaire, l'attendirent de pied ferme jusqu'à neuf heures du matin que la
trêve devoit expirer. Ce dernier de son côté se mit en mouvement à la même
heure ; après quoi le combat s'engagea. Lothaire le commença par l'attaque des
troupes de Germanie commandées par le roi de Bavière et postées dans un endroit
appelé Brittas. Il les enfonça d'abord et en fit un signe qu'il se
croyoit déjà victorieux, quand Warin duc de Toulouse étant venu en diligence à
leur secours avec les Toulousains ou Aquitains et les Provençaux qu'il
commandoit, rétablit le combat, battit Lothaire et l'obligea de reculer.
-
- Dans ce même-tems Charles
le Chauve mit en déroute, après un combat fort opiniâtre, une autre partie de
l'armée de ce prince avec laquelle il étoit aux prises dans un endroit nommé Fagit.
Les comtes Adhalard et Nithard aiant défait de leur côté le reste des troupes
de ce roi et celles de Pépin dans un lieu appelle Solemnat malgré leur
vigoureuse résistance, la victoire se déclara entièrement pour les deux rois;
en sorte que Lothaire et Pépin se virent obligez de chercher leur salut dans la
fuite, après une perte des plus considérables. Cette mémorable bataille qui se
donna un samedi 25 de Juin de l'un 841, et non pas de l'an 842 comme quelques
modernes l'ont avancé sans fondement, fut extrêmement sanglante et également
fatale à toute la noblesse du roiaume dont une grande partie y périt. L'état en
fut si affaibli, que les princes François se trouvèrent presque hors d'état de
s'opposer aux fréquentes irruptions que les Normans firent depuis dans tout le
roiaume. Gérard comte d'Auvergne et Ratharius comte de Limousin, gendres de
Pépin I, roi d'Aquitaine, furent du nombre des principaux seigneurs qui
périrent dans cette occasion du côté des deux rois vainqueurs.
-
- La dignité du premier fut
donnée à un de ses frères nommé Guillaume, et celle du second à un comte
appelle Raimond. Après l'action, Louis et Charles touchez de voir sur la place
un si grand nombre de François, firent sonner la retraite, et défendirent de
poursuivre les fuiards. Le lendemain jour de Dimanche ils demeurèrent sur le
champ de bataille pour faire enterrer les morts des deux partis, et ordonnèrent
trois jours de jeûne, tant en action de grâces de leur victoire que pour
l'expiation de leurs péchez et de ceux qui avoient péri dans le combat.
-
- XIII
-
- Conduite de Bernard
avant et après la bataille de Fontenai. Elefant évêque d'Usez.
-
- Bernard duc de Septimanie
qui s'étoit avancé à la tête des milices de son gouvernement jusqu'à trois
lieues de. Fontenai, ne se trouva pas à l'action ; il se contenta d'en être
spectateur et de se tenir neutre entre les deux partis, comptant de se
maintenir par-là dans le gouvernement de Toulouse ou d'Aquitaine et dans celui
de Septimanie. Ce seigneur à son départ de cette dernière province avoit laissé
Dodane (Dhuoda) son épouse à Usez où elle accoucha pendant son absence
d'un second fils le 22 du mois de Mars. Bernard en fut informé en Aquitaine où
il s'étoit arrêté exprès, comme nous l'avons déjà remarqué. Il avoit emmené
avec lui Guillaume son aîné, jeune seigneur de bonne, mine et de grande
espérance, âgé alors d'environ seize ans ; car il étoit né le 29 de Novembre de
l'an 826. Bernard n'eut pas plutôt appris la naissance de son second fils,
pendant son séjour en Aquitaine, que sans attendre qu'il fût baptisé, il
ordonna aussitôt de le faire venir auprès de lui, et chargea Elefant évêque
d'Usez de le conduire. Selon un autre historien, cet enfant du duc Bernard fut
nommé comme son père. .Nous aurons occasion d'en parler souvent dans le cours
de cette histoire. L'évêque d'Usez alla joindra en Aquitaine le duc de
Septimanie accompagné de plusieurs seigneurs du pays qui marchèrent pour servir
avec lui sous les enseignes de ce duc; car les divisions qui régnoient alors
dans la famille roiale, partageoient presque tous les évoques de France.
Plusieurs d'entr'eux servirent dans l'armée à la suite du prince dont ils
avoient épousé la querelle.
-
- Bernard après avoir été
spectateur de la bataille de Fontenai, voiant que la victoire s'étoit déclarée
en faveur de Charles, lui envoia incontinent Guillaume son fils, pour lui renouveler
les assurances de sa fidélité et lui offrir ses services auprès du jeune Pépin,
avec promesse de l'engager à se soumettre à son obéissance avec ses partisans.
Il chargea en même-tems ce jeune seigneur de demander pour lui-même à ce prince
l'investiture de plusieurs fiefs qu'il possedoit en Bourgogne, et en cas qu'il
la lui accordât, de lui en faire hommage, et de le reconnoître pour son
seigneur. Charles accepta les offres de Bernard, et après avoir accordé à
Guillaume sa demande et reçu son serment, il les fit partir l'un et l'autre en
diligence pour aller négocier la soumission de Pépin et de ses adhérens. Cela
fait, il se sépara de Louis, qui prit sa route vers le Rhin. Il marcha vers
l'Aquitaine avec l'impératrice sa mère, dans la vue ou d'y conclure la paix
avec Pépin, ou d'y dissiper les restes de la faction de ce prince qui, nonobstant
sa défaite à Fontenai, étoit encore en état de se faire craindre par son union
avec Lothaire.
-
- XIX
-
- Charles n'est pas
généralement reconnu dans la Septimanie. Dodane (Dhuoda) épouse de
Bernard duc de Septimanie. (842)
-
- Ce prince partit ensuite
pour S. Quentin où il célébra la fête de Noël. Avant son départ, il accorda la
veille de cette solennité à un de ses vassaux nommé Milon la propriété et la
disposition libre de quelques fiefs dans le pays de Pierre-Pertuse et de FenoüilIedes
au diocèse de Narbonne ; preuve qu'il étoit alors possesseur de la Septimanie.
Il paroit cependant par d'autres monumens qu'il n'y étoit pas généralement
reconnu non plus qu'en Aquitaine, sans doute par les intrigues secrètes de
Bernard, qui outre qu'il étoit toujours attaché à Pépin, travailloit à se
rendre indépendant dans son duché ou gouvernement de Septimanie.
-
- Nous voions en effet qu'en
842 on ne datoit les chartes dans plusieurs endroits de cette province et de la
Marche d'Espagne que depuis la mort de Louis le Débonnaire, sans aucune mention
du prince régnant. C'est ce qu'on voit dans quelques actes passez au mois
d'Août dans le diocèse de Gironne. Un autre du diocèse de Béziers passé au nom
des exécuteurs testamentaires d'un seigneur du pays appelle Teutbert, est daté
du 23 Décembre de la même année, la III année après la mort de Louis le
Débonnaire, et après qu'il eut transmis son autorité à Lothaire son fils.
Suivant une ancienne chronique dont l'auteur écrivoit dans la Septimanie, Lothaire
régna deux ans dans cette province après la mort de l'empereur Louis le
Débonnaire son père. On trouve enfin une nouvelle preuve de ce que nous venons
de dire dans le manuel de Dodane (Dhuoda) femme de Bernard duc de
Septimanie, commencé à Usez le dernier jour de Novembre de l'an 841 et achevé
dans la même ville le 2 de Février de l'année suivante, la II année après la
mort de Louis le Débonnaire, sous le règne du prince que Dieu avoit donné pour
gouverner, il est vrai que dans cet ouvrage cette dame exhorte son fils
Guillaume à demeurer fidèle et inviolablement attaché au roi Charles, qui reçut
ce jeune seigneur pour son vassal après la bataille de Fontenai ; mais elle
garde un profond silence sur la conduite du duc de Septimanie son époux. Au
reste ce manuel, composé de soixante trois chapitres, est un illustre monument
de la piété de Dodane, de sa tendresse pour ses enfans, et du soin qu'elle
prenoit de leur éducation : elle y donne par-tout d'excellentes leçons à
Guillaume son fils aîné.
-
- XXVI
-
- Second siège de Toulouse
par Charles le Chauve. Sunifred nommé marquis de Gothie à la place de Bernard.
(844)
-
- Charles dans le dessein
d'entreprendre de nouveau le siège de Toulouse, dont la prise devoit lui
assurer l'entière possession du roiaume d'Aquitaine, se disposa pendant l'hiver
à cette expédition. II se rendit en Touraine à la fin de l'année, et se
présenta devant cette ville au printems suivant. Il y étoit déjà arrivé dès le
11 de Mai, et avoit mis son quartier au monastère de Saint-Saturnin. Nous
connoissons la durée de ce siège par diverses chartes que ce prince accorda
alors tant en faveur des églises que des particuliers de la Septimanie et de
Marche d'Espagne : elles sont datées du monastère de S. Saturnin prés de
Toulouse. Ce prince ajoute dans quelques-unes, lorsque nous assiégions
Toulouse.
-
- L'une de ces chartes, datée
du 11 de Mai (an 844), fut accordée en faveur de Domnule abbé de S.
Pierre de Besalu au diocèse de Gironne. Suivant une autre, datée du 19 du même
mois, Charles 3 après avoir fait examiner par Nothon archevêque d'Arles,
Elmerad comte du palais, le marquis Sunifred et le comte Soniarius les plaintes
des descendans des Espagnols qui s'étoient réfugiez dans le diocèse de Béziers
sous le règne de Charlemagne, et à qui on disputoit la possession et la
succession héréditaire des lieux d'Aspiran et d'Alignan dans ce diocèse; et
après avoir ouï le rapport des commissaires, les maintint dans les terres
qu'ils avoient défrichées, et confirma leurs privilèges. Il accorda un pareil
diplôme le 5 de Juin suivant à Theofrid l'un des descendans de ces Espagnols,
et fils de Jean à qui Charlemagne avoit accordé le lieu de Fonjoncouse au
diocèse de Narbonne. Le même jour il donna un autre diplôme en faveur du
monastère de Sainte Grate au diocèse d'UrgeI.
-
- Le marquis Sunifred dont
nous venons de parler, étoit alors, à ce qu'on prétend, gouverneur de la
Septimanie sous le titre de marquis de Gothie, ce qui est assez vraisemblable.
Il devoit avoir déjà succédé par conséquent dans ce gouvernement, au duc
Bernard, et en avoit été peut-être pourvu depuis la révolte de ce seigneur
contre Charles le Chauve, ou du moins depuis sa mort qui arriva avant le mois
de Juillet de la même année. Nous croions que Sunifred est le même que le comte
d'Urgel de ce nom qui vivoit en 819 et qui ne paroit pas différent de Sunifred
fils du comte Borrel, à qui Louis le Débonnaire donna en 829 le lieu de
Fontcouverte dans la Septimanie. ; Borrel est aussi vraisemblablement le même
que le comte d'Ausonne de ce nom dont nous avons parlé ailleurs. Nous croions
que c'est de ce Sunifred que les comtes héréditaires de Barcelonne tirent leur
origine, et qu'il étoit proche parent et de la famille de Bernard duc de
Septimanie. Le comte Soniarius, dont il est fait mention dans cette charte,
étoit comte de Bezalu ou d'Empurias dans la Marche d'Espagne : il fut ensuite
comte de Roussillon, et fit du bien au monastère de Riodazari dans le diocèse
de Gironne dépendant de l'abbaye de la Grasse.
-
- David abbé du monastère de
S. Laurent sur la rivière de Niesle dans le diocèse de Narbonne, obtint de
Charles le Chauve un autre diplôme daté du camp devant Toulouse le 20 du mois
de Mai de la même année. Ce roi en accorda de semblables vers le même tems à
Hilderic abbé de Caunes, et à Adalbert abbé de. Castres en faveur de leurs
abbayes. Le onzième de Juin suivant il confirma à la demande de Gondemar évêque
de Gironne les privilèges de cette église, et le 25 du même mois ceux du
monastère de Sainte Marie d'Arles au diocèse d'EIne en faveur de l'abbé Reccesvinde.
Suivant tous ces diplômes datez de l’indiction VII. et de la IV année de
Charles, ce prince fut occupé au siège de Toulouse, du moins depuis l'onzième
de Mai jusques vers la fin de Juin de l'an 844.
-
- XXVII
-
- Mort tragique de Bernard
duc de Septimanie Guillaume son fils duc de Toulouse ou d'Aquitaine,
-
- II y a lieu de croire que
Pépin emploia Bernard duc de Septimanie à la défense de cette ville contre
Charles le Chauve, et que ce seigneur mourut pendant le siège. Nous sçavons du
moins qu'il fut condamné et mis à mort dans la même année, et à ce qu'il
paroit, avant le mois de Juin, comme nous l'avons déjà remarqué. L'annaliste de
S. Bertin rapporte que ce duc, qui depuis longtems méditoit de grands desseins,
entr'autres de secouer le joug de l'autorité roiale, pour se rendre indépendant
dans son gouvernement, fut jugé dans une diète que Charles le Chauve convoqua
en Aquitaine en 844 qu'il fut condamné par l'assemblée comme coupable du crime
de lèse-Majesté, et qu'il subit le dernier supplice. Quelques autres anciens
annalistes prétendent que ce prince le tua lui-même dans le tems que ce duc
s'y attendait le moins (Incautum et nihilmali ab co suspicantem occidit) ;
circonstance confirmée par un fragments qu'on assure tiré d'une vieille
chronique composée par un historien nommé Odo Ariberti. Cet auteur quel qu'il
puisse être, entre dans un assez grand détail sur la mort de Bernard qu'il
qualifie comte de Toulouse et de Barcelonne. Suivant le récit qu'il en fait, ce
seigneur aiant conclu sa paix avec le roi Charles, et l’aiant signée séparément
l'un et l'autre avec le sang précieux de J. C. pour la rendre plus inviolable,
le premier se rendit ensuite à Toulouse et alla faire ses soumissions au roi
dans le monastère de S. Saturnin, ce prince qui étoit sur son thrône, se leva
pour l'embrasser ; mais tandis qu'il le soûtenoit de la main gauche, il lui
enfonça de. la droite le poignard dans le flanc. Charles étant ensuite descendu
tout ensanglanté de son thrône, mit le pied sur le corps du duc en disant : Malheur
à toi qui as osé souiller le lit de mon père et de ton seigneur ! Cet
historien ajoute que les traits de ressemblance qu'on remarquoit entre Bernard
et ce prince, prouvoient en effet le commerce criminel de ce duc avec
l'impératrice Judith.
-
- Bernard demeura deux jours
sans sépulture devant la porte du monastère de S. Sernin, jusqu'à ce que Samuel
évoque de Toulouse profitant de l'absence de Charles occupé alors à la chasse
dans la forêt de Basiege, le fit inhumer à son insçù le troisième jour avec beaucoup
de pompe et en présence d'un concours extraordinaire de peuple. Ce prélat fit
mettre sur son tombeau une épitaphe en langue Romane que le même auteur
rapporte et qu'on peut voir dans nos prouves. Le roi extrêmement piqué contre
Samuel des honneurs qu'il avoit fait rendre à Bernard, le fit citer par trois
fois devant le viguier roial. Le prélat refusa de comparoître et demanda au roi
d'être renvoie au jugement des évêques ses collègues. Ce prince n'aiant pas
voulu écouter sa demande, il fut contraint de répondre devant cet officier, qui
sur son aveu le condamna à cinq cens sols Toulousains d'amende, et fit détruire
en sa présence le tombeau qu'il avoit fait ériger à Bernard. Samuel et les
autres évoques des Gaules indignez d'une sentence si contraire aux droits de
l'épiscopat, en demandèrent la cassation à Charles dans l'assemblée de
Chavignon qui se tint quelques mois après ; mais ce prince tint ferme, et
déclara qu'il ne permettroit jamais que les évêques fussent exemts de la
Jurisdiction roiale ou séculière, en ce qui concerne les droits régaliens et
les loix du roiaume ; que c'en étoit une très-ancienne de ne pas inhumer avec
des prières publiques ceux qui avoient été mis à mort pour crime, et de ne pas
mettre des épitaphes sur leurs tombeaux.
-
- Ce sont là les
circonstances de la mort de Bernard rapportées par Odo Ariberti que
quelques-uns de nos plus habiles modernes n'ont pas fait difficulté d'admettre
comme vraies et tirées d'un auteur contemporain.
-
- Il nous paroît cependant
qu'il y en a quelques-unes qu'on peut révoquer en doute, d'autant plus que nous
avons lieu de croire que cet écrivain n'est pas si ancien qu'on le fait, et
qu'il a ajouté beaucoup du sien à ce que les historiens du tems nous ont laissé
de la condamnation de Bernard. Il est toutefois assez vraisemblable que ce duc
fut condamné dans une dicte que le roi Charles le Chauve peut avoir tenue au
monastère de S. Saturnin de Toulouse dans le tems qu'il faisoit le siège de
cette ville en 844. et que ce prince aiant feint de vouloir faire la paix avec
lui, trouva moien de l'attirer dans son camp, et le fit ensuite condamner à
perdre !a tête pour crime de félonie, ou le tua de sa propre main, comme
quelques anciens historiens le font entendre. Il est encore très-croiable que
ce seigneur défendit d'abord Toulouse contre Charles le Chauve durant ce siège;
car il paroit qu'il avoit le duché ou gouvernement général de la partie de
l'Aquitaine soumise à Pépin, dont nous sçavons d'ailleurs qu'il avoit épousé
les intérêts avec beaucoup de chaleur.
-
- Quoi qu'il en soit, il est
certain que Bernard fit une fin tragique. Ce fameux duc de Septimanie, encore
plus célèbre par le grand rôle qu'il joua à la cour de l'empereur Louis le
Débonnaire, que par sa naissance et les premières dignitez de l'état qu'il
occupa, périt ainsi misérablement après avoir éprouvé diverses fois les revers
de la fortune. La faveur dont ce prince l'honora pendant un tems, lui suscita
un grand nombre d'envieux, qui après avoir noirci sa réputation, mirent tout en
œuvre pour le perdre, et réussirent enfin à l'éloigner de la cour. Il est vrai
que sur la peinture que la plupart des anciens historiens nous ont laissé de
ses mœurs et de sa conduite, il méritoit la haine publique; mais il paraît
qu'il y a de la partialité dans ces auteurs, et que Bernard leur auroit peut
être paru moins méchant, s'il eût été d'abord moins ennemi de Lothaire et de
Charles le Chauve, dont ces historiens prennent le parti avec chaleur. Nous ne
sçaurions disconvenir cependant, sur les monumens qui nous restent, que ce duc
n'ait été extrêmement remuant, ambitieux, avare et dissimulé. Pour ce qui est
de son commerce scandaleux avec l'impératrice Judith, qui est le crime capital
que les auteurs lui imputent, nous créions l'avoir assez justifié là-dessus par
le simple récit de ce qui se passa à la cour partagée en différentes factions
sous son ministère ; et en effet nos plus habiles modernes sont persuadez que
ses ennemis lui supposèrent ce crime pour avoir un prétexte de le rendre odieux
à l'empereur qui lui avoit donné toute sa confiance, et pour lui faire ôter
l'administration des affaires.
-
- Bernard laissa à sa mort
deux enfans mâles qu'il avoit eus de Dodane (Dhuoda) son épouse,
Guillaume et Bernard. Le premier âgé alors d'environ dix-neuf ans, lui succéda,
à ce qu'il paroit, dans le duché de Toulouse ou d'Aquitaine, auquel le jeune
Pépin, dont il avoit épousé les intérêts comme son porc, le nomma
vraisemblablement alors ou du moins peu de tems après. On prétend même qu'il
défendit dans celte occasion la ville de Toulouse au nom de ce prince contre
Charles le Chauve, sur quoi nous n'avons rien de certain. L'autre fils de
Bernard qui n'avoit que trois ans, devint dans la suite comte d'Auvergne et
marquis de Gothie, ce qui fit passer ce dernier gouvernement à la postérité de
ce duc. On donne encore à celui-ci une fille nommée Rogelinde, laquelle épousa
Wigrin comte d'Angoulême.
-
- XXVIII
-
- Le duché de Septimanie
n'a plus que le titre de marquisat.
-
- Nous avons dit plus haut
que Sunifred succéda à Bernard dans le duché de Septimanie sous le titre de
marquis de Gothie ; et en effet depuis la mort du dernier, ce gouvernement
général n'eut plus que le titre de marquisat. Quelques modernes ' prétendent
que Charles le Chauve sépara alors la Septimanie propre d'avec la Marche
d'Espagne, et qu'il en fit, deux marquisats ou gouvernemens généraux dont il
donna le premier au même Sunifred et l'autre au comte Soniarius ; mais outre
qu'ils confondent ici Sunifred avec Humfrid qui ne fut marquis de Gothie que
longtems après, il est certain d'ailleurs que la séparation de ces deux
provinces ou leur érection en deux gouvernemens indépendans ne fut faite qu'en
895. et qu'elles demeurèrent soumises au même gouverneur jusqu'à ce tems-là. Si
donc Charles le Chauve pourvut Sunifred de ce marquisat, comme il est
vraisemblable, soit avant la mort de Bernard auquel il peut l'avoir ôté à cause
de sa rébellion, soit après que ce duc eut souffert le dernier supplice, il dut
le lui donner en son entier, et comme il avoit été possédé par son
prédécesseur. Nous verrons en effet dans la suite que les marquis de Gothie
successeurs de Sunifred gouvernèrent en même tems jusqu'en 865 et la Septimanie
propre et la Marche d'Espagne.
-
- Extrait de l'Histoire
Générale de Languedoc par Dom Vaissete, 1768, page 234 à 250.
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- En
savoir plus sur la princesse Dhuoda.
- > La Princesse Dhuoda
- > La Septimanie, un peu d'histoire sur
son origine.
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