LE  LITTORAL  D'AIGUES-MORTES

au

XIIIe et au XIVe siècles

avec un relevé de l'itinéraire de

Saint-Louis entre Aiguesmortes et la mer

par M. Ch. LENTHÉRIC, 1868-69

Membre de l’académie du Gard.

 

I

Opinions diverses sur les limites du littoral d'Aiguesmortes au XIIIe siècle.

AIGUESMORTES, AQUÆ MORTUÆ.

Département du Gard.

 

- Lieu de l'embarquement de S. Louis pour la croisade en 1248 et en 1270.

 

- Aiguesmortes était autrefois sur la mer, qui s'est retirée, depuis, de plusieurs kilomètres. 

Tel est, à quelques variantes prés, le texte qui accompagne le mot Aiguesmortes dans la plupart des dictionnaires d'histoire et de géographie, quels que soient leur date, leur développement et le soin avec lequel ils paraissent avoir été rédigés.

 

Le nombre des auteurs qui ont reproduit que la ville d'Aiguesmortes se trouvait autrefois sur le littoral même de la Méditerranée, est loin d'être une preuve de l'exactitude de cette assertion ; et l'on sait avec qu’elle facilitée une erreur historique où géographique, dès qu'elle a pris, pour ainsi dite pied data une publication quelconque, est consécutivement reproduite et finalement adoptée par tous les écrivains qui traitent le môme sujet. C'est ce qui est arrivé pour Aiguesmortes.

 

Guillaume de Catel et Pierre Andoque, dans leurs mémoires publiés sur l'histoire de Languedoc, vers le milieu du XVIIe siècle, sont les premiers écrivains qui, frappés de la distance qui sépare Aiguesmortes de la mer (cinq kilomètres environ), ont cru pouvoir naturellement en conclure que la plaine marécageuse occupée par les étangs de la Ville, de la Marette et du Repausset était de formation récente, n'existait pas à l'époque de l'embarquement de S. Louis pour la Croisade, et faisait entièrement partie du domaine maritime. Un plus sérieux examen des lieux et à défaut, une étude un peu consciencieuse des premiers documents de la ville d'Aiguesmortes aurait sans doute complètement modifié leur opinion.

 

Après eux, et sans autre examen, un nombre considérable d'historiens et de géographes ont trouvé fort commode de s'en rapporter simplement, à l'opinion de leurs devanciers, et se, sont contentés de faire varier à leur gré la distance qui sépare Aiguesmortes de la mer, dans des limites souvent très éloignées.

 

Ainsi, Ducange, dans, ses Observations sur les mémoires de Joinville (1668), dit que la mer ne venait plus, de son, temps, qu'à une demi-lieue d'Aiguesmortes ; et on lit, dans l'Histoire des Chevaliers de Malte par Vertot (1476), que S. Louis s'embarqua à Aiguesmortes, port fameux alors, mais qui, par le retrait de la mer qui s'en est éloignée de quatre lieues, se trouve aujourd'hui dans les terres.

 

II y a, plus, on a retrouvé, dans, différents actes, du XIVe, du XVe et, du XVIe siècles, la désignation nominative des deux étangs de la Marette et, du Repausset, placés entre Aiguemortes et la mer. La mention très précise qui y est faite de la plage située entre la mer et le dernier de ces étangs, qui porte encore aujourd'hui le nom de Boucanet qu'elle avait autre fois, nom que l'on retrouve dans un acte authentique de 1363, enfin les conventions de 1284 et 1301, relatives à l'étang des Caïtives et aux pêcheries situées aux abords de l'ancienne roubine ou Canal-Viel, qui faisait communiquer la ville avec la mer, sont autant de preuves irréfutables que la situation géographique des lieux n'a pour ainsi dire pas changé depuis S. Louis, et que les modifications qui y ont été apportées sont l’œuvre de l'homme et non celle de la nature.

 

L’écart entre ces deux opinions et cette variation dans la proportion de un à huit sur l`estimation de la distance qui sépare Aiguesmortes du rivage sont assurément faits pour nous fixer sur le degré de confiance que l'on doit accorder à de pareils documents ; et il serait superflu d'appeler encore l'attention sur ce point, si cette erreur n'avait pas été tour à. tour reproduite, dans les dictionnaires géographiques les plus autorisés, les plus récents, et par conséquent les plus répandus, et jusque dans certains recueils qui revêtent un caractère tout à fait officiel, de manier qu'il est aujourd'hui à peu prés universellement admis, par tous ceux qui n'ont pas une connaissance spéciale du pays, qu'Aiguesmortes était, en 1248, une ville située sur les bords de la mer, que peu à peu les ensablements, ont comblé son port, que les eaux ont obéi à un mouvement rétrograde continu, et qu'il s'est formé ainsi autour de la ville une plaine basse, coupée, d'étangs et de marais et terminée, du côté de la mer, par une plage sablonneuse dont le contour très variable tend à s'avancer tous les jours vers le large.

 

Il serait très facile de démontrer combien cette manière de voir est en contradiction avec tous les actes authentiques qui constituent les archives de la ville d'Aiguesmortes, et que la plupart des historiens ont sans doute négligé de consulter.

 

Il n'entre pas dans notre intention d'aborder ici cette étude ; nous ne pouvons cependant nous empêcher de rappeler que, au mois de mai 1246, le roi S. Louis avait accordé à la ville d'Aigues-Mortes ses premières lettres patentes contenant les divers privilèges de cette ville et la forme de l'administration de la justice ; que ces lettres patentes furent non-seulement confirmées par son fils Philippe III le Hardi, mais encore par quatorze de ses successeurs sur le trône de France, et que toutes font mention des étangs et des salines situées au sud d'Aiguesmortes, c'est à dire entre cette ville et la mer.

 

Cette opinion a été du reste très nettement affirmée par M. Di Piétro, dans son histoire trop peu connue d'Aiguesmortes (Chap. VI, situation du port au temps de S. Louis et prétendu abaissement de la mer).

 

S'appuyant non-seulement sur les textes que, nous venons de rappeler, mais encore sur les vestiges que l'on rencontre au milieu des étangs qui séparent Aiguesmortes de la mer, il n'hésite pas à déclarer que, comme Narbonne et Fréjus, cette ville était un port reculé dans l’intérieur des terres, dans lequel on pénétrait par un vaste canal qui traversait les étangs, et que, depuis un temps immémorial, aucun mouvement rétrograde de la mer ne s'est opéré sur ce point du littoral.

 

Cette manière de voir est la vraie, et si nous croyons devoir revenir aujourd'hui sur une question qui semble à peu prés élucidée, c'est que, malgré les affirmations, de M. Di Piétro, malgré l'évidence des lieux et la clarté des textes, il est certain que l'opinion contraire est encore la plus répandue que, même parmi ceux qui devraient avoir une connaissance approfondie de nos côtes, l'idée de l'ensablement du port n'est pas entièrement déracinée et que cette erreur mille fois répétée a fini par obtenir force de fait acquis, et a eu pour déplorable conséquence de laisser cette partie du littoral dans un état d'abandon très-peu justifié et auquel il importe de mettre un terme.

 

En dehors de ces préoccupations fort légitimes, nous croyons que, si les indications générales fournies par M. Di Piétro sont exactes, il est quelques points sur lesquels la vérité n'a pas encore été complètement faite. Une certaine confusion continue à régner sur la détermination de l'emplacement de l'ancien port, et sur les transformations qu'a subies le chenal maritime depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours.

 

Enfin, à un point de vue plus élevé, nous pensons qu'il est d'un haut intérêt de rechercher aussi exactement que possible quel a été l'itinéraire suivi à deux reprises: différentes par le roi Louis Ix entre Aiguesmortes et la mer.

 

Cette étude nous paraît d'autant plus utile que les, vestiges de l'ancien chenal disparaissent de jour en jour d'une manière très sensible. Les étangs se transforment assez rapidement en marais, dont la profondeur décroît même avec assez de rapidité, les alluvions exhaussent le sol d'une manière continue, et on peut prévoir l'époque peu éloignée où les dernières traces de l'expédition, de S. Louis auront pour jamais disparu de notre territoire.

Il n'est que temps de fixer dés maintenant les glorieux restes de ces mémorables entreprises, dont on a pu juger diversement les résultats, mais qui portaient en elles un caractère de grandeur dont aucune autre ne saurait approcher.

EN SAVOIR PLUS SUR LA BAIE D'AIGUEMORTES

> I - Opinions diverses sur les limites du littoral d'Aiguemortes au XIIIe siècle.

> II - L'estuaire du Rhône au moyen-âge.

> III - Le port au XIIIe siècle - Le canal-viel et le Grau-Louis.

> IV - La Peyrade - Le Grau de Croisette.

> V - Carte de la baie d'Aiguesmorte en 1870 et trajet de St Louis.

> VI - Carte de la Peyrade.

> Le Littoral d'Aiguesmortes de Ch. Lenthéric 1868-69, texte intégral et original PDF

> Les conditions de mouillage dans le Golfe d'Aiguesmortes de Lenthéric 1871, texte original PDF



Période moderne, création d'une ligne CDF, Nîmes-Le Grau-du-Roi

> Le 10 juillet 1909, inauguration du dernier tronçon de Chemin de Fer, Nîmes Le Grau-du-Roi 

 

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