LE CONSULAT DE NIMES PAR LEON MENARD
 
HISTOIRE DE LA VILLE DE NIMES
Livre deuxième.
Léon Ménard, 1758.
 
CVIII. - Ligue d'Alphonse Jourdain (comte de Toulouse) avec le vicomte de Nîmes Bernard-Aton. Renonciation de ce vicomte aux questes et toltes qu'il levait sur les habitants de Nîmes. (An de J.-Ch. 1124.)
 
Bernard, vicomte de Béziers, compris parmi les seigneurs laïques a qui le pape Calixte II adressa la lettre écrite du palais de Latran, le 22 de juillet, n'est autre que Bernard-Aton IV, qui était aussi vicomte de Nîmes. On doit inférer de cette lettre que ce vicomte n'était point alors uni avec le comte Alphonse Jourdain. Ces brouilleries néanmoins cessèrent bientôt après. Le comte de Toulouse se ligua vers l'an 1124. avec le vicomte Bernard­Aton, à qui il promit de ne point ôter la ville de Carcassonne qu'il venait de reprendre sur les habitants, ni les autres places qui composaient son domaine et de le secourir contre tous ceux qui entreprendraient de l'en déposséder, et nommément contre les comtes de Poitiers et de Barcelone, et leurs enfants.
 
Sous le gouvernement du vicomte Bernard-Aton IV, Nîmes jouit d'une parfaite tranquillité. II ne nous reste pas les moindres traces d'altération dans ce calme, pendant. la durée de son administration. Ce vicomte y contribua beaucoup par la sagesse et la douceur de sa conduite envers ses vassaux. qu'il soulagea souvent par des exemptions considérables. Il renonça. vers cette année 1124, conjointement avec Cécile, sa femme, et Roger. Raimond­ Trencavel et Bernard-Aton, ses enfants, en faveur des habitants de Nîmes. aux questes et toltes qu'il levait sur eux ; il leur accorda aussi une sorte d'immunité ou de sûreté dans leurs biens. Les habitants lui donnèrent quatre mille sols melgoriens pour cette concession. La monnaie melgorienne avait pris ce nom des comtes Melgueil ou Mauguio, qui la faisaient battre dans leur château. Les questes et toltes au reste n'étaient autre chose que certaines tailles ou levées de deniers que les anciens seigneurs imposaient sur leurs vassaux.
 
CX. -.Mort de Bernard Aton IV, vicomte de Nînes. Partage de ses domaines entre ses enfants. (An de J.-Ch. 1127)
 
Vers le commencement de cette dernière année 1130, mourut à Nîmes, dans un âge fort avancé, le vicomte Bernard-Aton IV, après avoir fait. l'année d'auparavant, un dernier testament, par lequel il fit le partage de ses domaines entre les trois enfants qu'il avait eu de Cécile de Provence, sa femme. Il donna à Roger, son fils ainé, les vicomtés de Carcassonne, de Razès et d'Albi, à Raimond-Trencavel, son second fils, ceux de Béziers et d'Agde, et à Bernard-Aton (V), son troisième fils, le vicomté de Nîmes, et les substitua l'un à l'autre. Outre ces trois fils, le vicomte Bernard-Aton (IV) laissait quatre filles. Il en avait déjà marié trois avec des riches seigneurs, l'une appelée Matheline, avec Guillaume Arnaud, châtelain de Béziers, en 1103 ; la seconde, qui se nommait Ermengarde, et avait le surnom de Trencavel, avec Gausfred, comte de Roussillon, en 1110, et la troisième nommée Ermessinde, avec .Rostaing,. fils de Décan, seigneur de Posquières, en 1121. Il avait donné à celle-ci les châteaux les plus considérables des environs de Nîmes pour sa dot, qui étaient ceux de Marguerittes, de Calvisson et de Beauvoisin, sous cette condition que Rostaing les tiendrait de lui ou de son héritier, en fief et à tous honneurs, avec le droit d'exiger le serment de fidélité dans tous ces châteaux ; il y avait joint aussi quelques domaines, situés dans le lieu de Courbessac, près de Nîmes, et dans ceux d' Ardesan et de Boissières, en Vaunage et ailleurs, avec un juif et un bourgeois de Béziers. et toutes leurs possessions. Il s'était réservé la justice de ses châteaux et domaines. La quatrième fille de Bernard-Aton se nommait Pagane. Le vicomte, son père, chargea Roger de la marier et de la doter.
 
CXI. - Les habitants de Nîmes refusent de reconnaitre Bernard-Aton V. (An de J.-Ch. 1130)
 
Malgré ce partage, qui assurait à Bernard-Aton V, la domination sur le vicomté de Nîmes, il parait que les habitants de cette ville refusèrent d'abord de le reconnaitre. Nous savons du moins que l'année même de la mort de son père, le château des arènes fut assiégé, ce qui rend la conjecture fondée et donne lieu de croire que la résistance des habitants, retirés dans ce château obligea le nouveau vicomte à les y attaquer et à former le siège de cette forteresse, résistance toutefois qui ne fut pas de durée, car cette ville fut depuis entièrement soumise à ce vicomte.
 
CXVII. - Chartes du vicomte Bernard-Aton V, en faveur des habitants de Nîmes. (An de J.-Ch. 1144.)
 
Le vicomte Bernard-Aton V, uniquement occupé de l'administration de ses domaines, gouvernait alors ce pays avec beaucoup de sagesse et de prudence, de manière que Nîmes jouit longtemps des douceurs de la paix. Il paraît qu'à l'exemple de ses prédécesseurs, ce vicomte faisait sa principale résidence en cette ville ou aux environs. Nous avons de lui plusieurs actes passés à Nîmes, dont quelques-uns même nous fournissent des preuves de son affection pour les habitants. Telle est la cession ou vente qu'il leur fit, en 1144, de la liberté des pâturages dans toutes les garrigues ou terres incultes, situées auprès de cette ville, qui se trouvaient comprises sous certains confins spécifiés dans la charte ; il n'en excepta que les anciens devois en pacages de divers coteaux des environs. Les habitants lui donnèrent pour cette cession, qui leur fut faite à perpétuité, la somme de mille sols, monnaie de Saint-Gilles. Il est dit, à la fin de la charte, que Bernard de Porte, Vieille, Pierre Aldebert, P. Bertrand-Calvin et Bernard-Bonet, étaient consuls de Nîmes, cette année-là, ce qui prouve que le nombre des consuls de cette ville, qui a souvent varié, était alors fixé à quatre.
 
Par une autre charte du 24 de février de l'an 1144 (1145), Bernard­Aton donna des témoignages plus particuliers de son affection pour les habitants de Nîmes. Il accorda à ceux qui demeuraient dans l'enceinte des fossés de la ville de ne pouvoir être arrêtés, ni leurs meubles et effets saisis, dans leurs maisons, pour quelque sujet que ce fût, à l'exception toutefois des traîtres, des faussaires et des larrons. Il leur confirma aussi l'exemption des questes et toltes que son père, sa mère et ses frères leur avaient accordés. Il jura même sur les évangiles l'observation de ces privilèges.
 
CXXXII. - Mort du vicomte Bernard-Aton V. Quelques chevaliers de Nîmes refusent de reconnaître l'autorité de son fils posthume. (An de J.-Ch. 1159)
 
La mort de Bernard-Aton V, vicomte de Nîmes, qui arriva vers l'an 1159, fit naître quelques brouilleries qui troublèrent le repos public de cette ville. Ce seigneur avait laissé sa femme grosse; c'était Guillemette, fille aînée de Guillaume VI, seigneur de Montpellier. Cette grossesse est énoncée dans un serment de fidélité qu'Elzéar de Sauve prêta peu de temps après, pour le château de Bernis, à la vicomtesse Guillemette, tant qu'elle posséderait la seigneurie du château des arènes, et au fils qu'elle aurait de Bernard-Aton, dont elle était grosse. Ce fut dans le château des arènes qu'Elzéar de Sauve prêta ce serment, nouvelle preuve que ce château était le chef-lieu du vicomté de Nîmes ou la principale demeure des vicomtes. La vicomtesse accoucha d'un fils qui porta, comme son père, le nom de Bernard-Aton.
 
Elle gouverna ses domaines pendant toute sa minorité. Néanmoins, quelques chevaliers de Nîmes, parmi lesquels on remarque Pons de Vézenobres, firent difficulté de reconnaître l'autorité de son fils posthume. Mais cette résistance dura peu. On verra bientôt que la vicomtesse apaisa les esprits et étouffa le désordre dans sa naissance.
 
CXXXV. - Témoignage rendu dans une assemblée tenue devant la vicomtesse Guillemette, touchant la juridiction du vicomte et celle du viguier de Nîmes. (An de J.-Ch. 1161)
 
Cependant, la difficulté que quelques chevaliers de Nîmes avaient d'abord faite de reconnaître l'autorité du jeune vicomte Bernard-Aton VI n'altéra, comme je l'ai déjà dit, la tranquillité publique de cette ville que pour très­ peu de temps. Rien ne le prouve mieux qu'une assemblée nombreuse de chevaliers et de bourgeois, qui fut tenue sous un ormeau du château des arènes, le 6 de juin de l'an 1161, en présence de la vicomtesse Guillemette, au sujet d'un différend qui s'était élevé touchant la juridiction du vicomte et celle du viguier de Nîmes, assemblée qui démontre sans contredit la réunion des esprits et la soumission générale des habitants à l'autorité du jeune vicomte. Hugues de Brouzet y déclara avec serment que la cour de l'ancien vicomte Bernard  Aton avait réglé et déterminé :
 
1° Que les amendes, prononcées contre les voleurs et contre ceux qui avaient fraudé les droits établis sur les marchandises, appartenaient au viguier, jusqu'à deux sols ; mais qu'au-delà les deux tiers étaient à la cour du vicomte et l'autre tiers au viguier.
2° Que dans la condamnation de ces amendes, le viguier ne devait les prononcer qu'avec équité et du conseil de personnes de probité, soit des bourgeois de la ville, soit des chevaliers du château des arènes, et ne pas y suivre son propre caprice, ou pour avoir les deux sols, ou dans la vue de favoriser les intérêts de la cour du vicomte.
3° Qu'il ne pouvait user d'autre voie que de celle du commandement, pour obliger à payer les amendes prononcées contre ceux qui avaient fraudé les droits des marchandises ; mais que pour les voies forcées, s'il était nécessaire de les y employer, il fallait recourir à la cour du vicomte.
4° Que la garde des voleurs arrêtés appartenait au viguier ; qu'il n'avait droit de les condamner qu'à être enchainés, fustigés, tondus, mis au carcan ; mais que la condamnation à des peines plus rigoureuses, comme celle d'avoir quelque membre coupé, appartenait au vicomte.
5° Que celui qui arrêterait un voleur devait le remettre au viguier avec les choses volées, et que, s'il les rendait fidèlement, il en devait avoir le tiers pour sa récompense, mais qu'il n'en aurait rien du tout s'il y usait de supercherie.
6° Que lorsque le maître des choses volées amènerait le voleur et qu'il prouverait qu'elles lui appartiennent, il en aurait les deux tiers et que l'autre partie demeurerait à la cour.
7° Que si les choses n'excédaient pas la valeur de deux sols, elles appartiendraient au viguier ; mais que si elles excédaient, il n'en aurait que le tiers et les deux autres seraient pour le vicomte.
8° Enfin, que le viguier aurait douze sols pour chaque ouverture ou porte qui se ferait aux anciens murs de la ville, du côté de la porte du château des arènes.
 
Nous ignorons à quel titre Hugues de Brouzet rendit ce témoignage ; il ne prend point de qualité dans la charte. Peut-être avait-il été viguier ou l'un des principaux officiers du vicomte Bernard-Aton V, ce qui le mettait en état de rendre compte d'un règlement fait sans doute sous ses yeux.
 
CXXXVIII- Les chevaliers des arènes prêtent serment de fidélité à Raimond V, comte de Toulouse. (An de J.-Ch. 1163.)
 
On a vu que les chevaliers des arènes ne tardèrent pas à se soumettre à l'autorité du jeune Bernard-Aton VI, après la mort de son père. Nous avons un monument qui le prouve avec la dernière évidence. C'est un serment de fidélité que ces chevaliers prêtèrent, le 1er de juin de l'an 1163, à Raimond V, comte de Toulouse, qui avait alors pris ce vicomte, son vassal, sous sa protection. Par ce serment , les chevaliers du château des arènes, assemblés en grand nombre, promirent au comte de Toulouse de vivre en paix avec lui,. de ne pas lui faire la guerre avec leur vicomte, ni de souffrir que qui que ce fût du château des arènes ou de la ville la lui fit depuis ce jour jusqu'à ce que ce seigneur eut atteint l'âge de quatorze ans.
 
Ils lui promirent aussi de l'aider à la défense de son domaine, depuis la rivière de Vidourle jusqu'au Rhône, supposé qu'il vint à s'élever quelque guerre particulière dans le pays.
 
Le comte de Toulouse leur promit de son côté avec serment de les protéger et de concourir à leur défense, en cas de guerre ; de ne donner asile ou secours dans la même étendue de son domaine, c'est-à-dire, depuis le Vidourle jusqu'au Rhône, à aucun des habitants de Nîmes, qui durant cette guerre viendrait à abandonner le parti, et à sortir de la ville ; et de s'opposer à ceux de cette partie de son domaine qui voudraient les soutenir.
 
Ce prince leur donna pour caution de sa promesse six de ses vassaux, qui furent Guillaume de Sabran, Geraud Ami, Laget, Elzéar d'Uzès. Bernard Mascaron et Raymond de Saint-Privat. Parmi les chevaliers des arènes qui prêtèrent ce serment, on en voit plusieurs qui étaient de la première noblesse du pays. et qui possédaient les principaux fiefs des environs de Nîmes ; tels que Pons de Vézénobres. Guillaume de la Calmette, Bernard de Clarensac, Bernard de Milhaud, Pierre-Raymond de Dions, Guillaume de la Tour, Bertrand de Langlade.
 
 
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