La Création du Collège et de l'Université de Nîmes

par Marcel GOURON (1900-1983)

extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1942-1950 - pages 173 à 183  
.

 

Côté Est - Musée archéologique, années 40 - L'ancien collège des Arts.

 

L'histoire du XVIe siècle bénéficie d'une faveur accrue et d'une curiosité dont il est permis que l'Académie de Nîmes se fasse l'écho : Sorbonne, Collège de France, Université rivalisent de travaux nourris sur les humanistes, la Réforme et la Contre Réforme. La première moitié du siècle apparaît comme le point de départ de problèmes qui touchent non seulement la foi, mais encore le régime économique, social, l'enseignement, cette plaque sensible des mutations de l'esprit. Époque organique qui ouvre une ère de quatre siècles réputée révolue, l'ère de l'individualisme.

 

Dans la chronologie de la Réforme les brèves années 1525 â 1534 enferment une période pré calvinienne que caractérisent l'indécision du roi ondoyant, le trop aimé François 1er, le gros garçon qui va tout gâter (comme le prédisait Louis XII), les besoins mystiques que Marguerite d'Angoulême va bien longuement exposer dans son « Miroir de l'âme pécheresse ».

 

Puis une nouvelle étape est ouverte brusquement par l'affaire des placards en 1534. Un matin, vous vous le rappelez, on trouva affichés sur les murs de Paris des textes dont le sens hérétique irrite le roi comme une insulte personnelle et opéra en lui un revirement profond. Humanisme et Réforme qui avaient évolué de concert jusqu'ici se séparent. Les camps se retranchent autour de textes comme l'Institution de Calvin (1535) ou le Tiers Livre de Rabelais. De 1537 datent les premiers emprisonnements pour la foi. Le ciel se gâte et se couvrira toujours davantage au cours de 24, 25 ans, jusqu'à l'année 1560 qui ouvrira l'époque militaire et politique du grand conflit.

 

L'histoire du collège et de l'Université de Nîmes est un tout petit chapitre de l'époque des «indécisions», mais significatif, je crois. On y voit bien liés humanisme et problème religieux. Elle explique comment la Réforme a trouvé ses voies d'infiltration d'expansion dans nôtre ville, voies jusqu'ici mal reconnues. Les acteurs de notre scène, je veux dire les professeurs et les écoliers, les juges, les consuls, les lettrés de notre ville, témoignent d'un incroyable élan de jeunesse, d'aspirations à des conquêtes de frime et de l'esprit. Vraiment le monde commence avec eux. On dirait que lorsque François 1er, lors de sa visite inoubliable de 1533, a mis genou en terre aux Arènes et essuyé de son mouchoir une inscription antique, c’est un nouveau né qu'il a découvert, un Gargantua avide du lait antique. Et tout le monde veut comme l'enfant géant parler latin, grec et hébreu, lire les écritures dans le texte, les commenter comme à Bâle, à Strasbourg et à Wittenberg.

 

Des protagonistes de haut rang veulent bien intervenir dans cette petite histoire, le roi, et sa sœur, des humanistes, ces Infatigables épistoliers dont les lettres latines courent l’Europe, transmettent informations, aide, encouragements, des libraires dont les éventaires rue Dorée cachent les livres défendus, mais qui n'en ont que plus de succès, des prédicateurs dont les sermons d'avent et de carême font accourir les foules avec un empressement singulier, des maîtres qui enseignent les lettres mais qui sont extraordinairement intéressés par l'exégèse. Où est donc l'évêque dans tout cela qui semble bien de sa juridiction ?

 

C'est simple, il est absent toujours absent. Il a fait son entrée, il a prêté de l'argent à la ville pour les fastes de la visite de François 1er, puis il a disparu. Il vit au Vigan, à Lodève, à Toulouse, à Pau. Michel Briçonnet a trop de choses à faire pour s'occuper de son diocèse : chancelier d'Armagnac, conseiller clerc au Parlement de Toulouse, il est surchargé d'affaires administratives ou particulières ; il est l'homme de Marguerite d'Angoulême et non de cette ville de Nîmes où les polémiques scripturaires ne peuvent lui attirer que des désagréments. Il doit son siège à son oncle l’illustre cardinal Briçonnet, plus qu'à ses vertus.

 

Il aurait pourtant l'occasion de s"inquiéter. M. le chanoine Cantaloube a révélé un texte de 1530 où un nouveau réformé du Vigan a consigné son changement de foi ; il faut faire remonter les premiers cas de luthéranisme deux ou trois ans plus tôt encore, si bien que toutes nos études locales qui placent l'introduction des idées nouvelles en 1537 seulement sont à réviser. L'excuse de nos historiens nîmois est qu’ils ont été trompés par les mots prudents, feutrés des textes antérieurs ; ils n'ont pas vu les hardiesses idéologiques de la première réforme en même temps que son appréhension à en tirer les conséquences pratiques. Mais voici les formules par lesquelles les historiens ont caractérisé cette position : « L'humanité a-t-on dit, a retrouvé l'Évangile comme elle a retrouvé l'Iliade ». « Il n’y a pas dans les esprits une nécessité évidente de prendre parti entre Rome et Wittenberg ». « On espérait encore, en France du moins, réaliser la Réforme en évitant le schisme » et il est bien certain que sans l'intransigeance espagnole et celle des disputeurs de Thuringe, la France aurait pu (elle l'a voulu), éviter la rupture des deux blocs. Dans quelle mesure l'évêque de l'abstention Briçonnet partageait-il ces espoirs. Il est permis de lui attribuer cette position. En tout cas on envisageait une « réforme » sans l'idée d'une « protestation ».

 

Il est rare que les mouvements dans les consciences s'ins­crivent sur les documents, du moins pouvons-nous trouver dans l'histoire de notre collège le reflet des préoccupations intellectuelles d'une époque.

 

1. - Avant le Collège.

 

Il y avait à Nîmes une école municipale dès la moitié du XVe siècle. L'enseignement était payant, mais en 1530 les consuls de cette année adoptèrent le principe de la gratuité qui est le plus beau titre de gloire de leur magistrature. Tous les ans la ville passe désormais un bail avec un magister qu'elle choisit. Mais tous les ans il y a un petit protocole à respecter : les consuls vont présenter leur homme au dignitaire du chapitre chargé de la surveillance de renseignement ; ce chanoine s'appelle le capiscol, caput scolae. Chaque fois le capiscol .proteste que le droit de nomination lui appartient, il exhibe d'anciennes procédures qui ont été faites à ce sujet, puis il cède et agrée le maître qui lui est présenté.

 

Celui-ci est un maître ès arts ; on l'appelle parfois recteur, mais ce titre est plutôt réservé au chef d'un collège ; on préfère l'appeler « maître mage » ; il est assisté d'autres maîtres ès arts ou de simples bacheliers et parfois de « cogiteurs » ou répétiteurs. Le maître mage est parfois un ecclésiastique, un Carme (ce qui est loin d'être une garantie d'orthodoxie), mais à partir de 1530 il est toujours laïc. En 1528 le Carme qui dirigeait les écoles urbaines dut quitter la ville et il est permis de voir là un témoignage de luthéranisme. Outre l'école urbaine, Nîmes avait la psalette du chapitre, une petite école auprès du couvent des Carmes, et un grand nombre; de précepteurs privés ; le nombre de ces derniers s'est curieusement multiplié de 1520 à 1530, comme si, dans cette décade, les chefs de famille étaient devenus désireux d'un meilleur enseignement que celui qui était délivré à l'école.

 

Quoi qu'il en soit, en 1530 un certain Imbert Pécolet, maître ès-arts, né à Béziers et gradué de Toulouse, se voit investi de la direction de l'école, et les années suivantes on le voit succéder à lui-même sans histoire.

 

Sans histoire ?

 

Ce n'est pas sûr. Dès 1530 ou l'année suivante Mgr de Nîmes lui fait intimer la défense de lire aux écoliers un certain nombre de livres défendus dont la liste a été dressée, non par l'évêque, mais par le Parlement de Toulouse.

 

Pas d'autre incident jusqu'au renouvellement du bail des écoles en juillet 1534. Pécolet s'avise cette fois d’une nouveauté en proposant à la ville un programme inédit qui mérite d'être souligné.

 

Il offre de vivre en mode de collège à la compagnie de M. Alexandre (c'était l'usage d'appeler les professeurs de leur prénom précédé de M.), lesquels tous ensemble auront un bachelier, et feront trois lectures ordinaires, une pour les commençants, une pour les médiocres, une pour les parfaits, (on aime beaucoup les changements de termes dans le monde scolaire, jusqu'alors on classait les écoliers en partistes, regiministes et logiciens, commençants médiocres, parfaits n'était guère plus heureux !).

 

Pécolet dit encore, qu'ils feront autres répétitions après dîner et veulent tenir les enfants de la ville à la dispute comme font aux collèges, et par ainsi lesdits enfants profiteront sur tout temps parlant latin.

 

Nous y voici, le latin seule langue parlée, et comme sûreté l'internat. Enfin la dispute sur des thèmes choisis, toujours en latin. Pécolet savait flatter le snobisme paternel.

 

Mais en somme avec ces trois éléments ce maître mage retenait ce qui faisait alors un vrai collège. C'était là un programme élaboré à Louvain et dans les universités des Pays-Bas par une confrérie semi laïque, les Frères de la vie commune. A Paris le collège Sainte-barbe avait inauguré des méthodes analogues. C'était le fin du fin qu'offrait Pécolet. Cette même année 1534 Jacques de Gouvea organisait l'enseignement littéraire nouveau à Bordeaux au collège de Guienne, mais ses tendances théologiques étaient trop claires et l'année suivante il devait fuir à Coïmbre. A Toulouse Jean de Boyssonné, l'humaniste dont s’enorgueillit notre vieille capitale régionale, fait un essai d'enseignement semblable avant de devenir la victime d'innombrables procès pour ses opinions suspectes. Du moins notre Pécolet a droit aux honneurs, car sa création d’un collège littéraire permet de ranger Nîmes dans la grande promotion de 1534, celle des premières écoles classiques de Strasbourg, Bordeaux et Toulouse. Son nom a été donné à une rue de Nîmes en reconnaissance de son projet.

 

Ainsi le 12 Juillet 1534 consuls et conseillers débattent d'un nouveau programme d'enseignement comme le ferait aujourd'hui le Conseil supérieur de l’Éducation Nationale. Lors un des opinants, l’avocat Jacques Rossel, intervint pour apporter son grain de sel : c'est bien le cas de dire, puisqu'il consent à ce que Pécolet et Alexandre prennent les écoles pour l'année, mais il ajoute « quod fiat cum grano salis ». Ironie plaisante qui en dit long sur le chemin déjà parcouru par les idées réformées au sein de l’assemblée consulaire en 1534, car enfin cette recommandation à la prudence extérieure est consignée sur le registre officiel des délibérations, et il faut bien que tout le monde ou presque ait été d*accord.

 

Et si l'on se rapporte au budget de l'année on trouve l'explication ou la suite donnée au voeu de Rossel :

 

« Les gages du magister des écoles de ladite année... pour cette fois et sans conséquence, pourvu qu'il aille avec tous les écoliers chacun samedi à l’église Notre-Dame dire le Salve Regina avec deux torches et fasse chanter les litanies aux clercs quand iront aux processions, et qu'il ne prenne rien des enfants de la ville... 75 livres tournois ».

 

Satisfaction paraît accordée aux chanoines du chapitre qui tenaient essentiellement au Salve Regina et au chant des litanies, mais la satisfaction réelle est celle qui est consentie au magister puisqu'il se voit allouer un gros supplément de gages, récompense du collège qu'il institue cette année-là. Afin qu'on sache bien qu'on a un collège, la ville fait faire une campane, une cloche laïque « pour appeler les écoliers quand le maître veut lire les lettres », et elle appointe un campanier.

 

Il. --Le Collège en forme.

 

Côté Ouest - Chapelle des Jésuites et bibliothèque - L'ancien collège des Arts.

 

Premier succès qui ne reste pas sans lendemain à cette époque où l'ivresse de savoir enivre les esprits. Un an plus tard se Place une réunion que je ne puis omettre tellement elle nous met dans l'atmosphère du temps. Le dimanche 11 juillet 1535 un maître es arts de la ville, Me Janin, réunit un « chapitre » où avaient été rassemblés plusieurs maîtres d'école « qui étaient venus de long pays », ainsi que les lettrés de la cité : Jacques de Sarrats, Jacques Andronis, Ferraud, Jaussaud, de Malmont, Gévaudan, Puech Redond, Me Rossel. Un conseil de ville se réunit peu après auquel assiste le prévôt du chapitre et le prieur des Augustins. Et ce conseil décide de bailler le collège à un de ces maîtres étrangers nommé Benoît Cosme, assisté de trois maîtres dont Pécolet. Les gages sont inouïs pour l'époque, 170 livres, dont 80 au seul Benoît Cosme qui sera le chef. Ils s'engagent à « régir les écoles, lire et faire bonnes lectures en grammaire principalement aux petits enfants, tenir aussi conclusions et disputations et autres bonnes lectures qu'ils verront nécessaires ».

 

J'ai bien peur que ces bonnes lectures soient justement celles qu'on avait interdit de faire à Pécolet, et ce qui l'atteste c'est qu'on précise que les lectures se feront non seulement aux écoles, mais aussi dans la maison (non précisée) où la réunion préparatoire avait été tenue.

 

Tout ceci sent un mystère qu'il n'est pas difficile à percer. Il n'est pas jusqu'à une présence significative aux débats qui ne vienne affirmer que tous ces gens, Jean de Boileau, Malmont, Barnier, Robert, Paradès, Andronis sont à peu près ou tout à fait luthériens, à ces juges, à ces conseillers au sénéchal se joint, c'est un signe des temps, un simple, libraire, Me Bernard Daviot, le premier éditeur de notre cité ,qui a certainement joué un grand rôle dans le succès du luthéranisme, non seulement à Nîmes, mais dans la région. C'est lui qui alimente tous ces lecteurs en livres d'exégèse et en textes classiques. Il sera bien un jour, vers 1555, enterré au couvent des Augustins, mais ce couvent était pratiquement gagné à la réforme.

 

Quoi qu'il en soit, le succès du nouvel enseignement fut total. La preuve est donnée au poids, si je puis dire. Une délibération constate que le plancher du collège n'était plus assez fort pour porter la masse des étudiants :

 

« quand ledit plancher est rempli d'auditeurs et aussi qu'ils se lèvent quand la leçon est finie, il tremble si très fort tellement que l'on se doute que les travaisons se rompent ou échappent de la muraille, (ce) que ferait un gros esclandre à ceux qui seraient de haut et aussi à ceux du bas ».

 

III. - Les difficultés.

 

Tant de succès et si bruyants, malgré les prudence de style, n'allaient pas manquer de soulever des difficultés. Les chants du Salve Regina et des litanies du samedi n'empêchaient pas le même soir d'aller entendre des commentaires de l'Écriture qui venaient tout droit de Bâle. Il y avait aussi, il y avait même, les affluences prodigieuses aux prédications de l'avent et du carême. Prédications qui malgré, ou plutôt à cause de la satisfaction du conseil de ville, sont bien suspectes. Un frère mineur Sapientis en 1536 « lit le psautier et les évangiles », ce qui à bien un parfum de réforme. L'an d'après on fait  venir de 70 lieues, de Dijon, un Carme, maître en théologie, Claude Ducrès, et la satisfaction est telle que la ville triple l'indemnité habituelle du prédicateur, le conseil précise que cet argent servira au maître théologien « à l'entretenir aux études », ce qui serait assez étonnant s'il ne s'agissait pas plutôt de l'aider à approfondir les doctrines nouvelles.

 

J'évoquais au début le revirement chez François 1er en 1534. Il fallut deux ans pour en entendre l'écho à Nîmes. M. Pécolet qui donne dans le prosélytisme à n'en plus douter, même pour des oreilles qui ne veulent pas entendre, finit par avoir des ennuis en Septembre 1536. Le capiscol lui fait un procès au sénéchal. Le juge mage usant de son pouvoir réglementaire remplace d’autorité Pécolet. Très curieuse sont les délibérations des consuls dans la circonstance. Certains comme Paradès (on a du courage chez les Paradès), Andronis, Jean Poldo d'Albenas, insistent et veulent qu'on reprenne le professeur suspendu, mais il faut être plus sage, on se bornera à retourner l'attaque contre l'évêque ; on reprochera au prélat de ne pas résider, on lui enverra sommation de désigner un maître ès arts à école, ainsi qu'un théologien pour lire les évangiles et prêcher le dimanche.

 

Les choses se gâtent, le ton de la discussion risquerait de s'aigrir, si, comme dans un conte, une princesse n'intervenait pas. La soeur du roi. Marguerite d'Angoulême, avait droit de citer à Nîmes. Reine de Navarre depuis son mariage en 1527, elle possède les domaines confisqués de la maison d'Armagnac dans les Cévennes, baronnies de Roquefeuil, Meyrueis, Valleraugue, vicomté de Creissels. Son apanage va de Saint-Flour à Valleraugue, des portes d’Aurillac à Rodez, et pour l'administrer elle a un petit monde, évêques, juges, capitaines, receveurs, notaires, professeurs.

 

Nîmes est capitale de ce royaume montagnard et son évêque a été escamoté par cette administration de cumul, Michel Briçonnet, neveu du directeur spirituel de la reine. Cet apanage discret joue l'indépendance en matière d’opinion, sinon sur le plan politique. Le juge-mage de Nîmes, Jean de Montcalm a pour femme Florette de Sarrats, fille du président du Parlement de Toulouse, et cette Florette, curieuse des lettres antiques, protectrice des humanistes, est l’amie, la protégée de Marguerite d'Angoulême.

 

Or la marguerite des marguerites accomplit un voyage dans le Midi, nargue Charles-Quint qui s'essouffle en Provence, visite le camp d'Avignon, organisé, à la romaine, et elle le qualifie de « paradis glorieux ». Elle est à Montfrin le 23 Août 1536 et vient à Nîmes en septembre. Elle assiste donc aux démêlés, qui opposent Pécolet à l'official, au capiscol, si elle ne peut empêcher le juge mage Jean de Montcalm de suspendre Pécolet pour un an, du moins elle peut éviter que l'affaire n'aille trop loin. Pécolet n'est pas le seul protégé de la reine qui soit menacé. Or auprès du Parlement il y a vacance de l'inquisiteur, et du choix du successeur dépendra le sort des luthériens du Midi. Marguerite paie de sa personne et part pour Toulouse où elle veut présenter aux parlementaires un inquisiteur de son choix.

 

Quand elle part, l'affaire Pécolet est à peu près réglée, il n’a qu'à se faire oublier un hiver et il reparaît en Avril 1537, vraiment hors de cause.

 

Comme si rien ne s'était passé les conseillers de la ville déclarent qu'on « s'en contentait fort bien » et lui offrent de reprendre la chaire (on disait sa cadière).

 

Quelles leçons lira-t-il ?

 

Il répond « une leçon de Virgile, une leçon de Cicero, et une leçon en dialectique », il gradue ses effets, il ira jusqu'à lire l'Aristotel en grec et en latin, mais il ajoute (car il y tient décidément),  « les dimanches il leur lira l'évangile ». Le salaire demandé est bien plus fort que par le passé, on est loin des 30 livres de 1530 (c'est en effet une période d'inflation) et Pécolet demande 150 livres. On rabaisse ses prétentions à 100 livres mais ce qui est notable, c'est l'avis du juge des crimes, M. Jean Robert. Ce magistrat ne se fait pas scrupule de donner les écoles à Pécolet, mais « touchant la lecture de l'évangile, l'on ne lui en doit rien dire car c'est affaire à Mgr de Nîmes ou son vicaire, lequel, si bon lui semble, lui permettra de le lire ou non ». Traduisons, pas d'histoire, mais le silence approbateur des autres conseillers est éloquent. Le vote est acquis, M. Imbert réintégré. Un érudit du siècle dernier, le Dr. Puech, relatant cette histoire disait : « c'est une réconciliation ». Eh non c'est une totale réhabilitation du maître et à l'égard du chanoine capiscol ou du Parlement, ce serait un défi, s'il n'y avait l'intervention de la sœur du roi. Extérieurement les ordonnances seront respectées, il est précisé dans les décisions consulaires que M. Imbert fera aller ses écoliers « aux processions de deux en deux en chantant les litanies ». Oui, mais fiat cum grano salis !

 

Il n'y a plus qu'à attendre la rentrée des classes en octobre. Dans le cours du mois de septembre malheureusement Me Pécolet ne sait pas se borner aux bucoliques de la garrigue, il revient de Toulouse où il a été « s'endoctriner », comme on dirait, avec une nouvelle flamme il enseigne à domicile les thèses réformées.

 

La situation de l'année précédente va donc se reproduire identiquement lorsque, suivant l'usage, les consuls viennent présenter le 7 Octobre, la mine bonhomme, leur ancien et nouveau maître mage à l’agrément du capiscol Guy de Rispe, ils sont surpris du ton avec lequel ils sont accueillis. Le chanoine leur dit :

 

« Savez-vous si le candidat est apte ou non ? ».

 

Les autres de répondre :

 

« il a régi les écoles depuis de longues années, vous lui avez donc donné votre approbation maintes fois ».

 

Là-dessus arrive le lieutenant de l'official qui déclare sans ménagement que M. Imbert est « suspect en la foi » et qui défend aux consuls de lui accorder faveur, aide ou secours. Réponse des chaperons M. Imbert exerce son emploi depuis 1530, on ne lui a fait aucune remarque, ni infligé aucune punition. Que l'official prouve qu'il a mal senti à la foi, alors le conseil lui retirera les écoles. Le 15 Octobre les consuls réitèrent la présentation du maître, nouveau refus sous peine d'excommunication.

 

Décidément le clergé a reçu des ordres que cette fois une princesse ne va plus suspendre ou tourner. Le dimanche 21 Octobre Pécolet veut entendre la messe à la cathédrale lorsqu'il est arrêté à la porte par le curé qui lui défend de pénétrer. Vous avez lu hier après-midi l'évangile aux écoliers alors que vous avez déjà été excommunié in palio publico de l’église, et que vous avez reçu du juge-mage et de l'official défense de faire cette lecture.

 

Le lendemain M. Imbert est amené devant la cour du sénéchal ; il est conduit à l'évêché. Pas de bruit, pas de procès, il doit rester quelques mois dans l'ombre du palais épiscopal, puis il quitte Nîmes au début de 1538 et la France, passe à Genève, devient professeur de langue hébraïque à Lausanne. Il vient de tracer un chemin qui sera pris souvent.

 

Tous les premiers réformés n'étaient pas aussi fortement protégés que le magister. En ce mois d'Octobre 1537 le Parlement de Toulouse envoie des instructions sur la forme à donner aux enquêtes pour crime d'hérésie, on associe l'official au juge mage pour plus de sûreté. Il faut des condamnations, et comme par hasard ce sont de pauvres gens d’Aubenas et des Cévennes qui sont poursuivis, pendant trois semaines on juge des suspects de luthéranisme.

 

Cependant l'étranger s'inquiète. Le bruit circule que des luthériens ont été brûlés à Nîmes, ce qui est faux. Les villes de Bâle et de Strasbourg font intervenir le comte de Furstemberg auprès de François 1er pour obtenir la libération des prisonniers pour leur foi.

 

Après Pécolet les consuls proposèrent un certain Cajart. Le prévôt capitulaire reçut ce candidat avec méfiance. Cet homme n'est pas connu, dit-il, il n'a pas l'habitus clericalis, ce qui le prouve bien c'est qu'il porte la barbe ! Mais Cajart refuse de se faire raser. C’est bien clair, ajoute le prévôt.

 

Au reste Cajart est un compagnon de Pécolet. Déjà le consul, en maintenant ce dernier a multiplié les erreurs. Si la foi court des dangers c'est la faute du maître mage, des écoles et des écoliers. Voilà le milieu qui donne naissance aux hérésies sur les sacrements. Et il prend le ton oratoire, il rend solennellement responsables des progrès futurs de l'hérésie les consuls qui ont témoigné désobéissance, mépris des censures ecclésiastiques et rébellion lorsqu'ils ont donné toute leur aide à Pécolet en difficulté. Là dessus le prévôt rentra dans sa maison.

 

Que croyez-vous qu’il advint ?

 

Cajart prit en main les écoles malgré les foudres du prévôt capitulaire, et ne céda sa chaire qu’à Claude Baduel lui-même, le nouveau recteur de la nouvelle université de Nîmes ouverte en octobre 1539.

 

IV - L’Université.

 

Le projet d’une université parait bien être l’œuvre d’un homme de premier plan, Antoine Arlier. C’est un humaniste de la grande lignée, correspondant épistolaire de Jean de Boyssonné, ami aussi de Pellicier, l'évêque humaniste de Montpellier.

 

Il a offert au souverain un plan d'argent en relief des Arènes, il a eu l'idée de changer les armoiries de Nîmes en empruntant le motif de l'as romain au crocodile, il sera conseiller du roi à Turin. On lui doit aussi le projet de notre université ès arts. Dès le mois de décembre 1535 il s'est attelé à sa préparation, en en allant solliciter le Grand-Maître Montmorency et le sénéchal Charles de Crussol.

 

L'année suivante le séjour à Nîmes de Marguerite d’Angoulême et de son mari, le roi de Navarre, fut profitable aux projets des consuls. Arlier n'était plus présent, puisqu'il remplissait les fonctions de lieutenant du sénéchal à Arles.

 

C’est M. de Malmont qui s'est fait l'avocat de l'université. Il est chargé de diriger l'escorte d'honneur de 12 hallebardiers qui accompagne Marguerite jusqu’à Avignon, et là Malmont développe son beau projet, il revient victorieux, porteur de trois missives de la reine, une aux consuls, une autre à l'évêque, et une aux officiers du roi, qui demandent ou appuient la création.

 

Or les désirs de la marguerite des marguerites sont des ordres. Les démarches s’échelonnèrent sur trois années avant d'aboutir aux lettres patentes signées par le roi à Fontainebleau en Mai 1539. Elles érigeaient une université ayant les mêmes franchises, droits et privilèges que les universités ès arts de Paris, Poitiers et Toulouse. Ses docteurs, maîtres et gradués pouvaient élire et instituer un recteur. En juin, le 1er consul Paradès enregistrait le privilège. `En septembre on allait quérir à Paris un des recteurs de l'université de Paris, Claude Baduel, qui consentait à venir occuper les mêmes fonctions à Nîmes, enfin en janvier 1540 on installait l'Université dans l'hôpital Saint-Marc, sur l'emplacement de nos musées archéologiques et de la bibliothèque. La petite salamandre qui s'élève au centre du cloître reste le symbole de cette flamme toujours renaissante de la ferveur antique, servie par un haut enseignement.

 

La grande différence entre un collège et une université en ce temps était le droit de conférer les grades. Il ne manquait plus à notre institution en fonction qu'un document, la bulle Pontificale.

 

Le 20 avril. 1542 François 1er écrivait au pape Paul III et chargeait son ambassadeur à Rome; l'évêque de Rodez, de poursuivre le succès de sa demande. Il écrivait en même temps et plusieurs fois aux évêques de Nîmes. Uzès, Viviers, Le Puy, Montpellier pour leur rappeler que les habitants de la province auraient plus besoin d'envoyer leurs fils dans des universités lointaines pour y apprendre les lettres, le souverain demandait aux prélats de contribuer aux frais de son institut nîmois.

 

Sous le règne d'Henri II il est encore question quelque temps de l'université, en 1547, en 1552, puis sans y paraître attacher d'importance on ne parle plus que du collège. La bulle pontificale nécessaire et si attendue n'a pas été délivrée. La première université créée sans privilège pontifical ne le fut pas en France. Et cette situation dura jusqu'au premier empire, époque pendant laquelle Nîmes fut de nouveau le siège d'une Faculté des lettres.

 

Marcel Gouron, 1947

 

EN SAVOIR PLUS
> Origine du Collège et de l'Université à Nîmes, par M. Gouron.
> L'école de Nîmes de 1566 à 1634 par Léon Ménard.
> Partage du collège des arts de Nîmes entre les jésuites et les religionnaires.
> Les status de l'Université et du collège de Nîmes
> Article Midi Libre du 11 décembre 2005
 

> Contact Webmaster