Partage du collège de Nîmes
Par Léon Ménard, histoire de la ville de Nîmes, 1756.
Partage du collège des arts de Nîmes entre les jésuites et les religionnaires. (1634)
L'établissement des jésuites à Nîmes prit en ce temps-là de nouvelles forces. On donna à ces religieux la moitié des emplois et des chaires du collège des arts de cette ville, qui avaient jusqu'alors été entièrement occupés par les religionnaires. Mais reprenons la chose plus haut.
Au mois de décembre de l'an 1632, les habitants catholiques de Castres s'étaient pourvus en la chambre de l'édit de Languedoc, et y avaient demandé que les régents du collège de leur ville fussent moitié catholiques et moitié de la religion. Sur quoi il était intervenu partage, le 3 de mars de l'année suivante.
Neuf conseillers opinant, Catholiques, avaient été d’avis d'ordonner cette division, sur le fondement de la déclaration du roi précédemment donnée le 19 d'octobre de l'an 1631, pour le partage des consulats et charges municipales, qu'on devait étendre aux collèges.
Neuf conseillers religionnaires de l'autre part, disaient que cette déclaration ne parlait nullement des collèges. Mais par un arrêt du conseil, daté de Chantillv le 23 de juillet de l'an 1633, le roi confirma l'avis des conseillers catholiques, et ordonna le partage, non-seulement pour la ville de Castres, mais encore pour celles de Nîmes et de Montauban, et pour toutes les aulnes villes religionnaires du royaume.
Les habitants catholiques de toutes ces villes, et en particulier ceux de Nîmes, ayant à leur tête I'évêque Cohon, qui les seconda de tout son crédit, étaient intervenus dans l'instance du conseil et avaient demandé le partage des collèges.
Il ne laissa pas d'y avoir encore quelque difficulté en la chambre de l'édit de Languedoc, pour l'enregistrement de cet arrêt. II y eut même à ce sujet un nouveau partage le 5 d'octobre suivant qui fut vidé au conseil d'état du roi, le 1er de décembre de la même année, à Saint-Germain en Laye.
Le roi, sans s'arrêter aux oppositions qui avaient été faites de la part des habitants religionnaires de Nîmes et de Montauban, confirma l'avis des conseillers catholiques, et ordonna l'enregistrement et l'exécution du précédent arrêt du conseil.
Ces deux arrêts furent donc enregistrés, en la chambre de l'édit de Castres, le 20 du même mois de décembre.
D'un autre côté, les conseillers Philippe-André de Forest, sieur de Carlencas et Hercule de Ling sieur de Massugnières, furent nommés pour procéder à ce partage dans les villes du Bas-Languedoc.
S'étant tous deux rendus à Nîmes au mois de janvier de l'an 1634, ils rendirent une ordonnance le 15 de ce mois là, dont voici le détail.
Ils enjoignirent aux consuls catholiques de s'assembler et d'élire des sujets capables pour remplir de catholiques la place de principal, et celle de régents de physique, de la première, de la troisième et de la cinquième classe, et du portier du collège.
Quant aux autres places qui devaient être occupées par ceux de la religion, savoir, celles de régents de logique, de la seconde, de la quatrième et de la sixième casse, ils y confirmèrent ceux qui les possédaient déjà, qui étaient Jean Bredes, pour la logique, Hugues Laute, pour la seconde, Paul du Pont, pour la quatrième, et Antoine Combes, pour la sixième. Ils ordonnèrent que les uns et les autre seraient tenus d'observer exactement tous les Statuts du collège, et d'en faire serment le jour de leur installation, chacun suivant la forme de sa religion, de porter également honneur et respect au principal, de lire à leurs écoliers les livres que le principal leur prescrirait touchant l'étude des lettres et des bonnes mœurs, et aux heures qu'il indiquerait de manière que les uns ne s'ingérassent nullement de lire et d'enseigner la doctrine appartenant à la faculté et aux fonctions des autres. Ils adjurèrent au principal l'entier logement du collège, primitivement à tous autres, avec pleine liberté d'y admettre tel nombre de régents qu'il trouverait à propos, pour l'assister en la conduite et direction de cette maison.
Ils fixèrent les gages de chaque membre du collège, ils assignèrent cinq cents livres au principal, quatre cents livres au régent de physique, et pareille somme à celui de la logique, trois cents livres au régent de rhétorique, deux cent cinquante livres à celui de seconde, deux cents livres à celui de troisième, cent cinquante livres aux régents de quatrième, de sixième et de cinquième, et cent livres au portier, le tout à commencer du jour de leur installation. Ils ordonnèrent que toutes les leçons cesseraient au collège les jours de fête commandés par l’église, que toutes sortes d'écoliers soit catholiques, soit de la religion, seraient admis indifféremment dans le collège, pour y être instruit et enseignés en l’étude de la philosophie et des bonnes lettres, qu’aucun régent ne contraindrait ses écoliers à faire des actes contraires à leur religion, sous les peines portées par les édits, qu’on les entretiendrait tous dans la bonne intelligence, et qu’on leur imprimerait avec l’éducation, le respect et l’obéissance qu’ils devaient au roi leur prince légitime.
Enfin, ils ordonnèrent l'enregistrement des arrêts du conseil, et de leur ordonnance, tant au sénéchal qu'en l'hôtel de ville.
Le lendemain 16, le premier et le troisième consul catholiques assemblèrent le conseil de ville ordinaire, qui ne fut composé que de catholique. II y fut unanimement délibéré de donner aux jésuites les places de régents catholiques.
On s’exprima dans cette délibération en des termes bien honorables pour la société.
On y dit, pour motif de ce choix, que la jeunesse n'avait pas moins besoin d'être élevée aux bonnes mœurs qu’à l'étude des lettres, et qu'on ne pouvait trouver des personnes plus capables de ces fonctions que les pères de la compagnie de Jésus, dont l'aptitude à élever la jeunesse était connue par tout le royaume.
Comme ce choix tombait sur des gens de main-morte, et que les consuls avaient toujours nommé aux places de régents, en qualité de gouverneurs et administrateurs du collège, il fut de plus arrêté que ces derniers se départiraient de leur droit en faveur des pères de la compagnie de Jésus de la province de Lyon, et non d'autres, sous cette condition toutefois que les consuls seraient appelés et placés en un rang convenable à leur qualité, soit aux entrées qui s'y feraient annuellement, soit aux promotions des maîtres ès-arts, soit enfin à toutes les assemblées publiques qui s'y tiendraient, ainsi qu'ils avaient accoutumé de faire auparavant.
On fit enfin une députation au père Fichet, supérieur de la maison de Jésus pour le prier de faire que sa compagnie acceptât ces emplois.
N'ayant point de meilleure occasion, porte la délibération, pour lui tesmoigner la reconnaissance que Iesdicts catholiques ont des acystances qu'il leur a rendues despuis quarante ans ou environ.
La députation fut composée du premier et du troisième consul, de l'assesseur, et de six conseillers de ville. Ils allèrent en conséquence trouver au même instant le P. Fichet, et lui remirent une copie collationnée de la délibération qui venait d'être prise en faveur de sa compagnie.
Les religionnaires voyaient avec douleur la consommation de toute cette procédure. Deux jours après, c'est-à-dire le 18 du même mois de janvier, le premier consul ayant convoqué un conseil de ville pour enregistrer les arrêts du conseil et l'ordonnance des deux commissaires, les principaux habitants religionnaires ne manquèrent pas de s'y rendre.
Après que le premier consul eut fait sa proposition, qui tendait à l’enregistrement de toutes ces pièces, le second consul parlant pour le quatrième consul, son collègue, et pour les autres religionnaires, représenta qu'on ne pouvait rien innover aux précédents édits donnés en faveur des collèges de la religion.
Ensuite faisant revivre les premières oppositions, dont ils avaient déjà été démis par l'arrêt du conseil, il dit qu'ils prétendaient attaquer cet arrêt, et déclara qu'ils étaient appelants de l'ordonnance des commissaires, alléguant qu'ils n'avaient voulu, ni les entendre dans leurs raisons, ni examiner leurs titres, que d'ailleurs ils avaient fait un partage inégal, tant au nombre et en la qualité des régents, qu'en leurs gages, et qu'ils avaient donné tout le logement aux catholiques.
Le premier consul répliqua que le partage du collège avait été ordonné par des arrêts qui ne souffraient point de retardement et qui ne pouvaient être attaqués, puisqu'ils avaient été donnés, toutes les parties ouïes et défendues, sans, que le roi se fût arrêté aux remontrances faites ou à faire de la part des religionnaires, que, par conséquent, il n'était plus question de résister à sa volonté, et que toutes leurs raisons étaient contraires à son service et au bien public.
Enfin, les oppositions des religionnaires furent sans succès. On fit incontinent la lecture des arrêts du conseil et de la chambre de l'édit, des commissions expédiées sur ces arrêts et de l'ordonnance des commissaires, et on les inséra dans les registres de l'hôtel de ville.
En conséquence, les jésuites furent mis en possession de ce collège le 20 du même mois de janvier, par les deux commissaires du parlement. Le dimanche 22 du mois, la messe fut solennellement célébrée dans leur chapelle par les chanoines de la cathédrale.
Les deux intendants de Languedoc, qui étaient alors Robert Miron et Antoine le Camus, conseillers d'état et maîtres des requêtes y assistèrent ainsi que le conseiller Carlencas, les magistrats présidiaux et les consuls catholiques.
Le mémorial qui a été conservé de cette mise de possession, marque que le P. Fichet prêcha ce jour-là, et que, parmi les louanges qu'il donna au roi Louis XIII, il compara ce prince a Judas Machabée.
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