Le Général François Perrier
(1833-1888).
par V. Ricquet, 1895.

 

Le général Perrier n'a pas été seulement un homme de guerre ; il fut en même temps un savant.
Il naquit à Valleraugue le 18 avril 1833 et entra à l'école Polytechnique en 1853. II sortit dans l’ancien corps d’État-major, qui fut supprimé en 1880.
En 1861, une commission composée d'ingénieurs anglais et d'officiers français avait été chargée d'effectuer certains calculs de trigonométrie dans le Pas de Calais. Perrier, qui était alors capitaine, prit part à ses travaux sous la direction du colonel Levret. Il se montra personnellement à la hauteur de la tâche, et soutint avec avantage la lutte contre la nation rivale. Mais les services géographiques de l'armée, comme bien d'autres services, étaient alors désorganisés. L'outillage scientifique des officiers français était imparfait et suranné. « La comparaison fut écrasante, écrivait Perrier. » II en fut tellement frappé qu'il résolut, à partir de ce moment, de consacrer sa vie à la régénération du service géodésique de l'armée, si négligé, si défectueux.
Il tint parole et, a sa mort, on a pu lui rendre le témoignage que ce programme qu'il s'était tracé, il 'avait rempli à la lettre. II avait relevé la géodésie française ; mais pour de nouvelles méthodes d'observation et de calcul, il fallait des instruments nouveaux : Perrier les créa ou perfectionna les anciens.
Quand une association géodésique composée d'astronomes et d'officiers des différentes nations se forma en vue de coordonner tous les grands travaux concernant la physique de notre globe, c'est Perrier qui fut toujours chargé de représenter le service géographique à chacune des sessions de cette importante assemblée.
C'est lui qui termina la triangulation de l’Algérie et rattacha ainsi par un lien de plus cette, colonie à la métropole.
Il avait fallu passer six années sous la tente, dans des régions souvent malsaines ou peu accessibles. L'insurrection des Arabes en 1861, le typhus et le choléra en 1866, la famine en 1867 et en 1868 avaient fait courir à la mission les plus grands dangers. Même deux camarades de Perrier moururent, l'un de la fièvre, l'autre d'une insolation. Rien ne put abattre le courage du soldat, l'énergie, la patience du savant.
De tels services méritaient leur récompense. Perrier fut élu membre de l'Institut en 1880. Deux ans après, il était mis à la tête du service géographique de l'armée avec le titre de sous-directeur du Dépôt de la guerre. La même année il obtenait le grade de colonel, et le 13 janvier 1887 il était nommé général. À cette occasion, l'Institut en corps s'était rendu auprès du ministre de la Guerre pour solliciter cet avancement, comme une satisfaction bien due à la science et au mérite.
Perrier n'était pourtant pas un de ces savants qui grands travailleurs, chercheurs infatigables, sont incapables d'exposer leurs recherches ou le font d'une façon si ennuyeuse qu'ils risquent de faire prendre la science en dégoût.
Il possédait le talent d'enseigner et connaissait l'art d'exposer. Sa parole claire, facile, pleine de charme, captivait son auditoire, même quand il traitait les matières les plus arides.
Il fut cinq ans professeur è l'École supérieure de guerre où il a laissé les meilleurs souvenirs. On le cite comme l'un des maîtres les plus écoutés parmi cette élite d'hommes éminents. On raconte qu'un jour le général Castelnau, inspecteur général, étant venu assister à l'une de ses conférences, en sortit enthousiasmé et sur-le-champ fit inscrire le professeur sur le tableau d'avancement, à titre tout à fait exceptionnel. Tel est le savant et je regrette de ne pouvoir entrer dans les détails, parce que les résultats de la science ne sont pas facilement accessibles à tous. Mais voici un fait que vous comprendrez et qui est à la portée des intelligences même les plus tendres.
Vous avez entendu parler de ce sommet des Cévennes qui s'appelle l'Aigoual et domine toute la région du littoral. On y a établi depuis peu un observatoire météorologique qui est appelé à rendre d'immenses services à notre département.
Eh bien ! cet observatoire, c'est grâce au général Perrier qu'il a été établi. C'est à ses efforts, à sa persévérance qu'on le doit. Cette entreprise lui tenait au cœur. C'était pour lui une manière de prouver sa reconnaissance à son pays natal, son amour à ses chères montagnes. II se faisait une fête d'assister à l'inauguration de cet Observatoire qui était son œuvre. La mort jalouse lui refusa ce bonheur, et quand on l'inaugura, son souvenir seul fut présent à cette belle cérémonie.

Délibération du Conseil Général du Gard
Séance du 20 avril 1882
 
- Observatoire de l’Aigoual.
- Réponse du Conseil Général de la Lozère.
 
Au nom de la Commission des objets divers, M. le docteur Louis Perrier donne lecture d’une lettre de M. le Préfet de la Lozère et d’un rapport de M. le sénateur Roussel, qui a été adressé à M. le Préfet du Gard en réponse à la demande de subvention qui a été faite au département de la Lozère pour la création de la station de l’Aigoual.
D’après ces documents, le Conseil Général de la Lozère refuse d’intervenir dans la dépense que nécessitera l’établissement de la station de l’Aigoual, par le motif qu’un observatoire météorologique est projeté sur le mont Lozère.
A cette occasion, M. le colonel Perrier (François Perrier sera nommé Général le 13 janvier 1887) qui que naïvement, au mois d’août dernier, il s’est adressé au département de la Lozère pour avoir une subvention. Mais aujourd’hui, chaque département veut avoir sa station météorologique ; la Lozère est du nombre. Il faut toutefois reconnaître que le mont Lozère n’offre pas les mêmes avantages que l’Aigoual ; cela est incontestable. L’on ne peut cependant qu’applaudir à l’idée de ce département d’avoir son observatoire.
A la station de l’Aigoual, le service sera très-bien fait par les agents forestiers. L’on pourra simultanément observer à Montpellier, d’où l’on voit l’Aigoual, à l’Aigoual et à Valleraugue, et établir une station secondaire dans cette dernière localité. Mais pour compléter l’œuvre, il faut que la Commission météorologique du Gard fasse preuve d’activité, qu’elle publie un bulletin ; on lui enverra, s’il le faut, des instruments de Paris. Il est, du reste, convaincu que la Commission, avec l’impulsion qui pourra lui être donnée par M. le docteur Perrier, (le fondateur de la source du même nom) travaillera utilement et sera bientôt classée parmi les Commissions les plus laborieuses.
Conformément à l’avis formulé par M. le docteur Perrier, le Conseil donne acte à M. le Préfet de sa communication.

NDLR
:
Ne pas confondre ces 3 homonymes.
- Le Général François Perrier (1833-1888) élu au Conseil Général du Gard, il en sera le président de 1883 à 1888.
- Le docteur Louis Perrier, (1835-1912) fondateur de la source qui porte son nom, fut aussi élu au Conseil Municipal de Nîmes, il prendra provisoirement la fonction de Maire le 24 mai 1871.
- Le Docteur Charles Perrier, (1862-1938) sera médecin à la prison centrale de Nîmes de 1888 à 1911 et fera une étude très poussée sur la population carcérale. Il sera aussi le médecin officiel des prostituées. 

Mais Perrier n'était pas seulement un savant. C'était aussi un soldat. Capitaine, quand la guerre de 1870 éclata, il fit vaillamment son devoir, fut englobé dans la capitulation de Metz et envoyé comme prisonnier de guerre en Allemagne. II était lieutenant-colonel quand se fit la campagne de Tunisie, et il prit part à l'expédition en qualité de chef du service géographique du corps expéditionnaire.
Quand la conférence de Berlin se réunit pour délimiter les nouvelles frontières de la Grèce, le colonel Perrier fut adjoint à l'ambassadeur de France pour faire partie de la commission technique. Les membres de la commission, reconnaissant sa haute compétence, le choisirent pour rapporteur et son rapport fut adopté à l'unanimité.
C'est à cette occasion qu'il eut à Berlin un entretien bien curieux avec le prince de Bismarck. L'anecdote a été souvent rapportée ; on me permettra de la citer encore ici. Avant de se séparer, les membres de la conférence furent invités à diner chez le vieux Guillaume, puis chez Bismarck. Après le dîner, qui eut lieu chez ce dernier, on passa au salon où le prince alluma sa pipe, tandis que la princesse, sa femme, posait un manteau sur les larges épaules de celui qu'elle appelait, même en présence des étrangers « mon petit Otto. » Les membres de la conférence faisaient cercle autour du prince, les ambassadeurs assis, les délégués debout : ainsi le voulait l'étiquette. Bismarck fit asseoir Perrier au milieu du cercle des Ambassadeurs. La conversation fut animée. Perrier fit preuve d'esprit et, à un bon mot de lui, le prince s'écria : « Vous êtes donc du Midi ? » Et sur la réponse affirmative du colonel, Bismarck se mit à parler, pendant plus d'une demi-heure, de la guerre des Albi­geois, de celle des Camisards, faisant preuve d'une vaste érudition, rappelant la révocation, les Dragonnades, etc.
A la sortie, notre ambassadeur, le comte de Saint-Vallier, s'approcha de Perrier et lui demanda : « Comment le trouvez-vous ? - Effrayant ! » Le mot était vrai à plus d'un titre. Mais pour un moment, le Cévenol, par le charme de sa conversation, par la séduction de son esprit, avait conquis le farouche Teuton, celui qu'on a justement surnommé « le chancelier de fer. »
C'est que Perrier avait une puissance attractive, une intelligence souple autant qu'élevée, une conversation variée et attachante, des manières affables, qui annonçaient chez lui un noble caractère et un grand cœur. C’était un Cévenol dans toute la force du terme et il avait en lui les vertus de cette forte race : l'énergie, l'amour du travail, un invincible attachement à la règle, au devoir.
 
Il mourut à Montpellier le 20 février 1888 dans sa cinquante-cinquième année, à un âge où il pouvait rendre encore bien des services à la patrie et à la science.

Statue originale du Général Perrier en bronze, fondue en 1942 et sa reconstitution moderne en pierre

Le général Perrier méritait d'avoir sa statue sur une des places de sa ville natale. Vous irez le voir quand vous passerez à Valleraugue. Il est là, le front nu, la tête haute, fièrement campé sur son piédestal, d'où il semble nous dire, entouré de ses cartes et le compas à la main :
« Voilà ce que j'ai fait pour la patrie. À votre tour de travailler pour elle. »
-oOo-
 
 
LIENS
> Nécrologie de Georges Fabre signée par Charles Flahault
Historique de la Station météo du Mt Aigoual
Biographie du Général François Perrier, natif de Valleraugue
> Le film de Marc Khanne, Aigoual, la forêt retrouvée
> Un village de l'Aigoual : CAMPRIEU
> La Transhumance à l'Aigoual

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