La Saint Bartélemy à Nîmes
trois articles pour mieux comprendre


I

L'Union sacrée
par Léon Ménard extrait de "Histoire de la ville de Nîmes", 1760.

Peu de temps après la tenue de ce synode, on vit arriver en France le plus fâcheux événement et la plus étrange catastrophe, je parle de la terrible journée de la Saint-Barthélemy, où l'amiral de Coligny et un très grand nombre de religionnaires de tout âge de tout sexe et de toute condition, furent inhumainement massacrés à Paris. Le même carnage avait été ordonné dans toutes les provinces, où plusieurs villes suivirent le cruel exemple de la capitale. II y en eut quelques-unes toutefois, où la douceur et l'humanité de ceux à qui es ordres étaient adressés, firent suspendre cette sanglante exécution.Celle de Nîmes fut de ce dernier nombre.
On ne saurait trop louer la sagesse et la prudence avec laquelle les habitants de cette ville se conduisirent en cette occasion. Le courrier envoyé de la cour passa à Nîmes le vendredi 29 d'août de cette année 1572, et y porta les ordres du massacre. Le juge-mage, qui était toujours Jean de Montcalm, donna ordre aussitôt de convoquer un conseil extraordinaire.
Ce fut Guillaume Villar, avocat, premier consul, qui le fit assembler à son de cloche, le lendemain samedi, 30 du mois, dès le matin.
Ce consul parla dans cette assemblée avec beaucoup de véhémence et en zélé citoyen. Il fit voir que dans les fâcheuses conjonctures où l'on se trouvait, rien n'était plus capable de prévenir les désordres que d'interdire l'entrée de la ville a toutes sortes d'étrangers, que pour cela il fallait en tenir les portes fermées, à l'exception d'une seule, qui serait gardée tour à tour par des habitants de l'une et de l'autre religion, que pour s'assurer les uns des antres et maintenir le bon ordre, il fallait que chacun, sans distinction de religion jurât de ne point s'offenser réciproquement, de veiller à la sûreté commune, et de se défendre mutuellement sous l'obéissance du roi et suivant l'édit de pacification.
Ensuite, comme le fait était de la dernière importance, il proposa une députation de deux notables habitants au vicomte de Joyeuse et d'un troisième au sénéchal de Nîmes, pour les avertir l'un et l'autre de ce qui se passait et prendre leurs ordres en cette occasion, et il nomma ces trois députés. Il proposa aussi de Faire veiller à la garde de la porte qui devait rester ouverte, par deux personnes de confiance qu'il nomma.

Ces propositions étaient trop louables pour n'être pas adoptées.
Elles tendaient à l'utilité générale des citoyens. Aussi tout le conseil s'y conforma sans balancer. Il était composé des magistrats et des notables de chaque religion, parmi lesquels je remarque Bertrand de Luc, vicaire général, le siége, vacant. Le juge-mage y présidait. Ils jurèrent tous, la main levée à Dieu, de se prendre en protection et de se maintenir et conserver en paix les uns et les autres, sans distinction de religion.
On nomma aussi les mêmes personnes que le premier consul avait proposées.
Tristan de la Croix, conseiller au présidial et François Barrière, seigneur de Nages, furent députés pour aller à Béziers donner avis de cette délibération au vicomte de Joyeuse.
On députa le fils aîné du contrôleur la Baume au séné­chal de Nîmes, qui était toujours le sieur de Grille, pour le prier de se rendre en cette ville et d'y employer l'autorité que le roi lui avait confiée, pour la pacification des troubles dont on était menacés.
Enfin, on nomma pour veiller à la garde de la porte de la ville, qui devait rester ouverte, François Pavée, seigneur de Servas, et Joseph Delon, seigneur de Ners, trésorier du domaine au roi en cette sénéchaussée.

Léon Ménard, 1760

-oOo-

II

La Saint-Barthélemy à Nîmes
, un certain 24 août 1572.
par Gustave Fabre, Pasteur
Lecture faite à l'Académie de Nîmes, le 29 mars 1909.

MESSIEURS,  À l'ouïe de ce titre, quelques-uns d'entre vous se demandent peut-être, avec une légitime émotion, si je veux raviver des souvenirs pénibles et remuer sur le terrain nîmois la cendre à peine éteinte de nos querelles religieuses. Qu'on se rassure ; il n'est ni dans mes goûts ni dans mes habitudes de provoquer ces excitations. On prétend parfois, il est vrai, que les faits les plus douloureux de nos époques tourmentées ont justement pour résultat de faire naître dans les cœurs l'horreur des divisions intestines ; l'histoire, assure-t-on, est le calmant par excellence; même des pages les plus tristes émane pour nos âmes comme un parfum d'apaisement. Théoriquement, je ne sais ; mais en réalité, j'estime que cet effet sédatif n'est pas la conséquence habituelle de pareilles études. Tous les esprits n'ont pas ce privilège d'extraire ainsi le bien du mal, l'apaisement de l'excitation, la fraternité de la haine. Pour beaucoup, pour la plupart même, c'est le contraire qui est vrai. Aussi, je crois qu'il est plus sage de ne pas courir l'aventure et de ne pas tenter ce remède héroïque qui consisterait à guérir le semblable par le semblable, la violence par la violence, la passion par la passion.
Mais alors, pourquoi, direz-vous, venir nous présenter un épisode lamentable ? Pourquoi exhumer devant noua un souvenir pénible et douloureux ? C'est que précisément, Messieurs, le souvenir que je rappelle n'est point lamentable du tout; l'épisode dont j'ai à vous entretenir nous offre au contraire une leçon directe de tolérance et de support, et c'est pourquoi je l'ai choisi comme sujet de cette courte et modeste étude.
On était au mois d'août 1572. Je n'ai pas à m'étendre ici sur les tristes événements de cette époque si troublée, ni sur les circonstances qui les ont précédés. Je prends les faits dans leur simplicité objectivement historique. Sur l'ordre d'un Conseil secret, inspiré par la Reine-mère Catherine de Médicis, avec l'assentiment de son fils Charles IX, une conspiration contre les protestants est organisée dans Paris. Le dimanche 24 août, jour de la Saint-Barthélémy, voit se produire et se renouveler les scènes les plus douloureuses. Coligny est la première victime ; puis c'est le tour des familiers du Prince de Condé et du Roi de Navarre ; enfin, dans les divers quartiers, l'œuvre sanglante se poursuit et fait de cette effrayante journée l'une de ces dates sinistres que l'on voudrait pouvoir effacer de l'histoire.
Mais, de Paris, la fureur meurtrière gagne aussi la province : à Rouen, à Toulouse, à Troyes, à Meaux, à Bourges, à Lyon, à Bordeaux, les victimes sont en grand nombre. Le chiffre n'en est pas établi d'une façon sûre ; d'aucuns ont parlé de 100000, mais c'est probablement une exagération. Les historiens les plus autorisés s'accordent pour admettre une moyenne de 30000 morts, dont 6000 pour Paris seul.
Disons pourtant, Messieurs, à l'honneur de l'humanité, et j'ai hâte, suivant le principe que j'ai posé, de fuir les souvenirs pénibles pour m'attacher aux faits plus consolants, disons qu'à Paris même, sous les yeux de la Cour, quelques refus d'obéissance à de telles injonctions sont dignes de rester consignés dans l'histoire, et ajoutons que dans certaines villes de province l'ordre venu d'en haut ne fut pas appliqué. C'est ainsi qu'à Valence, Claude Savoie de Tende, qui commandait le Dauphiné, répondit à Boniface de la Molle, quand celui-ci vint lui signifier les instructions du Conseil secret : « De tels ordres ne peuvent émaner de Sa Majesté et n'ont pu être imaginés que par les ennemis du trône et de la tranquillité publique. ». Saint-Héran, en Auvergne, et Charny, à Dijon, imitèrent ce refus généreux. À Mâcon, le gouverneur de. La Guiche, pour sauver ceux qui étaient menacés, les fit mettre dans une prison, où, sous la garde spéciale, ils se trouvèrent en lieu de sûreté. En nous réjouissant d'une énumération, longue par elle-même, mais hélas ! encore trop courte, citons aussi et honorons, pour leur résistance héroïque aux ordonnances meurtrières, Sinagues à Dieppe, le Comte de Garces en Provence, le président Jeannin à Grenoble, Rieux à Narbonne, Curzal à Angers, Bouillé en Bretagne, l'Évêque Hennuyer à Lisieux, le Maréchal de Matignon à Alençon, tous les Montmorencys dans leurs domaines. Salignac-Fénelon, ambassadeur de France à Londres, quoique sous la menace d'un châtiment sévère, refusa de justifier la Saint-Barthélemy auprès de la reine Élisabeth et répondit à Charles IX : « Sire, je deviendrais coupable de cette terrible exécution, si je tâchais de la colorer. Votre Majesté peut s'adresser pour cela à ceux qui la lui ont conseillée. » Enfin, on connaît la réponse du Vicomte d'Orthez, gouverneur de Bayonne : « Sire, a écrivit-il au roi, j'ai communiqué les commandements de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison. Je n'y ai trouvé que bons citoyens et braves soldats, et pas un bourreau. C'est pourquoi eux et moi supplions très humblement votre Majesté de vouloir employer nos bras et nos vies en choses possibles. Quelque hasardeuses qu'elles soient, nous y mettrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang. »
Oh ! je n'ignore pas, Messieurs, qu'on a contesté quelques-unes de ces réponses honorables, la dernière en particulier, la plus célèbre aussi, celle du gouverneur de Bayonne, a été révoquée en doute. Agrippa d'Aubigné a raconté la chose ; mais l'original de la lettre ne se retrouve nulle part, et plusieurs historiens concluent à sa non-authenticité. Je n'ai pas une foi de parti pris à l'endroit de ces mots réputés historiques ; je sais qu'on doit se consoler de les voir presque tous détruits par la critique impitoyable ; mais j'ajoute qu'il faut une preuve bien sérieuse pour renoncer à des paroles qui honorent le genre humain. Or ici tout me semble faire du mot célèbre une réalité. L'ordre fut donné, c'est certain ; il ne fut pas exécuté, c'est incontestable, et la grâce que d'Aubigné accorde pour ce fait à des prisonniers de Bayonne, assez longtemps après l'évènement, laisse bien croire qu'il n'a pas imaginé, alors surtout qu'il s'agissait d'un adversaire, ce trait d'héroïque grandeur.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs de ces faits qui concernent, au point de vue qui nous occupe, certaines villes de province, il est une cité où la chose ne peut être niée ni même mise en doute, c'est la nôtre, et à l'heure où des flots de sang arrosaient le sol de la France, Nîmes, soyons en fiers, Messieurs, pour notre ville, Nîmes n'a pas connu de Saint- Barthélemy.
J'avais espéré sur ce point quelque clarté particulière des Archives du Consistoire. Or les registres dispersés après la Révocation, on a pu les retrouver tous, sauf un, sauf le second, celui précisément qui se rapporte à cette époque. Il faut donc accepter cette lacune regrettable. Mais d'autres documents subsistent, authentiques, officiels, et ils sont plus que suffisants pour réjouir nos consciences.
Y eut-il dans notre ville un ordre écrit prescrivant le massacre ? Les uns l'affirment et ajoutent que le courrier qui le portait arriva dans nos murs le vendredi soir 29 août. D'autres, et en particulier l'historien Ménard, le contestent, affirmant que ce messager avait pour mission au contraire de conseiller la modération. Ce qu'on ne petit nier, c'est que trois jours avant, le 26 août, Charles IX se présenta au Parlement pour couvrir les massacres de Paris, déclarant hautement que tout y avait été fait selon sa volonté, et l'on est bien porté à croire que des instructions analogues étaient envoyées en province. D'ailleurs, comme en tout cas l'exemple de Paris avait suffi pour déchaîner de tous côtés la fureur homicide, nous ne pouvons que saluer avec respect et admiration la conduite si noble de nos concitoyens.
En effet, Guillaume Villard, premier consul de Nîmes, Bertrand du Luc, vicaire-général de l'Évêque, et Jean de Montcalm, juge-mage, réunirent à ce moment, soit le 30 août 1572, les citoyens des deux religions, les exhortèrent à la paix et exigèrent d'eux le serment solennel de vivre en amis et en frères. Les deux partis prirent alors, de concert, des précautions pour maintenir la tranquillité dans la ville ; on en ferma l'entrée à tous les étrangers pour qu'aucun souffle du dehors ne vînt y troubler la concorde, et on laissa ouverte une porte, une seule, dont la garde fut confiée aux notables des deux cultes.
Je sais bien qu'on a pu penser, et Ménard l'insinue lui-même, que si cette décision était dictée aux gouvernants par un esprit d'humanité, elle était commandée aussi par la prudence. La lutte entre les deux partis aurait été air moins douteuse à Nîmes ; en effet, quoique à ce moment les consuls fussent catholiques, les protestants étaient peut-être les plus nombreux et les plus fortement organisés. On n'en doit pas moins honorer la sage résolution qui épargna à notre ville les tragiques horreurs d'une guerre religieuse et bénir Dieu de ce que Nîmes, attristé trop souvent par des violences réciproques, a, ce jour-là, donné l'exemple du calme, du bon sens et de la modération.
L'honneur de la journée revient, disons-le haut, l'histoire le constate, au Consul Guillaume Villard. C'est à son initiative, à son zèle et à la chaleur de ses paroles généreuses dans l'assemblée préparatoire que fut dû ce beau résultat. Ses descendants, longtemps connus parmi nous sous ce nom : de Vallongue, ont le droit d'être fiers de lui.

Un poète nîmois, Imbert, qui a vécu ici, de 1747 à 1790, a célébré ce trait si glorieux en des vers qui ne sont pas sans mérite :

Il osa (c'est de Villars qu'il s'agit).
Il osa, prodiguant sa fortune et sa vie,
Résister à son roi pour sauver sa patrie . .
Dois-je, en obéissant, déshonorer mon roi,
Dit-il ? Roi malheureux que la vengeance égare,
S'il faut être en ce jour ou rebelle ou barbare,
Dois-je au sein de ce peuple enfoncer le couteau
Et pour vivre en sujet m'ériger en bourreau ?
Non ; s'il lui faut du sang, qu'il m'envoie au supplice ;
Je serai sa victime et non pas son complice.
Plus loin :
Et quel homme eut jamais le droit d'être barbare ?
Si l'un des deux partis et s'aveugle et s'égare,
Inhumains, si ses yeux refusent de s'ouvrir,
Parlez, qui vous donna le droit de le punir ?
Plus loin enfin :
Nîmes, de ton héros conserve la mémoire ;
Villard fit ton bonheur ; il fait encor ta gloire.
Puisse son nom fameux, tant que vivra le tien,
Enfler d'un juste orgueil ton dernier citoyen !

Messieurs, le vœu du poète nîmois est loin d'être réalisé ; le nom de Guillaume Villard est peu connu ; cet homme généreux, parmi les marbres et les bronzes, légitimes, je le veux bien, mais nombreux qui nous environnent, n'a encore ni statue ni buste ; il ne donne pas même son nom à une rue ; ou s'il est une artère connue sous ce vocable, elle vise un autre Villars. N'estimerez-vous pas, comme moi, désir
able qu'un hommage public, enfin, consacre ce pieux souvenir, et que dans notre ville, si on le peut, une statue, si c'est trop, un modeste buste, ou tout au moins son nom porté par une rue nouvelle, rappelle à nos concitoyens celui qui fut, dans un moment critique, l'apôtre courageux et le noble héros de la fraternité nîmoise ?


Gustave Fabre, 1909

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III

Année du massacre de la Saint-Barthélémy.

Correspondance du roi Charles IX et du sieur de Mandelot, gouverneur de Lyon, pendant l'année 1572, époque du massacre de la Saint-Barthélémy.
Publication et préface de Paris Paulin (1800-1881), éditeur scientifique, préfacier. Date 1830.


AVANT-PROPOS

On s'occupe beaucoup en ce moment de la Saint-Barthélemy. On en recherche les causes, on en développe à plaisir les horreurs. Rien de moins surprenant: chaque siècle littéraire a sa direction particulière; le nôtre (s'il est permis à un contemporain de le juger) se distingue des précédents par une grande prévention contre les temps passés. Il sembleroit que nos annales n'offrissent qu'une collection de pages honteuses ou sanglantes , et qu'on ne pût y tomber que sur la démence de Charles VI, les massacres de Charles IX, ou les turpitudes de Henri III. Le reste est un vain songe.
Il est pourtant, assure-t-on , une petite tribu de littérateurs accusés de ne pas partager complètement ces justes préventions contre le passé, et, bien plus, de se soustraire à l'admiration légitimement due aux lumières et aux opinions actuelles du plus grand nombre. Nous espérons qu'on ne nous accusera pas de grossir les rangs de ces déserteurs de la cause présente. On s'occupe, disions-nous, de la Saint-Barthélemy, c'est à ce grand événement que se rapporte la correspondance inédite que nous publions.
Cette Saint-Barthélemy, qui de nos jours a donné naissance à plus de livres que dans le seizième siècle, est encore loin d'être connue dans tous ses détails. Bien qu'elle ait fait beaucoup méditer et surtout beaucoup raisonner, on s'est généralement peu attaché à reproduire le témoignage de ceux qui avoient pris part,
ou, du moins, assisté à cette fatale journée. Et pourtant , ces récits tels qu'ils sont, ont sur tous les autres un incontestable avantage. Vous entendez parler de Léipsig : quel est l'orateur ? un Villemain, un Chateaubriand ? Vous admirez une brillante faconde, une imagination fertile en prodiges ; voilà tout. Mais, par hasard , seroit-ce l'un de ces vieux et rudes soldats miraculeusement échappés au glaive des vainqueurs et aux flots de l'Elster ? Vos yeux alors se mouilleront ; et malgré l'inélégance de son élocution, vous vous croirez vous-même transporté devant le pont fatal, à l'instant où il s'écroule.
Voilà pourquoi nous applaudirons toujours avec peine au travail de ces écrivains qui, s'isolant de leur siècle et des évènements fameux dont ils ont été spectateurs, dirigent leurs investigations vers les temps qu'ils n'ont pas vus , et compulsent les historiens anciens dans le fol espoir de leur ravir des lecteurs. Certes, nous respectons le talent de MM. de Barante ou Sismondi : mais en parcourant leurs compositions historiques, nous nous imaginons involontairement qu'ils ont dit à nos vieux chroniqueurs : « Taisez-vous, Joinville, Froissard ou Comines, nous savons mieux que vous comment les choses se sont passées. »
Ces paroles, nous ne les avons pas adressées au roi Charles IX et au sieur de Mandelot. Pour la première fois, nous publions la partie de leur correspondance qui se rapporte à la journée du 24 août 1572. Ces lettres étoient destinées à rester secrètes ; c'est là ce qui rend leur témoignage infiniment précieux. Sans doute, jusque dans ces aveux, et dans ces instructions confidentielles, on retrouvera encore je ne sais quelle hypocrite retenue ; mais il ne faut pas oublier qui les écrivit, et quel forfait il s'agissoit de préparer, de consommer et de mettre à profit. Dans de semblables affaires, on s'entend toujours à demi-mot, et il n'est donné qu'aux intentions loyales et pures de s'exprimer sans réticence.
Cependant, s'ils ne disent pas tout, ces deux grands coupables en révèlent encore assez pour mettre au jour plusieurs fils de la trame que l'un préparoit, et dont l'autre servit l'exécution. Des écrivains ont naguères prétendu que la Saint-Barthélemy n'étoit pas le résultat d'un plan prémédité ; les instructions verbales du Roi à ses gouverneurs, ses lettres même, attesteront à la postérité le contraire ; Habemus confitentem reum.
On a prétendu encore que le massacre ne fut résolu que dans le conseil secret du 23 août. Cette correspondance va détruire ces conjectures. Le jour du massacre étoit arrêté dix jours au moins auparavant.
Une autre circonstance que ces lettres rendent incontestable, et que, de tous nos historiens , de Thou seul avoit mentionnée sous l'apparence du doute, c'est que la tête de l'amiral Coligny fut coupée, soigneusement enveloppée et transportée à Rome par l'écuyer du duc de Guise. Vouloit-on la présenter en offrande au pape, ou seulement au cardinal de Lorraine ? à ce dernier sans doute. Mandelot ni le Roi ne s'en expliquent.
Ajoutons à ces nouvelles lumières un motif de l'extermination générale des protestants, jusqu'alors non entrevu ; motif tellement honteux qu'on est tenté de ne pas y croire. En donnant l'ordre du massacre, Catherine de Médicis et son fils pensèrent aux avantages qu'en tireroit nécessairement le trésor. Un grand nombre de calvinistes étoient fort riches : moins opulents, peut-être leurs jours eussent-ils été respectés.
Mais ce qui, surtout, frappera le lecteur en suivant les détails de cette correspondance, c'est l'infidélité des couleurs sous lesquelles Mandelot a, jusqu'à présent, été peint par nos divers historiens. Mézeray, Daniel, Garnier, Anquetil et M. Lacretelle, tous ont fait de ce gouverneur de Lyon un héros, l'égal du vicomte d'Orthès. Ils l'ont montré se refusant aux volontés sanguinaires de la cour, arrêtant le bras des assassins, et méritant de vivre à jamais dans le souvenir des amis de l'humanité. Pourquoi faut-il que tant de vertus soient imaginaires !
François de Mandelot auroit obtenu une place dans nos Biographies prétendues universelles, s'il eût occupé dans les annales de l'Arabie le même rang que dans les fastes de notre pays. Il naquit à Paris en 1529. Son père, Georges de Mandelot, seigneur de Passy, le destina à la profession des armes; et, 'fort jeune encore , il dut aux sollicitations et à l'amitié du duc de Nemours, le titre de gentilhomme de la chambre du Roi. Choisi par son protecteur pour remplir l'office de lieutenant dans sa compagnie de gens-d'armes, il se distingua par sa bravoure, son sang-froid et ses talents militaires, au siège de Metz, à la prise de Thionville, et en 1555 dans la campagne d'Italie. Le besoin qu'on avoit des plus habiles gens de guerre, au milieu des dissensions intestines, le fit bientôt rappeler en France. Mandelot ne cessa de demeurer attaché à la fortune du duc de Nemours, jusqu'au moment où ce dernier donna sa démission du titre de gouverneur du Lyonnois. Il lui succéda dans cette place importante, le 17 février 1571. Les lettres que nous publions, et les notes que nous avons cru y devoir joindre, éclairciront assez sa conduite pendant l'année suivante. Le reste de sa vie ne fut qu'un combat continuel contre les réformés. Il mourut le 24 novembre 1588, regretté de ses administrés, et emportant avec lui la réputation d'un homme également habile dans le conseil et sur le champ de bataille. Mais la postérité doit lui reprocher un crime qui n'en étoit pas un aux yeux de ses contemporains catholiques : il prit une part très active à la Saint-Barthélemy. Ce fait suffiroit pour flétrir une plus haute gloire que la sienne.
Le volume dont nous avons extrait ces lettres est conservé à la Bibliothèque du Roi, parmi les manuscrits du fonds Lancelot, sous le n° 39. Il contient la correspondance du gouverneur de Lyon, depuis 1571 jusqu'en 1587, avec les deux rois Charles IX et Henri III, avec Catherine de Médicis, et plusieurs grands personnages de la même époque. Peut-être mériteroit-il d'être livré à l'impression dans toute son intégrité ; mais ce seroit à la ville de Lyon à s'occuper d'une publication aussi considérable. C'est, en effet, pour son histoire qu'elle présenteroit une importance réelle.

Paulin Paris, 1er janvier 1830.

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