Notice
sur la foire de Beaucaire
par M. Hector Rivoire Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1842-43-44 La ville de Beaucaire dépendait autrefois de la Provence ; Raymond Béranger, premier de ce nom , comte de Provence , la céda à Alphonse, surnommé Jourdain, comte de Toulouse, par acte passé le 15 décembre 1125. Pendant la guerre des Albigeois, cette ville parut fort attachée aux intérêts de Raymond VI, comte de Toulouse. C'est pour la récompenser de son zèle que ce prince y établit une foire, par lettres patentes du 12 avril 1217 , par lesquelles il ordonne qu'elle serait tenue, tous les ans, le 22 juillet et les trois jours suivants. Raymond le jeune, fils de Raymond VI, confirma l'existence de cette foire et les privilèges que son père y avait attachés. Il parait qu'avant cette institution légale de Raymond VI, il existait à Beaucaire un marché très important à la même époque. Il en est parlé pour la première fois dans un acte portant la date de 1168. Comme de nos jours, une grande affluence de négociants de toute nation se rendait à cette foire pour y faire des achats, des trocs ou des ventes. - Cette foire commençait, toutes les années, le 22 juillet, jour de la Ste. Madelaine. Quoique sa tenue ordinaire ne fût alors que de trois jours, sans y comprendre les dimanches et les fêtes, elle durait ordinairement sept à huit jours. Les marchandises qui s'y vendaient pendant ce temps-là, et qui en sortaient pour les pays étrangers, étaient exemptes des anciens droits forains et du droit appelé St-André. Sous le roi de France Charles VIII , la province du Languedoc ayant été réunie à la couronne, ce roi après la mort de Louis XI, son père, qui eut lieu en 1483, confirma les anciens privilèges de la foire de Beaucaire, et y ajouta un nouveau privilège, en ordonnant que les fêtes qui se rencontreraient après le 22 juillet, ne seraient point jours utiles, et que toutes les marchandises qui sortiraient de cette foire seraient affranchies de tout droit. Pendant l'année 1539 , le fermier des droits appelés reve et haut passage, qu'on levait alors en Languedoc, et qui ont été depuis réunis aux droits forains, entreprit d'y assujettir les marchandises qui sortaient de la foire de Beaucaire. Il fut débouté de sa prétention par une sentence de la Chambre du domaine, qui fut confirmée par un arrêt du Conseil, en 1560. - Les privilèges de cette foire furent confirmés, la même année, par lettres -patentes du roi François II. Une autre tentative, faite par le fermier en 1604, eut un résultat plus heureux. Il prétendit assujettir au cinquième denier des anciens droits forains, les marchandises et les denrées sortant de cette foire, comme l'étaient celles qui sortaient des foires de Lyon. - Les consuls de Beaucaire s'opposèrent d'abord à cette mesure ; mais ils se désistèrent de leur opposition, lorsque le fermier leur eut accordé la franchise annuelle de sortie d'une certaine quantité de blé et de vin. - Cette prétention du fermier fut confirmée par un arrêt du Conseil, en 1605. Louis XIII, en confirmant les privilèges de la foire de Beaucaire, déchargea les marchandises de ce droit, et, par arrêt du 24 mars 1611, il le réduisit, par forme d'abonnement, à 1 500 livres par an, payables au fermier par les marchands. - La même année, ce roi défendit, par un autre arrêt, de faire des entrepôts de marchandises à Beaucaire, avant les quinze jours qui précédaient l'ouverture de la foire. Il ordonna qu'il n'y aurait que les marchandises débitées, vendues ou échangées pendant cette foire, qui pourraient jouir de la franchise. Cet arrêt fut confirmé sous le règne de Louis XIV, par l'article 293 du bail passé à Versailles , le 18 mars 1687, à Pierre Domergue, adjudicataire général des fermes de Sa Majesté. Le fermier prétendit encore, quelque temps après l'abonnement de 1 500 livres, en 1611, dont j'ai déjà parlé, que la fête de Ste. Anne, qui se trouve après le 22 juillet, serait comptée pour jour util ; mais il fut débouté par arrêt de 1615. Le droit d'abonnement de 1 500 livres subsista jusqu'en 1634. Le roi Louis XIII, qui l'avait établi, en déchargea les consuls, marchands et habitants de Beaucaire ; mais, par le même édit, il ordonna qu'on payerait, pour les marchandises sortant de la foire, la réappréciation des anciens droits forains portés par l'édit de Béziers de 1632, aussi bien que les droits locaux, domaniaux, et tous les autres droits, lorsque les marchandises passeraient par des localités où ils seraient dus. Par l'article 292 du bail de Pierre Domergue, il était expressément stipulé, que les marchands et les négociants jouiraient du droit forain de 1542, seulement pour les marchandises et les denrées qu'on aurait déballées et exposées en vente pendant la foire, dans les places et dans les magasins. Depuis cette époque, on fit payer la réappréciation pour les marchandises allant en pays étrangers ou dans certaines parties de la France. Un fit aussi payer les droits domaniaux avec leur augmentation ; les marchandises et les denrées sujettes à ces droits étaient : les bestiaux, les grains, les légumes, les toiles et les vins. La réappréciation dont je viens de parler, et que l'on percevait sur les marchandises qui y étaient sujettes en sortant de la foire, était une augmentation du droit forain de certaines marchandises évaluées à un trop bas prix dans l'ancien tarif de la foraine. Cette réappréciation les rapprochait, il est vrai, de leur juste valeur, mais augmentait les droits en proportion. La ville de Beaucaire était, autrefois, en usage de donner un mouton, un tonneau de vin et un sac de pain au patron de la première barque qui y arrivait chargé de marchandises pour la foire ; l'usage de donner un mouton s'est conservé, et la ville de Beaucaire, représentée par la personne de son maire, offre cette récompense au premier bateau chargé de marchandises qui vient s'installer pour la foire. La publication de la foire se faisait autrefois, comme aujourd'hui, le soir du 21 juillet, veille de la Madeleine. Les consuls, en habit de cérémonie, se portaient sur toutes les places publiques, ainsi que sur les bords du Rhône, et y faisaient publier, à son de trompe, l'ouverture de la foire pour le même jour à minuit. La franchise commençait dès que minuit sonnait, et l'on pouvait alors commencer à débarquer les marchandises. Le dernier jour de la foire , les consuls de Beaucaire allaient encore en cérémonie sur toutes les places et sur les bords du Rhône, pour y faire publier, à son de trompe, la clôture de la foire et de sa franchise, à minuit du même jour. Cette foire se tenait jadis dans l'enceinte de la ville ; mais, sa réputation s'étant bientôt accrue, on l'étendit jusque dans la campagne, à l'extérieur de la ville, et sur les bords du Rhône. Au commencement de la révolution de 1789, la crise politique porta un préjudice réel aux opérations commerciales de la foire de Beaucaire. Les années 1790 et 1791 se présentèrent sous de fâcheux auspices ; les négociants étaient encore en suspens, et ne se hasardaient qu'avec crainte à faire transporter leurs marchandises dans cette ville. Les importations étrangères, surtout celles d'Italie et d'Espagne, diminuèrent sensiblement, et le mouvement commercial ne commença qu'au milieu des craintes et de la défiance. Cette hésitation s'est, du reste, faite remarquer à chaque époque fertile en événements politiques ; la paix a été seule, de tous les temps, la plus puissante garantie de la prospérité de ce grand marché. Ainsi que par le passé, les chargements des bâtiments Catalans, consistent, aujourd'hui, en barils d'anchois et de sardines, en lièges, en planches ou en bouchons, en vins, en citrons et en oranges, venant des iles Baléares. - Les chargements venus d'Italie se composent de riz, de citrons, de balais, d'oranges, de confitures, de vermicelles, d'huiles, d'objets de mercerie, de parfumerie et de quelques étoffes. -- A ces importations , on peut joindre les marchandises de l'Allemagne et de la Suisse, qui descendent le Rhône, comme les marchands lyonnais, bourguignons , etc. , etc., et viennent débarquer, sur la rive droite du grand fleuve, les marchandises servant à alimenter la foire. En remontant le Rhône à son embouchure, les commerçants du Levant se joignent aux navires espagnols et italiens, parcourent une distance de 45 kilomètres environ, qui sépare Beaucaire de la Méditerranée, et apportent dans ce marché les ouvrages et les productions de leurs pays. D'un autre côté, le canal d'Aigues-Mortes facilite les transports qu'un encombrement à l'embouchure du Rhône rendait difficile. Tous ces moyens de communication font de cette foire une des plus remarquables de l'Europe. Les soies qu'on vend à Beaucaire subissent assez fréquemment une grande variété dans les prix ; les doupions, les bobines, les belles croisées et les soies fines, sont les qualités qui s'y vendent plus couramment. Les soieries, telles que foulards et autres tissus , gants , etc. supportent difficilement, à Beaucaire, la concurrence de la fabrique de Lyon ; il faut attribuer à cette lutte la baisse assez régulière qu'éprouvent ces articles pendant toute la durée de la foire. Le même inconvénient se reproduit pour la fabrication et la vente des châles, qui formaient, il y a quelques années, la branche la plus importante des ventes de la foire, avec les robes, les fichus et les petits châles de mode. - L'article des châles a repris cependant, depuis peu de temps, une nouvelle importance qui semble lui promettre un grand développement pour l'avenir. Les draps de Bédarieux, de Chalabre, de Carcassonne ; les toiles de Grenoble, de Voiron, etc. , se placent avantageusement pendant cette foire. Les toiles peintes, les tissus de coton, les calicots, les indiennes, la bonneterie, le chanvre, les objets de mercerie, de quincaillerie et de mégisserie, forment, chacun dans sa partie, un commerce avantageux, et viennent augmenter la profusion de toute espèce de marchandises qu'on rencontre tous les ans à Beaucaire. Les fers, tels que poterie de fer, fontes, clouterie, y ont un débit assez régulier ; il n'en est pas ainsi des vins et des huiles, de la verrerie et de la droguerie, qui s'y vendent avec difficulté. Les savons et les sucres, la bijouterie, l'horlogerie, les salaisons en tous genres, et les bois de service, sont aussi dans le nombre des différentes espèces d'industrie qui viennent prêter leur concours aux vastes et rapides opérations qui ont lieu annuellement pendant cette foire remarquable. Au milieu de ce grand mouvement industriel, se placent à leur tour, et indifféremment, dans tous les quartiers de la ville, les établissements ouverts à la curiosité au au délassement. Les cafés, les restaurants et les spectacles bruyants qu'attire toute foire un peu importante, se trouvent réunis à Beaucaire ; la belle promenade, connue sous le nom de Pré, est toujours le lieu où viennent se grouper de préférence ces divers établissements. Un bail à loyer, dont la durée est ordinairement de six années, est proposé périodiquement, par le Conseil municipal de Beaucaire, aux adjudicataires qui se présentent pour obtenir l'autorisation de construire des baraques ou des échoppes sur la prairie, plus généralement connue, ainsi que je viens de le dire, sous le nom de Pré. Le cahier des charges de ces adjudications s'étend aussi aux autres lieux où les constructions peuvent être autorisées. Le haut commerce et les industries autres que celles qui portent sur les objets de consommation, la quincaillerie, la parfumerie, etc., s'installent dans l'intérieur de la ville, d'après un plan proposé par l'autorité municipale. Depuis un temps immémorial, une décharge est accordée aux fermiers des baraques ou échoppes du champ de foire, pour cause d'inondation extraordinaire du Rhône, qui longe cette partie de la prairie. - La peste, la famine, les troubles politiques, les incendies, et autres accidents imprévus qui peuvent s'opposer à la prise de possession des baraques et à la vente absolue des marchandises, déchargent aussi le fermier du paiement du loyer, et prolongent son bail pour autant d'années que la jouissance en a été interrompue. Ces clauses, qui figurent au cahier des charges chaque fois qu'on renouvelle les adjudications, sont rarement mises en vigueur. L'histoire ne rapporte qu'un seul fait remarquable au sujet de la suspension entière de cette foire ; la date de ce fait remonte à l'année 1720, pendant la dernière invasion de la peste à Marseille. Le mois de juillet fut, de tout temps, l'époque choisie pour la tenue de la foire de Beaucaire, dont la durée, avant le 7 janvier 1807, n'était due de trois jours. Depuis lors, elle a été portée à sept jours, et s'ouvre le 22 juillet de chaque année, ce qui lui a fait donner le nom de Foire de la Madeleine. Il serait difficile d'établir d'une manière exacte le chiffre des opérations commerciales qui se traitent pendant le cours de la foire de Beaucaire. Toutefois, j'ai cru pouvoir résumer, pour un article qui occupe nécessairement le premier rang, la vente des tissus pour l'exportation, le résultat des opérations de la foire pendant les années 1841 et 1842. En 1841, la vente des tissus de toute nature faites à l'étranger, a donné un chiffre de 1 215 409, 89 fr. En 1842, les mêmes articles ont produit une somme de 1 441 147, 50 fr. Excédant en faveur de cet article, ci 225 737, 61 fr. Ces renseignements, qui ont été obtenus à l'aide de la connaissance exacte des transcriptions des certificats d'origine, paraissent présenter un caractère d'authenticité qui ne peut être sérieusement contesté. - L'appréciation des prix de vente des nombreux objets qui sont apportés dans ce grand marché, nécessiterait des développements dont l'étendue ne pourrait prendre place dans cet aperçu. D'un autre côté, ayant à opérer sur un objet qui n'offre aucune certitude, je craindrais de présenter un travail inexact et incomplet. Je termine, Messieurs , en mettant sous vos yeux un état du mouvement du port de Beaucaire pendant l'année 1842. 52 navires, dont 2 Génois, 5 Sardes, 1 Espagnol et 1 Corse, sont venus prendre place dans le port de Beaucaire, dans le cours de la foire en 1842. -oOo-
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