Les Arènes de Nîmes
par
M. le chanoine François DURAND
Séance publique de l’Académie de Nîmes, du 23 mai 1907

MESSIEURS,
Il y a quelques années, sous la coupole de l'Académie française, un de nos immortels grand voyageur à travers le monde, disait dans son discours de réception :
« Par une nuit claire et bleue des pays tropicaux, pendant que les dix-sept étoiles de la croix du Sud éclataient à l'horizon, je dressai l'oreille à un bruit imperceptible, qui passait sur le désert. C'était plus qu'un soupir, n'était-ce pas le vent qui murmurait en frôlant les sables ? Le Nubien qui me servait de guide me dit alors : Écoute le désert, entends-tu comme il pleure ? Il se lamente, parce qu'il voudrait être une prairie. »
L'archéologie ressemble beaucoup, par son aridité, au désert parsemé çà et là de ruines fantastiques. Comme celui du Nubien, le désert de l'archéologue voudrait être, ce soir, une prairie, mais une prairie littéraire aux mille fleurs, comme celles que des mains, prodigues parce que riches, sont coutumières d'apporter aux séances de l'Académie de Nîmes.
Nous nous arrêterons ce soir à quelques détails de nos arènes, cet amphithéâtre incomparable, non pas par le plan, qui ressemble à tant d'autres, mais par ses organes principaux, assez complets pour en permettre la presque entière reconstitution. Nous allons étudier brièvement :
1° Le sentiment religieux dans le plan des arènes
2° L'orientation de l'amphithéâtre
3° Le balcon d'honneur
4° Les jeux nautiques.

I
Le sentiment religieux dans le plan des arènes.

Nous savons aujourd'hui, avec pièces à l'appui de notre dire, que le monde gréco-romain « était tourmenté de besoins religieux non satisfaits. » C'est un article de la Revue de l'histoire des Religions, qui le constate (*) une fois de plus.

(*) Numéro de mai-juin 1904, p. 394. (Article signé : Schœl)

Ce besoin religieux se manifestait en mille pratiques, mais l'usage courant des nombres sacrés en constituait une preuve quotidienne et durable.
Faut-il nous en étonner, nous qui rencontrons si nombreux des gens instruits et courageux par ailleurs, incapables cependant de dormir tranquilles, s'ils dînaient treize à table ?
Donc, les architectes romains, d'accord avec les architectes de tous les pays, avant le christianisme, ont tenu un compte rigoureux de la puissance des nombres. Avec un de nos plus savants prédécesseurs à l'Académie de Nîmes, M. Aurès (*), nous distinguons trois sortes de nombres réputés capables de produire d'excellents effets de protection sur les hommes.

(*) Voir en particulier : Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1891, page 7

Par ordre d'excellence, le nombre parfait doit être nommé le premier. On appelle ainsi les nombres dont les diviseurs additionnés fournissent un total identique au nombre lui-même. Six est le premier nombre parfait, ses diviseurs 1, 2, 3 additionnés produisent la somme de six, qui est le nombre lui-même. Vint.-huit est le second nombre parfait, ses diviseurs 1, 2, 4, 7, 14 additionnés égalent vingt-huit, qui est le nombre lui-même. Ces nombres sont peu fréquents, le troisième nombre parfait atteint la somme de 496. Ils sont rares. Or ce qui est rare est précieux.
La deuxième espèce de nombre puissant était celle des nombres carrés, obtenus en multipliant un chiffre par lui-même.
Le troisième nombre capable d'exercer un pouvoir divin sur les hommes et les choses, aux yeux des anciens, était le nombre impair, par la raison que l'unité divise ce nombre en deux parties égales. Cinq hommes placés en ligne droite nous montrent l'unité médiane, le troisième flanqué de deux acolytes, qui lui font une place d'honneur.
Les nombres pairs demeurent sans valeurs, ils sont incapables de former une place dominante, puisque, divisés en deux parties égales, ils ne laissent au milieu que le néant (*).

(*) Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1863 : Étude sur les dimensions de la Maison Carrée (métrologie).
- Études épigraphiques sur l'architecture grecque, par Auguste Choisy, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Paris 1884.
- F. Chapelle: Les nombres triangulaires, 1899, in-8°,

Cela dit, trouvons-nous aux arènes de Nîmes l'application de cette croyance à la vertu de certains nombres ? Nous répondons affirmativement. Essayons de fournir les preuves.
Tout le monde sait que les anciens sculpteurs et les peintres mesuraient le corps humain par la longueur de la tête. Une statue pour être belle devait comprendre en hauteur de sept à huit longueurs de tête. Cette mesure était donc le module de l'œuvre sculpturale ou picturale.
Un monument ressemble à un corps humain en ce qu'il exige, pour être beau, une série de proportions. La règle, l'unité, le module de ces proportions variait suivant la nature du monument, puisqu'il était réellement incorporé dans une de ses parties. Aux arènes de Nîmes le module qui a servi à établir les autres proportions, c'est la dimension verticale de l'assise supérieure, par conséquent de l'assise qui est comme la tète de ce corps monumental de maçonnerie. Or ces pierres de couronnement mesurent en hauteur exactement vingt-huit onces romaines.
Ce module, d'après lequel tout l'amphithéâtre a été bâti, a donc été établi sur le nombre parfait vingt-huit, lequel placé au sommet du monument le protège comme la tète protège le corps humain.
Le nombre des arceaux destinés aux vingt-quatre mille spectateurs, lui aussi semble avoir été calculé dans un but religieux. La porte d'honneur, celle dont la travée se distingue à son sommet par un fronton triangulaire et des taureaux émergeant à mi-corps, se trouve exactement au milieu de vingt-huit arceaux. La porte de malheur, celle qui, comme la porte d'honneur, communique avec l'arène, et lui fait face, cette porte maudite par où on sortait les morts, se trouve aussi au milieu de vingt-huit arceaux destinés au public. Ce nombre divin étendait ainsi sa protection et du haut de la façade qu'il dominait, par l'assise supérieure de vingt-huit onces, et dans toute la largeur des deux façades par deux fois vingt-huit arceaux affectés aux spectateurs (*).

(*) Nous laissons les portes de service (aux extrémités du grand axe) à part : chacune d'elle, constituait une unité distincte, comme les partis de gladiateurs.

Le module de vingt-huit onces, nombre parfait, existe trente-et-une fois, dans la hauteur totale de la façade des arènes. C'est un nombre impair.
Dans les autres dimensions, les nombres carrés sont fréquents. Citons seulement l'ordre supérieur des colonnes du premier étage; théoriquement il devrait atteindre trente-six pieds plus deux onces ; l'architecte a triché, il n'a pas tenu compte des deux onces pour faire triompher le nombre carré de 6, c'est-à-dire 36 pieds.
Le nombre treize est sans contredit celui qui a reçu le plus d'honneur dans la construction des arènes. Nous le trouvons dix-sept fois employé avec des multiples différents, dans les proportions principales (*) de ce monument.

(*) Voir ; Nîmes gallo-romain, Bazin, 1891, page 103.

L'exemple le plus frappant est celui de l'intervalle compris entre les deux courbes (intérieure et extérieure) qui dessinent la forme elliptique, et enserrent, pour ainsi dire, dans leur protection, l'immense majorité (*) des spectateurs.

(*) Nous ne disons pas la totalité, car l'ellipse primitive, tracée sur le sol, se trouve sur la ligne du mur qui sépare la première zone (4 gradins) de la deuxième.

Cet intervalle qui embrasse tant de gradins mesure exactement sept fois treize pieds. Tous ces rapports seraient-ils l'effet du hasard ? Les mêmes faits sont constatés dans un grand nombre de monuments. Le hasard ne connaît pas cette constance dans des conjonctures si diverses et si nombreuses. Autant vaudrait de dire que ce hasard nous a fait régler par le système duodécimal les cadrans des horloges publiques ou privées, tandis que nous établissons la plupart des mesures courantes sur le système décimal.
Qu'il nous soit donc permis de conclure : le sentiment, qui a présidé à la répartition des mesures dans la construction des arènes de Nîmes, est un sentiment religieux. Sa base fut d'abord la croyance populaire, puis plus tard la philosophie pythagoricienne ; Virgile en a enseigné l'axiome principal dans sa huitième églogue (*), quand il fait dire à Alphésibée :
« D'abord je ceins ton image de trois lisières de trois couleurs différentes, puis je la promène autour de cet autel par trois fois... . fais trois nœuds Amaryllis, à ces bandes de trois couleurs, fais trois nœuds et dis en les fesant : ce sont les nœuds de la déesse ». Et le poète a soin de nous en fournir le motif : Le nombre impair est agréable à la Divinité, numero Deus impare gaudet »

(*)Virgile. Eglogue VIII, vers 73.

Il
L'orientation des arènes

Dans son étude si importante sur nos arènes, Grangent, dès 1819, dit (page 39) que les quatre portes principales, qui s'ouvrent aux extrémités des axes du monument, « sont dans la direction des quatre points cardinaux ». Cette affirmation a fait école : le plus grand nombre des plans de Nîmes, répandus dans le public, portaient, jusqu'à ces derniers temps, l'indication des quatre points cardinaux, aux quatre extrémités des deux axes, ce qui servait d'orientation à la carte. Depuis quelques années on s'est aperçu de l'erreur, et on l'a corrigée. Car c'est une erreur de croire que l'architecte a voulu orienter son monument. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à remarquer la direction de l'ombre solaire.
Si les arènes étaient orientées par les deux axes tournés vers les quatre points cardinaux, à midi, la direction de l'ombre solaire se confondrait avec l'axe de la porte d'honneur, au nord, celle que surmonte un fronton triangulaire. Or il n'en est rien ; l'ombre des pieds-droits du monument s'en va dans la direction des arceaux voisins de la rue de la Violette. Que si, discutant sur le manque de précision des rayons solaires, on préfère la direction de l'étoile Polaire, rien n'est plus facile que de se rendre compte d'une pareille indication.
Ce sera un double plaisir, poétique et intellectuel. Plaisir poétique d'abord ; vous n'entrerez point sans un frisson de crainte profonde ou même de saisissement subit, dans ces ruines géantes que décuplent le silence du soir, les lumières ambiantes du boulevard et surtout l'immense velum du ciel.
Puis, vous monterez à travers le dédale des escaliers renouvelés, des piliers ébréchés par les morsures du temps et les injures des hommes. Il vous semblera alors, qu'au sein des ombres dures des rayons lunaires, quelques plaintes s'ébauchent, comme si, revenant chaque nuit, les morts essayaient de revivre les vieux souvenirs dans ce cadre mystérieux, où leur jeunesse a jadis rayonné d'un si brillant éclat.
Enfin parvenus au sommet de l'attique, vous chercherez en vain l'étoile Polaire sur la ligne faîtière du fronton aux taureaux. Il vous faudra marcher quelques pas, jusqu'à ce que sous vos pieds s'ouvrent les arceaux voisins des deux rues déjà indiquées, celle des Arènes et celle de la Violette.
Mais, puisque les arènes ne sont pas orientées, quelle est la raison pratique de leur disposition ? A cette question la réponse est facile.
A l'époque gallo-romaine, l'amphithéâtre était comme le clou géant d'un immense éventail, dont les murs de la cité nîmoise formaient la bordure vaguement triangulaire, sur une étendue d'un peu plus de six kilomètres (6.032 mètres). En effet, du balcon d'honneur de la porte des taureaux au fronton décoratif, ainsi que du promenoir du premier étage, qui avoisinait ce balcon, l'œil contemplait avec plaisir les sept collines légendaires où la ville romaine avait étagé ses maisons.
Cette situation de l’amphithéâtre, placé à l'extrémité inférieure du triangle formé par les remparts romains, a motivé la disposition des axes du monument et le choix de la place à donner à la porte d'honneur. C'est la seule que dominaient un balcon en forte saillie, et au sommet de la travée un fronton triangulaire porté par deux taureaux émergeant à mi-corps. C'était l'entrée réservée aux grands dignitaires de la cité nîmoise, seule elle permettait aux spectateurs de choix de communiquer directement avec l'arène.
Cette porte d'honneur et les vingt-huit arceaux qu'elle partage en deux sections, étaient visibles de presque toute la ville alors rejetée sur les pentes de Montaury (*), de Combret ou Canteduc, de la Tourmagne, des Trois-Fontaines et du Mont-Duplan. Un très grand nombre de maisons pouvaient ainsi de leurs terrasses ou de leurs fenêtres apercevoir l'amphithéâtre, qui s'élevait au loin, dans toute la majesté de ses proportions, au milieu des jardins ou des prés, sur l'ombre du rempart qui lui servait d'écran gigantesque.

(*) Voir le travail du docteur Elie Mazot : La fin d'une légende (Revue du Midi, août 1900).

Concluons donc avec certitude, que la disposition des arènes de Nîmes n'a pas été dictée par l'idée de l'orientation aux quatre points cardinaux, mais qu'elle a été réglée par son emplacement en regard des collines de l'antique Nemausus, auxquelles l'amphithéâtre présentait son grand axe, sa seule façade, coupée harmonieusement et rehaussée, en son milieu, par la travée de la porte d'honneur.

III
Le balcon d'honneur

Au-dessous du fronton triangulaire que semblent aider à soutenir deux taureaux, aujourd'hui entièrement noircis par les siècles seuls, et non point comme on le dit quelquefois, par le feu des soldats de Charles Martel, se trouve le balcon d'honneur (*) ; c'est là que, faisant face à la ville, les plus hauts dignitaires venaient s'isoler, en quittant la galerie du premier étage, et respirer à l'ombre l'air pur du Nord.

(*) Ce balcon avait comme appui, non pas une grille, mais un parapet orné.

Mais, direz-vous, comment établir l'existence de ce balcon d'honneur ? La chose ne me paraît pas douteuse. Déjà Ménard, au dix-huitième siècle, avait remarqué (*), « sur le côté des jambages de cet arcade, dit-il, en dedans de l'édifice, une entaille légère, qui commence à la hauteur de la ceinture et règne jusqu'au sommet de l'arcade ».

(*) Ménard — Histoire de Nîmes : volume VII, page 6 de la grande édition (1758).

Cette entaille légère n'est pas autre qu'une entaille d'amorce pour retenir une cloison, formée par plusieurs dalles d'environ 4,50m dans la hauteur. Nous trouvons les mêmes entailles aux parapets de cette même galerie du premier étage.
Ménard voit dans cette entaille, en raison de son évasement dans l'extrémité supérieure, un plan d'attache pour une colonne de bronze. Or cet évasement terminal ressemble à l'évasement en courbe douce qui forme l'appui du parapet. Il y a donc une parenté entre ces deux parties de la construction. Elle consiste en ce que le petit mur, ou mieux la cloison formée par les dalles qui venaient se souder aux pieds-droits de la galerie, constituait le fond du balcon d'honneur tandis que le parapet en était le devant. Entre l'un et l'autre l'espace libre est de 1,55m. La largeur moyenne à l'arcade étant de 3,55m, ce balcon d'honneur comptait donc cinq mètres 50 décimètres carrés, soit la place pour dix personnes.
Il faut remarquer que, pour obtenir cette surface sans déborder sur la galerie, l'architecte a porté très en avant le parapet de cette unique arcade. L'entaille d'attache de ce dernier en fait foi. Tandis que les autres parapets sont établis en deçà de la ligne de contact des colonnes extérieures, celui-ci seul est avancé bien au-delà de cette ligne des colonnes, de manière à permettre aux personnages de surplomber sans effort sur la corniche du rez-de-chaussée, et de voir jusqu'au pied de la façade, ce qui est absolument impossible aux autres arcades. Une simple visite à la porte d'honneur suffit pour se rendre compte de cette affirmation. Les deux départs des parapets sont en place et font corps avec le piédestal de chaque colonne, de plus l'encorbellement du balcon était supporté par deux consoles, aujourd'hui effritées, et où certains ont cru voir des taureaux semblables à ceux du fronton, à l'étage supérieur.
On pourra objecter, avec Ménard, que les entailles en question ont servi à amorcer deux colonnes décoratives, en marbre ou en bronze. A cela nous répondons que les entailles s'arrêtent à la hauteur de la console, qui porte le grand linteau du promenoir, et qu'alors la colonne ne descendant pas jusqu'à terre n'aurait pu tenir qu'au moyen de crampons , suivant la pratique commune des artistes romains. Or le mur intact ne porte aucune marque de scellement. Donc une décoration isolée n'a pas occupé cette place, seule une cloison remplissant toute la largeur de l'arcade (sauf, bien entendu, la porte dans son milieu) pouvait venir buter sur les pieds-droits, et y tenir solidement, grâce à une coulée de ciment, introduite dans la rainure, résultant des deux évidements des pierres.
 
IV
Les jeux nautiques
 
C'est une opinion souvent émise que, grâce à un canal adducteur des eaux de la Fontaine au centre même des arènes, dans un vaste bassin cruciforme aujourd'hui voûté, des jeux nautiques avaient lieu au jour des grandes réjouissances, et variaient ainsi les spectacles ordinaires des gladiateurs, des chars, des courses de taureaux ou des chasses aux sangliers. Cette opinion ne nous paraît point soutenable.
D'abord, rien n'est moins prouvé que l'existence du canal de la Fontaine. Le contraire nous parait assuré. Ce prétendu canal nous l'avons visité, en compagnie du conservateur de nos musées archéologiques. C'est un égout romain, il aboutit à l'euripe, égout collecteur de l'amphithéâtre ; par cette voie il portait ses eaux au-delà du monument dans la direction du midi, mais en aucun point il n'entre en communication avec le bassin cruciforme du centre de l'arène.
Ce bassin, d'ailleurs, n'offre aucun caractère d'architecture, qui puisse indiquer sa parenté avec le mode de construction de l'amphithéâtre. Le ciment n'est pas le même, les moellons smillés sont grossiers et les murs ne sont pas parallèles aux axes des arènes. Si ce bassin eût été destiné par l'architecte à des jeux nautiques, nous trouverions ici des murs à fortes assises, percés d'une ouverture proportionnée pour l'arrivée des eaux et d'une autre pour leur départ. Or on ne trouve nulle part ces ouvertures, quoi qu'en ait dit une critique trop prompte à échafauder un système avant les fouilles.
En admettant que la cité de Nemausus ait fait creuser un bassin de naumachies, longtemps après la mise en service du monument, et qu'alors la pauvreté des appareils réponde à la décadence de l'empire, il resterait quelque trace du ciment romain spécial aux conduites d'eau, nous trouverions quelques coquillages d'eau douce, comme on en rencontre dans les conduits antiques de la Fontaine. Or on n'a jamais rencontré aucun de ces débris.
La conclusion qui s'impose consiste à reconnaître, dans ce prétendu bassin, une simple excavation creusée postérieurement à l'inauguration des arènes, pour obtenir l'usage des trucs de théâtre. Des trappes, invisibles aux spectateurs, permettaient de produire aux regards émerveillés de la foule des disparitions ou des apparitions subites ou lentes suivant les jeux en cours. Un plomb de forme rectangulaire, pesant un peu plus de vingt kilogrammes (*), a été trouvé sur le sol antique du prétendu bassin, c'est évidemment le contrepoids qui faisait mouvoir une de ces trappes, que les anciens appelaient pegmata. D'autres débris indiquent aussi des jeux de gladiateurs, des courses de chevaux, mais rien n'a jamais été rencontré qui puisse désigner un service de jeux nautiques.

(*) Il est au musée épigraphique.

L'inscription deux fois répétée de « T. Crispius Reburrus fecit (*) » est à mes yeux une preuve contre l'existence des jeux nautiques, aux arènes de Nîmes.

(*)Titus Crispius Reburrus a fait (ce travail).

En effet, une entreprise aussi importante que celle du bassin à naumachies, avec le canal d'adduction et celui du départ des eaux, aurait exigé l'intervention d'un architecte. Or les Crispii, comme le remarque Germer-Durand (*), étaient une famille d'ouvriers (artifices), l'un d'eux exerçait la profession de fondeur de métaux. Ils étaient tout désignés pour accomplir un travail de second ordre comme celui de creuser une fosse à trucs.

(*) Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1865-66, p. 162.

Le contrepoids, dont nous avons parlé, et qui porte la marque de la colonie « R. P. N. » (res publica nemausensium - communauté de Nîmes) a pu bien être fondu par le Crisplus, des tuyaux de plomb trouvés aux arènes, au Cadereau et dans les environs de l'église Saint-Paul. Celui-ci nous a laissé son nom sur ses métaux, l'autre l'a gravé deux fois sur les murs du souterrain destiné aux trucs des représentations.
Enfin, M. Révoil, dans ses fouilles de 1865, remarqua sur les murs du souterrain, qui nous occupe, des trous se faisant vis-à-vis, sur les côtés Est et Ouest. L'éminent architecte, s'appuyant sur la disposition et la hauteur de ces cavités, conclut à leur destination pour des machines à trucs. Sommes-nous trop audacieux quand nous disons : le creux, qui s'étend sous l'arène au milieu de l'amphithéâtre nîmois, n'est point un bassin pour des jeux nautiques, il constitue simplement une fosse à trucs pour les représentations des jeux divers, dans le monument romain.

***

On pourrait écrire une étude, qui ne manquerait pas d'intérêt, sur les inexactitudes commises par les dessinateurs et même par les photographes, dans les représentations des monuments de Nîmes.
Ne parlons que des arènes. Ouvrez, par exemple, la géographie du Gard, publiée chez Hachette (troisième édition) ; vous verrez, à la page 57, l'amphithéâtre de Nîmes campé sur une base aussi élevée que celle de la Maison carrée. Tous les arceaux deviennent ainsi inaccessibles. Il faut penser, en voyant cette gravure, que la porte unique de ce monument se trouve de l'autre côté, dans la partie invisible. On lit cependant au-dessous du dessin, qui « aux points cardinaux s'ouvrent quatre portes ». La gravure donnant la moitié des arènes, on devrait voir une porte sur quatre, mais l'implacable et monotone stylobate, inventé par l'artiste, n'en permet aucune.
Les photographes ne sont ni moins implacables ni moins monotones, dans leurs représentations des arènes en élévation. Quelques-uns les prennent du côté ouest (non loin de la rue Sainte-Ursule), et ils nous donnent une vue de l'amphithéâtre dans son petit axe, dont l'effet désastreux rappelle une rotonde. D'autres, et c'est le plus grand nombre, reproduisent les arènes par le côté du midi. On se place alors dans les environs du chemin de Montpellier, et l'appareil photographique embrassant à peu près le grand axe du monument, on obtient un amphithéâtre fort large, peu élevé, mais hélas ! d'une monotonie de viaduc moderne, aux arceaux tous identiques.
Cette vue des arènes devrait s'intituler ; « l'amphithéâtre vu de dos ». En effet, cette partie du monument, qui limite la place des Arènes, n'était jamais visitée par le public romain, seuls les vespillones (nous dirions les croque-morts), venaient y recevoir à l'ombre du rempart et de nuit les cadavres des gladiateurs vaincus, tombés dans la fête du jour. Des employés de l'amphithéâtre amenaient les corps jusqu'à la porte libitinaire, porte de malheur, et c'est cette porte sans caractère, perdue dans l'ensemble, que les photographes ont soin de placer au centre de leur vue des arènes
cependant il existe une façade des arènes, c'est celle qui regarde le nord approximatif, et qui faisait face aux sept collines légendaires de la cité. Cette façade n'est point monotone. La longue série des arceaux qui courent dans le sens du grand axe est heureusement coupée en son milieu, par une travée plus large et plus décorée que les autres. C'est la travée de la porte et du balcon d'honneur, la travée unique des consoles au rez-de-chaussée, et des taureaux qui semblent sortir du mur pour se précipiter dans le vide, la travée enfin que couronne et que distingue le fronton triangulaire, à son sommet.
Une telle représentation des arènes, la seule voulue par l'architecte, la seule complète, n'existe pas en photographie. Les graveurs, depuis Ménard, semblent l’avoir oubliée ; aujourd'hui, ils copient les photographies. Puissent nos artistes s'élever à la hauteur de leur mission et nous donner enfin les arènes vues dans leur vraie façade avec, au centre des arceaux, la porte et le balcon d’honneur, les taureaux et le fronton triangulaire !

-oOo-

Les  Arènes de Nîmes avec NEMAUSENSIS


> Contact Webmaster