RAPPORT DE FOUILLES
DE L'AMPHITHÉÂTRE ROMAIN DE NÎMES
 
 
Par M. Henri Révoil, 1868
 
Un des membres les plus regrettés et les plus honorables de notre Académie, M. Grangent, ingénieur en chef des ponts et chaussées du Gard, a signalé le premier, en 1819, l'existence de substruction placées dans le milieu de l'arène de l'Amphithéâtre romain de Nîmes.
 
Mais il ne fit que des sondages isolés pour pouvoir en retracer le plan, et ces déblais furent abandonnés.
 
M. Grangent supposait que ces constructions souterraines, en forme de croix, pouvaient avoir été faites par les premiers chrétiens, pour cacher les cérémonies de leur culte naissant.
 
Plus tard, sur les indications et sur les tracés de son confrère, M. Auguste Pelet figura les grands murs dans le plan annexé à la Description de l'Amphithéâtre, et, plus heureux dans ses suppositions, il les rattacha aux jeux antiques de l'arène.
 
Chargé de la restauration du Colisée nîmois, j'entrepris, à la fin de décembre 1865, des explorations plus complètes, et je fus assez heureux pour découvrir la preuve authentique de l'origine romaine de ces vastes souterrains et leur véritable destination.
 
Il ne sera pas sans intérêt sans doute, pour l'Académie du Gard, de conserver, dans ses Mémoires, quelques extraits du rapport, sorte de journal des fouilles, qui me fut demandé par le gouvernement, et dont S. Exc. M. le Ministre de l'instruction publique a bien voulu ordonner l'impression dans les Mémoires lus â la Sorbonne en 1866.
 
Voici comment commencèrent ces fouilles intéressantes. Je fis d'abord des tranchées sur les angles ; et, reconnaissant alors par le mortier, par la forme et la pose des moellons smillés, une construction antique, j'attaquai complètement le déblaiement de la partie A; je retrouvai le puits dit des Visigoths, cité par Ménard, et nous fûmes encouragés, dans nos premières recherches sur ce point, par la découverte de quelques fragments d'inscriptions funéraires en pierre ou marbre, et surtout par celle du beau clipéus dont j'ai l'honneur de présenter un moulage à Votre Excellence. Sur une des faces de cette plaque, qui a la forme d'un antéfixe, sont sculptées les deux têtes d'un faune et d'un silène en regard d'un petit autel; sur l'autre face, dont la sculpture est très saillante, un aigle, reposant sur un rocher, appuie une de ses serres sur un canthare que lui présente un personnage aux formes juvéniles et efféminées. On peut donc supposer que ce charmant bas-relief, d'un très beau travail, représente Ganymède offrant à boire à l'oiseau sacré de Jupiter.
 
 
 
En avançant vers le centre de l'arène, dans la face occidentale des constructions souterraines et à 1m80 environ du sol actuel , nous découvrîmes, deux ,jours après, une pierre calcaire sur laquelle était gavée l'inscription suivante, en caractères cursifs de grande dimension.
 
T.CRISPIVS
RFBVRRVS
FÉCIT
 
L'examen minutieux de l'appareil en moellons smillés, qui entoure cette inscription, me fit facilement reconnaître qu'elle occupait sa place primitive. Il était donc permis, dès lors, de supposer que « T.CRISPIVS REBVRRVS » avait contribué tout au moins a l'érection de cette partie du monument, qu'il en avait été le redemptor operum.
 
Mon honorable confrère, M. Germer-Durand, que je fis prévenir immédiatement de cette découverte, partagea cette opinion, et, dans la journée même, il me transmettait la note suivante
 
Les Crispii étaient une famille d'artifices nîmois. L'un d'eux avait pour cognomen Corinthius, T. Crispius Corinthius. Un autre, fondeur de métaux, T. Crispius Primigenius, a laissé son nom sur plusieurs gros tuyaux de plomb, trouvés à Nîmes à diverses époques, en 1745, au faubourg de la Madeleine, en septembre 1789, au Cadereau ; en 1824 aux Arènes.
 
Les tuyaux de plomb, dont cette note fait mention, sont conservés au musée de la Maison-Carrée, les estampages de leurs inscriptions sont annexés à ceux qui accompagnent ce rapport.
  
La découverte du nom de Crispius excita l'intérêt de la Commission impériale des Monuments Historiques. Je fus invité à poursuivre activement ces fouilles; et, quelques jours après, sur la face septentrionale de ces substructions, dans une position presque symétrique, nous retrouvions une autre pierre de même grandeur, sur laquelle était gravée, en caractères identiques, la répétition de la première
 
T.CRISPIVS
RFBVRRVS
FÉCIT
 
Pendant ce temps là, la démolition du puits Visigoth se poursuivait, et ce n'était pas sans un vif intérêt que nous retrouvions, dans les pierres posées à sec de sa maçonnerie, de nombreux fragments du revêtement de la deuxième précinction. Parmi les premiers trouvés, l'un d'eux portait la trace de trous de crampons, qui se raccordaient parfaitement avec les traces des trous percés dans le gradin-tabouret de cette division. Quelques fragments de séparations de loges en pierre étaient mêlés à ces débris; et j'ai eu, de cette façon, l'heureux privilège de pouvoir restaurer (sur le papier du moins, pour le moment) la décoration de cette partie de l’Amphithéâtre, complètement inconnue jusques à aujourd'hui.
 
Sur ces débris de dalles, on lit des fragments d'inscription se rapportant sans doute à des désignations de place. Le temps a manqué jusques à aujourd'hui à mon savant confrère M. Germer-Durand pour essayer, avec sa connaissance spéciale de l'épigraphie antique de Nîmes, de reconstituer le texte de ces noms divers, dont tous les estampages sont joints à ce rapport.
 
(1)       OVILLARVlM
(2)       D
(3)       XI
(4)       ONIV
(5)       TC -
(6)       OCA
(7)       NS
 
Comme plan, les substructions de l'arène de Nîmes forment une sorte de croix. Leur position n'est pas exactement symétrique par rapport au grand axe. II y a lieu d'observer que les parties des lignes droites des murs de la galerie du grand axe se terminent par des évasements à angles arrondis, que les deux faces latérales droites de la partie Ouest sont plus courtes que celles de la partie Est, que, dans la section Nord-ouest (la seule encore fouillée), le mur se retourne parallèlement au petit axe pour rejoindre le canal dit Euripe. La galerie, sur le grand axe, a 6m50 de largeur, et, sur le petit axe, 6m, seulement.
 
En examinant l'élévation de ces murs, on observe qu'ils se composent de trois retraites successives, la première forme socle, et, se prolongeant dans le sens du grand axe, relie ces constructions, la seconde, en arrière de 0m05, forme un soubassement de 1m40 environ de hauteur ; et la troisième enfin, en recul de la même saillie, est celle qui porte, Nord-ouest et Nord-est, les inscriptions de Crispius. En contrebas de ces inscriptions, sur la séparation de la deuxième et troisième retraite, il convient de remarquer des trous d'une profondeur de Oni60 environ et de Oin35 à Oin40 centimètres en carré d'ouverture. Vis-à-vis, sur les faces Sud-Ouest et Sud-est, se trouvent des trous correspondants. La partie supérieure de ces trous est recouverte par un petit linteau. Au fond de ces galeries ou canaux, on retrouve, en Y et en X, des fragments de radier en béton.
 
 
 
A partir de leurs extrémités, H' H" H"' H"", la maçonnerie de ces murs a été arrachée; on n'en retrouve plus que la trace inférieure.
 
Les plaques en pierre, Z, sont unies et ne portent aucune trace d'inscription.
 
J'ai fait nettoyer le canal dit Euripe sur toute son étendue, il y aura là une étude importante à faire, qui consistera, après avoir bien reconnu les parties antiques de ce canal restauré, à examiner avec le plus grand soin quelle était sa relation avec les grands bassins.
 
Dès à présent, on peut constater qu'il existe un canal antique, N, qui pouvait conduire les eaux venant des aqueducs romains extérieurs dans l'arène , et qu'un canal de sortie, L, pouvait aussi les conduire dans un aqueduc extérieur.
 
Cette indication semblerait confirmer l'opinion généralement accréditée que l'Amphithéâtre romain avait servi à des naumachies. Il convient de remarquer, dans cette hypothèse, que, l'Euripe étant plus élevé que le radier de ces canaux, l'eau devait séjourner dans ceux-ci.
 
Jusqu'à présent, je n'ai trouvé aucun puisard qui put la recueillir ; mais on peut objecter, toujours dans cette hypothèse, qu'il fallait bien de l'eau pour conserver les barques servant aux naumachies. On pourrait considérer peut-être comme leur remise les deux extrémités du grand axe. Les retours arrondis des murs peuvent aussi être indiqués comme preuve à l'appui de cette conjecture ; ils auraient été faits pour éviter les chocs sur les angles. Il faut aussi remarquer que ces murs n'ont jamais été enduits et qu'ils sont bâtis en maçonnerie de moellons smillés assez négligée.
 
Tout en admettant les naumachies, n'est-il pas permis aussi de donner à ces constructions une destination tout autre, celle d'un sous-sol pour les machines ?
 
C'est alors qu'on peut expliquer ces trous dans les murs, pour poser des madriers. Parmi les machines antiques en usage dans les théâtres et amphithéâtres, se présentent, on le sait, en première ligne, les pegmata. Ces sortes de trappes, se mouvant au moyen de contrepoids, faisaient apparaître les gladiateurs, les pegnares, dans leur pose de combat toute composée, et les faisaient disparaître dans les flammes et la fumée. C'était aussi au moyen de pegmata qu'apparaissaient ces forêts, ces monticules, qui permettaient de grands spectacles, ces chasses aux sangliers, aux taureaux, aux cerfs et à d'autres animaux sauvages.
 
Les aspersions safranées, citées par plusieurs auteurs comme sortant du milieu de l'arène, s'opéraient aussi au moyen des pegmata.
 
La continuation de ces grands travaux de déblaiement sera l'objet d'un second rapport. Nous nous proposons également de décrire bon nombre d'objets antiques, aussi rares que précieux, parmi lesquels nous pouvons signaler déjà des vases à figure, des tintinnabula, les débris d'une fuscina, fourche de rétiaire ; un frontale et deux superbes phaleroe, en bronze, nouvelles richesses ajoutées aux collections chi Musée antique de la Maison-Carrée.
 
Henri Révoil, 1868
 
Emile ESPÉRANDIEU, 1933
 LA QUESTION DES NAUMACHIES.
Pour Grangent, le sous-sol en forme de croix, qu'il connaissait et qui l'aurait gêné pour le passage du canal venant de la Fontaine, serait une église chrétienne. Des inscriptions, mises au jour par Révoil et encore en place, ont démontré l'inanité de cette affirmation.
 
« En résumé, dit Mazauric, la croyance aux naumachies est entièrement fondée sur le désir de trouver une explication aux nombreux souterrains et aqueducs. Or, nous venons de voir que ceux-ci forment un ensemble uniquement destiné à l'écoulement des eaux pluviales. Chaque partie recevant une destination propre, tout s'explique admirablement sans l'intervention de raisons étrangères. »
 
Mazauric, qui nie les naumachies, fait remarquer, entre autres bons arguments, qu'une hauteur d'eau de 1 à 2 mètres eût amené l'envahissement de tout le sol, de tous les aqueducs, de toutes les chambres et que les eaux, par suite de la disposition en plaine de la cité, eussent été forcées de refluer, en amont de l'Amphithéâtre, jusqu'à une distance de plusieurs centaines de mètres.
 
« Il est vrai, dit-il, qu'on a admis l'existence de vannes pouvant intercepter le passage des eaux dans les parties à préserver; mais nous avons vu que c'était là une supposition gratuite, et que nos recherches personnelles ne nous ont fait découvrir nulle part, dans les parties les mieux conservées, la moindre trace de ces dispositions présumées. »
 
On ne saurait être d'un autre avis que Mazauric, l'Amphithéâtre de Nîmes n'a pas été construit en vue d'éventuelles naumachies.
 
Extrait de Histoire de la Ville de Nîmes
Adolphe Pieyre, 1887
 
En 1870, le conseil municipal de Nîmes autorise le changement complet du plancher recouvrant le sous sol de l'amphithéâtre romain, installé en 1866, mais qui avait besoin d'être renouvelé. Il fut décidé qu'on substituerait pour ce, au bois de sapin, le chêne revêtu de goudron.
En ce qui concerne nos Arènes, un arrêté du ministre des Beaux-Arts , en date du 16 avril 1870, prescrivait que l'inscription suivante (1) serait gravée à l'extérieur du monument pour rappeler sa restauration, à très peu près terminée.
 
(1) Cette inscription se trouve placée du côté du Palais de Justice, sur un des garde-fous restaurés des arcades du 1er étage. Elle a été stupidement mutilée en 1870, à la chute de l’Empire.
 
SOUS LE. RÈGNE DE NAPOLÉON III
 
LES ARCADES EXTÉRIEURES , LES GRADINS ET
LE PODIUM DE CET AMPHITHÉATRE
ONT ÉTÉ RESTAURÉS AUX FRAIS DE L'ÉTAT ET
DE LA VILLE DE NIMES
SOUS LA DIRECTION DE .LA COMMISSION DES
MONUMENTS HISTORIQUES
 
HENRY REVOIL , ARCHITECTE.
MDCCCLXV A MDCCCLXX
 
C'était là un juste hommage rendu à l'artiste remarquable qui avait fait revivre, avec une si scrupuleuse fidélité, nos vieilles Arènes, dont il disputait les ruines au temps pour léguer â la postérité ce merveilleux héritage du passé. Mais ce n'était pas son seul titre à la reconnaissance publique. Le savant architecte, doublé d'un archéologue émérite avait, dans la région, restauré nombre d'édifices remarquables ; le ministre lui confia, à juste titre, cette même année, le titre d'architecte diocésain.
 
Adolphe Pieyre, 1887
 
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Les  Arènes de Nîmes avec NEMAUSENSIS 

 
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