LE CHATEAU DES ARÈNES

par Michel Jouve, 1901


 

Du Ve au XIIIe siècle : Invasions. - Destruction de la Basilique. - L'amphithéâtre transformé en château fort. - Vicomte de Nimes. - Plaid féodal. - L'audience du château. - Réunion de Nimes au royaume de France. - Le sénéchal bâtit la curie du roi, en face des Arènes, sur l'emplacement de la Basilique.

 

Au début du V siècle, le désastre qui menaçait l'empire éclate. Les frontières sont envahies, au nord, par les races guerrières qui pullulaient derrière le Rhin et le Danube, et qui, débordant, inondent l'Italie, la Gaule, détruisent tout sur leur passage.

 

Vers 406, les Vandales assiègent Nimes et s'en rendent maîtres. La basilique, voisine des remparts, subit, avant tous les autres édifices, les horreurs du siège. Elle est dévastée, la première, par les envahisseurs. Mais les Visigoths ne tardent pas à suivre les Vandales, les attaquent victorieusement, et s'installent, à leur place, au milieu des débris accumulés.

 

Les nouveaux conquérants de Nimes s'empressent de s'y fortifier. La ceinture des murailles antiques, lacérée parles assauts répétés, ne leur paraît pas assez sûre. Ils font, de l'amphithéâtre, encore intact, sauvé de la destruction par sa masse, une citadelle formidable. Au sommet des gradins, au-dessus de la porte orientale, ils établissent deux hautes tours (1). Ils creusent un fossé circulaire qui protège les abords du monument.

 

(1) « Elles se voyent encore aujourd'hui (1750), mais vides et délabrées », dit Ménard, Histoire de Nimes, tome I, page 75. Démolies en 1809, on les appelait encore à cette époque Tours visigothes. MICHEL, Rues de Nimes, tome. I, page 47.

 

Les ruines de la basilique, grossièrement réparées (1), forment comme un ouvrage avancé que deux autres tours défendent (2) ; des bâtisses gothiques s'y greffent aux substructions romaines, empruntent les vieux pans de mur prodigieusement épais, recouvrent les cryptes du prétoire détruit, qui servent toujours de prisons (3). C'est un bastion qu'il faudrait prendre, après avoir franchi le rempart, avant d'atteindre l'amphithéâtre.

 

(1) RULMAN, manuscrit déjà cité des Antiquités de Nismes, tome II, page 391, au sujet des ruines de la basilique : « Depuis le démolissement de ce palais impérial, divers peuples ont employé ses maseures superbes pour se loger ou retrancher, depuis les vieilles murailles de la ville jusques au retour de l'ovale, tirant vers la Porte des taureaux, pour la sûreté de l'amphithéâtre qui a servi de citadelle et forteresse durant le règne des Goths et la domination des comtes de Tolose... »

Et page 393 : « Sur ces regrettables maseures les rois des Goths et les comtes de Tolose y bâtirent leurs palais et se servirent de la prodigieuse épaisseur de cet édifice résistant à la sape et à la mine. C'était une muraille d'airain pour la deffense de l'amphithéâtre duquel ils firent une citadelle pour la sûreté de leurs affaires et la bride de leurs sujets... »

Voir encore Présidial, page 35.

(2) L'une touchait à la coursière intérieure du rempart. Nous la retrouverons, connue sous le nom de Tour du Morier. L'autre paraît désignée dans une description que fait Rulman des bâtiments du Présidial.

(3) Plus tard les prisons émergeront des cryptes, en des édifices que nous retrouverons sur le même emplacement.

 

Les chefs visigoths règnent, abrités dans la forteresse qu'ils ont ainsi créée, pendant les VIe et VIIe siècles ; siècles troublés où il est difficile de suivre les traces d'une justice organisée, où aux guerres et aux séditions succèdent cependant des périodes pacifiques faisant refleurir, un instant, la civilisation et le droit romain.

 

Maintenant, ce sont les Sarrasins qui font irruption. Le début du VIIIe siècle est plein de leurs victoires puis de leurs défaites. Ils ont chassé de Nimes les Visigoths. Ils en sont chassés h leur tour par Charles Martel qui incendie les gachils et les mantelets de bois (1) dont ils avaient armé l'amphithéâtre. La fin du même siècle voit le triomphe de Charlemagne. Mais ses successeurs laissent leurs vassaux échapper à l'autorité royale. Les comtes de Toulouse deviennent maîtres du Midi.

 

Nîmes leur appartient, avec des intermittences de luttes et de révoltes, pendant trois cents ans. L'amphithéâtre s'élève toujours, indestructible. Une cité féodale s'y est constituée, habitée parles fils des conquérants venus avec Charles Martel du pays des Francs. Sous le titre de chevaliers des Arènes, ils sont les gardiens de l'immense forteresse. Leur chef, le vicomte de Nimes (2), occupe un donjon qu'il s'est taillé dans les énormes maçonneries : vers la façade orientale, au-dessous des tours gothiques, on a muré les arcades, installé une chapelle, dédiée à Saint Martin, patron des chevaliers, coupé les galeries en salles longues et étroites. Là est le château des Arènes (3).

 

(1) Gachil ou guette, saillie pour le guet. Mantelet, ouvrage en charpente protégeant les défenseurs de la forteresse.

(2) Sous la suzeraineté des comtes de Toulouse.

(3) Le donjon du Château des Arènes, avec ses tours massives debout sur la base colossale de l'amphithéâtre, fut célèbre au moyen âge, à l'égal de la Tourmagne. Dans la chanson de gestes, Les Narbonnais, les envoyés d'Aimeri, allant demander protection à l'empereur contre les Sarrasins, avant d'arriver au Rhône,

« Voient de Nismes, la tor et le donjon. »

Revue du Midi, 1900, page 929. Les Narbonnais, étude de M. Bondurand.

MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, page 285.

 

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Le maître du château est le juge souverain comme il est le souverain chef des hommes d'armes. Souvent, pour la décision sur certaines difficultés, il prend un assesseur qu'on nomme viguier (1). Quelquefois, pour juger les affaires les plus importantes, il convoque un grand conseil (2) où l'évêque siège au premier rang. Le plaid se tient en assemblée publique soit dans l'enceinte des Arènes, « in Castro arenarum », soit devant le château (3), sur l'emplacement de la basilique détruite, au pied des fortifications que bâtirent les Visigoths avec les ruines de marbre. Mais l'idée de justice, telle que la comprenaient les jurisconsultes romains, n'existe plus. La féodalité est, avant tout, le règne de la force armée. Le sort des litiges se règle fréquemment par le recours à l'épée, par le duel judiciaire.

 

(1) Provençal : viguer, de vicarius ; vice, suppléant.

(2) Voir, notamment, dans un document aux archives départementales, H. 194, publié par M. JOSEPH SIMON, Histoire des Juifs de Nimes au moyen âge, le plaid tenu en 1109 par devant le vicomte Bernard Aton, en présence de nombreux assistants, parmi lesquels Cecilia conjux vicecomitissa. - Hugo de Ortensis, prieur de Saint-Baudile, réclame, à l'abbé Pierre de la Tourmagne, le partage de la dîme du poivre payée par les Juifs pour avoir droit à la sépulture. Le prieur de Saint-Baudile obtient gain de cause.

(3) EYSSETTE, Les origines municipales de Nimes, page 69.

 

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Séparée du château par le fossé profond que creusèrent les conquérants, désolée par les invasions, les pestes et les famines, la ville gallo-romaine n'est plus qu'une misérable bourgade. Elle s'est lentement dépeuplée. C'est à peine s'il y demeure quelques milliers d'habitants, logés en des masures de bois ou de torchis, le long de ruelles immondes, au milieu des écroulements.

 

Cependant l'âme romaine survit en cette cité. Un reste de pouvoir municipal y a persisté, presque mourant, mais qui reprend vie chaque fois que faiblit l'autorité des maîtres féodaux. Au XIIe siècle, tandis que les croisades occupent les seigneurs aux guerres lointaines et que s'organisent les communes de France, profitant d'une querelle entre leur vicomte et son suzerain de Toulouse, les bourgeois de Nimes instituent révolutionnairement leur consulat. Les consuls élus de la cité, consules civitatis nemausi, étendent alors, peu à peu, les franchises communales (1), obtiennent une partie de l'autorité judiciaire, luttent pour restreindre le pouvoir du vicomte. Des querelles fréquentes éclatent, entre la cité représentée par ses consuls, et le château des Arènes où les chevaliers s'unissent avec leur seigneur et élisent, à leur tour, des consuls : consules castri arenanum.

 

(1) EYSSETTE, loc. cit. - Nisard, loc. cit., page 12 à 16.

 

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C'est au château des Arènes que se trouve la salle où se rend la justice, déléguée maintenant à un légiste. Un document (1) de 1157 nous montre ce juge siégeant dans la tour voisine de la chapelle de Saint Martin : « in turre que est juxta ecclesiam Sancti Martini ». D'autres documents (2) du XIIe siècle mentionnent les actes passés in majori sala domini comitis intra castrum harenarum.

 

On voit encore aujourd'hui, aux galeries de la face orientale des Arènes, vis-à-vis la prison et le palais de justice moderne, quelques arcades murées. De grêles fenêtres géminées, ornées, sur le milieu, d'une colonnette au fût tors, au chapiteau capricieux, y rappellent, par leur élégante dissymétrie, l'époque où l'art des architectes romans (3) les dessina. L'une d'elles éclaira l'obscure salle d'audience du XIIe siècle.

 

(1) MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, Preuves, pages 34-35.

(2) MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, Preuves, pages 55.

(3) Voir RÉVOIL, Architecture romane du Midi de la France, tome 3, pl I, et Chanoine GOIFFON, Eglise Saint-Paul, p. 32.

 

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Cependant le règne des comtes de Toulouse touche à sa fin. En lutte, à la fois, avec la papauté et avec le roi de France (1), ils succombent. Simon de Montfort remporte sur eux la victoire de Muret (2). Quelque temps après, Louis VIII (3) rattache définitivement la cité ni moise à la couronne. En 1226, il transfère à Nimes la sénéchaussée établie d'abord à Beaucaire. L'antique colonie romaine devient ainsi la résidence du gouverneur, qui, sous le titre de sénéchal (4) de Beaucaire et Nimes, commande pour le roi de France à une vaste région. Le sénéchal réunit en sa personne tous les pouvoirs, militaires, civils, financiers et judiciaires. Il est comme un vice-roi, dans Nimes, sa capitale.

 

(1) En lutte aussi avec leurs sujets. En 1207, les Nîmois détruisent un palais que les Comtes ont fait édifier au quartier du Prat et leur moulin Porte de la Madeleine. MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, page 258.

(2) Année 1213.

(3) Fils de Philippe Auguste, père de Saint Louis.

(4) Du latin senex, vieux, et du germanique schalk, serviteur, d'où senescalus bas latin, et senescal provençal. Le vieux serviteur du roi, l'homme de confiance. V. LITTRÉ.

 

De même que les seigneurs avaient délégué à un légiste la plus grande part de leur pouvoir judiciaire, le sénéchal, homme d'épée, choisit, dès 1229, un homme de robe, versé dans la connaissance des coutumes féodales et du droit romain, pour rendre la justice en son nom. Ce sera le juge-mage. (1)

 

Concurremment avec le juge-mage, les consuls de la ville ont juridiction, pour certaines affaires en vertu de leurs privilèges que le roi de France a garantis et dont ils sont fort jaloux. Aucun édifice n'est affecté, en ce temps, à la justice consulaire (2) ; elle siège en des maisons particulières. La curia consulum est surtout un tribunal de police.

 

Le château des Arènes appartient maintenant au roi de France. Cependant, le juge-mage royal n'ira pas occuper, dans la tour voisine de la chapelle Saint-Martin, la place où nous avons vu le légiste comtal. D'ardentes querelles divisent les consuls et les chevaliers des Arènes (3). La sénéchaussée doit demeurer étrangère à cette rivalité ; il faut que son audience soit comme un trait d'union entre le municipe bourgeois et le bourg féodal,

 

En face du château des Arènes (4), sur une parcelle du sol bouleversé où fut la basilique romaine, le sénéchal fait édifier la maison qui sera le siège de la curie royale, curia domini régis (5). C'est le modeste Palais de Justice d'alors. La construction est fruste, étroite, mais suffisante pour les besoins du moment ; car la procédure est rudimentaire, les gens de loi sont peu nombreux, les décisions judiciaires sommaires, impératives, non motivées, rarement constatées par écrit (6). Placée entre la ville et la cité des Arènes, la maison du roi (7) sera d'un accès également facile à tous les justiciables.

 

(1) De magis, maggio, le plus grand, le premier.

(2) MAUCOMBLE, Histoire de Nimes, page 37 - JOSEPH SIMON, Les Juifs de Nimes.

(3) MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, page 363.

(4) MÉNARD, Histoire de Nimes, tome II, page 58.

(5) MÉNARD, Histoire de Nimes, tome I, Preuves, pages 55, 81, 93.

(6) DALLOZ, V° Organisation judiciaire, n° 80.

(7) Domus regia, curia régis, appelée aussi quelquefois domus senescallie, maison de la sénéchaussée. MÉNARD, Hist. de Nimes, tome III, Preuves, page 215.

 

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Les  Arènes de Nîmes avec NEMAUSENSIS
> L'amphithéâtre de Nîmes par Auguste Pellet, 1838
> Les Arènes, par Alexandre de Mège, 1840
> Les Arènes, rapport de fouilles de Henri Révoil, 1868
> Les Arènes, description de Eugène Germer-Durand, 1868
> Les Arènes, par Albin Michel, 1876
> Chateau des Arènes du Ve au XIIIe siècle Michel Jouve, 1901
> Quelques détails sur les Arènes, par le chanoine François Durand, 1907
> Les Arènes, L'Amphithéâtre par J. Charles Roux, 1908
> Les Arènes, Les souterrains des Arènes, Félix Mazauric, 1910
> Les Arènes, Le rempart et le Château des Arènes, Igolen 1934
> Diaporama des fouilles en 1987
Tour des Arènes à travers un siècle d'iconographies 

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