AS DE NÎMES
Les médailles de la colonie de Nîmes. par Léon Ménard, 1758 I
Cette médaille dont j'ai déjà donné ailleurs (1) une courte explication, mérite d'être ici représentée et expliquée avec plus de détail, parce que c'est la principale de toutes celles de la colonie de Nîmes, et qu'il convient de la faire connaître à fond. Elle est de moyen bronze. On y voit pour type deux têtes adossées, dont l'une porte une couronne de laurier ou triomphale, et l'autre une couronne rostrale, qui était de proues de galères, toutes deux liées et attachées par derrière avec des bouts de rubans. Au-dessus de ces tètes sont ces lettres IMP. à chaque côté la lettre P et au dessous ces mots DIVIF Sur le revers est un croc ; dite rampant, enchaîné à un palmier, du haut duquel pend dit côté droit une couronne de chêne et du gauche flottent des bouts de rubans. Aux deux côtés de l'arbre et par dessus le crocodile sont ces mots COL NEM.
L’as de Nîmes
Poldo Albenas s'étant persuadé (2) que les deux têtes de cette médaille ne pouvaient représenter que deux frères empereurs, associés et collègues, a cru que ce devaient être celles de M. Antonin le philosophe et de L. Verus. Aussi explique-t-il la légende de cette manière : Imperatores divi fratres, patres patriœ. Il reconnaît sous la figure du crocodile et du palmier le symbole de l'Egypte, et dit que c'est pour marquer que ce pays, déjà réduit en province romaine. s'étant révolté sous ces empereurs, fut réprimé et pacifié ou par eux-mêmes, ou par Avidius Cassius, leur lieutenant, peut-être aussi pour désigner que M. Antonin, initié dans les mystères des égyptiens était comme,citoyen et philosophe de leur pays. II ajoute que ce fut dans le même temps qu'on fit passer en Egypte une colonie de Nîmes, ce qui, selon lui, est exprimé par les mots abrégés colonia Nemausensis. Pierre Borel a suivi (3) le même sentiment.
(1) Voyez tome l de cette histoire. (2) Poldo Albenas, disc. historiai sur les antiques de Nîmes, chapitre 20, page 96 et suivantes. (3) Borel, Antiquités de Castres, p. 109.
Cette explication ne peut se soutenir. Elle est contraire aux vrais usages de l'antiquité. II est constant que les têtes des deux princes associés au gouvernement de l'empire, étaient toujours ou accolées, ou placées en regard. D'ailleurs des deux tètes de notre médaille, l'une qui est celle du côté droit porte une couronne de laurier, accordée d'abord à Jules César par le sénat, et prise ensuite par tous ses successeurs, et l'autre est ornée d'une couronne bien différente, car celle-ci est rostrale, preuve indubitable qu'on ne peut y reconnaître l'effigie de deux empereurs collègues. De plus l'abréviation IMP avec un seul P n'a jamais été employée (1) sur les anciens monuments pour désigner le mot imperatores, mais uniquement imperator. Les mots patres patriœ qu'on suppose exprimés ici par les lettres initiales PP, auraient du l'être, le premier par un double PP, et le second par un P, séparé. II en est de même de la lettre initiale F, qui seule et détachée ne peut se rapporter au pluriel, et ne doit point signifier fratres, mais bien mieux filius. On s'en servait aussi pour exprimer fecit ou felix.
Quant à la colonie qu’Albenas prétend avoir été envoyée en Egypte par les habitants de Nîmes, rien n'est plus chimérique que cette idée et de moins relatif à la médaille. Était ce bien exprimer cet établissement que d'employer la figure d'un crocodile enchaîné ?
C'était au contraire désigner une conquête ou une subjection de l'Egypte, ce qu'on ne peut certainement pas attribuer à la colonie de Nîmes.
Grasser donne une explication (2) différente aux têtes de cette médaille. Il les rapporte aux deux frères Tibère et Drusus, tous deux enfants de Tibère Claude Néron, questeur et de Livia Drusilla qui devint ensuite la femme d'Auguste. Il interprète les lettres abrégées de la légende, par ces mots imperatoris, patris patriœ, divi, filii. Le fondement de son opinion est d'un côté que l'empereur Auguste eut toujours pour ces deus princes un amour paternel, et de l'autre que la colonie de Nîmes était particulièrement attachée à Tibère, en signe de quoi elle lut avait érigé des statues. Mais pourquoi associer sur cette médaille deux princes qui n'eurent jamais rien de commun dans le gouvernement impérial. On sait d'un côté que Tibère, qui fut empereur après Auguste, eut Caïus Caligula pour successeur, et de l'autre, que Drusus ne parvint point â l'empire. La part qu'ils avaient tous deux à l’amitié d'Auguste était-elle un motif suffisant pour engager les habitants de Nîmes à leur consacrer ce monument. Il en fallait sans doute de plus sérieux. L'histoire ne nous en présente aucun dans tout le cours de leur règne qui fut intéressant pour cette colonie. Quelle connexion d'ailleurs peut-on trouver entre ces princes et les figures dont le revers de la médaille est chargé.
L'explication la plus juste et la plus solide qu'on puisse donner de ce monument, la plus généralement reçue même par les antiquaires (3), est de la rapportera l'empereur Auguste, en l'honneur de qui la colonie de Nîmes la consacra par les motifs que je vais bientôt développer.
Observons d'abord que les têtes représentent celles de ce prince et de M. Agrippa, son gendre. Auguste porte la couronne triomphale par sa qualité d'empereur (4), à qui seul ces sortes de couronnes étaient décernées.
(1) Valer. Probus, de not. Romanor, interpret. Magno not. jur. Petr. Diacon de not. litter. Roman. Sertor Ursat., de not. Roman. (3) Jacob Grasser, de antiquit. Nemaus, page 21 (3) Vico, August. imag, in Agrippin, page 78. Erizzo. dichiaraz, di medagi. antich. page 6 et seq. Occo, imper. Roman, nnm. in Agrippa page 37. Augustin, de numism. prise, dialog. 2 et 6. Augelon, dell. hist. August. in M. .Àgrippa, page 10. Guiran, explicat. duor. vetust. numismat. Nemaus. , page 4 et seq. (4) Sueton in Jul. , cap. 45 et in Tiber., cap. 17.
M. Agrippa est ici associé avec lui, comme il l'est aussi sur d'autres médailles, parce que ce prince l'honorait d'une estime particulière (1) pour ses hauts faits qui le firent regarder comme un des plus vaillants capitaines de son siècle. La couronne qu'il porte est rostrale parce que ce général romain n’avait pas peu contribué au suces de la journée d'Actium Aussi Auguste voulut-il le faire participer aux honneurs du triomphe ; et il y parut la tête ornée de cette sorte de couronne. Déjà même avant cet événement, ce prince l'avait honoré d'une couronne rostrale d'or. An récompense de ses victoires navales remportées en Sicile contre Pompée : honneur qui selon quelques historiens (2) n'avait été accords à personne avant lui. C'était ici un nouveau sujet qui engageait les habitants de Nîmes à orner son effigie d'une couronne qu'il avait méritée à tant de titres. De plus il faut considérer que l'an 727 de Rome et 27 avant Jésus-Christ, qui était celui de l'établissement de la colonie de Nîmes, et celui-là même où la médaille fut frappée, il exerçait le consulat de Rome avec Auguste : double motif pour l'associer à ce prince sur ce monument. Les lettres IMP. signifient imperatori ; les deux PP. patri patriœ ; et les mots DIVI F. divi filio. Ainsi il faut lire imperatori, patri patriœ, divi filio. Ce qui doit s'entendre d'Auguste en l'honneur de qui la médaille fut principalement frappée.
Des figures dont le revers est chargé, le crocodile représente l'Egypte, soit parce que c'est le pays (3) où ces sortes d'animaux naissent en plus grande abondance ; soit parce que ses anciens habitants en faisaient un objet de leur culte. (a)
Il est enchaîné en signe de la conquête qu'Auguste avait faite de ce pays, qui dès lors fut réduit en province romaine. Le palmier est encore un symbole de l'Egypte, où l'on sait (4) que cet arbre est extrêmement abondant. Les anciens monuments la figurent toujours par cet emblème ainsi que par celui du crocodile.
La couronne attachée aux branches de ce palmier désigne la victoire qu'Auguste remporta à la bataille d'Actium. On ne peut pas à la vérité bien distinguer sur la médaille si cette couronne qui est très petite est de laurier ou de chêne. Mais il y a toute apparence quelle était plutôt de chêne ou civique. J'en juge d'un côté par l'usage où l'on était de la décerner aux empereurs (5) comme étant les conservateurs du repos et de la liberté des citoyens, et de l'autre, parce qu'Auguste l'avait plus particulièrement méritée, en pardonnant, comme il fit au plus grand nombre des citoyens romains qui s'étaient déclarés contre lui pour la faction d'Antoine. L'effigie de ce prince portait la couronne de laurier. Mais il fallait aussi présenter sur ce monument public celle de chêne, c'est-à-dire la civique, plus flatteuse encore que la triomphale.
(1) Sueton in August. Dio. lib. 49, (2) Dio. hist., lib. 49. Velleius Patercul., hist., lib.2, cap. 81. Livii, epitom. 129. (3) Plin., lib. 8 cap. 25. (4) Solin, cap. 34. (5) Plin., lib. 16, cap. 4. Sueton. in Jul., cap. 2. Valer. Maxim., lib. 2. cap. 8.
On ne pouvait donc la placer plus à propos qu'en l'attachant au palmier du revers ; comme on en plaçait aussi à l'entrée du palais des empereurs. Les bouts de rubans et les bandelettes qui flottent au-dessous des branches du palmier sont (a) des marques du plus grand honneur et d'une victoire complète : c'était ce qu'on appelait palma lemniscata. On en mettait quelquefois aux couronnes (1) et elles portaient alors la même dénomination (b), corona lemniscata. Enfin les mots COL. NEM ne signifient autre chose que colonia Nemausus, ou Nemausum, ou Nemausensis. Ce qui exprimait que c'était la colonie de Nîmes. qui avait consacré ce monument à l'empereur Auguste, son bienfaiteur.
Il faudrait peu connaître les lettres et les abréviations des anciens monuments, pour supposer d'autres mots en celles-ci. On n'a pas laissé d'en donner des interprétations différentes, mais toutes bizarres et dénuées de solidité. Les uns les expliquent (2) par ces mots colligavit nemo, pour exprimer, selon eux, que personne avant Auguste n'avait fait la conquête de l'Egypte. Ce qui n'est pas même conforme aux notions les plus connues de l'histoire ancienne. En effet, ne nous apprend-elle pas que ce pays avait auparavant passé sous la domination de Cambyse, roi de Perse, et d'Alexandre le Grand. et cela dans des temps bien antérieurs à l'époque de la journée d'Actium, prenant la figure du revers pour une couleuvre, lisent dans la légende :
Les autres, coluber Nemausensis, erreur qui passa jusque dans les lettres du roi François 1er que j'ai rapportées ailleurs (3) , par lesquelles ce prince accordait à la ville le revers de cette médaille pour armoiries.
Quoi qu'il en soit. la colonie de Nîmes devait sans doute à l'empereur Auguste ce témoignage public de sa reconnaissance. Il faut avouer aussi qu'elle ne pouvait en donner de plus éclatant que par cette célèbre médaille, qui annonçait à la fois, et son établissement par ce prince, et la conquête qu'il avait faite de l'Egypte, qui lui assurait l'empire du monde ; événement le plus glorieux de son règne.
C'est d'ailleurs une chose constante en matière de médailles, que celles qui contiennent des représentations (4) singulières et historiques n'ont été frappées que pour conserver le souvenir dé quelque événement glorieux ou remarquable.
Au reste, j'ai dit que cette médaille était de bronze. En effet, je ne sache pas qu'on en ait trouvé de fabriquées eu un autre métal, si ce n'est une seule en argent que Guiran dit (5) avoir été vue de son temps par un particulier de Nîmes, nommé Tournier, dont il loue le goût pour la recherche des médailles : unicum argenteum se vidisse asseveravit Tornerius, Nemausensis, nummorum veterum curiosus indagator. Il ne nous en reste donc que de bronze, mais elles sont si communes en ce métal qu'un en trouve presque partout. Je dirai même, sans exagération, qu'on pourrit en ramasser des muids entiers. Une si grande abondance me fait soupçonner que lorsque la médaille fut frappée, on en enfouit une quantité considérable en divers endroits de la ville, que depuis on en jeta dans les fondations des temples et des édifices publics ; qu'on en mit aussi dans les tombeaux. Tel était l'usage des Romains. Ils enfouissaient les médailles (6) qui pouvaient perpétuer le souvenir des actions importantes. C'était proprement ici la médaille de la colonie. Il n'y en avait pas de plus intéressante, de plus digne d'être transmise à la postérité que celle-là.
(1) Plia. lib. 16 cap. 14 et lib. 21 et cap. 3. Salmas in mot. ad Vopisc. (2) Claud. Paradin. symb. hero fol. 88. Ulyss. Aldrovand. hist. animal., lib. 1. page 688. P. de S. Romuald, chron., tome 1. Vulf. de la Colombière, de l'art. hérald., livre 6. Pierre Andoque, Histoire de Languedoc, livre 3. (3) Voyez tome 4 de cette histoire, preuves, titre LXXIII. (4) Augustin de numism. prise., dialog. 1. Louis Savot. disc. sur les médailles antiques, volume1. (5) Gaill. Guirau, explicat. duor. vetust. numism. Nemaus., p. 5. (6) Savot, disc. sur les méd. antiq, liv. 1.
II
On trouve aussi la médaille que je viens de décrire, chargée du même type et du même revers et de pareille grandeur, mais avec un jet de bronze qui en excède le contour et qui représente très distinctement un pied de biche. Dans les unes cet excédant est au-dessus des têtes et dans les autres au dessous. Les premières sont assez communes. M. Mahudel, de l'académie des inscriptions en avait lui seul cinq ou six. Les autres sont beaucoup plus rares. Je n'en connais qu'une qui a été trouvée de nos jours dans le bassin de la Fontaine, et qui est à présent possédée par M. Boudon Celle ci est de plus différenciée par un trou placé dans la partie supérieure, qui perce de part en part.
On n'est pas en peine de comprendre comment s'est fait le travail de ce pied de biche, joint à ces médailles singulières. La seule inspection fait juger, et tous les savants en conviennent, que cet excédant a été fondu avec le flan. et que lorsque le monétaire a ensuite frappé la médaille, il l'a terminé et figuré par le pied de biche.
Il n'est pas également facile de rendre raison du motif qui a fait joindre à ces médailles un morceau si extraordinaire, si inusité, et si peu relatif au monument même. M. le président Bon a cru (1) que la médaille n'avait été frappée que pour être jetée dans les fondations du temple de Diane, construit près de la Fontaine de Nîmes, et cela parce que la biche est un animal particulièrement consacré à cette divinité. C'est ici une pétition de principe. Est-il prouvé, comme le suppose ce savant, que le temple en question ait véritablement été dédié à Diane. Je sais qu'il en a porté et qu'il en porte encore la dénomination ; mais c'est la suite d’une mauvaise tradition qui n'a de source que dans l'erreur du vulgaire. J'ai taché de la détruire en parlant de cet ancien édifice.
M. de Caylus propose (2) un autre sentiment. Il croit que les pièces accompagnées de cette augmentation n'avaient point de cours dans le commerce ; qu'elles servaient seulement d'ex-voto. et ne se vendaient que dans Nîmes pour être portées par superstition ou jetées dans la Fontaine consacrée à Diane. Le petit nombre qu'on en a trouvé le confirme dans son avis. Je conviens que ces sortes de médailles n'eurent point de cours commun et général, qu'elles étaient mène le fruit de la superstition. Mais je ne puis me persuader qu'elles aient été jetées dans la Fontaine. D'un côté, cette source n'est pas le seul endroit de Nîmes où l'on ait trouvé de ces médailles. D'un autre, la fontaine divinisée sous le nom de Nemausus, était plutôt consacrée au génie, au dieu tutélaire de la ville, ou, si l'on veut, formait elle-même une divinité particulière, dont le culte n'avait rien de commun avec celui de Diane. Nous n'avons aucune sorte de preuve de la consécration de ses eaux à cette déesse.
Je croirais donc que c'est ici le témoignage particulier du culte que rendait à Diane le monétaire qui travailla ce pied de biche. L'excédant de la matière que le pur hasard de la fonte avait produit, lui fit sans doute naître l'idée de rendre cette espèce d'hommage à sa divinité tutélaire. Aussi voyons-nous qu'on portait la médaille même pendue au col, comme l'indique le trou qui parait dans la partie supérieure. De manière que c'était ici une espèce de bulle ou d'amulette, sorte d'ornement qui avait la superstition pour principal objet et dont les anciens firent un si grand usage.
(1) Saggi di dissertazion de l'academ. di Corton, tome 6, dissert. 4. (2) M. de Caylus, recueil d’antiq., tome 2, page 341 et suiv.
III
Parmi les médailles de la colonie. chargées des deux tètes et du crocodile, sans pied de biche, telles que les présente le premier article de cette dissertation, il s'eu trouve dont le champ est marqué tantôt du côté des têtes, tantôt du côté du revers, quelquefois aussi des deux côtés, par des lettres liées ensemble ou par quelque autre marque particulière. Telles sont les cinq médailles qui étaient dans le cabinet de M. Mahudel. La première est contremarquée sur la gorge d' Agrippa de ces lettres MP qui en font trois liées ensemble, l'une des branches de l'M formant un I comme l'autre forme un P. c'est-à-dire imperator. Elles sont renfermées dans un carré tracé par des lignes à plomb ou perpendiculaires. Sur le revers, on voit ces lettres AVG. Augustus, placés au-dessus de la tête du crocodile, et renfermées de même dans un carré, mais par des lignes inclinées ou diagonales.
La seconde a pour contremarque une espèce de cercle ou de roue entre les tètes d'Auguste et d'Agrippa. et ces lettres IM sur le revers, placées perpendiculairement dans un cercle, au-dessus du dos du crocodile.
La troisième porte ces lettres DD, empreintes dans un petit carré sur la face d'Agrippa, à peu près en ligne diagonale, lettres qui ne signifient autre chose que decreto decurionum.
La quatrième renferme dans un carré les lettres IMP liées ensemble, mises à plomb sur le derrière de la tète d'Auguste.
Enfin la cinquième n'a d'autre contre marque qu'une espèce de cercle vide et sans lettres imprimé sur la tète du crocodile.
L'usage de contremarquer ainsi des pièces de monnaie se pratiquait de même dans le reste de l'empire romain. On a de ces sortes de médailles frappées dans les monnaies de Rome. on en a aussi de diverses autres colonies. Mais ce n'est pas une médiocre difficulté que de découvrir la raison et le motif de cet usage. M. de Boze a soutenu (1) que les pièces la raison et le motif de cet usage. M. de Boze a soutenu (1) que les pièces contremarquées se distribuaient uniquement aux ouvriers employés à des travaux publics, pour leur servir de billet ou de certificat du salaire qui leur était dû, en les rapportant à la fin du jour aux officiers chargés de l'inspection de l'ouvrage. L'opinion est ingénieuse, mais elle porte sur un fondement ruineux. La principale raison de ce savant est l'usage où l'on était, selon lui, de ne contremarquer que les médailles de bronze, et jamais celles d'or et d'argent. Il donne cet usage pour constant. Nous savons cependant qu'il ne l'est pas. Nous connaissons plusieurs médaillons d'argent chargés de contremarques. qui étaient dans le cabinet de M. l'abbé de Rothelin. De ce nombre sont entre autres (2) deux médaillons grecs de Vespasien, l'un avec la contremarque d'Antonin Pie, et l'autre avec celle de Marc-Aurèle. De ce nombre est encore celui de Tite, grec aussi, chargé de la contremarque d'Adrien.
Quelques-uns prétendent (3) que c'étaient des marques introduites pour faire passer la monnaie par intérim après la mort d'un empereur. Ils disent qu'on changeait aussitôt les monnaies ; qu'en attendant que le type nouveau fût frappé, et qu'on eût reçu de Rome les coins du nouvel empereur, on mettait sur l'ancienne monnaie une contremarque qui consistait aux premières lettres du nom du prince parvenu à l'empire. Si ce principe était vrai, nous devrions trouver un plus grand nombre de médailles contremarquées. Elles sont cependant très rares, ce qui exclut toute idée d'un objet général.
II parait plus plausible de reconnaître dans ces contremarques une augmentation du prix des monnaies, non point pour le cours du commerce, mais pour suppléer au défaut de fonds lorsqu'il fallait payer les ouvriers des bâtiments publics. En appliquant ce système aux médailles contremarquées de la colonie de Nîmes, il s'ensuit que ce fut pendant le cours de la construction des édifices publics de cette ville ou de la réparation des grands chemins et autres travaux de cette nature, qu'on introduisit l'usage de contremarquer la monnaie.
On augmentait donc en cette occasion particulière et par ce moyen la valeur des espèces, sans en augmenter la matière. J'ajouterai que ces contremarques se faisaient sous l'autorité de l'empereur, mais de l'ordre des décurions, qui avaient à Nîmes l'intendance de la monnaie. C'est ce qu'on exprimait, tantôt par les seules premières lettres, ou du nom du prince, ou du mot imperator, et tantôt par les lettres initiales de la formule decreto decurionum.
(1) Science des médailles, tome 1, remarq. sur l'instruc. 8, page 349 et suiv. (2) Mémoire de l'académie des inscrip. et belles-lettres, tome 19, page 441 et suiv. (3) Ibid., tome 14, page 138 et suiv.
IV
Nous avons une autre médaille très remarquable, frappée par la colonie, qui est aussi de moyen bronze. Elle représente pour type la tête seule de l'empereur Auguste, ornée de rayons, avec ces mots au-dessus pour légende DIVVS AVGVSTVS. et au bas ces lettres S. C.
Le revers et tout de même que les précédents, chargé du crocodile, du palmier et autres figures. Cette médaille passa du cabinet du P. Vanière, célèbre par son érudition et son savoir, dans celui de M. le président d’Aigrefeuille de Montpellier, qui avait acquis le médailler de ce savant jésuite, et qui la regardait comme une des plus considérables de la collection. En effet elle est extrêmement rare. Le P. Hardouin en a cité une semblable (1) qu'il disait être dans le cabinet du P. Jobert si connu par son traité de la science des médailles.
L'époque de ce monument est certaine. La médaille fut sans contredit frappée après la mort d'Auguste, arrivée l’an 767 de Rome et 14 de Jésus-Christ.
C'est ce que démontre avec la dernière évidence la couronne radiale dont la tête est ornée. On sait que cette sorte de couronne ne fut prise avant Néron par aucun empereur vivant ; et que, comme c'était un ornement propre aux divinités, elle n’était donnée aux princes qu'après leur mort, lorsqu'ils avaient été mis au rang des dieux Le mot DIVVS confirme aussi la certitude de cette époque. On ne qualifiait de ce titre les empereurs qu'après la cérémonie de l'apothéose.
Au reste la médaille achève de prouver que la colonie de Nîmes regardait Auguste comme son fondateur, et qu'elle lui renvoyait tout l'honneur de son établissement.
Les lettres S. C. qui signifient senatus consulto, nous indiquent un point d'histoire important et honorable pour cette ville : c'est-à-dire, qu'elle avait droit de battre monnaie : honneur qui ne fut jamais accordé à aucune ville d'Italie. Quelques villes seulement du reste de l'empire Romain (2) avaient obtenu ce droit, et c'était par une permission du sénat seul, ou du sénat et du peuple tout ensemble, ou de l'empereur ; ce qui s'exprimait sur la médaille. On voit en celle-ci S. C. parce que c'était du sénat que la colonie de Nîmes tenait ce droit : ce qui doit s'entendre (3) de la monnaie de bronze. dont le sénat était demeuré en possession. Car pour celle d'or et d'argent, les empereurs en avaient seuls la disposition. Remarquons en même temps que Nîmes avait aussi obtenu d'eux le privilège de frapper cette dernière monnaie, ainsi que trois autres villes des Gaules, savoir Lyon, Arles et Trèves.
Au surplus, la tête d'Auguste représentée sur cette médaille sert de nouvelle preuve du privilège que Nîmes avait obtenu du sénat. L'honneur de mettre sur les médailles la tête du prince n'était permis qu'aux villes qui jouissaient du droit de battre monnaie.
(1) Joan Harduin. histoire d’Auguste ex numism. antiq. restitut. page 704. (2) Le P. Jobert, science des médailles, tome 2, instruc. II, page 13. (3) M. de la Bastie remarque sur la science des médailles, tome I, page 267 et suivantes.
V
La colonie de Nîmes avait de plus frappé des médailles différentes de celles que je viens de décrire, et par le type et par le revers. Telle est celle qui représente pour type une tête ornée d'un diadème, et sur le revers un homme qui est à cheval et qui a la tête couverte d'un casque. II tient de la main gauche la bride du cheval, et porte de la droite un gése, gœsum, sorte de trait qui était en usage parmi les Gaulois (1), et qui le fut aussi (2) parmi les latins.
Au haut du champ est une étoile, et au dessous ce mot pour légende NEMA. II pouvait y avoir une ou deux lettres du plus, qui vraisemblablement étaient V.S, ce lui faisait NEMAVS ; mais le coin qui a glissé ne permet pas de les distinguer. La médaille est d'argent et de la première grandeur, de manière qu’on peut la regarder comme un médaillon en ce métal ; elle est très rare. Bouteroue en avait vu (3) une pareille. II dit que derrière la tête du type il y avait un A. Mais je n'ai point vu cette lettre sur celle dont je donne ici la copie. C'est M. Boudon qui en est possesseur.
Ce monument est très curieux. II nous développe avec la plus grande certitude les idées que les anciens habitants de Nîmes s'étaient faites de leur fondateur. II est constant que c'est ici l'image du dieu Nemausus, ce fils prétendu d'Hercule ou plutôt cet Héraclide, à qui ils attribuaient la fondation de leur ville. image représentée en deux sens. D'un côté, ils le représentent en roi et de race de héros. comme l'exprime et le désigne la tète ornée d'un diadème, de cette espèce de ruban ou tissu dont les extrémités se nouaient derrière la tète et tombaient sur le col et qui caractérisait la royauté dans les monuments publics. Qu'on ne croie pas néanmoins que ce soit ici la tête d'Auguste, comme pourrait le faire conjecturer la reconnaissance manifestée par la colonie de Nîmes sur les médailles dont j'ai parlé plus haut. Le diadème seul oblige de rejeter entièrement cette idée. Jamais Auguste ne porta cet ornement royal. Quelque ancien qu'en soit l'usage, car il l'est encore davantage que celui de la couronne, on ne le voit paraître sur la tète des empereurs que dans les médailles du bas empire. Aurélien fut le premier, suivant le témoignage de Jornandès (4), qui commença de se parer de cet ornement. De l'autre côté de notre médaille, on voit encore l'image du même Nemausus, mais en cavalier, pour marquer les expéditions et les exploits de ce héros. Enfin le mot NEMA…., ou NEMAVS qui signifie Nemauso, indique la consécration de la médaille rapportée à ce prétendu fondateur de Nîmes. Je l'explique au datif, parce qu'il est constant dans l'antiquité que les monuments érigés en l'honneur d'un dieu ou d'un empereur portent l’inscription au datif Jovi deo, au lieu que ceux qui avaient été dressés par les princes même, la mettent au génitif, macellam Augusti. Ce mot au reste n'est point mis ici pour désigner la colonie même. Jamais les anciennes inscriptions de Nîmes ne mettent NEMA ou NEMAVS, lorsqu'il est question de cette colonie. C'est toujours par l'abréviation NEM, qu'elles la désignent sans l'allonger d'aucune autre lettre. D'ailleurs elles y joignent en même temps le mot COL.
Nous trouvons ici une preuve certaine de l'ancienneté de l'opinion qui attribuait à Nemausus la fondation de Nîmes. Ne nous étonnons donc plus si Parthenius de Phocés, qui, selon les notions assurées qu'on a de son âge, vivait dans le milieu du premier siècle de l'ère chrétienne, disait, au rapport d'Etienne de Bysance (5) que Nemausus, un des Héraclides ou descendants d'Hercule, avait fondé la ville de Nîmes.
Cet ancien écrivain trouva sans doute l'erreur établie de son temps. Au surplus cette opinion avait pris son principe dans l'histoire fabuleuse du pays. Sur quoi, il faut supposer, d'après Pomponius Mela (a). qu'Hercule pays. Sur quoi il faut supposer, d’après Pomponius Mela (a) qu’Hercule ayant passé dans la Gaule, et ayant eu il combattre deux géants liguriens, Albion et Bergion, fils de Neptune, dans une plaine qui était située entre Arles et Marseille, et les traits lui ayant manqué. Jupiter, son père. le secourut par une pluie de pierre, comme l'indiquent les champs pierreux où se passa cette merveille, campi lapider aujourd'hui la Crau.
Pomponius Mela n'est pas le seul qui ait fait mention de cette fable. Pline et Solin (6) l'ont aussi rappelée dans leurs écrits. De manière qu'il parait qu'elle était très ancienne, et généralement reçue parmi les peuples des Gaules. De la, les habitants de Nîmes, qui se trouvaient voisins du lieu où Hercule avait combattu les géants, ont pu se persuader qu'un des descendants de ce héros avait fondé leur ville. Cette origine leur parut soutenable. Elle était d'ailleurs brillante et remontait à la plus haute antiquité. C'en fut assez pour s'y arrêter. C'était la folie des anciens peuples. Il allaient chercher dans la fable et dans les temps les plus reculés (a) des héros pour fondateurs de leurs villes. Ils les déifiaient et en faisaient leurs dieux tutélaires. Les Romains se disaient descendus d'Enée. Les Anglais ne font-ils pas une généalogie aussi bizarre et aussi fabuleuse du roi Arthur.
Enfin dans nos Gaules même, les Bretons ne tiennent ils pas leur origine de Britus, et les Auvergnacs d'Anchise ?
L'hommage que rendirent par cette médaille ceux de Nîmes à leur fondateur, n'a rien de surprenant. S'ils firent éclater en ce genre les marques de leur reconnaissance envers Auguste qui avait établi leur colonie, ils devaient sans doute en consacrer aussi au dieu Nemausus le fondateur primitif de la ville. Aussi crois-je que cette dernière médaille qui fait le sujet de cet article, a suivi de près la première, et qu'elle a été frappée immédiatement après celle d’Auguste. On aura donc presque dans le même temps solennisé par des médailles la fondation de la ville d’un côté et l’établissement de la colonie de l’autre : deux points qui se présentaient alors les plus essentiels et les plus intéressants pour cette importante cité, et qui méritaient bien d'être perpétués par les monuments les plus durables.
(1) Cæs, de bell, Gall. (2) Tite-Live, lib. 8, cap. 8. (3) Bouteroue, recherch. des monnaies de France. (4) Jornand de reb. Gothor. (5) Stephan. Bysantin. gentil in voce Nemauza. (6) Pline., lib. 3, cap. 4. Solin, poly-histor., cap. 8.
VI
On voit sur cette autre médaille une tète portant un casque et du côté du revers une figure de femme, debout, vêtue et coiffée à la romaine, s'appuyant de la main gauche sur un bâton, et de l'autre présentant un bassin à deux serpents qui sont droits et prêts à prendre ce qui leur est offert.
Sur le côté gauche de cette figure. sont les mots NEM COL. Il y en a de deux grandeurs et de deux métaux ; l'une (1) de petit bronze, et l'autre d'argent du nombre des quinaires, de cette sorte du monnaie d’argent qui faisait la moitié d'un denier, et qui était ainsi appelée, parce qu'elle valait cinq as romains. La première est très rare. La seconde l’est beaucoup moins. Celle de bronze porte les lettres initiales S. C. du côté de la tête.
Un savant du dernier siècle (2) a cru reconnaître sur le type de cette médaille la tête du dieu Mars. Deux raisons le lui ont persuadé. La première est prise de la ressemblance qu'il y a entre cette tête et celle de Mars, telle qu'on la voit sur les anciennes médailles. La seconde raison est l'amour religieux que les Volces Arécomiques, dont Nîmes était la métropole, portaient à cette divinisé, ce qui est désigné, selon lui, par la dénomination de ces peuples, appelés Arecomici, c'est-à-dire Martis regio. A cela je réponds d'un côté que la tête casquée n'est point une image assurée et exclusive du dieu Mars, et qu'on voit très souvent Minerve et diverses divinités ayant la tète couverte d'un casque, et de l'autre, que le culte pour le dieu Mars n'était pas particulier aux peuples de cette contrée, car, selon le témoignage de César (3), ce dieu était généralement révéré par tous les habitants de la Gaule. Enfin le nom d'Arécomiques n'a aucun rapport à ce culte. puisque son origine est purement celtique et présente une toute autre idée, ainsi que je l'ai déjà établi (4) ailleurs par une note expresse.
Je crois donc, et avec plus de fondement ce me semble, que cette tête casquée est l'image du dieu Nemausus, le même en l'honneur de qui avait été nappée la médaille précédente. Les habitants de Nîmes ayant. à l'imitation de Rome, déifié le fondateur de leur ville, voulurent encore, à son exemple, le représenter en héros sur leurs monuments publics. Ils lui donnèrent la tète casquée, comme ceux de Rome l'avaient donnée à leur ville ou plutôt au dieu Mars, à qui Romulus. leur fondateur, rapportait sa naissance. Le casque d'ailleurs était l'ornement des rois et des héros, comme on le voit sur les médailles d'Alexandre et sur celles qui représentent Byzas, Hector et autres. Ce qui se rapportait parfaitement avec les idées qu'on s'était faites à Nîmes de l'origine et de l'extraction de Nemausus. Au reste, les lettres S C, c'est-à-dire senatus consulto, qui sont sur le type de cette médaille en petit bronze, n'ont pas besoin d'être expliquées, après ce que j'ai dit plus haut sur ce sujet.
Quant au revers de la médaille, quelques uns, au rapport de (5) Guiran, ont cru y reconnaître la déesse Minerve, ayant la tête couverte d'un casque, tenant une patère de la main droite, attribut ordinaire à toutes les divinités, et accompagnée de deux serpents ou dragons, qui lui sont particulièrement affectés. Mais cette manière d'expliquer les figures de ce revers ne s'accorde pas avec les justes notions que présente la médaille. Le seul aspect fait juger que la figure n'a point de casque, que les deux reptiles qui paraissent debout sont des serpents, et n'ont aucune ressemblance avec des dragons, que le bassin que tient la figure d'une main est pour leur présenter à manger, et qu'enfin on devrait lui voir tenir de l'autre main une haste, eu lieu que c'est un simple bâton, détails qui n'ont aucune sorte de rapport avec Minerve.
Il parait qu'on ne peut méconnaître dans cette figure l'image de la déesse Salus, telle qu'on la trouve (6) sur les médailles de M. Aurèle de Faustine la jeune de Gela. d'Elagabale et de plusieurs autres, c'est-à-dire présentant à manger à des serpents, avec une espèce de plat ou de bassin, attributs ordinaires de cette divinité. Le bâton sur lequel elle s'appuie de la main gauche est le symbole de l'état de faiblesse où se trouve un convalescent avant qu'il ait recouvré une pleine santé. Ce monument confirme la preuve que nous a déjà fournie la belle statue de marbre dont j'ai parlé plus haut. du culte particulier que rendaient les habitants de Nîmes à cette déesse. Les mots abrégés NEM COL désignent que ce fut la colonie qui fit frapper la médaille, tant au dieu Nemausus qu'à la déesse Salus. Elle réunissait ainsi ces deux divinités sur un même monument, parce qu'elle les adorait d'une manière plus particulière.
(1) Jean Tristan de S. Amand, comment. hist., tome 1, page 34. (2) Guiran ezplic dur. vetust. numiscn. tremaus., p. ba. (3) cœs , comm., lib.4, cap. 4. (4) Voyez tome 1er de cette histoire, note V. (5) Guiran, explicat. duor, vetustor. numism. Nem, page 64. (6) Jean Tristan, de J. Antaat, comment., hist., tomes 1, Y etia.
VII
La même tête casquée se voit aussi sur une autre médaille de la colonie. Le revers en est différent. On voit sur celui-ci une petite urne, ou un vase, à chaque côté duquel est une branche de palmier qui se recourbe par le haut. Au dessous sont ces mots abrégés, NEM COL. Le tout est renfermé dans une bordure détachée du grenetis, et qui forme une couronne composée de deux palmes. Cette médaille est de petit bronze et très rare. Je n'en connais qu'une qui avait appartenu à François Graverol.
La tête de cette médaille se rapporte encore au dieu Nemausus. L'urne ou le vase du revers, accompagné de deux branches de palmier, nous indique des jeux publics. Tels étaient les symboles qu'on employait sur les monuments numismatiques pour caractériser ces sortes d'exercices où la palme. quelquefois même une simple couronne de feuilles, faisait la noble récompense du vainqueur. Ceci était relatif aux usages qui se pratiquaient dans la célébration des jeux publics. On plaçait une urne ou un vase (1) au milieu du cirque, de l'arène et de tout autre endroit destiné pour les jeux, et ce vase était accompagné d'une branche de palmier, souvent d'une couronne. Les combattants s'approchaient de l'urne avant l'ouverture des jeux et y prenaient chacun de quoi faire des libations aux dieux. A la fin du combat, le vainqueur s'en approchait de nouveau et faisaient des libations en action de grâces, après quoi il recevait l'urne et la palme des mains du président des jeux. Les médailles frappées pour la consécration de ces sortes de jeux publics portent ordinairement l'emblème de cette pratique, par la figure qu'on y voit représentée ou d'une urne, ou de branches de palmier dont le nombre n'est jamais considérable, car on n'y voit altière qu'une ou deux palmes, quelquefois trois, mais jamais au delà. Tout cela est exactement observé sur notre médaille par les figures symboliques du revers. Ces figures nous apprennent aussi que ces jeux avaient été institués par la colonie en l'honneur du dieu Nemausus. Les mots NEM COL, c'est-à-dire Nemausensis colonia au nominatif, le prouvent avec évidence. C'est encore un usage sur les médailles, de marquer au nominatif le nom de celui qui établissait lies jeux. en sous-entendant le verbe constituit ou fecit. On voyait de pareils établissements faits dans le reste de l'empire par les villes même en l'honneur de quelque dieu ou de quelque prince, car ces sortes de fêtes se rapportaient toujours aux uns ou aux autres.
La colonie de Nîmes ayant assigné un culte public à Nemausus qu'elle prenait pour le fondateur de la ville, ne pouvait choisir de dieu plus agréable à ses habitants que celui-là, pour la dédicace de ces jeux.
Ce n'est pas tout ; je crois que ce furent ici les jeux de la victoire, que cette colonie fit célébrer en mémoire de la bataille d’Actium. En effet, nous Savons qu'à l'imitation des Grecs (2), les Romains avaient coutume de célébrer des jeux dans les réjouissances qu'ils faisaient à l'occasion de quelque victoire.
Nous savons qu'Auguste étant demeuré vainqueur d'Antoine, fit à cette occasion célébrer les jeux de la victoire. Il n'oublia rien pour en perpétuer le souvenir. Il fit bâtir une ville prés d'Actium, où cet important événement s'était passé, à laquelle il donna le nom de Nicopolis, et où il établit des jeux et des combats qui devaient se renouveler de cinq ans en cinq ans, et qui furent appelés Actia certamina.
La colonie de Nîmes, redevable de son établissement à ce prince, ne crut pas devoir se dispenser d'en instituer de semblables. Elle voulut solennellement manifester sa reconnaissance par les jeux de la victoire, et perpétuer par une médaille le souvenir de cette institution. C'était en effet l'usage de constater par ce dernier genre de monument la mémoire de ces grandes fêtes publiques.
C'est ainsi qu'après la défaite de Pescennius Niger par Septime Sevére, la ville de Tarse fît frapper des médailles où paraissaient les symboles des jeux de la victoire qu'elle avait fait célébrer en l'honneur de ce dernier prince. Au reste. l'époque des jeux célébrés à Nîmes, ainsi que celle de la médaille, ont dit suivre de près l'établissement de la colonie.
(1) Pausanias, lib. 8, page 532. Pollux, onomastic, lib. 3, cap. 30, p. 160. (2) Plutarch. de glor. Athen. Meurs. Græc. feriat., lib. 3. Murator. inscript. antiq, tome 2, p. DCXV, n° 1.
VIII
Nous avons une troisième médaille de la colonie de Nîmes, dont le type représente également une tète casquée. Mais le revers de celle-ci n'a point de figures. On n'y voit que ces mots : NEM COL. Elle a été frappée en deux métaux. II y en a de bronze et d'argent. Les premières sont de petit bronze et les secondes des quinaires. La tète casquée est toute la même dans les deux genres de cette médaille. Quant au revers, je crois y trouver quelque différence. Celle qui est en argent renferme la légende dans le grenetis, comme à l'ordinaire, et au dessous on aperçoit une espèce de petite couronne.
Mais la légende de celle de bronze est entourée d'une bordure qui parait former une couronne composée; de deus palmes et détachée du grenetis. C'est encore ici une médaille frappée en l'honneur du dieu Nemausus par les anciens habitants de Nîmes, et relative aux jeux publics qu'i:s lui avaient consacrés. La petite couronne. vraisemblablement de palmier, qui est sur le revers de celle d'argent. et les deux palmes qu'on voit sur celle de bronze, indiquent l'institution de ces jeux.
IX
Ce ne furent pas les seuls habitants do Nîmes qui consacrèrent des monuments numismatiques au dieu Nemausus. II nous reste une médaille où l'on trouve la preuve assurée que le reste des Volces Arécomiques, dont cette ville était la métropole, lui en consacra aussi. Cette médaille est de petit bronze. On y voit d'un côté une tête portant un diadème, ou une espèce de bandelette, vitta redimitum caput. Les cheveux liés en cadenettes descendent sur l'épaule. Au bas et sur le devant de la face est une petite couronne, et par derrière sur le côté droit sont bravées ces lettres VOLC. Le revers représente une figure d'homme. vêtu d'une longue robe qui regarde une palme posée droite devant lui. La draperie de sa robe lui pend sur le bras gauche et va jusqu'aux pieds. De ce même côté est écrit pour légende le mot abrégé AREC. Cette médaille n'est pas bien commune. A peine en a-t-on trouvé deux parmi le tas de celles qui se sont découvertes de nos jours dans la fouille des bords de la Fontaine. Bouteroue a rapporté (1) la même médaille, et il dit que la tête est ornée du diadème, les cheveux cordonnés et pendant sur le col. Le P. Hardouin en avait une (2) dont il nous a donné la description. Mais il n'y parle pas de la petite couronne du type, non plus que de la palme du revers, figures visiblement exprimées sur notre médaille. Je soupçonne que la sienne était demi fruste, et les figures des deux champs était presque effacées.
Quant a l'explication de la médaille, cet auteur (a) estime que la tête couronnée d'un diadème représente le sénat de Nîmes, et que la figure du revers est l'effigie d'un sénateur. vêtu de la toge. Ce sentiment ne peut pas se soutenir. Les anciens monuments n'expriment jamais l'emblème d'une compagnie, d'un corps, même le plus éminent en autorité, par une seule tête ou par des diadèmes. Je n'en connais du moins aucun exemple dans l’antiquité. Outre cela, je ne vois pas quelle raison particulière pouvait avoir obligé les Volces Arécomiques à honorer ainsi par une médaille la magistrature ou le sénat de Nîmes.
X
Il nous reste encore une autre médaille des Volces Arécomiques qui confirme l'explication de la précédente. On voit sur celle-ci une tête dont les cheveux sont courts et presque frisés ou crêpés. sans diadème ni aucune sorte d'ornement. Au-dessous du menton est ce monogramme AR, c'est à dire Arecomici. Le revers n'a point de figures. Il est seulement partagé par deux lignes qui en coupent le champ transversalement et forment une vraie croix. Chaque carré contient une de ces quatre lettres VOLC. , qui signifient Volcœ. La médaille est d'argent. Elle a été trouvée de nos jours dans les décombres et les débris de la Fontaine. Elle est possédée par M. Boudon.
La tète de cette médaille n'est autre que celle du dieu Nemausus. Quoiqu'elle ne soit pas ceinte du diadème, ce n'est pas à dire qu'on ne doive y reconnaître l'image de ce héros. Les médailles nous présentent souvent la tête d'un même roi ou d'un même héros, tantôt ornée de ce bandeau royal et tantôt sans aucune marque semblable. Ce fut donc encore ici un autre monument consacré par les Volces Arécomiques au fondateur de la ville de Nîmes.
XI
On trouva dans les premières excavations de la Fontaine deux coins de médaille de l'empereur Auguste, qui méritent d'avoir ici leur place. Ils étaient de bronze et de figure conique, mais de différente hauteur. L'un avait 1 pouce 10 lignes de haut, et 1 pouce 1 ligne de diamètre. La hauteur de l'autre était de 14 lignes, et son diamètre de 11. Le premier ne subsiste plus, parce qu'ayant été mis sous le balancier, il se cassa et les morceaux s'en sont perdus. On en a heureusement conservé des copies. Il s'en trouve une dans les mémoires (1) de l'académie des inscriptions. De mon côté. j'en avais fait faire un dessin très exact.
La tête y est placée à contresens, c'est à dire de droite à gauche, qui est le côté opposé à celui que devait présenter la médaille. On voit écrit autour ces mots, AVGVSTVS DIVI F et par la même raison, les lettres sont aussi gravées à rebours.
Le second coin a passé entre les mains de M. de Caylus (2) qui l'a publié dans sa collection. Il n'y a sur celui-ci que la seule tête d'Auguste, sans légende. Ce savant antiquaire, curieux de toutes les finesses de l'art, a voulu connaître (3) la véritable matière de ce coin. D'abord il l'a jugé d'une forme avantageuse pour résister au marteau ; parce qu'étant placé dans un mandrin de métal et de même forme, il se trouvait exactement et également soutenu dans toutes ses parties. Mais sa pesanteur comparée à son volume l'ayant étonné, il l'a limé légèrement à son extrémité ; et par le moyen de l'analyse, il a vu qu'il était composé de cuivre, de zinc, d'étain et de plomb calciné, en portions égales. Cette expérience peut, ce me semble, avoir trait au coin qui a été cassé, et l'on doit présumer que l'alliage en était le même.
Au reste, si nous avions besoin de nouvelles preuves pour établir que sous les Romains les habitants de Nîmes jouissaient du droit de faire battre monnaie, les deux coins que je viens de décrire en fourniraient une bien convaincante.
Ce n'est pas aux seules médailles de la colonie que se bornent les riches découvertes qu'on a faites à Nîmes en divers temps. Il s'en est trouvé une quantité prodigieuse, soit consulaires et de familles romaines, soit impériales, de différentes grandeurs et de différents métaux. Rulman rapporte (4) que de son temps il s'en découvrit cinq mille d'argent, en un seul endroit, près de l'ancien château royal, lorsqu'on travaillait aux fortifications. Il ajoute que ces médailles pesaient un demi-quart d'écu chacune, que la plupart étaient des empereurs depuis Néron jusqu'à Elagabale, qu'il y en avait aussi de leurs femmes, telles que des Sabine, des Faustine, des Lucilla. des Plautilla, des Julia et quelques autres, et qu'enfin un des habitants vendit mille de ces médailles à un officier de la maison du roi, qui les fit passer dans le cabinet de Monsieur. Cet auteur nous apprend encore que du nombre des médailles trouvées à Nîmes, un particulier de cette ville, nommé Tournier, contrôleur, avait les douze premiers empereurs en or, et la suite en argent jusqu'à Commode, avec différents beau revers, et de plus, une suite complète en bronze, excepté Jules César, Vitellius et Othon. Ce particulier ne me parait pas différent de celui de même nom, que Poldo Albenas assurait comme je l'ai dit plus haut. avoir vu la médaille du crocodile en argent.
On en trouva aussi dans le même temps de très rares, telle que la médaille de Jules César en or, qui était d'une beauté achevée, et qui tomba entre les mains de M. de Peiresc. La vie de ce savant nous apprend qu'il l'acheta quatre écus d'un orfèvre (5), en passant à Nîmes en 1610. On y lit même cette circonstance singulière, qu'il avait vu cet orfèvre en songe la veille, et fait avec lui, durant le sommeil, le même marché et au même prix qu'il le conclut ensuite, circonstance que l'historien de M. de Peiresc (a) avait apprise de ce savant lui même.
Le détail de ce monument nous conduit à des idées plus justes ou du moins plus plausibles, et qui développent un trait important pour l'histoire ancienne de Nîmes. Il parait d'abord qu'on ne peut se dispenser de rapporter la médaille à des jeux et à une tète publique. La petite couronne placée au-devant de la tête qui n'est autre que celle du dieu Nemausus, et la palme qui paraît sur le revers, sont le symbole ou l'emblème et de la dédicace des jeux et des prix assignés au vainqueur. La figure d'un homme vêtu d'une longue robe doit représenter un des officiers publics préposés pour juges dans les jeux. Ce sera donc la nation entière des Volces Arécomiques qui aura fait célébrer des jeux vraisemblablement à Nîmes même. De plus, à l'imitation de leur métropole, ce furent encore les jeux de la victoire que ces peuples y célébrèrent en l'honneur d'Auguste. Aux témoignages publics de reconnaissance qu'avait donnés la colonie de Nîmes envers ce prince, succédèrent ceux de toute la cité qui était soumise à cette colonie, cité également intéressée à son établissement, puisque la gloire et les privilèges en rejaillissaient sur elle. La même raison de dépendance engagea les Volces Arécomiques à consacrer aussi ces jeux au dieu Nemausus. C'était le dieu tutélaire de la colonie, et par conséquent celui de toute la nation. Au reste les prix qui furent adjugés dans ces jeux pouvaient être une couronne d'or, accompagnée d'une palme, ce qui se trouve exprimé sur la médaille. Je dis une couronne d'or, parce que depuis le dernier siècle de la république, on substitua quelquefois des couronnes d'or aux couronnes de feuilles naturelles.
(1) Bouteroue, recherch. des monnaies de France, p. 50. (2) Joan. Harduin. oper. select. in fol. numm. antiq. popul. et urb. illustrat. litter, v. page 176.
Quelle abondance de médailles n’ont pas produite de nos jours les décombres de la Fontaine. La plupart sont en grand et en moyen bronze, quelques une en or et en argent. Ce sont entre autres, des Agrippa, des Claude. des Vespasien, des Domitien, des Trajan, des Adrien, des Antonin. des Marc-Aurèle, des Faustine. plusieurs du bas empire. Mais il ne s'en est trouvé aucune de bien rare. On y a découvert aussi quantité de petites pièces rondes da bois et de corde, de la grandeur de nos deniers, toutes unies. avec un point creusé au milieu qui ne perce pas. Je soupçonne que ce sont des monnaies des plus anciens temps. Ce qui me fortifie dans ma conjecture, c'est l'autorité d'Eusèbe (6) qui rapporte que sous Numa Pompilius, les as étaient de bois, de cuir et de coquilles. On ne les fit de cuivre que sous Tullus Hostilius. Si mon idée a quelque fondement. ceci fournirait à la ville de Nîmes une nouvelle preuve de l'antiquité de sa fondation. On trouve souvent de semblables pièces dans les tombeaux romains de cette ville.
Enfin il se passe peu de jours. pour ainsi dire. que les paysans ne rencontrent des médailles sous leurs mains , en travaillant à la terre dans les champs et les vignobles de Nîmes, les unes d'or, les autres d'argent et quantité de bronze.
Léon Ménard, 1758.
(1) Mémoire de l'académie des inscriptions et belles lettres. tome 74, Histoire, page 105. (2) M. de Caylus, rec. d'antiquités, tome 1. planche CV, n° 1. (3) Ibid, page 289 et suiv. (4) Anne Rulman, inventaire ms. des affaires et antiquités de Nîmes, livre 3, récit. 64 et 67. (5) Petr Gassendi, vit. Nicol. claud. Fabricii de Peiresc lib. 2, ad ann. 1610. page 125 et seqq. (6) Euseb. chron. an 306.
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