Inauguration de la Fontaine de l'Esplanade à Nîmes.
per Henri Révoil, 1851
 
 
La ville de Nîmes, où les Romains, ce peuple géant des siècles passés, ont laissé après eux un si grand nombre de monuments admirables qui rappellent au voyageur et à l'antiquaire la grandeur de leur puissance, vient d'ajouter à cette série de constructions séculaires un chef-d'oeuvre dù à l'heureux concours de deux artistes d'un talent émérite, MM. Questel et Pradier.
 
Le 20 mai 1844, le conseil municipal avait mis au con­cours le projet d'une fontaine qui devait s'élever sur la place de l'Esplanade, au milieu d'un quartier tout neuf, le centre de la cité, le faubourg Saint-Germain de la capitale du département du Gard. Le 17 décembre, de cette même année, le jury nommé. pour juger ce concours choisit à l'unanimité le projet de M. Questel, et l'adjudication des travaux eut lieu le 5 décembre 1846.
 
L'administration municipale voulant obtenir un monu­ment grandiose, décida que le ciseau de Pradier, l'un des plus célèbres sculpteurs dont la France s'honore, taillerait dans le marbre de Carrare cinq figures allégoriques qui, par leurs formes gracieuses, donneraient à l'oeuvre de M. Qaestel un mérite encore plus grand. C'était cinq diamants à en­châsser dans de l'or.
 
Pendant quatre années, les deux artistes que nous venons de nommer travaillèrent avec zèle à remplir le mandat qui leur avait été confié par les autorités nîmoises, et le diman­che 1er juin 1851 le monument achevé a été inauguré en présence d'une population immense augmentée encore par la foule accourue de tous les départements voisins pour as­sister à cette solennité.
 
Avant de parler de la cérémonie, qui fera époque dans les annales de l'ancienne cité romaine, nos lecteurs nous permettront de décrire la fontaine dont nous leur offrons un dessin fidèle.
 
Au milieu d'un bassin octogone de marbre gris, bordé d'un parterre de fleurs, et environné d'une grille du goût le plus pur, due au travail d'un habile fondeur, Ml. Alarius , s'élève un socle autour duquel sont adossées quatre vasque3 monolithes ornées chacune de trois têtes de lion, d'où l'eau retombe dans la vasque centrale.
 
Une statue aux proportions gigantesques, drapée à l'an­tique dans un peplum aux plis noblement agencés, person­nifie la ville de Nîmes. Sa tête est puissante et gracieuse à la fois, son profil appartient au type grec le plus pur, et sa coiffure est une couronne murale composée de la reproduc­tion en miniature des Arènes, de la Maison-Carrée, du palais de justice et du théâtre, quatre joyaux d'architecture dont s'enorgueillit la cité qu'elle représente. Sa main droite, reposée sur une tar;e au milieu de laquelle le sculpteur a buriné les armes de la ville, composées de deux mains unies symbolisant la bonne foi, et du crocodile enchaîné au pal­mier qui sépare les deux mots : CoL. (Colonia), NEM (nemausensis), tient le symbole de l'industrie nîmoise et retombe avec une grâce infinie.
 
Au-dessous de cette figure, aux angles du monument, le statuaire a groupé quatre statues d'une dimension pareille, représentant le Gard, Vardo ; le Rhône, Rhodanus ; la fontaine d'Eure, Ura ; et la fontaine de Nîmes, Nemausa. Les deux premières se reposent sur des urnes renversées, les autres sur des masques antiques d'où l'eau jaillit dans les granites vasques.
 
Le Rhône, placé â l'angle qui fait face aux Arènes, se dresse sur son socle avec la puissance d'un dieu de l'0­lympe, et la vigne enlace ses pampres gracieux autour de ses membres puissants.
 
Le Gard , qui fait pendant au Rhône, a été modelé par Ml. Pradier avec une rare habileté. Cette statue offre des beautés de raccourci que nous aimons à signaler : la main droite tient un trident, et la tête exprime l'irritation que le torrent (personnifié par le sculpteur) éprouve à rencontrer les obstacles semés sur son passage.
 
La fontaine de Nîmes, qui fait face à la route de Mont­pellier, se manifeste salis les traits d'une jeune fille aux formes sveltes et gracieuses, à moitié cachées par une dra­perie, et dont la tête charmante est partiellement voilée à l'aida d'une couronne de nénuphars.
 
A l'angle qui fait face au boulevard, les yeux tournés vers le chemin de fer qui conduit à Beaucaire, la fontaine d'Eure, une lyre à la main , coquette à l'air rêveur, semble prêter une oreille attentive au murmure de l'onde qui coule à ses pieds.
 
Les détails d'architecture que M. Questel a inventés mé­ritent aussi d'être mentionnés. Les vasques, en pierre de Crussol de l'Ardèche, granit dur et poli, d' une couleur jaune­rosé, sont d'une forme toute gracieuse et élégante. La misa au point des ornements multiples de la fontaine est due à l'habile ciseau de M. Ferlin de Valence, qui apporte à tous les ouvrages qui sortent de ses mains un soin minutieux et digne d'éloges. C'est à M. Henri Durand que MM. Questel et Pradier avaient confié la tâche difficile de surveiller l'exécu­tion de leur ouvrage, et il s'est dignement acquitté de sa mission, aidé par MM. Casal et Ginestoux.
 
Pour résumer notre description, le bassin principal offre un diamètre de 44 mètres 35 centimètres. La hauteur du piédestal est de 6 mètres 78 centimètres; celle de la statue de Nîmes, de 3 mètres 75 centimètres, et son!poids dé­passe 44000 kilogrammes. Les quatre figures ont 2 mètres 60 centimètres de hauteur. L'élévation tôtale du monument est de 40 mètres 52 centimètres. La grille qui protège le jardin tracé autour de la fontaine est décorée de tridents, et à chacun de ses angles s'élève un candélabre d'une forme nouvelle et élancée.
 
L'eau qui alimente la fontaine d'une quantité de 600 litres par minute a été amenée sur l'esplanade par des canaux qui aboutissent à cet immense bassin situé au pied du mont d'Haussez, où sourdit l'onde salutaire qui avait donné aux Romains l'idée de construire les bains magnifiques dont les ruines sont, de nos jours, un des plus curieux restes des monuments antiques de la ville.
 
Telle est la description de ce travail gigantesque, qui est devenu par son achèvement l'un des monuments dont s'ho­nore la ville de Nimes.
 
La cérémonie d'inauguration de la fontaine de Nîmes , ainsi que nous l'avons dit, a eu lieu le dimanche 1er juin. Dès le matin la foule avait envahi les abords de l'esplanade. Chaque fenêtre était pavoisée comme pour un jour de fête, et le soleil, jaloux de participer à la joie publique, déployait ses plus brillants rayons.
 
A dix heures, plusieurs coups de canon annonçaient l'ar­rivée du préfet, M. Lagarde, accompagné par les autorités de la ville, le maire, les membres du conseil municipal, toutes les notabilités littéraires et artistiques, précédés de la brillante fanfare de la garde nationale commandée par M. Henri Révoil, architecte, à qui nous devons le dessin que nous reproduisons aujourd'hui.
 
En l'absence de MM. Questel et Pradier, M. Durand fit remise aux autorités du monument confié à son inspection, et à l'instant même, comme par enchantement, les eaux jaillissaient pures et limpides, irisées par les rayons du so­leil. Plusieurs discours ont été prononcés, et la cérémonie s'est terminée par un défilé général des troupes et de la garde nationale. Inutile d'ajouter que la population entière, avec cet élan méridionnal qui exprime toujours sa joie d'une manière bruyante, faisait retentir les airs des plus énergiques hurrahs
 
B. - Henri Révoil, 1851.
Extrait de l'illustration, Journal Universel – N° 433, du Jeudi 12 au jeudi 19 juin 1851.
 
 
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