LE PALAIS DE JUSTICE DE NÎMES

 

texte de Michel Jouve, 

extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1901. 



I
Construction 1838-1856

L'architecte Gaston Bourdon. - Nécessité d'agrandir le Palais. - Projet de reconstruction et d'extension jusqu'à la rue Régale. - Avis favorable de la Cour d'appel en 1835. - Pose de la première pierre en 1838. - Façades sur l'Esplanade et les Arènes de 1840 à 1845. - Embellissements des abords du Palais : Avenue de la gare; Fontaine de Pradier ; élargissement de la rue Régale. - Difficultés pour le règlement des travaux. - Insuffisance du Palais.

Le 18 juin 1828, un arrêté du Ministre de l'Intérieur nommait architecte du département du Gard un jeune et brillant ingénieur, ancien élève de l’École des Beaux-Arts, Gaston Bourdon (1). C'était le gendre de l'architecte (2), qui, après la retraite de Charles Durand, venait d'achever, par les prisons et la façade du couchant, la rénovation des bâtiments séculaires de la sénéchaussée.

(1) Archives départementales, 5. N. 23.
(2) Cet architecte, Simon Durant, se retira après avoir obtenu d'être remplacé par Gaston Bourdon qui devenait son gendre. Bourdon, à sa sortie de l’École des Beaux-Arts, avait été nommé architecte du département de la Lozère, en résidence à Mende.

Dès son entrée en fonctions, Gaston Bourdon put constater les dimensions insuffisantes du Palais de justice. On se souvient que cette insuffisance avait déjà soulevé de nombreuses réclamations, surtout au lendemain de l'installation des trois chambres de la cour impériale, en 1811. L'édifice avait été commencé, en 1805, à une époque où la juridiction d'appel se composait d'une chambre unique, avec des ressources trop minimes et en des proportions trop restreintes imposées à l'auteur de ses plans (1). Le tribunal de commerce n'avait pu encore y obtenir un auditoire, et continuait à siéger provisoirement en des locaux successifs (2). L'unique salle d'audience affectée à la cour ne pouvait suffire aux deux chambres civiles. L'une d'elles était obligée de tenir séance dans la salle des assises, mal disposée pour ce service et qu'il fallait abandonner à chaque session du jury criminel. Les plaintes des magistrats se reproduisaient (3) constamment. L'idée d'une réfection nouvelle du Palais de justice se préparait peu à peu.

(1) Voir ce qui a été dit à cet égard, Palais de l'Empire, p. 59,60.
(2) On le trouve, en 1837, dans les bâtiments de l'Hôpital général ; en 1845, dans une annexe de la mairie, local pour lequel le département paye 850 francs de loyer. (Procès-verbaux du Conseil général. Rapport du Préfet, 1837, 1845.)
(3) Journal manuscrit du conseiller Fargeon, 5 décembre 1830.

De graves évènements à l'extérieur et à l'intérieur du royaume ne permettaient point, toutefois, à cette idée, de s'imposer à l'attention du gouvernement. La guerre de l'indépendance grecque s'achevait. Mais l'expédition d'Alger remettait en action les forces du pays (1).

(1) Le 1er juin 1830, la Cour assiste, dans la cathédrale Saint-Castor, aux prières pour le succès des armes du roy contre le dey d'Alger. L'évêque profite de la circonstance pour parler des élections, ce dont il est généralement blâmé. (Journal du conseiller Fargeon.)

Des élections générales agitaient en même temps la France entière. Une majorité libérale hostile au ministère Polignac était élue. La Révolution de juillet 1830 faisait monter Louis-Philippe sur le trône. C'étaient, ensuite, en 1831, les insurrections de Paris et de la province, en 1832, le choléra ravageant la France.
Il faut attendre 1833, pour soumettre au conseil général du Gard des propositions relatives à l'agrandissement du Palais. C'est, en réalité, une reconstruction totale que l'on prémédite, mais, suivant le procédé administratif bien connu, on amorce l'affaire avec des prévisions de dépenses très réduites. Le rapport du préfet ne demande que 36,000 francs au département, 16,000 francs à la ville de Nîmes ; le reste de la dépense dont le montant s'élèvera, d'après le premier devis, à 246,000 francs, sera à la charge de l’État. (1)
Bourdon a dessiné des plans : les travaux à !'étude permettront de recevoir, enfin, dans l'édifice judiciaire, le tribunal de commerce, donneront à la cour d'appel une seconde salle d'audience (2), doubleront les proportions des locaux occupés par les divers services. Pour réaliser les agrandissements, l'architecte prévoit l'achat de deux immeubles à l'est du Palais. Bourdon revient, en partie, aux vastes conceptions des projets primitifs de Charles Durand. À son tour, il a été saisi par les souvenirs de l'antique basilique; et au moment d'édifier une œuvre sur cet emplacement, il la rêve, lui aussi, digne du glorieux passé architectural. Il veut donner à la façade de son monument la totale largeur de l'îlot entre le boulevard des Arènes et la rue Régale.
À l'angle de cette rue et de l'Esplanade, à côté des formes élégantes du portique gréco-romain, les messageries Galline (3) étalent la laideur de leurs écuries et de leurs remises. Derrière, au nord, sur la rue Régale, est la maison du cordonnier Henry. Ces constructions seront démolies ; le futur Palais prendra possession de leur sol, y prolongera ses ailes.

(1) Procès-verbaux du Conseil général du Gard, année 1833.
(2) On prévoit même une salle pour une quatrième chambre que l'un fait espérer a la Cour, sans que cette espérance n’ait jamais été réalisée.
(3) Leur terrain avait été acheté par le citoyen Loyson à la commune, lors de l'aliénation du sol des remparts, suivant acte du 30 octobre 1792.

Les plans de Bourdon eurent à subir l'épreuve redoutable de l'examen par le conseil des bâtiments civils. De longs débats s'engagèrent entre les membres de cette assemblée. Un parti s'y était formé qui tenait pour la façade de Charles Durand et en imposait le maintien. Le vieil architecte, alors âgé de plus de 70 ans, en présence des projets qui menaçaient son portique, avait retrouvé, pour le défendre, toute l'énergie de la jeunesse. A Paris et à Nîmes, au conseil des bâtiments civils, au préfet, aux magistrats, il présentait des mémoires, demandant des enquêtes, sollicitant l'avis des artistes. Sur ses instances, le conseil des bâtiments civils fut sur le point d'adopter un projet qui agrandissait le Palais sans toucher aux ouvrages de 1809, par la construction de larges annexes soit à l'angle de la rue Régale, soit au-dessus de la façade du couchant qu'on aurait surélevée. On faisait ressortir « les dépenses incalculables, le gaspillage qu'entraînerait la réédification intégrale d'un monument aussi important et presque neuf. » (1)

(1) Sur les divers projets débattus, à cette époque, voir Archives départementales, 5. N. 5, liasse 1. Rapport de M. Rohault au conseil des bâtiments civils. A un certain moment, le conseil est d'avis que la façade est trop récente pour être démolie. - Un plan montre la façade dorique de Charles Durand avec ses pavillons, et, à droite, à l'angle de la rue Régale, un énorme et massif bâtiment au soubassement en pierres taillées à pointes de diamant où seraient les nouvelles salles du Palais. - Un mémoire de Charles Durand proteste contre le projet « d'un artiste, jeune encore, qui, jaloux de se faire un nom, profite de l'influence que lui donne son titre d'architecte du département pour proposer la destruction de toute la façade d'un monument que j'ose dire remarquable ». Ailleurs, Charles Durand demande la réunion d'une commission d'ingénieurs, d'architectes et d'artistes, qui déciderait si on ne peut pas conserver cette façade r qui a attiré l'attention des connaisseurs ».

La cour d'appel fut consultée, on avril 1835. Il y avait, parmi les magistrats, plusieurs confrères de Charles Durand à l'Académie de Nîmes, qui appréciaient fort le talent déployé autrefois par l'architecte (1). Mais leurs sympathies ne troublèrent point l'impartialité de leurs avis. La cour décida, avec raison, que les dispositions générales du nouveau Palais ne devaient pas être subordonnées à la conservation de la façade de 1809.

(1) Parmi les magistrats académiciens de cette époque, le président honoraire, ancien procureur général Cavalier, les conseillers Teulon et de Labaume, le juge d'instruction Maurin, père de notre ami et confrère actuel.

Quel que fût le mérite artistique de cet ouvrage, il devait disparaître pour faciliter l'exécution d'un ensemble architectural plus ample, mieux approprié au développement des services judiciaires (1). Sur le rapport d'une commission nommée à cet effet (2), la cour formula son adhésion au projet de Bourdon, « quel que fût l'excédent de la dépense ».
« En étendant le Palais jusqu'à la rue Régale, dit le rapport, et en le reconstruisant sur un plus grand style, il donne à cet édifice l'importance que les vœux de tous désiraient pour lui. Il l'isole entièrement et le place, ainsi qu'il doit être, pour orner convenablement la belle partie du boulevard où il se trouve.
Le bel escalier qui se présente majestueusement en face de la porte principale et qui conduit si dignement aux salles d'en haut devra avoir deux volées latérales complètes.,.. Les salles d'audience ne seront plus éclairées par le haut. »

(1) Le manuscrit du conseiller Fargeon indique, à la date du 24 mars 1831, que les causes civiles sont montées de 800 à 1.000. La statistique de 1832 donne 1.392 affaires civiles à juger, dont 308 seulement sont l'objet, dans l'année, d'arrêts contradictoires. L'arriéré est considérable. En 1834, 746 affaires civiles ont plus de trois mois d'inscription au rôle. Il y a, pour cette année, 1316 affaires civiles.
(2) Cette commission était composée de MM. président de Trinquelague, conseillers Fajon, Lapierre, de Labaume et Roussellier, et du procureur général. Son rapport est annexé au 6e volume des délibérations de la cour, année 1835. II rend hommage à Charles Durand : « S'il est à regretter que le Palais ait été reconnu insuffisant aussitôt qu'achevé, la faute ne peut être imputée à M. Charles Durand, son architecte distingué. Il avait compris, mieux que personne, que son importance exigeait d'autres bases.... malheureusement ses avis ne furent pas suivis. ... »

La cour recommande d'assurer une parfaite symétrie aux deux pavillons à reconstruire : celui du tribunal de première instance et celui de la juridiction d'appel. Elle regrette, comme on le regrette encore aujourd'hui, que la façade principale et celle de la rue Régale ne se raccordent pas régulièrement et qu'un enfoncement disgracieux doive exister à leur point de jonction. Elle prévoit que « la salle du conseil qui servira de grande salle des assemblées générales deviendra forcément un passage (1), étant entre les diverses dépendances du Palais ».
*
L'appui que, malgré quelques critiques, la cour d'appel accordait aux projets de Bourdon, fit tomber les dernières résistances qui retardaient leur approbation administrative. En septembre 1835, l'architecte put établir un devis (2) détaillé et définitif pour la maçonnerie et la charpente des travaux d'agrandissement. Les parties essentielles du devis comprennent la réfection de la façade sur l'Esplanade pour son extension jusqu'à la rue Régale, la construction d'une façade sur cette rue, de nouveaux bâtiments, destinés au tribunal de commerce en un étage, et à la cour d'appel sur les terrains devant élargir le périmètre de l'édifice judiciaire.

(1) Ces prévisions se sont exactement réalisées en ce qui concerne cette salle située au pavillon droit du Palais, à côté de la loge du concierge de la cour. On la traverse à chaque instant pour pénétrer dans les autres salles de la cour d'appel.
(2) Les pièces relatives à l’œuvre de Bourdon se trouvent aux Archives départementales, série N, 5° division, immeubles départementaux, principalement aux dossiers n° 5, 12, 22, 31 à 34.

Si l'auteur du Palais qui allait disparaître n'avait pas eu, à ce moment, pour l’œuvre de sa jeunesse, une trop exclusive affection de vieillard, il aurait salué, comme une triomphale résurrection de cette œuvre, le monument proposé par Bourdon. La façade projetée sur l'Esplanade reproduisait, en effet, dans son ensemble, la création de Charles Durand, dressait, elle aussi, son portique gréco-romain, sa colonnade, ses péristyles, semblait n'être que la reprise de l'effort commencé par l'architecte du Consulat vers l'idéal antique. Les pierres, même des sculptures, des fragments entiers du Palais de l'Empire, un instant désassemblés, reprendraient leur place aux murs et aux voûtes du futur Palais, en des lignes presque inchangées.
Le devis du 14 septembre 1835 amplifie les proportions du portique central, assigne aux bases des colonnes, « fatiguées par la charge », de fortes pierres de Roquemaillère, « de l'espèce dont on fait les meules de moulins », développe les dimensions des pavillons et de leurs terrasses ; mais repose, en les ajustant, les cinq rosaces de l'ancien péristyle auxquelles il en ajoute simplement une sixième (1). Les deux statues, qui, sur des piédestaux, ornent les paliers extérieurs dominant le perron, continueront, après restauration (2), à symboliser la Vigilance et la Prudence. Les pierres de taille et les bards de Beaucaire, les pavés de Barbentane provenant des démolitions seront retaillés, retravaillés, replacés pour les mêmes usages. Le devis ne s'occupe point de la façade du couchant ni de la cour d'assises, ne mentionnant, pour ces dépendances du Palais, que « le remaniement des couverts ». On continue à procéder comme « par petits paquets », par réfections partielles et progressives. Les architectures de l'édifice judiciaire nîmois ne connaîtront jamais les révolutions radicales qui détruisent tout avant de reconstruire.

(1) Évaluée 45 francs. La repose et l'ajustement des cinq rosaces anciennes, évalués 60 francs.
(2) La restauration est évaluée 300 francs. Ces statues ont été restaurées, à nouveau, plusieurs fois depuis, notamment il y a trois années, le coq de la Vigilance ayant perdu la tête, et la lampe symbolique s'étant cassée. Voir, sur ces statues, Palais de l'Empire, p. 69.

Les formalités administratives prennent de longs mois, les filières hiérarchiques retardent, jusqu'au 24 août 1836, l'ordonnance royale déclarant les travaux d'utilité publique. On achète alors la maison du cordonnier Henry (1) ; et les messageries Galline refusant de vendre leur terrain au coin de la rue Régale et de l'Esplanade, on va les exproprier. La procédure, les démarches se prolongent (2) pendant toute l'année 1837.
Au début de 1838, l’État est enfin propriétaire, moyennant une indemnité de 100.000 francs, de cet angle de la rue Régale, où s'appuyait, au rempart d'autrefois; l'extrémité de la plateforme armée de la Couronne. Les travaux du Palais commencent en mai. Ils ont été adjugés À l'entrepreneur Joseph Estève (3). Ils ne changent rien au fonctionnement normal des services judiciaires. Les magistrats siègent, comme d'habitude, d'ans leurs salles d'audience. C'est dans les terrains récemment acquis, du côté de la rue Régale, que sont organisés les chantiers.

(1) 30 septembre 1836, au prix de 15998 francs. L'acquisition est faite pour le compte de l’État, de qui dépend le service de la cour d'appel, par le préfet. Voir aux annexes.
(2) Archives départementales, 5. N. 5. L'arrêté de cessibilité du préfet, en date du 14 septembre 1837, porte, parmi ses considérants, « que l'agrandissement du Palais de Justice de Nîmes est de toute nécessité et projeté depuis longtemps pour assurer le service des divers tribunaux qui y siègent ou qui doivent y siéger..... »
L'entreprise Galline avait sa maison principale à Lyon. Elle demandait 131.000 francs, alléguant qu'elle ne pourrait trouver un autre emplacement aussi favorable que celui du coin de la rue Régale, devant lequel passait la grande route de Lyon à Béziers. L'expert de l'administration offrait 62.004 francs. Le jury alloua 100.425 francs. L'expropriation eut lieu au profil, de l'État. L'énorme dépense qui en résultait était une des conséquences de l'aliénation de l'emplacement des remparts en 1792. Voir Tribunaux de la Révolution, p. 48, 49 et aux Annexes.
(3) Voir, aux Archives départementales, 5. N. 31, le relevé du registre d'attachement des travaux pour l'agrandissement du Palais de Justice de Nîmes, par Joseph Estève, entrepreneur, du 22 mai 1838 au 28 mai 1842.

La première pierre de la façade sur cette rue est posée, le 12 septembre 1838, par le préfet de Jessaint (1). Dans cette pierre est scellée une boîte contenant, parmi d'autres pièces, la médaille frappée en mémoire du serment constitutionnel de Louis-Philippe. Une inscription, gravée au-dessous de l'attique (2), rappellera cette cérémonie à laquelle assistèrent les magistrats et, avec les principales autorités, l'architecte du département.
Les travaux vont se continuer avec régularité quoiqu’avec lenteur pendant huit années. Des sommes seront annuellement inscrites au budget de l’État, grossissant peu à peu le chiffre des dépenses indiqué au devis primitif. C'est l'époque où la monarchie de juillet poursuit en paix son règne ; période de prospérité pour Nîmes, qui voit progresser ses manufactures, se créer des voies ferrées, s'élever, en même temps que le Palais de Justice, d'autres édifices publics, pour sa beauté.
Les chantiers de l'église romane de Saint-Paul s'ouvrent, cette même année 1838, sous la direction de l'architecte Questel. Le préfet de Jessaint inaugurera l'année suivante le chemin de fer de Nîmes à Beaucaire. Il posera, en 1842, la première pierre du viaduc pour le chemin de fer de Nîmes à Montpellier. Le Languedoc va être relié à la Provence par ce railway.

(1) Voir, aux Annexes, un extrait du Courrier du Gard du 14 septembre 1838, relatant cette cérémonie.
(2) Nous en donnons le texte dans la description du Palais.

La façade de la rue Régale achevée, Bourdon attaque l'ouvrage capital du Palais : la façade gréco-romaine de l'Esplanade. C'était la conception de Charles Durand amplifiée, de proportions presque doublées (1), érigée entre deux voies publiques, telle qu'elle avait été rêvée d'abord, par l'architecte du Consulat. Le style corinthien substitué au dorique (2) ornait de plus riches sculptures le galbe de la colonnade et tes frises des corniches. Le pavillon de droite toujours affecté à la grande salle des délibérations de la cour d'appel était reporté vers l'angle de la rue Régale, sur le terrain des messageries Galline. Le portique de Charles Durand fut abattu en novembre 1840.

(1) D'après des notes et croquis aux Archives départementales, 5. N. 3 et 12, la façade de Charles Durand avait une largeur d'environ 44 mètres, celle de Bourdon en a 72.
(2) Pour le portique seulement.
Un immense échafaudage (1) est dressé pour l'édification du nouveau portique. Les blocs énormes des entablements, du fronton, des chapiteaux exigent la commande d'un treuil spécial et d'un câble exceptionnel. Des clôtures entourent le chantier, encombrent le trottoir du boulevard pendant plusieurs années En 1842, cet encombrement soulève des plaintes générales. On demande à la mairie d'intervenir et d'obliger l'entrepreneur à ne pas gêner plus longtemps la circulation.
Des devis supplémentaires révèlent que les prix des fournitures de maçonnerie et de la main d’œuvre ont augmenté, à cause des importants travaux publics qui s'exécutent, concurremment, au Palais, à l'église Saint Paul, au viaduc de la gare du chemin de fer. En outre. d'anciens matériaux que l'on espérait employer sont reconnus inutilisables : tels, « les piédestaux pour placer les figures qui « décoraient l'ancienne façade », et « la cinquième des rosaces au petit ordre du porche, qui est en pièces et n'a pu être reposée ». Le devis supplémentaire du 1er septembre 1842 atteint, a lui seul, près de 100.000 fr. (2)

(1) En septembre 1842, un nouvel entrepreneur ayant été adjudicataire de la suite des travaux, le cahier des charges lui impose de prendre à son compte, à un prix à déterminer par experts, avec les approvisionnements de son prédécesseur Estève, « le grand échafaudage de ta façade sur l'Esplanade, le treuil et le grand câble. »
(2) Il prévoit notamment : 21 rosaces pour la voûte du porche, à 25 fr. soit 1.050 f r - 2 motifs du centre, 1.800 fr - 4 chapiteaux de pilastres, à 330 fr. soit 1320 fr - Épannelage des chapiteaux des colonnes du porche, à 250 fr. pièce, soit 1.500 fr. - 1 portrait en pied du roi en pierre de Lens, 1.900 fr.

On arrive, en 1842, à la façade vers les Arènes. Le plan de Bourdon pour cet ouvrage est venu à son heure. Il a été adopté par le conseil des bâtiments civils sur un rapport spécial de M. Caristie (1), inspecteur général. Le département, en vue de cette partie des travaux, a augmenté sa contribution pécuniaire. La façade du couchant intéresse le côté du Palais plus particulièrement affecté au tribunal civil et aux assises dont les dépenses incombent au budget départemental.
Le conseil municipal de Nîmes, sous la présidence de M. Girard, son maire, a voté (2) également une plus ample participation aux frais de cette façade, pour qu'elle soit « plus étendue et plus ornée ». La ville contribue d'ailleurs sans trop de difficultés aux dépenses, car le superbe Palais qui se prépare embellira son Esplanade et lui assurera mieux la conservation de sa cour d'appel. (3)
Quelquefois les crédits supplémentaires qu'il faut obtenir de l’État se font attendre ; et alors, les travaux s'interrompent. Le tribunal de première instance souffre de ces retards, car son auditoire habituel est livré aux maçons, et il doit s'improviser des audiences en des locaux instables. La salle des assises où il s'est abrité lui est enlevée par les sessions trimestrielles. Aussi, dans sa délibération du 24 mai 1842, demande-t-il qu'on hâte les travaux et rappelle-t-il que « le seul local où il puisse se réfugier est situé au second, sous le toit, ce qui le rend inhabitable pendant les chaleurs ». Ces doléances du tribunal n'émurent personne. L'année 1843 s'écoula sans faire avancer beaucoup les constructions.

(1) Archives départementales, 5. N. 33. 27 février 1840. M. Caristie fut le promoteur de la restauration du théâtre antique d'Orange.
(2) 15 août 1840.
(3) On trouve au rapport du Préfet au Conseil général, en août 1850 : « La ville de Nîmes, dans le but de favoriser les constructions qui devaient l'embellir et de conserver la cour d'appel dans son sein, vota deux subventions, pour l'exécution des travaux, montant ensemble à 28.000 francs. » Montpellier et Aix ont toujours menacé Nîmes de lui enlever sa juridiction supérieure.

En juin 1844, les ouvriers travaillent encore à la façade sur les Arènes ; ils démolissent, à son extrémité nord, pour les reconstruire, suivant le nouveau plan, les anciens étages occupés par les divers services de l'administration judiciaire. Ils touchent à la Maison d'arrêt. Le Palais élargi, vers la rue Régale, a abandonné à la prison, vers les Arènes, une fraction de l'édifice remplacé (1). Un incident se produit. Les démolisseurs éventrent le mur séparatif, mettent à jour la salle qui sert d'infirmerie au quartier des femmes détenues. Le gardien-chef proteste auprès du préfet, et réclame un factionnaire (2) pour garder la brèche faite à sa prison. La brèche est réparée. Bourdon fait promptement achever le pilastre, qui à cet endroit termine son œuvre et la sépare du tronçon de façade ancienne, désormais distinct.

Les travaux de la cour d'assises prennent l'année 1845. Leurs parties principales sont prévues dans un devis du 1er janvier 1845 s'élevant à environ 23,000 francs. La salle qui remplace l'ébauche de basilique tentée par Charles Durand sera vaste, mais sa décoration trop économique : les ornements sont en plâtre ; on peint des rosaces (3) à la voûte au lieu d'en sculpter ; et les quatre sujets décorant les pendentifs ne devront pas coûter plus de 300 francs pièce.
La réfection de la cour d'assises oblige à enlever d'une salle dépendant de cette juridiction plus de 5,000 kilogrammes d'archives (4) qui s'y trouvaient entassées. Il y avait là, avec l'énorme amas de procédures présidiales, de nombreux dossiers de la période révolutionnaire. Sous l'Empire, en 1812, on avait fait murer la, porte de cette sorte de caveau où tombaient lentement en poussière les restes scripturaires du passé. On exhuma ces papiers cadavériques, et on transporta les plus anciens dans un autre caveau : une salle basse et voûtée au rez-de-chaussée de la façade neuve sur la rue Régale.

(1) Voir Palais de l'Empire, p. 87.
(2) Sur l'ordre du Préfet, le colonel du 12° de ligne donne le factionnaire, mais il exige une guérite, « le temps n'étant pas tenable ». On est en plein été, le soleil couchant brûle à cet endroit. Les soldats d'alors le craignent tout comme ceux d'aujourd'hui. Archives départementales, 5. N. 22.
(3) Peinture de 30 rosaces sur toile au plafond, à 12 francs, soit 360 francs.
(4) Lettre du greffier en chef Bruyère en date du 17 juillet 1844.

Les caves voisines reçurent en dépôt des inscriptions et des débris de marbre que cet immémorial emplacement des Palais, depuis tant de siècles fatigué par les fouilles, avait encore livrés, aux tranchées des récentes fondations (1). Un cippe antique fut toutefois laissé dans l'étroit préau où quelques feuillages sont la survivance du jardin des sénéchaux de jadis ; on l'y voyait encore en 1879. (2)

(1) Le concierge Domergue, mort récemment, après environ 35 ans d'exercice de son emploi, m'a affirmé qu'à son entrée au Palais, vers 1865, il avait encore vu, dans les caves, d'assez nombreux fragments. Ils étaient rangés près de l'ouverture d'un puits très profond qu'on lui avait dit être un puits romain, et qui n'est plus utilisé depuis que les eaux du Rhône sont distribuées à Nîmes. Je n'ai pu savoir ce qu'étaient devenus ces fragments, dont la disparition n'était pas expliquée par le vieux concierge.
,2) Le cippe est mentionné à cette date, et son inscription est rapportée dans l'ouvrage d'Albin MICHEL, Nîmes et ses rues, t. II, p. 294, Rue Régale.
Ce qui reste du jardin du Palais est à côté de la salle du conseil de la cour d'assises.

Vers la fin de 1845, le préfet peut faire constater au conseil général que le Palais de Justice est sur le point d'être terminé. La cour d'appel et le tribunal de première instance sont installés. Le local du tribunal de commerce est prêt à être livré. La salle des assises ne tardera pas à l'être aussi. Le ministre des Travaux publics, Dumont, passe à Nîmes, le 3 octobre 1845. Il visite l’œuvre de Bourdon et lui exprime sa satisfaction.
Les alentours du Palais s'embellissent, font au monument un cadre digne de lui. Sous l'administration de M. Girard, maire de Nîmes, et pair de France, une magnifique avenue vient d'être créée, reliant la gare du chemin de fer de Montpellier, qui s'inaugure, à l'Esplanade transformée. Des balustrades, des trottoirs entourent maintenant l'immense place ; un éclairage nouveau, le gaz, l'illumine, la nuit ; des arbres y sont plantés, décrivant des courbes gracieuses ; un concours a été ouvert pour l'orner d'une fontaine aux marbres grecs (1). Le sculpteur Pradier va faire étinceler au soleil la divine Nemausa.
La rue Régale, étroite et tortueuse comme la rue qui, autrefois, au couchant, séparait le Présidial des Arènes, devient une voie spacieuse et régulière ; sa largeur est portée à près de huit mètres. La récente façade de la cour d'appel qui la borde est ainsi mieux en lumière et en valeur. Bourdon y construit, non loin de son Palais, des maisons modernes d'un style élégant. (2)
Les derniers travaux du Palais s'achèvent vers le mois de juillet 1846. C'est à cette date que l'auditoire neuf de la 3e chambre de la cour d'appel reçoit les deux vastes toiles du peintre Boucoiran qui sont encadrées à ses murs.

La liquidation des dépenses engagées pour le Palais de Justice pendant les huit années de sa construction fut longue et difficile, fit surgir des procès (3). Le solde des
crédits nécessaires â tour acquittement ne fut voté que par une loi du 22 juin 1850. La Monarchie de juillet avait disparu depuis février 1848. C'était la République qui payait les dettes.

(1) Au jury pour le concours figurent Bourdon et Henri Durand, fils de l'architecte du Palais de l'Empire. On adopta le projet de Questel, l'architecte de Saint-Paul. L'inauguration de la Fontaine de Pradier eut lieu en 1851. L'entrepreneur Ginestoux, chargé des travaux, était l'entrepreneur du Palais en 1845.
Revue du Midi. 1899, p, 432. A. Pieyre, La Fontaine de Pradier.
(2) Les maisons portant actuellement les n° 11 (angle de la rue des Chapeliers, magasin Chalmeton, bottier, au rez-de-chaussée) et 13. - Bourdon fut aussi l'architecte de la superbe maison a l'angle ouest de l'avenue Feuchères et de l'Esplanade, en face le Palais (maison Bézard).
(3) L'un de ces procès, engagé par l'entrepreneur Ginestoux, ne se termina qu'en 1856 devant le Conseil d’État.

L'ironie des choses voulut que parmi ces dettes fut celle contractée autrefois pour « le transport d'un portrait du roi déchu, dit le mémoire (1), dans la grande salle du conseil de la cour. Il y avait déjà longtemps que Louis-Philippe avait quitté la France, et son portrait, la chambre du conseil, enlevés tous deux par la Révolution.
Les prévisions des devis primitifs furent dépassées dans d'énormes proportions : au lieu des 246.000 francs indiqués aux plans de 1833, on avait dépensé 766.979 fr. (2), dont 90.000 à la charge du département, 28.000 à la charge de la commune, et près de 650.000 au compte de l’État. Dans une lettre au Préfet, du 27 août 1849, le beau-père de Bourdon, signant pour son gendre, dont on sait qu'il avait été le prédécesseur immédiat, expliqua, en excusant l'architecte, quelques-unes des causes des suppléments de dépenses : « La reconstruction entière, sur nouveau plan, de la façade vers les Arènes ; des combinaisons plus coûteuses pour la cour d'assises ; des aménagements intérieurs, tels que ceux des calorifères. Dans une entreprise aussi vaste, il était difficile de tout prévoir. Mon gendre n'a fait que se conformer aux instructions données. »
(1) Archives départementales, 5. N. 32. Mémoires justificatifs des dépenses.
(2) Rapport du Préfet au Conseil général en aout 1850. Archives départementales, 5. N. 32.
Les principaux entrepreneurs du Palais furent, outre Estève et ensuite Ginestoux, pour les maçonneries, I'Evesque pour la peinture, Fasquelle pour la menuiserie, Maurin pour la serrurerie, Bardon pour la miroiterie.

Pendant la durée et au milieu des soucis de cette liquidation, Gaston Bourdon, inquiété, surmené, atteint de fièvre cérébrale, avait dît abandonner ses fonctions d'architecte du Palais. Le labeur sans trêve qu'il avait fourni pour l'entreprise capitale de sa carrière, avait dépassé ses forces, usé prématurément son cerveau. Ainsi, en moins de dix ans, un même attachement, trop passionné, à leurs créations d'art, avait été fatal aux deux architectes du Palais de Justice nîmois : en 1840, Charles Durand n'avait pu survivre au renversement de son œuvre ; en 1849, Gaston Bourdon, sous l'effort trop ardent pour l'édification de la sienne, mourait à la vie intellectuelle. (1)
L'extension donnée, par l'exécution du plan de Bourdon, aux bâtiments du Palais, n'a pas encore suffi pour y réunir toutes les juridictions, et y assurer, à chacune d'elles, le plein et commode fonctionnement de ses services. C'est ainsi que les audiences des trois juges de paix de Nîmes n'ont pu y trouver place. Le prétoire cantonal est à l'Hôtel de Ville (2). Il n'y a pas, non plus, de locaux convenablement organisés pour recevoir les témoins qui attendent leur tour de comparution. La justice prend à ces citoyens des heures précieuses, et ne leur accorde qu'une dérisoire indemnité. Elle devrait, en compensation, leur offrir au Palais une hospitalité plus confortable. Les mômes observations s'appliquent aux salles des jurés. (3)

(1) Il s'éteignit, jeune encore, en 1854, sans avoir recouvré l'usage de ses belles facultés. On lit dans un rapport du Préfet au Conseil général, en septembre 1849 : « La situation actuelle d'esprit de M. Bourdon ne lui permet pas de donner le moindre renseignement. » L'Annuaire du Gard de 1850 porte le nom du remplaçant de Bourdon : M. Léon Feuchère.
(2) Ce prétoire est à la charge de la commune, d'après la loi du 18 juillet 1837; mais il est désirable qu'il soit placé au Palais de Justice.
(3) Pas de locaux non plus pour le service si important de l'assistance judiciaire.

Nous signalerons, en décrivant le Palais, quelques autres défectuosités. Il serait facile d'y remédier, sans songer à de nouveaux agrandissements, trop onéreux, vers les propriétés particulières voisines. Il suffirait d'enlever à la Maison d'arrêt ce qui lui a été cédé du Palais de l'Empire, cette partie dont le mur, délabré et souillé d'affiches, déshonore la façade vers les Arènes. On pourrait donner, de ce côté, à l'édifice judiciaire, l'extension dont il a encore besoin. (1)
D'ailleurs, la prison voisine devrait être réservée aux seuls détenus qui vont comparaître devant les juges, et qui sont présumés innocents, jusqu'à décision contraire. Les condamnés devraient subir leurs peines, ailleurs, le plus loin possible de l'agglomération urbaine, suivant les principes de la science pénitentiaire contemporaine. Sans doute, notre Maison d'arrêt n'est plus l'effroyable geôle que nous légua l'ancien régime ; mais elle n'est point encore ce qu'elle devrait être. Il faudra, quelque jour, briser les liens séculaires qui la maintiennent sur ce sol où furent les cachots du passé, pour en faire l'asile correctionnel et moralisateur de l'avenir.

(1) Nous serons sobres de critiques; car il n'entre pas dans notre plan d'aller plus loin que le Palais actuel, et de dire ce que pourrait être un Palais futur.

II

Description

 

Surface et niveau de l'emplacement du Palais. - Matériaux de l'édifice. - Caractère de sa décoration. - Salle des Pas perdus. - Côté de la rue Régale : Cour d'appel. - Côté des Arènes : Cour d'assises, Tribunal. - Etage central : Tribunal de Commerce. - Façades : sur la rue Régale; vers les Arènes, grand portique central.

 

Le monument élevé par Bourdon occupe, sur le boulevard de l'Esplanade, entre le boulevard des Arènes et la rue Régale, un emplacement d'environ 3200 mètres carrés. (1) Son quadrilatère irrégulier est borné, au nord, de l'ouest à l'est, par les prisons, vers les Arènes, puis par des jardins et des maisons vers la rue Régale. Ses façades sur les voies publiques, qui l'entourent, de trois côtés, sont de longueurs très différentes : 72 mètres, boulevard de l'Esplanade, 43 mètres, boulevard des Arènes, 34 mètres, rue Régale, en tout, 149 mètres. (2)

Les façades reposent sur une sorte de stylobate continu, formant au Palais un soubassement d'une hauteur moyenne d'environ trois mètres au-dessus du trottoir des boulevards et de la rue.

 

1) Cette surface est indiquée dans une note de Bourdon en date du 18 juin 1839. Archives départementales, 5. N. 22. D'après ce document, l'ancien Présidial n'occupait que 288 mètres carrés; le Palais de Charles Durand, 2212 mètres.

(2) Nous devons ces mesures et celles que nous indiquerons plus loin à M. l'architecte Augière, professeur à l'école des Beaux-arts de Nîmes. Un de ses élèves a fait de remarquables dessins reproduisant les architectures du Palais.

Les dimensions exactes données par M. Augière sont : côté Esplanade : 72m, 79 au nu des pilastres, y compris le décrochement est ; côté Arènes : 43m, 37 ; côté rue Régale : 34m, 35 jusqu'au mur de la maison voisine.

 

Cette élévation représente, en cet endroit, où, depuis la destruction de la Basilique, s'accumulèrent tant de ruines, l'exhaussement du sol nîmois, à travers les siècles. C'est à cette hauteur qu'étaient les auditoires et les prisons du Présidial.

 

C'est au même niveau que demeurèrent les salles, le jardin et les cours des édifices modernes qui lui succédèrent, tandis qu'on creusait le boulevard des Arènes pour dégager les arcades à moitié ensevelies du monument romain. (1)

 

(1) On se rappelle que Rulman fit visiter au nonce du pape, dans une cave au-dessous du Palais, un fragment encore debout de la Basilique. Voir, sur la hauteur du sol, au XVIe siècle, Palais Présidial, p. 33 et 35, et, en 1806, Palais de l'Empire, page 65.

La hauteur du sol du moyen âge se retrouve encore approximativement vers l'angle de la rue de la Violette et de la rue de l'Aspic. Si, à partir de cet endroit, on suit de l'oeil, en descendant la rue de l'Aspic vers l'Esplanade, le soubassement des maisons, on voit qu'il forme une ligne de même niveau avec le soubassement de la Maison d'arrêt, puis avec celui du Palais de Justice. Mais tandis que cette ligne est à 0m,50 seulement au-dessus du pavé à l'angle des deux rues, à mesure que descend le boulevard des Arènes, elle finit par être à 3 mètres au-dessus du trottoir, à la rencontre du boulevard de l'Esplanade. A ce point, le sol actuel, que les déblaiements ont remis de plain-pied avec la base des Arènes, est donc à peu près de 3 mètres plus bas que le sol du moyen âge, approximativement marqué par le pavé de la rue de l'Aspic à son angle avec la rue de la Violette,

 

Le devis initial du 14 septembre 1835 indique l'origine des matériaux qui servirent à la construction. Ils sont tous pris dans les environs de Nîmes. Les chemins de fer n'avaient point encore facilité les communications, et il aurait été trop coûteux de faire venir, par exemple, pour les bases, ces blocs de granit de l'Ardèche ou de l'Isère dont l'usage s'est maintenant répandu.

 

Le sable sera de « la sablière de Bouillargues » ; la chaux, des fours de Nîmes ; les moellons, « de la carrière de la ville sur la route de Beaucaire » ; « le parementage des murs, les colonnes, le porche, et en général l'architecture, seront en roussette de Beaucaire ou » des carrières du Pont-du-Gard » ; les parties inférieures, toutes celles qui doivent supporter une charge plus lour­de et être plus résistantes, seront en taille de Roquepartide (1) ou de Roquemaillère. La pierre de Barutel (2), de l'espèce la plus blanche, sera réservée aux colonnades et aux parois intérieures ; celle de Lens (3), dont la texture est fine et donne des arêtes très vives, aux chapiteaux, aux sculptures du grand portique.

 

Le sol nîmois ayant fourni la substance de l'édifice, ce fut encore à des artistes nîmois que l'architecte en demanda la décoration. Numa Boucoiran, directeur de l'école de dessin de Nîmes, pour la peinture, Paul Colin (4), professeur d'ornement à cette même école, pour la sculpture, furent chargés d'orner les salles d'audience, les tympans et les frontons. Leurs travaux, faute de ressources, ne pouvaient avoir la richesse qu'on eût souhaitée ; il est regrettable que l'originalité leur ait aussi fait défaut. Ils ne surent pas marquer leurs tableaux et leurs reliefs d'un caractère personnel, leur donner l'éloquence pathétique des symboles propres à la cité (5).

 

(1) Carrières de pierre situées à Beaucaire.

(2) Les carrières de Roquemaillère et de Barutel sont situées dans la commune de Nîmes, sur la route d'Alais. Elles appartiennent au calcaire néocomien. Exploitées déjà du temps des Romains, elles ont servi à l'édification des Arènes.

(3) Les carrières de Lens sont sur la commune de Saint-Mamert, près du village de Fons, non loin de la route de Nîmes à Alais.

(4) Voir, aux Annexes, les notices biographiques de Boucoiran et de Colin.

(5) Même le fameux blason de Nîmes, le crocodile au palmier, n'est reproduit nulle part aux murs de l'édifice. Je l'ai découvert, cependant, sculpté avec la devise Col Nem, sur le dossier de la grande stalle qu'occupe le Premier Président aux audiences solennelles.

 

Boucoiran et Colin paraissent avoir ignoré l'hérédité monumentale de ce Palais en qui se perpétue une telle lignée d'édifices judiciaires. Ils ne comprirent pas la psychologie esthétique de cet être de pierre, successeur de la Basilique et du Présidial, si intimement lié à l'évolution historique du pays. Aussi l'iconographie de notre prétoire ne peut-elle mentionner que des figures banales, aucune image peinte ou sculptée commémorant quelque souvenir local des dix-huit siècles vécus par les Nîmois sur cette parcelle de leur sol. Rien que des reproductions de la traditionnelle et commune symbolique des tribunaux. Parmi les quelques sujets traités, un même thème, celui de la Justice protectrice et répressive, est répété jusqu'à trois fois : par le pinceau au plafond de la première chambre, par le ciseau aux tympans de deux façades.

 

Quatre juridictions se partagent les bâtiments du Palais, les divisent en quatre groupes d'auditoires, d'escaliers, de couloirs, de salles diverses. La Cour d'appel d'abord ; tout le Côté de la rue Régale lui est affecté du côté des Arènes, deux groupes: au nord, vers les prisons, celui de la Cour d'assises ; au midi, vers l'Esplanade, celui du tribunal d'arrondissement. Le groupe du tribunal de commerce a ses services réunis dans l’étage central, au-dessus de la salle des Pas-perdus.

 

Nous visiterons rapidement les locaux de chacun de ces groupes, et d'abord la salle des Pas-perdus qui leur est commune.

 

Salle des Pas-Perdus - Elle est plus spécialement sous la dépendance de la cour d'appel, juridiction supérieure. Pour assurer la police de cette salle et de ses abords, la cour nomma, en 1854, un garde du Palais (1).

 

(1) Registre des délibérations de la cour; 10 mars 1859. Le traitement est fixé à 400 francs. Le titulaire de l'emploi, Roumieux, ex maréchal des logis, avait une pension de retraite qui lui permettait de se contenter de cette faible allocation.

 

Ce gardien, ancien soldat, chevalier de la Légion d'honneur, portait un uniforme de drap bleu, le chapeau bicorne et l'épée. Son emploi fut supprimé comme inutile, lors du décès du titulaire. (1)

La salle des Pas-perdus a environ 32 mètres de longueur sur 7m50 seulement de hauteur. Un escalier monumental, qui, par deux volées latérales, conduit à l'étage du tribunal de commerce, ouvre, sur le milieu, la cage (2) spacieuse et claire où montent ses rampes à balustres, où se profilent ses colonnes et ses pilastres. Au centre de l'escalier et en face des premières marches, dans le mur qui soutient ses voûtes, l'ancienne niche royale, vide, arrondit un dôme semé d'acanthes et de rosaces. Derrière, un couloir donne accès, dans la direction du nord, à la bibliothèque et au vestiaire des avocats, à la cour irrégulière et exiguë, dont les arbustes et les lierres rappellent l'antique jardin du Présidial. Les murs du greffe du tribunal civil, au couchant, et de la deuxième chambre de la cour, au levant, dominent ce préau. L'air et le soleil n'y pénètrent que par le nord, à travers les petits jardins des maisons voisines.

 

A droite de l'escalier sont les deux hautes baies par où l'on accède aux auditoires de la cour. Entre elles, le couloir du greffe d'appel et des salles vers la rue Régale. A gauche de l'escalier, symétriquement, les portes de la cour d'assises, du tribunal de première instance, le cou­loir des services judiciaires installés sur le côté des Arènes.

 

(1) L'épée, le chapeau et la tunique sont conservés dans un placard du vestiaire de la 2e chambre de la cour.

(2) Cette cage d'escalier tient, dans la salle des Pas-perdus, 16m45 de largeur sur 5m70 de profondeur. Sa hauteur, du sol de la salle jusqu'au plafond de l'étage du tribunal de commerce, est de 13m60.

 

Vers la façade de l'Esplanade, sept ouvertures de hauteur et de largeur diverses. Trois, les plus vastes, fermées de panneaux amplement vitrés, prennent jour sous le grand portique central ; des colonnes et des pilastres cannelés les séparent; elles ne s'ouvrent jamais. Quatre autres baies servent à la circulation journalière, des mosaïques de marbre ornent le dessus des deux plus petites : des sphères de jaspe bleu cernées de bandes aux nuances d'ocre jaune et d'agate. Quelques torchères au gaz sont fixées aux murs pour l'éclairage des soirs d'hiver.

 

La décoration du plafond est banale, des rosaces et des losanges de plâtre, en mince relief. D'ailleurs, ce plafond n'est déjà plus celui que Bourdon avait fait poser, et dont l’état, dès 1854, nécessitait une urgente réfection. (1)

 

(1) Vers la fin de 1854, le préfet nomma une commission pour vérifier certaines parties du Palais déjà fort endommagées. Cette commission, présidée par M. de Costa, commandant du génie, clô­tura ses travaux, le 17 août 1855, en déclarant qu'elle n'avait pu se procurer les documents nécessaires à leur utile continuation. Le successeur de Bourdon, Léon Feuchère, avait vainement recherché les plans du Palais que la commission lui réclamait.

 

Parcourons, maintenant, du Côté de la rue Régale, les locaux de la Cour d'appel. Pour plus de clarté, il est utile d'y distinguer, comme nous aurons à le faire aussi, pour le côté des Arènes, trois parties transversales que nous traverserons successivement, en allant du midi au nord.

 

D'abord le pavillon en avant-corps sur la façade principale de l'Esplanade, à l'angle de la rue Régale. Puis la partie centrale, correspondant à la salle des Pas-perdus. Enfin la partie nord où le Palais rencontre les propriétés voisines.

 

Coté de la rue Régale

 

Cour d'Appel.

 

Pavillon. - Cette partie comprend : le couloir, la loge et l'appartement du concierge, le cabinet du Premier Président, la grande salle du conseil de la cour, la bibliothèque.

 

Grande salle du Conseil - On y arrive directement du dehors par un couloir venant du péristyle et passant devant la loge du concierge (1). Des portes la font communiquer avec l'auditoire de la première chambre, avec le vestiaire, la bibliothèque, et le cabinet du Premier Président. Elle a deux larges fenêtres sur l'Esplanade, en face du kiosque de la musique et de la fontaine Pradier.

 

Les murs sont tendus en damas de soie cramoisie. Des rangées de fauteuils, garnis de velours rouge (2), sont alignées tout autour, sur le pavé de mosaïque. Une longue table, au tapis noir frangé d'écarlate, tient le milieu. Un lustre en métal bronzé, auquel ont été adaptées sept lampes électriques (3), fournit l'éclairage du soir.

 

1) Les deux concierges, Millet, puis Domergue, qui ont précédé Chabaud, le concierge actuel récemment choisi par la cour, avaient vécu, à eux deux, près de 70 ans de l'existence du Palais.

(2) Le 6 novembre 1844, la Cour (Registre des délibérations) dut nommer une commission pour activer, de concert avec le syndic Ferrand de Missol, la fourniture du mobilier très insuffisant, à cette époque, dans le Palais en voie d'achèvement.

M. Ferrand de Missol était le 4e syndic de la cour après MM. Barjon, Roustan, et Fargeon (1828 à 1831). Retraité en 1852, il fut remplacé par M. de Trinquelague-Dions, 5e syndic (1852 à 1873). Vinrent ensuite MM. Guiraud, 6e (1873 à 1878), Second, 7e (1878 à 1882), de Rouville, 8e (1882 à 1885), Teulon Valio, 9e (1885 à 1896) ; enfin, moi-même. (Michel Jouve, auteur de cet article)

D'après le Compte général du matériel pour 1898, publié par le ministère de l'intérieur, l'ensemble du mobilier actuel de la cour comprend 566 articles valant 39272 francs.

(3) Installées sur ma demande en mai 1897. On employait avant, pour l'éclairage de cette salle, des lampes à huile, à modérateur. L'ensemble du Palais est éclairé au gaz par des appareils dont le nombre a été augmenté peu à peu. Comme substitut à la cour en 1886, j'ai vu encore les bureaux des audiences éclairés avec des lampes à huile.

D'après les comptes des syndics, l'installation du gaz aurait commencé en 1862. En 1839, on avait augmenté les dépenses d'éclairage en raison de la substitution des bougies aux chandelles.

 

Sur la cheminée, en marbre blanc, des bronzes de Bardedienne, le Moïse de Michel-Ange, deux urnes, deux candélabres. La cheminée ne suffirait pas à chauffer la salle. Des bouches de calorifère (1) y apportent, en hiver, leur supplément de chaleur.

 

Bibliothèque - Ses deux fenêtres donnent sur l'entrée de la rue Régale vers l'Esplanade. Des corps de bibliothèque en noyer, sculptés de pilastres aux chapiteaux corinthiens, supportent un revêtement de livres qui cache toute la surface des murailles. Il y a environ quinze cents volumes dont le tiers, d'énormes livres aux dos parcheminés, provient du Présidial ou des couvents supprimés par la Révolution. Les collections de Dalloz et de Sirey, les travaux préparatoires et les commentaires des Codes, sont les éléments les plus abondants du fonds moderne. Grâce à des crédits récemment alloués (2), nous avons pu enrichir nos rayons d'ouvrages contemporains qui y manquaient complètement.

 

(1) Une délibération de la cour du 27 août 1841 (Registre des délibérations) demande un supplément de crédit au compte des menues dépenses, en raison de la consommation plus grande de charbon par suite de la substitution des calorifères aux poêles et brasières. Le syndic Ferrand de Missol indique que le danger des brasières a été démontré par deux incendies survenus dans la salle d'audience.

(2) Nous devons ces allocations à l'appui de M. Armand Durand, directeur de la comptabilité au ministère de la Justice.

Elles nous permettront notamment de compléter des ouvrages dont quelques tomes ont disparu. Ces disparitions avaient suscité, le 8 août 1853, une délibération de la cour décidant que les livres ne pourraient sortir de la bibliothèque, (Registre des délibérations de la cour.)

 

Laissant la bibliothèque dans l'angle de la rue Régale; où elle s'isole, et longeant intérieurement la façade sur cette rue, nous suivons un couloir qui sert de vestiaire aux conseillers de la première chambre, à côté de leur salle d'audience.

 

Partie centrale.

 

Auditoire de la première Chambre - C'est après l'auditoire des assises, le plus vaste vaisseau du Palais. Les salles et les couloirs qui l'entourent le défendent contre les bruits du dehors (1). Les fenêtres prenant jour très haut, vers la frise, n'y laissent entrer aucune agitation extérieure; mais l'aèrent fort mal. Il s'étend en longueur, du levant où se trouve le bureau de la cour, au couchant où est la porte sur la, salle des Pas-perdus.

 

Tout autour de l'estrade sur laquelle est placé le bureau, fixées au mur, sont trente une stalles, au siège de maroquin rouge, aux bras de noyer sculpté, réservées aux jours où les audiences solennelles réunissent les deux chambres. Leur nombre est, maintenant, bien supérieur à celui des magistrats, et rappelle l'époque où la cour était composée de trois chambres.

 

La décoration de la salle a été récemment renouvelée (2) à l'occasion d'une réparation faite à la toiture. Les parois, peintes autrefois en faux marbre jaune et vert, sont semées maintenant de fleurs héraldiques, en demi-teinte. De hautes boiseries revêtent leur soubassement. Leur partie supérieure est divisée en trumeaux par des pilastres reposant sur une corniche.

 

(1) Cette disposition fut soigneusement étudiée par Bourdon, qui, dans son projet du 14 septembre 1837, dit: a Les salles d'audience, qui ont besoin de grand silence, n'ont de communication que par le seul côté obligé avec la salle des Pas-perdus. Elles sont, autant que possible, éloignées des rues et places.

(2) Sur les dessins de M. l'architecte Randon de Grolier, Grey, entrepreneur de peinture. L'ensemble des travaux faits de mai 1898 à mai 1899 a coûté environ 30000 francs. L'audience solennelle d'octobre 1898 se tint dans la salle des assises, l'auditoire de la cour d'appel étant encore occupé par les ouvriers.

 

Trois importants panneaux du peintre Boucoiran ornent cet auditoire. Deux, en des cadres octogones, au milieu des rosaces de staf  gris et or du plafond. La Justice protectrice. Elle tient le glaive et la balance. Autour d'elle des déesses blondes affirment leur intention de symboliser l'agriculture et les arts, par la corne d'abondance et la palette. Mercure avec son caducée représente le commerce également protégé par Thémis. La Justice répressive.

 

Le Droit, armé des foudres pénales, repousse d'un bras puissant l'attaque des génies du mal.

 

Un troisième panneau occupe la cimaise, au fond de la salle, au-dessus du buste de la République casquée, en plâtre bronzé. II représente le Jugement suprême, dans une apothéose de rayons, Jésus prononce ses arrêts sur les actions des hommes. A sa droite, les Justes l'écoutent, charmés et contemplatifs, à sa gauche, les criminels tremblent et s'effarent avec des gestes de terreur.

 

Les deux panneaux du plafond datent de la construction de l'auditoire. Ils ont été replacés après la réfection récente. Celui du fond de la salle serait de 1862, d'après un renseignement fourni par le procès-verbal de la séance de rentrée du 14 novembre 1861. Les procès-verbaux de rentrée, sauf celui-ci, sont tous muets sur les travaux du Palais ; les orateurs semblent ignorer la rénovation architecturale de l'édifice où se rouvrent leurs audiences, ne pas voir les oeuvres artistiques nouvelles qui l'embellissent. Par exception, en 1861, avant le discours du substitut Blanchard, sur le Présidial, le procureur général Thourel prend la parole pour remercier « sa majesté l'Empereur, de son portrait qu'elle a envoyé », et il ajoute : « un peintre habile, enfant de cette cité, donne, en ce moment, les dernières touches au tableau destiné à rendre l'image de la Divinité que la dernière émeute avait enlevée. » (1)

 

(1) Il est probable que, par l'expression « émeute », le Procureur général du second Empire veut désigner la Révolution de 1848.

Les peintures d'art du Palais étaient évaluées, dans le devis du 1er septembre 1842, à 8952 francs, dont 3000 pour les deux panneaux de la deuxième chambre.

 

Entre la première chambre et la façade de la rue Régale, une cage d'escalier conduit, du rez-de-chaussée, où sont diverses pièces accessoires, et les caves, au couloir desservant les salles que nous venons de décrire, et à l'étage supérieur. Dans le projet de Bourdon, le parquet général devait être installé en cet étage. Aussi l'escalier, large et commode, avait-il été décoré de colonnes en marbre gris, de niches attendant, aux murs du vestibule, les pistes des jurisconsultes éminents. Mais cette installation aurait mêlé la circulation du public que reçoit le parquet, a celle des conseillers, aurait rompu l'isolement nécessaire (1) des magistrats. Elle ne fut jamais acceptée.

 

Partie nord

 

Du couloir de la partie centrale, nous pénétrons dans le vestiaire de la deuxième chambre, dans les cabinets des avocats généraux. Nous touchons ici au mur des maisons voisines. Pour éclairer les pièces qui éloignent maintenant de la rue Régale, s'avancent vers le couchant, derrière la muraille mitoyenne, une cour s'ouvre, richement ornée de sculptures, entourée d'une galerie à colonnes fermée par des panneaux vitrés. Les fenêtres de la salle du conseil de la deuxième chambre donnent sur cette cour. A côté…

 

Auditoire de la deuxième chambre de la cour - Sa longueur s'étend dans une direction perpendiculaire à celle de la première chambre, du nord où s'arrondit le bureau des conseillers, au midi où est la porte sur la salle clos Pas-perdus. De vastes baies prennent jour, à deux mètres, au-dessus de l'estrade, vers le jardin du Palais (2) mal placées pour les avocats, qui, plaidant en face, en sont aveuglés, mal disposées pour l'aération dont l'architecture de la première moitié de ce siècle se préoccupait peu. (3)

 

(1) Ils vivront dans l’isolement salutaire qui est le plus sur garant de l’intégrité des juges. Lazare Carnot.

(2) Une porte, placée derrière le siège du ministère public, permettait, à l'origine, d'aller directement de l'audience au jardin ; mais par délibération du 1er avril 1841 (Registre de la Cour), sous la présidence de M. de Daunant, pair de France et Premier Président de, la Cour demanda la fermeture de cette issue.

(:3) L'hygiène du Palais actuel exigerait de nombreuses améliorations que l'avenir donnera, sans doute, à nos successeurs. Elle est, cependant, très en progrès sur l'époque, où, encore enfermé locaux malsains de l'ancien Présidial, le procureur général Cavalier réclamait en vain des latrines. Lettre du 16 fructidor an XIII (3 septembre 1805). Revue du Midi, octobre 1899, page 337.

 

Des pilastres peints en faux marbre griotte font des saillies symétriques sur les parois des murs et y encadrent les deux principales couvres décoratives de Numa Boucoiran. (1)

A gauche du bureau de la cour : Caracalla après le meurtre de Géta. Le féroce empereur vient de poignarder son frère dans les bras de sa mère. Du siège où il est assis, il menace le jurisconsulte Papinien, qui, debout, dans sa toge rouge, manifeste sa réprobation contre le crime du souverain. (2)

En face de cette toile, une autre commémoration du courage judiciaire : Achille de Harlay (3), président au Parlement de Paris, refuse de céder aux menaces de Guise qui le presse de trahir le roi. De la toge rouge, drapée d'hermine, s'élève le geste de protestation du droit contre la force. Des épées tournées vers lui entourent le magistrat.

Mais la crainte de la mort ne le fera pas manquer à son devoir. (4)

 

(1) Aux Archives départementales, 5. N. 32, existe le mémoire, en date du 5 juillet 1846, signé: Numa Boucoiran, directeur de l'école de dessin, donnant le titre des deux œuvres et leur prix: 1.500 fr. chacune : 1° un tableau représentant Caracalla après le meurtre de Getta (sic), son frère ; 2° un autre tableau représentant Achille de Harlay.

(2) Né à Lyon, Caracalla, à peine âgé de 23 ans, avait été proclamé empereur, en 211, conjointement avec Géta, son frère. Mais il se débarrassa presque aussitôt de son rival. Le surnom sous lequel il est connu lui venait du long manteau gaulois Caracalla qu'il aimait à porter en souvenir de sa ville natale.

Le célèbre jurisconsulte Papinien, avocat du fisc sous Marc-Aurèle et préfet du prétoire au moment du meurtre de Géta, fut mis à mort, en 212, sur l'ordre de Caracalla pour avoir refusé de faire l'apologie du fratricide. Sa grande réputation le fit classer, en 426, dans la Loi des citations, parmi les cinq jurisconsultes dont les écrits avaient force de loi.

Le sujet traité par Boucoiran a fréquemment tenté les artistes. On remarquait, à Paris, au salon de peinture de 1899, un assassinat de Géta par Rochegrosse, formidable de mouvement et de couleur.

(3) Achille de Harlay, nommé, en 1582, Premier Président au Parlement de Paris, par Henri III, fit preuve d'une inébranlable fermeté pendant les troubles de la Ligue. La toile de Boucoiran représente l'épisode bien connu de la Journée des Barricades, 12 mai 1588. Aux menaces du duc de Guise, qui le somme de reconnaître son pouvoir d'usurpateur, Harlay répond : « Mon âme est à Dieu, mon coeur au roi, mon corps entre les mains des méchants, qu'on en fasse ce qu'on voudra ! » Les Seize enfermèrent de Harlay à la Bastille. Henri IV le rétablit dans ses fonctions.

(4) La figure du Président de Harlay reproduit les traits du grand avocat Alphonse Boyer, de Nîmes, qui a posé devant Boucoiran.

 

Au-dessus de l'auditoire de la deuxième chambre :

Salle des Archives Anciennes. Elle reproduit exactement les dimensions de l'auditoire au-dessous. Des séries d'étagères portent des liasses, des dossiers, des sacs à procédures, des registres, des plans, fort en désordre. Il n'y a, d'ailleurs, dans ce local, mal entretenu, qu'une partie des archives que possède la cour ; une autre partie, moins bien logée encore, est au rez-de-chaussée, sur la rue Régale, dans la salle basse voisine des caves.

 

Pour tout inventaire, un cahier de quelques pages rédigé vers 1845, par le greffier en chef Bruyère (1). Une notice en tête de ce cahier mentionne sommairement les origines des énormes masses de documents rassemblés ici.

 

Les archives de la sénéchaussée, du Présidial et des conventions royaux, demeurèrent, à, l'époque de la Révolution, dans leurs séculaires dépôts du Palais.

 

Quand la constitution de l'an III supprima les tribunaux de district, on apporta à Nîmes, au tribunal du département, les papiers de ces tribunaux et ceux des juridictions antérieures qu'ils avaient remplacées.

 

 (1) M. Bruyère débuta comme greffier en chef au tribunal d'appel en 1800 et continua ses fonctions à la cour d'appel, créée en 1811, jusqu'en 1857. Son successeur, M. Gaillard, dont les fils sont encore greffiers en la cour, exerça de 1857 à 1894, date de son décès. Il a été remplacé par M. Alphonse Boyer, troisième greffier en chef depuis la création de la cour, petit-fils du célèbre avocat de ce nom.

 

Le greffier du tribunal ayant refusé d'en prendre officiellement charge, on les confia, vers 1801, à l'état de chaos, au greffe du tribunal d'appel. Le greffier en chef Bruyère dut les faire transporter du ci-devant collège des Jésuites, où siégeait provisoirement le tribunal de Nîmes, au vieux Palais, réservé, alors, à la juridiction d'appel.

 

En 1812, un premier déplacement général de toutes les archives eut lieu (1). Depuis 1844, elles reposent dans les locaux actuels où les transporta un second bouleversement, après la seconde reconstruction du Palais. Quelques chercheurs les fouillent au hasard et y font d'intéressantes découvertes (2). On ne saurait trop déplorer l'état d'abandon dans lequel elles sont laissées. Il serait à désirer, pour leur conservation, que des crédits fussent alloués soit au greffier de la cour, soit à l'archiviste du département, en vue d'assurer leur classement et l'entretien de leur dépôt.

 

A côté des archives anciennes, une pièce spacieuse pour les archives modernes. Dans un entresol voisin, les minutes des arrêts de la cour, les cabinets du greffe où le public accède par un couloir et un escalier obscurs, au fond, à droite de la salle des Pas-Perdus.

 

Sortant par ce couloir, et traversant la salle des Pas-Perdus dans la direction du couchant, nous allons continuer le tour du Palais par le côté des Arènes.

 

(1) Après l'achèvement du Palais de l'Empire remplaçant les vieux bâtiments du Présidial.

(2) Notamment pour l'histoire du protestantisme et pour celle de la Révolution. M. F. Rouvière y a consulté les dossiers du tribunal révolutionnaire pour son Histoire de la Révolution dans le Gard.

Des décisions ministérielles ont autorisé, en 1861 et en 1866, la remise aux Archives départementales d'un certain nombre de dossiers. En 1891, remise d'un registre au consistoire protestant de Meyrueis.

Dans une lettre du 17 juillet 1844, déjà citée, le greffier en chef Bruyère dit, à propos des archives du Palais :

« Le principal intérêt est d'en éviter la publicité, qui pourrait rappeler des faits totalement oubliés et faire renaître des haines » dans quelques familles. »

 

Coté des Arènes

 

 

 

I - Assises.

 

Partie nord.

 

L'Auditoire des Assises s'étend du nord au midi, vers la salle des Pas-perdus, parallèlement à celui de la deuxième chambre, dont il est séparé par des pièces annexes et le jardin du Palais. II est de proportions bien plus amples. Le fond du vaisseau s'avance plus au nord, fait saillir son large rectangle dans les préaux et chemins de ronde des prisons, derrière les bâtiments du quartier des femmes détenues.

 

Trois parties distinctes dans l'auditoire : la première, limitée par une barrière et des grilles, pour le public qui vient de la salle des Pas-Perdus ; la seconde, pour les témoins et les auditeurs assis ; dans la troisième, se faisant face, les sièges des jurés, la barre des avocats, le banc des accusés, et au fond, transversalement, le bureau de la cour. Au mur qui domine ce bureau, le buste de la République, et le tableau représentant le Christ. Des portes, sur les côtés, conduisent à la salle du conseil, vers le jardin, aux salles des témoins et des jurés vers la façade des Arènes.

 

Les murs s'élèvent, de toute la hauteur du Palais jusqu'à une corniche avec frise, en stuc blanc, où s'appuient les retombées de la voûte à plein cintre. Au milieu des vastes parois latérales, de chaque côté, deux colonnes stuquées soutiennent, de leurs chapiteaux corinthiens, des arcs doubleaux, et, par une entaille au milieu de leur fût, servent de point d'appui à des tribunes. Des baies en demi-cercle, au-dessus de la corniche supérieure, vers la voûte, enchâssent, au nord, au levant et au couchant, des vitrages mobiles que manoeuvrent difficilement de longs cordages.

 

La voûte est divisée en caissons de stuc et de toile peinte. Aux quatre pendentifs, des figures de femmes paraissent vouloir symboliser la Vigilance, la Prudence, la Justice et la Force. Les moulures des caissons, les encadrements des baies, les sculptures de la corniche, font, avec leur ton de plâtre sali, uni aux teintes rougeâtres ou bleuâtres des rosaces et des attributs, de disgracieux mélanges. Les faux marbres verts ou jaunes des murs, ajoutant leurs notes criardes à cette bruyante polychromie, achèvent de compromettre l'harmonie générale de la décoration, d'éloigner l'idée d'un grave et redoutable auditoire de justice criminelle. Cette architecture rappelle plutôt comme une restitution, très imparfaitement tentée, de quelque salle de thermes antiques.

 

A gauche de la porte des Assises, sur les Pas-Perdus, le couloir du Parquet Général. On monte à ce parquet, dont les cabinets ont, pour vis-à-vis, les Arènes (1), par un escalier appuyé à la façade du couchant. Cet escalier, qui se prolonge jusqu'au rez-de-chaussée, y communique avec le boulevard des Arènes, par l'unique porte de cette façade. Mais cette ouverture est fermée à la circulation (2).

 

(1) Le cabinet des substituts, privé d'air et de vue, n'a qu'une fenêtre sur un étroit préau intérieur.

(2) On y passait encore vers 1854. Le 14 octobre 1854, devant la commission chargée d'apprécier les malfaçons du Palais, le Procureur général dit : « Qu'il serait nécessaire pour se défendre du vent qui s'engouffre dans l'escalier conduisant de la place des Arènes au parquet, d'établir un tambour sur le palier... » Il ajoute que la fermeture du parquet n'est pas assez solide et ne met pas assez sûrement à l'abri les archives et les pièces importantes qui y sont déposées, Il demande en outre « des améliorations au chauffage, et des lieux d'aisance…

 

Elle ne sert qu'exceptionnellement, pour le corps de garde, pendant les sessions d'assises.

 

Diverses pièces, à l'usage des officiers ministériels (1), achèvent de remplir cette partie nord du Palais, du côté des Arènes. C'est là aussi que commence le couloir qui mène les détenus de la prison chez le juge d'instruction et aux audiences.

 

(1) Ceux-ci se plaignent avec raison de l'incommodité des locaux qui leur sont affectés.

 

II - Tribunal

 

Partie centrale.

 

Auditoire du Tribunal d’Arrondissement. - Il fait pendant, au couchant, à celui de la première chambre de la cour, et a, sauf en hauteur, des dimensions à peu près équivalentes. Sa décoration semble être la continuation de celle de la cour d'assises, donne la même sensation de plâtrerie, d'art grimé, de fard polychrome, de stucage sonnant faux. Au-dessus de panneaux en papier peint fané, des écussons portent les noms des principales villes de l'arrondissement. Des colonnettes blanches, engagées aux murs, séparent ces panneaux, supportent des arcs, blancs aussi, qui se tendent, pour soutenir la voûte de la salle, en un effort manifestement excessif. Le plafond marque, par un cadre de plâtre sculpté, son attente d'une toile décorative dont il aurait fort besoin.

 

Le bureau des juges se profile sur les amples baies de la façade du couchant. En face, une mince galerie forme tribune, dans l'épaisseur du mur, grillée d'une grêle balustrade de fonte. Des portes font communiquer les magistrats avec leur chambre du conseil, le public avec la salle des Pas-perdus et le couloir du Pavillon ouest, par lequel nous allons achever notre tour du Palais, commencé en face au Pavillon est.

 

Pavillon - La Chambre du Conseil du Tribunal occupe l'angle entre les boulevards des Arènes et de l'Esplanade, au point où finissait le jardin de Courbis, sur l'emplacement du rempart, tout près de l'endroit où s'élevait la porte de Saint-Gilles. A côté, le vestiaire des juges, et, donnant sur le grand perron extérieur, la loge du concierge. (1)

 

Au-dessus, on a entassé les services du Parquet et de l'information judiciaire. En des cabinets étroits, sans air, sous une terrasse brûlante ou glacée, les magistrats sont emprisonnés avec les détenus qu'ils interrogent (2), avec des témoins ou des plaignants.

 

Ils auraient pu siéger en des pièces confortables, mais il aurait fallu, pour cela, relever le pavillon, remplacer son attique et sa terrasse par une haute toiture, ouvrir, sur toutes ses faces, des baies condamnées par le style, se préoccuper d'hygiène plus que d'art. Le portique gréco-romain, dominé par une construction latérale, fort aérée, mais contraire à la norme architectonique, aurait perdu, dans l'ensemble de la façade, ses proportions d'altitude et de beauté. L'idéal esthétique a prévalu sur le souci utilitaire. Des générations de magistrats subiront les confinements délétères, à l'intérieur du Pavillon, mais, à l'extérieur, les lignes des architectures se développeront avec harmonie, selon le rythme grec. (3)

 

Il nous reste, avant de quitter l'intérieur du Palais, à jeter un coup d'oeil sur l'Etage central.

 

(1) Faute de place, le concierge doit coucher dans un appartement particulier, en dehors du Palais.

(2) Le cabinet des substituts n'a pas de fenêtres. Il n'est éclairé que par un châssis vitré au plafond, et aéré que par la porte.

(3) Ces observations s'appliquent d'une manière générale â tout le Palais. - L'hygiène et l'art auraient pu obtenir égale satisfaction. Les services judiciaires spéciaux auraient pu être installés, par exemple, en d'autres parties, au nord du Palais.

 

Étage central

 

Tribunal de Commerce.

 

On rencontre, à droite, en montant à cet étage, par l'escalier monumental de la salle des Pas-perdus, le greffe du tribunal civil, qui n'a pu être logé à côté des autres services de cette juridiction.

 

Au sommet de l'escalier, un vaste palier, borné, au midi, par la paroi intérieure du grand portique, sert de promenoir et de dégagement. A gauche, au levant, l'auditoire du tribunal consulaire, la chambre du conseil, le cabinet du président. Les plafonds y sont bas, la décoration est nulle. A droite, au couchant, le greffe, le logement du concierge spécial. C'est par un couloir de ce logement que l'on parvient à l'horloge du Palais, au faite de la façade sur les Arènes. Une ouverture permet, aussi, d'atteindre, en passant sur le péristyle, la terrasse du pavillon ouest de la grande façade.

 

Nous allons, maintenant, achever notre visite, en faisant le tour extérieur des façades du Palais.

 

FAÇADES

 

 

 

Nous avons indiqué que leurs longueurs étaient très différentes. Leurs dispositions architecturales sont également dissemblables. Elles s'harmonisent cependant et s'unissent par le stylobate, l'entablement et l'attique continus qui donnent à leurs bases et à leurs sommets des formes identiques. Elles ont une même hauteur de 13 mètres environ. Seuls, les deux frontons vers les Arènes et sur l'Esplanade se dressent plus haut, dominent l'attique commun aux trois façades.

 

Sous cet attique, au-dessous encore de l'entablement où des triglyphes alternent avec des plaques de marbre, des pilastres cannelés, d'ordre dorique romain, appuyés sur des piédestaux saillants, s'espacent aux murs. Ces pilastres se répètent tout autour du monument, marquant les trumeaux de dimensions diverses, où s'encadrent les baies, formant, à travers les variations des façades, par la continuité de leur galbe répété, comme le lien esthétique de l'ensemble du Palais.

 

Façade sur la rue Régale - C'est là que commencèrent les travaux du Palais actuel. Au milieu, un corps central en légère saillie. Il est dessiné par quatre pilastres dont les piédestaux se détachent sur le soubassement. Deux par deux, ces pilastres font cadres à des cartouches allongés, et plus haut, à des écussons, sculptés des attributs de la justice : balance, glaive et codes.

 

Dans l'entrecolonnement, au rez-de-chaussée, la porte d'entrée rectangulaire ; au-dessus, une fenêtre. Sur le linteau de cette baie, des génies, entourant les initiales L. - P. du roi Louis-Philippe.

 

Des deux côtés du corps central, trois rangées de trois fenêtres : au rez-de-chaussée, à la hauteur de la bibliothèque et des couloirs, à l'étage supérieur.

 

Vers l'attique, au milieu de la façade, gravée dans la frise, l'inscription commémorative

 

« Sous le règne de Louis-Philippe Ier, roi des Français, le baron de Jessaint, préfet, assisté de M. G. Bourdon, architecte, a posé la première pierre de ce monument, en présence de toutes les autorités du département du Gard. Le XII septembre MDCCCXXXVlll. »

 

Pour lire cette inscription, il faut se placer sur le trottoir opposé à celui de la façade et lever la tête. Aussi bien peu de personnes la connaissent-elles, même parmi les magistrats et les avocats venant chaque jour au Palais. La plupart ignorent le nom de Bourdon. Chacun passe, attiré par la tâche quotidienne, sans songer à tourner les yeux vers la mince ligne de marbre. Le nom de l'architecte disparaît dans la masse de son oeuvre ; et celui dont la pensée donna l'être au monument, subit déjà le néant de l'oubli.

 

Façade vers les Arènes - Elle présente, comme celle sur la rue Régale, un corps central légèrement saillant, mais plus large, en raison des plus larges proportions de ce côté du Palais : Six pilastres majeurs encadrent cinq vastes baies cintrées où s'inscrivent les châssis de vitrages trilobés. Au dessous de la baie du milieu, une porte, cintrée aussi, constamment fermée, brûlée par le soleil couchant.

 

Au-dessus de ce corps central, un pan de mur rectangulaire s'élève, dépasse l'attique des bâtiments collatéraux, rehausse la façade par le couronnement qu'il forme à son milieu. Un revêtement de marbre orne sa paroi, et une moulure de palmettes son entablement. Des pilastres mineurs se profilent à ses angles. Un fronton le surmonte, où s'enchâsse le cadran de l'horloge du Palais. Paul Colin sculpta la décoration du tympan : deux génies ailés sont appuyés au cercle d'émail que parcourent les aiguilles marquant les heures. Celui de gauche, tenant le glaive de la répression, terrifie les méchants qui s'écartent et se tordent dans l'effroi; celui de droite tend la main aux justes et rassure les orphelins.

 

Ce gâble triangulaire sert à cacher le faîte inégal des toitures, qui est, vraisemblablement encore, à ce point, le pignon même du Présidial, conservé en 1827 et en 1842. Une assez grosse cloche, suspendue à un campanile de chêne, sonne sur ce pignon ; sans cloute, l'antique espadasse, que Rulman entendait, battant les heures d'audience, à la vieille tour du sénéchal. (1)

 

(1) Je n'ai pas trouvé de facture concernant cette cloche. On ne peut y parvenir que par une difficile escalade des toitures. L'horloger m'a affirmé qu'elle ne portait ni date ni inscription indiquant son origine. Il est probable qu'on a utilisé l'ancienne cloche du Présidial. Je n'ai pas cru utile de faire l'ascension des toitures pour contrôler les affirmations de l'horloger.

 

De chaque côté du corps central, la façade se développe en trumeaux plats, percés de trois rangées de fenêtres, terminés par des pilastres angulaires, couronnés de l'attique où des plaques de marbre rouge alternent avec des rosaces.

 

Façade sur l'Esplanade - C'est l'oeuvre capitale de l'édifice, celle où se commémora, aux formes gréco-romaines du portique, le génie de la race qui fonda la cité. Là est l'entrée solennelle du Palais de Justice. Sa conception architecturale appartient à Charles Durand. Nous rappelons que l'auteur du Palais actuel emprunta au Palais de l'Empire le dessin général de cette façade et le reproduisit en l'amplifiant.

 

Au milieu de la façade, au sommet de l'avenue montante que font les degrés d'un vaste perron, un portique colossal se dresse. Ses six colonnes, aux chapiteaux corinthiens, s'espacent sur une ligne de 16 mètres. Leurs fûts cannelés, énormes (1), soutiennent un fronton dont le faîte se profile à 20 mètres au-dessus du sol. (2)

 

Autour de ce porche, et à moitié de son élévation, des péristyles, moins superbes (3), le relient aux pavillons, en saillie, qui, accompagnés de terrasses, encadrent le perron, avancent jusqu'au boulevard leurs ailes symétriques.

 

(1) Ils ont 1m23 de diamètre, 3m87 de circonférence. Les colonnes, avec leurs chapiteaux, 11m40 de hauteur. (Mesures de M. Augière.)

(2) Exactement 19m89, et 16m95 depuis l'escalier où repose la base des colonnes.

(3) Ils ont 8m 88 de longueur et 9m50 de hauteur avec l'attique.

 

Ces constructions collatérales forment comme une cour d'honneur, où, dans son recul et son altitude, apparaît plus majestueux le portique central. Une grille (1) ferme le perron, de ses panneaux ouvragés, terminés par des lances dorées. Les terrasses et les pavillons s'étendent chaque côté. (2)

 

Ainsi que les façades déjà décrites, les murs des pavillons sont décorés de pilastres s'érigeant du stylobate aux triglyphes de la frise, groupés, par deux, aux angles, séparant trois grandes fenêtres. Ces baies, dont le linteau est revêtu de marbre rouge, sont rehaussées de frontons triangulaires que supportent des consoles sculptées.

 

A droite et à gauche, au centre des terrasses entre lesquelles s'élève le perron, sur des piédestaux, sont assis très décrépites, les vieilles statues empruntées au Palais de l'Empire. A droite, la Vigilance, sa lampe à la main avec, près d'elle, le coq symbolique. A gauche, la Prudence, une figure grave sous un ample casque grec, un des bras cerclé du serpent qu'Athènes consacrait à Pallas. (4)

 

Une balustrade en fer, de même style que la grille du perron, clôt les terrasses, du côté du boulevard, qu'en, dominent à la hauteur du soubassement général du Palais (5).

 

(1) Cette grille a été placée, en 1856, par les soins de Léon Feuchère, Palloc, serrurier. Elle coûta 5261fr. Sa longueur est de 15m58.

(2) Pavillon gauche : 17m60, pavillon droit : 17m80 ; plus le décrochement du coin de la rue Régale qui a 3m81 de largeur, si on ajoute les 33m58 de la grille et des terrasses (chaque terrasse a 9 mètres), on a les 72m79 donnés par M. Augière, comme mesure exacte de la longueur de la façade sur l'Esplanade.

(3) Leur ouverture est de 3m30 de hauteur sur 1m65 de largeur.

(4) La statue de gauche est particulièrement chargée d'attributs. Outre le serpent, un miroir, un poisson, et, placé 5 sa droite, un animal, que son état de vétusté ne permet guère de reconnaître.

(5) Exactement à 2m95 sur ce côté

 

Du côté opposé, à l'abri des péristyles latéraux sont les entrées usuelles de la salle des Pas-Perdus, les couloirs des services placés dans les pavillons. Sur la frise de ces péristyles, des plaques de marbre (1) avec l'indication des juridictions, à droite, Cour d'appel, à gauche, Tribunaux. Leurs galeries communiquent l'une avec l'autre par le grand vestibule du porche central.

 

Tel un dôme de basilique, ce porche arrondit, très liant; à 16 mètres au-dessus des dalles de son pavé, sa voûte en larges caissons (2) ornés de rosaces de marbre. D'énormes pilastres cannelés, aux chapiteaux corinthiens, en arrière-corps des colonnes du fronton, soutiennent cette voûte. Au tympan que dessine son cintre, une tête colossale de Minerve ouvre ses yeux vers ceux qui montent au siège des tribunaux, rappelle aux juges la sagesse qui doit présider à leurs sentences. Quand, à travers la colonnade du portique, on pénètre en ce vestibule extérieur du monument, on éprouve comme une impression de grandeur religieuse, dégagée par ces architectures, où, dans le style des temples de Grèce et de Rome, l'art glorifia le Palais du Droit.

 

L'entablement, commun à l'ensemble des façades, prolonge jusqu'aux murs du vestibule, dont il suit les contours, sa corniche et ses triglyphes. Au-dessus, et sous la Minerve, un bas-relief, sur son trône, un souverain fait le geste d'un serment de fidélité aux lois. Sur des sièges plus bas, sont rangés, sans doute, les mandataires du pays. Le peuple se presse tout autour. Des guerriers, le casque empanaché, la lance menaçante, figurent la force armée au service du droit. (3) Deux bas-reliefs latéraux me semblent représenter, à droite, les travaux intellectuels, à gauche, les travaux manuels, les uns et les autres favorisés par la protection de la justice.

 

(1) Le devis du 14 septembre 1865 prévoit une somme de 1.890 fr. pour les inscriptions des tribunaux sur plaques de marbre turquin ou granit d'Alais. Le turquin n'a été employé qu'à l'intérieur.

(2) Leur dimension est de 1m30.

(3) Il m'a été impossible d'avoir des documents sur l'origine et la signification exacte des bas-reliefs du vestibule. On peut voir dans celui du centre une allusion au serment constitutionnel de Louis-Philippe, mais aussi une glorification du serment judiciaire, même un Napoléon promulguant le Code civil.

Le devis du 1er septembre 1842 prévoit 1.600 francs pour 2 motifs en bas-relief, en pierre de Beaucaire, dans le vestibule, à, 800 fr. pièce, et il mentionne, comme devant être replacé, un autre bas-relief provenant de la démolition.

 

C'est du trottoir de l'Esplanade faisant face à celui du Palais qu'apparaissent, le mieux, les grandioses proportions du portique central, les figures et les riches ornements de sa décoration. Au sommet de la colonnade, en une bande de marbre, sous la base du fronton (1), l'inscription profondément gravée, « Palais de Justice » (2). Aux deux extrémités, les balances judiciaires, autour desquelles des génies s'agenouillent, en des attitudes de respect. Des oves, des raies de coeur, des palmettes, des rosaces entre les modillons ornent le triangle des puissantes corniches.

 

Au tympan, la Thémis sculptée par Paul Colin, est assise, rigide. A gauche, sous le poing qui tient le glaive levé, les hommes mauvais, les violents , les injustes, domptés par la crainte ; un criminel enchaîné. A droite, sous la main tutélaire, les faibles, les orphelins, les veuves, les victimes, un blessé avec ses béquilles ; tous, les yeux tournés vers la Protectrice, éternellement invoquée.

 

Au printemps, quand reverdissent les marronniers et les platanes, ces figures aériennes, ce fronton, ces colonnes, aperçus à travers les arbres, font, à l'Esplanade, en face de l'avenue (3) qui vient de la gare, une magnifique vision d'art. Au milieu de la place, la fontaine de Pradier, avec ses statues évoquant la beauté grecque ; à droite, l'envolée d'un clocher moderne, (4) à gauche, la majesté des Arènes antiques. Au centre de ce décor architectural, sur le sol consacré, depuis dix-huit siècles, au culte du droit, le Palais se dresse vers le ciel limpide; et il semble que l'idée de Justice se symbolise dans la ligne sereine de son portique.

 

(1) Cette base a 17m63 de longueur.

(2) C'est l'inscription que le préfet, d'Alphonse, préconisait, en 1807, pour le Palais de l'Empire. On avait repoussé le Justitiæ sacrum du président Soustelle.

(3) Avenue Feuchères, ainsi désignée en l'honneur du général Feuchères qui fit à Nîmes d'importantes donations. (Albin Michel, Rues de Nîmes, tome 1, page 259.)

(4) Le clocher de l'église Sainte-Perpétue, oeuvre de Léon Feuchère, 1852 à 1862 - C'est le même architecte qui construisit les deux édifices encadrant l'église : le bel immeuble de l'Hôtel du Luxembourg et la manutention militaire.

 

Michel Jouve, 1901

 





Collection Gérard Taillefer










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