L'Esplanade n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui. Avant 1787,
époque à laquelle on l'élève pour la mettre en rapport avec un plan d'ensemble
d'embellissement de la ville, elle était à peu près au même niveau
qu'actuellement, mais c'était alors une sorte de terrain vague, créé sur une
partie de l'emplacement du bastion, dit de la Couronne et agrandi, au fur et à
mesure des besoins de la population, sur les jardins des environs. On allait là comme aujourd'hui y respirer le grand air, mais pas tout à
fait y chercher l'ombre et la fraîcheur, car à cette époque, elle n'était pas
entourée d'arbres et l'arrosage était chose inconnue. Cependant, comme c'était
le lieu de prédilection des promeneurs, une délibération communale du XVIIIe
siècle l'appelle la promenade favorite. On y était alors presque à la
campagne. En effet, elle n'était pas comme aujourd'hui entourée de maisons
élevées et bornées par des faubourgs, mais de jardins et de petits chemins,
conduisant à la plaine et au Vistre, dont on pouvait voir au loin les grands
arbres. En 1787, donc, on y porte des décombres et des terres et on en fait une
sorte de terrasse de plus d'un mètre de hauteur par où l'on montait par deux
grands perrons. Les terres qui servirent à exhausser cette promenade provenaient de la
démolition de la plate-forme qui obstruait la rue Régale, du déblaiement des
Arènes, de la démolition des remparts et de la suppression du cimetière des
Récollets ou de la Couronne. Raymond, architecte du roi, à Toulouse, avait
dressé tous ces projets, moyennant 6000 livres. Il peut être considéré ainsi
comme l'auteur de nos boulevards et de la physionomie actuelle de la ville. Malheureusement tous ces travaux ayant été exécutés un peu à la hâte, on
s'aperçut vers l'an VII de la République que l'Esplanade était beaucoup plus
élevée du côté du Sud et que les eaux pluviales refluant vers la ville, y
causaient des dégâts sérieux. La municipalité par une délibération du 22
prairial an VIII fait rectifier cette erreur en changeant la porte du Nord au
Sud. En 1821, on y place des bancs en pierre froide de Baruthel et en 1827,
après qu'on eût décidé la canalisation de la source de la Fontaine, on conçut
l'idée de placer au milieu de l'Esplanade une fontaine monumentale qui coûta
huit mille francs, et qui se résumait en deux vasques superposées, en forme de
coquilles retenues au sol par un seul pied. En 1841, lorsqu'on construisit la
voie ferrée, nos édiles voulurent faire grand et ménager à la ville une belle
entrée ; on fit tout un plan d'avenues et de voies de dégagement, dans lequel
des modifications importantes furent apportées à l'Esplanade. On l'abaissa de
nouveau et elle fut entourée d'arbres, d'une balustrade, de trottoirs, de becs
de gaz. Puis en 1844, après tous ces travaux de nivellement et
d'embellissement, le conseil municipal prend une délibération par laquelle elle
sera dotée d'une grande et belle fontaine artistique, qui sera en pierres de
Lens et de Roquemaillère, c'est-à-dire de nos deux grandes carrières des
environs. Et il vote à cet effet cinquante mille francs et la mise au concours
de ce projet vraiment génial, dont tout l'honneur revient à M. le maire Girard
et à ses adjoints MM. de la Corbière, Michel, Nègre-Bergeron. La fontaine qui se trouvait encore sur l'Esplanade ne débitait que huit
pouces d'eau, il fut décidé qu'il fallait prévoir que la fontaine à exécuter
pourrait recevoir une quantité d'eau plus considérable. Le concours eut lieu le 20 mai 1844. L'auteur du projet adopté devait recevoir une somme de 2000 frs indépendamment
du droit qu'il aurait de diriger lui-même l'exécution des travaux. Chaque
projet devait être adressé à la mairie au plus tard le 1er octobre 1844.
Vingt-sept projets furent envoyés au concours. Ils furent exposés publiquement
à la Maison Carrée depuis le dimanche l3 octobre jusqu'au Jeudi 13 novembre. Le 22 du même mois, le conseil municipal nomma un jury composé de treize
membres savoir : sept pris dans son sein, six pris au-dehors. Ces six derniers
comprenaient deux ingénieurs en chef des Ponts et chaussées, trois architectes
et le directeur du musée. Le jury était ainsi composé : M. F. Girard, maire ; Messieurs Bonnaud,
Boyer, de Chastellier, Ranse, Rousselier et de Trinquelague, conseillers
municipaux; M. Vinard, ingénieur en chef du département; Didion, ingénieur en
chef du chemin de fer; Chambaud, architecte de la ville; Bourdon, architecte du
département ; Boucoiran, directeur de l'Eco le des Beaux-arts; Henri Durand,
architecte. Les vingt-sept auteurs de projets se décomposaient ainsi : 8 de Paris, 9 de
Nîmes, les autres de Marseille., Bordeaux, Bruxelles, Besançon, Alais,
Beaucaire, Arles, Vienne. Sur les vingt-sept projets présentés, vingt-deux
furent éliminés aussitôt parle jury, et cinq seulement furent jugés dignes de
son attention. Chose curieuse, les 9 concurrents de Nîmes furent
impitoyablement mis de côté, soit sans doute par insuffisance, soit par ce
sentiment très humain qui veut que nul n'est prophète dans son pays. Les cinq
projets qui étaient restés seuls en présence portaient pour épigraphe : le
numéro 2 « A chacun selon ses œuvres » ; le numéro 9 « Prospérité,
commerce, industrie » ; le numéro 7 « Aide-toi, le ciel
t'aidera »; le numéro 19 « Ut prosim » et enfin le numéro 21
« Utilité et embellissement ». Un nouvel abattage ne laisse subsister que les numéros 19 et 21, qui furent jugés seuls susceptibles d'exécution. Ils étaient l'un et l'autre conçut avec beaucoup de talent, de goût et de convenance. L'auteur du numéro 21 était M. Léon Feuchères, architecte à Paris, qui déclara avoir présenté son projet eu collaboration avec M. Jules Klagmann, statuaire, auteur de la fontaine Louvois ; le numéro 19 était de Questel, c'est la Fontaine actuelle de l'Esplanade. Le numéro 21 se composait d'un monument carré, très artistement décoré, ayant deux façades principales, une tournée vers le boulevard, l'autre vers l'avenue. Sur ces deux faces étaient deux statues placées chacune dans une niche et sur les deux faces latérales des médaillons ornementés. La conception de M. L. Feuchères parut si recommandable et si belle, que le jury résolut de solliciter du Conseil municipal l'allocation d'une prime de 1000 francs en faveur du projet qui ne serait pas exécuté. Le projet de cet éminent architecte figure dans une des salles de notre musée. Questel fut donc chargé de l'exécution de la fontaine de l'Esplanade. Mais ce n'était pas encore toucher au but. Il fallait choisir non seulement un sculpteur, mais encore arrêter les matériaux qui devaient servir à l'exécution des cinq grandes figures du monument, il fallait examiner si l'on adopterait la pierre de Lens ou le marbre blanc. Celte dernière matière exigerait une dépense de 120000 francs au lieu de 80000 frs. qu'aurait coûté la pierre. Le Conseil adopta la délibération suivante : Considérant que la fontaine monumentale que la ville de Nîmes se propose d'élever sur l'Esplanade, a été considérée par le Conseil et par les autorités consultées, comme une oeuvre d'art de haute importance. Qu'elle doit, en conséquence, réunir les conditions les plus complètes de durée et de perfection, considérant que la dépense, quoique très considérable, est justifiée par l'importance de la Ville de Nîmes et par la grande proportion de la promenade et des monuments antiques et modernes qui l'entourent. Le conseil municipal délibère, les cinq grandes figures sculptées de la fontaine monumentale seront exécutées en marbre blanc. La
ville, en exécution de cette délibération, passa des traités avec une maison de
Paris, la seule en France qui avait entrepris l'exploitation des marbres de
Carrare, cette maison était en ce moment occupée à la livraison des marbres
destinés au tombeau de l'empereur Napoléon aux Invalides. Les blocs de notre
Fontaine leur sont semblables pour la qualité. Plus de vingt-quatre cubes de ce
marbre, à 1000fr. le mètre seront nécessaire pour l'exécution du monument. Le
bloc seul, destiné à la grande figure de la ville de Nîmes, qui couronne la
Fontaine, exigea des dimensions au moins égales aux blocs livrés par l'Etat
pour le monument des Invalides. Il avait quatre mètres trente de haut et pesait
de quinze à vingt mille kilos. Tout cela augmentait la dépense totale qui
de 50000 frs, devait atteindre suivant les prévisions, 160000 fr. Mais le
Conseil municipal, qui tenait par-dessus tout à cette couvre, ne recula pas
devant cette carte à payer. Le 10 mai 1845, il autorise la municipalité à
mettre le projet en voie d'exécution. M. Girard ne perd pas de temps. Il
fait aussitôt ouvrir un concours à l'amiable entre divers sculpteurs de la
capitale. Voilà Klagmann, Etex et Pradier en présence. Klagmann est fortement
recommandé par MM. de Chabaud-Latour, de Lafarelle, Ary Scheffer. Ce dernier
invoquait tout l'intérêt que le duc d'Orléans portait à cet artiste. Etex, de
son côté, apprenant que son maître Pradier est sur les rangs, se récuse. Malgré tous les efforts de ses amis MM. Numa Boucoiran, Feuchères et
Nouguier, Klagmann est écarté. Le Maire traite le 1er août 1845 avec
Pradier bien qu'il ait demandé 75000 fr au lieu de 60000 francs que demandaient
Etex et Klagmann. Quels sont les mobiles auxquels a obéi le Maire en
faisant choix de Pradier ? Les uns prétendent que c'est la promesse de la
part de Pradier de faire acheter par l'État, pour la Ville de Nîmes, sa belle
statue de Phryné, qui malheureusement est restée au Louvre, d'autres que M.
Girard considérait Pradier supérieur à Klagmann et qu'il fallait que la
Fontaine de l'Esplanade fut l'oeuvre du sculpteur le plus en renom de l'époque,
que déjà Pradier avait fait pour l'Hôtel-dieu, le buste du général de Feuchères,
bienfaiteur de nos hospices, moyennant 5000 francs, enfin, il y a lieu de
croire que M. Girard s'est laissé influencer lors de son voyage à Paris pour y
visiter les principales fontaines, par l'aspect grandiose et gracieux de la
fontaine Molière, oeuvre magistrale de Pradier. Le choix de Pradier allait changer une fois de plus la somme estimative du
monument. De 11400 frs. qui étaient les frais de sculpture évalués par M.
Feuchères, on était passé à 19803 frs 40 c avec M. Questel, et l'on arrivait avec
M. Pradier à 75,000 fr. Et encore ce dernier déclarait-il faire une concession
déclarant que ce n'est point l'appât du gain qui l'engage à entreprendre ce
beau travail, mais bien le désir de laisser à Nîmes une belle chose, celui de
prouver l'attachement particulier qu'il avait pris pour un département où était
né son grand-père. Cependant la nouvelle carte à payer ne devait arrêter
en aucune façon le Conseil municipal. Il s'empressa de voter le nouveau
sacrifice qu'on exigeait des finances municipales, ce qui porta le total de la
dépense générale à 214963 fr. 55 c, somme exacte de ce qu'a coûté la Fontaine,
dite de Pradier. Peu de municipalités dans l'avenir auront fait pour les arts autant que
celle de cette époque. Il faut donc la féliciter et de son intelligence et de
sa hardiesse. Les artistes viennent à Nîmes aujourd'hui autant pour voir le
chef-d'oeuvre de Pradier que pour y admirer ses monuments
antiques. Pradier arriva à Nîmes en 1846, époque à laquelle il installa
son atelier sous un des arceaux du Viaduc. Ce n'est que dans le courant de
l'année 1850 que fut terminée la fontaine de l'Esplanade, que les habitants ne
connaissaient que par la maquette exposée dans la Maison Carrée. L'érection et
la mise en place des différentes pièces paraissaient difficiles à exécuter, et
cette dernière opération fort délicate éveillait quelques perplexités, même
chez les hommes de l'art. Le samedi 12 avril, MM. Cazal et Ginestoux,
entrepreneurs pour les travaux de maçonnerie, installèrent la première des quatre
grandes vasques qui reçoivent les eaux. Ce bloc ne pesait pas moins de 230
quintaux métriques. Ce commencement heureux faisait présager le succès futur.
Il fallut, néanmoins, toute l'intelligence, toute la capacité de l'entrepreneur
pour hisser sur son piédestal, la colossale statue de la Ville de Nîmes. Le
jeudi 25 mai, sous la direction de Questel et de Durand, architectes, ce
travail fut terminé, malgré les moyens imparfaits dont on disposait.
Successivement, les quatre statues prirent leur place sans que l'une d'entre
elles ait été dégradée, soit pendant le transport, soit pendant l'érection. On
se figure aisément les difficultés de cette dernière
opération, et l'on comprendra quelles étaient celles
du transport, lorsqu'on songe que l'atelier de M. Pradier étant
aussi éloigné du centre de l'Esplanade, il avait fallu
traîner jusqu'au pied du piédestal la masse énorme
des différentes statues. Pour réaliser ce problème,
M. Cazal avait eu l'idée de construire un chemin de fer qui,
partant de l'atelier et aboutissant à l'Esplanade, s'élevait
par un plan incliné, construit en charpente, jusqu'aux
piédestaux sur lesquels, alors, les statues étaient
déposées sans effort. Ce travail, qui lui fut consenti
par adjudication, coûta 1500 francs.
Les diverses circonstances qui ont précédé ou accompagné l'érection de la Fontaine de l'Esplanade, furent transcrites sur un parchemin spécial. Ce document fut enfermé dans un tube de verre, dans lequel on fit le vide et le tube placé dans une petite boîte de plomb avec quelques pièces d'argent et de cuivre à l'effigie de Louis-Philippe et de la République. Le tout fut scellé dans le piédestal qui porte la Ville de Nîmes. La réception des travaux se fit avec un certain apparat, le 8 septembre 1850, mais l'inauguration solennelle ne devait avoir lieu que plus tard. Le maire, entouré de ses adjoints et du Conseil municipal, convoqua, en outre, l'Académie du Gard, le Préfet et le Conseil général à assister à cette première cérémonie. L'éminent artiste Pradier, qui avait été appelé, comme membre de l'Institut, à siéger au sein de notre Académie, guida le cortège et fit la remise officielle des travaux à l'administration municipale. Une foule immense entourait le cortège officiel et contemplait cet admirable groupe débarrassé, enfin, de ses voiles et des échafaudages qui en masquaient les belles proportions. Il restait à entourer convenablement ce morceau d'art et surtout à alimenter les jets d'eau. A cette époque, c'était une question assez compliquée que de détourner de la source de la Fontaine, une quantité relativement assez considérable de liquide. Il fut décidé qu'une conduite spéciale partirait du point où le canal de dérivation des eaux, dit aqueduc Balore, aboutit sur le quai de la Fontaine, au débouché de la rue Titus, et se dirigerait, en longeant les boulevards de la Comédie, de la Madeleine et St Antoine, sur le réservoir existant à l'angle Nord-ouest du bosquet de l'Esplanade, en face la maison Colomb. Cette conduite captait, au profit de la Fontaine de l'Esplanade, la masse d'eau qui desservait le lavoir de la place d'Assas, soit 1000 litres environ par minute.
> Construction de la Fontaine Pradier en 1850 > Inauguration de la Fontaine Pradier, texte de Henri Révoil. > La vie du Sculpteur James Pradier > Le modèle, Juliette Drouet ? > Article Midi Libre du 30 janvier 2005 sur l'Esplanade > Où est passé le Kiosque de l'Esplanade ? >Contact Webmaster . |