ENLUMINURE DE FERDINAND PERTUS

IX

 

Procession de la Fête des Fous à la place Belle-Croix de Nîmes - Enluminure de Ferdinand Pertus.

La Fête des Fous

 

Abolition de la fête des fous à Nîmes.

(An de J.-Ch. 1394.)

 

En ce temps-là, l'établissement d'une fête bizarre, qui avait lieu dans la plupart des églises du monde chrétien, et en particulier dans celle de Nîmes, sous le titre de fête des fous . commença de recevoir ici les premières atteintes.

 

Cette sorte de fête se célébrait aux jours de Noël, en signe de joie de la naissance de Jésus-Christ. Elle consistait en des danses et des profanations qui se faisaient dans les églises même, entre les prêtres et les laïques des deux sexes.

 

Ces réjouissances toutefois n'étaient pas les mêmes partout. On en faisait de plus ou de moins impies, quelques-unes sacrilèges, accompagnées d'excès, d'abominations et de débauches , selon les lieux et les coutumes. A Nimes, la fête des fous se célébrait avec plus de modération. C'est ce que nous apprennent les monuments du temps. dont je vais donner un détail, qui instruira de toutes les circonstances de cette bizarre et singulière pratique , et de son extinction.

 

Le schisme qui déchirait alors l'église venait de prendre de nouvelles forces. La mort du pape Clément VII . qui résidait à Avignon, arrivée le 16 de septembre de l'an 1394 , n'avait fait que l'aigrir. Les cardinaux de son obédience avaient aussitôt élu . le 28 de ce mois , Pierre de Lune , Aragonais, qui prit le nom de Benoît XIII. De sorte que ce fut à recommencer, et le schisme continua.

 

On fit en France des prières publiques pour en demander à Dieu la cessation, et obtenir l'union de l'église. Ce fut dans ces conjonctures que Gilles Vivien , bachelier ès lois, lieutenant général du sénéchal Guillaume de Neillac, défendit à Nîmes la célébration de la fête des fous.

 

Dans l'ordonnance qu'il rendit à ce sujet le 25 de décembre de cette année 1394, jour même de Noël , sur la réquisition de Jean Varran, bachelier ès lois, procureur du roi de la sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes, il exposa que l'église devait être dans la désolation et dans l'affliction, à cause du schisme causé par le chef , qui la déchirait dans toutes ses parties, tout ainsi que les membres du corps humain se ressentaient de la maladie qui attaquait la tête ; que par conséquent il ne convenait point qu'on fit, en ces malheureux temps, des danses et des réjouissances dans les églises , qui n'étaient d'ailleurs que des maisons de prières: que les danses qui se faisaient en quelque église de Nîmes, entre des personnes des deux sexes, étaient d'autant plus scandaleuses et répréhensibles, qu'on ne devait s'occuper que de prières, et tâcher d'obtenir de Dieu l'union et la paix. Sur ces motifs, il ordonna que ces sortes de réjouissances cesseraient dans les églises de Nîmes, et enjoignit au sous viguier d'aller publier cette défense, avec un notaire et le crieur public, dans tous les carrefours accoutumés de la ville.

 

La défense fut donc publiée le jour même , pendant les vêpres, à son de trompe, et dans les rues et devant le portail de l'église cathédrale. La proclamation se fit en Languedocien, comme c'en était alors l'usage. Elle portait en substance, que l'état de tribulation où se trouvait l'église demandait qu'on ne cessât de faire des prières, et spécialement aux jours de fêtes et dans les lieus consacrés à ce saint exercice ; sur quoi la cour du sénéchal défendait à toutes personnes justiciables et sujets du roi, de quelque état et condition qu'elles fussent, de faire à l'avenir aucunes danses à Nîmes dans les églises, tant que le schisme durerait, qui était un temps où il fallait plutôt gémir et verser des larmes, que se livrer à des réjouissances, bien plus propres à produire le scandale et l'offense de Dieu qu'à obtenir du ciel la paix de l'église ; et cela sous peine d'une amende de dix livres Tournois, applicable, moitié au roi et moitié au luminaire des processions qui se faisaient pour l'extirpation du schisme.

 

Ce n'était pas une petite entreprise de la part de cet officier, que de vouloir abolir une fête telle que celle-ci, célébrée depuis plusieurs siècles, et accompagnée de tout ce qui peut flatter l'amour des plaisirs et des réjouissances. Aussi la ville fut-elle vivement irritée de son ordonnance, mais surtout les chanoines de la cathédrale, qui firent éclater leur indignation par toutes sortes de murmures et de plaintes, et enfin par des actes judiciaires. Ils voulurent d'abord s'informer si le lieutenant du sénéchal avait rendu cette ordonnance par le conseil des magistrats ou des consuls.

 

De sorte que les fêtes de Noël étant passées, ils firent faire une sommation, le 28 de décembre à Jean de Chimieu, licencié ès lois, juge royal ordinaire de Nîmes, pour qu'il eût à déclarer si c'était de son avis ou par son ordre que cette proclamation s'était faite. Il répondit qu'il n'y avait point de part, et qu'il la désapprouvait. Le lendemain. ils firent faire deux pareilles sommations, l'une a Pierre Foucard, Guillaume Brès et Antoine Maurel, consuls de Nîmes, qui répondirent que non seulement elle ne s'était point faite sur leur réquisition, mais qu'ils n'en avaient aucune connaissance, et qu'ils l'avaient entendu publier avec un véritable déplaisir ; l'autre à Laurent de l'Euse, licencié ès lois, avocat du roi de la sénéchaussée, qui répondit qu'on ne l'avait point appelé au conseil, lorsque l'ordonnance s'était rendue, qu'il ne la connaissait même que par le rapport public. Enfin le 30 du même mois, les chanoines firent faire une sommation semblable à Guillaume d'Estaing, viguier royal de Nimes. Celui-ci répondit aussi qu'il n'avait point été appelé au conseil; que s'il s'y était trouvé, il aurait dit son sentiment, et que la proclamation ne s'était point faite de son consentement. Il ajouta même que s'étant trouvé dans la maison du lieutenant général, lorsqu'il donnait ordre au sous viguier de la publier, il lui avait protesté qu'elle ne se faisait point de son autorité, qu'il ne l'approuvait pas et qu'au contraire il s'en rendait appelant au nom des chanoines.

 

Le reste des habitants ne fut pas moins indigné de cette défense. Quelques jours après, c'est-à-dire le 3 de janvier de l'an 1394 (1395). Pierre Foucard et Antoine Maurel, consuls, en appelèrent au roi et à sa cour de parlement de Paris, tant en leur nom qu'en celui de leurs femmes, de leurs enfants et de tous les autres habitants laïques de Nimes, et firent signifier leur appel au lieutenant Gilles Vivien, en la personne toutefois d'Etienne Laune, licencié en décrets, et official de l'évêque, comme étant une personne publique, et à cause que le lieutenant était absent.

 

Leurs griefs étaient que le sénéchal n'avait aucun pouvoir de faire ces sortes de défenses ; qu'il s'agissait de l'église et des chanoines, sur lesquels sa juridiction ne s'étendait pas ; que le viguier et le juge royal de Nîmes avaient seuls la juridiction ordinaire immédiate de la ville ; que le sénéchal n'y pouvait rien qu'en de certains cas, et n'avait point droit d'ordonner ces sortes de proclamations, contre une coutume surtout établie et pratiquée depuis un temps immémorial ; qu'il ne se passait rien d'ailleurs dans ces réjouissances qui fût contraire au bon ordre et à la sûreté des sauvegardes ; qu'il n'y avait point de port d'armes ; qu'il ne s'y faisait aucune sorte d'excès ; que cette fête n'avait pour motif qu'une sainte joie causée par la naissance du fils de Dieu ; qu'elle ne consistait qu'en de simples danses qui se faisaient dans la nef de l'église entre les habitants des deux sexes et les chanoines et l'évêque de la fête, avec toute la décence convenable.

 

D'un autre côté, les chanoines s'assemblèrent ce jour-là et nommèrent pour appeler de même au roi, en leur nom, six d'entre eux, qui furent Guillaume d'Aussac, prieur de Boissières ; Jean de Moulins, infirmier ; Bernard Marthés, ouvrier; Bernard de Vaquieres, prieur de Montignargues, Pierre de Remoulins, prieur d'Alvernes, et Eustache Pegole, chanoine claustral.

 

Comme la procuration qu'ils leur firent expédier laissait le pouvoir à un seul d'agir pour tous les autres, ce fut Bernard Marthés qui le lendemain fit signifier son appel au lieutenant du sénéchal. Il se présenta pour cela devant lui sur les neuf heures du matin, à la trésorerie royale de Nimes. Ce magistrat répondit qu'il rendrait raison des motifs de son ordonnance le premier jour de vendredi, après la fête de saint Hilaire, qui est le 13 de janvier.

 

En effet, le 15 de ce mois, qui était le vendredi indiqué, le lieutenant Gilles Vivien étant dans la salle de la maison de la trésorerie, où se tenait le tribunal de la sénéchaussée, exposa ses motifs au chanoine Marthés, qui n'avait pas manqué de s'y trouver , et après les avoir tous ramenés, il finit en déclarant que l'appel des chanoines était frivole et dénué de griefs, et que sa réponse tiendrait lieu du relief d'appel qu'il lui avait demandé. Il la fit en même temps insérer, de même que son ordonnance et la proclamation que le sous viguier en avait faite en languedocien, à la suite de l'acte qui fut dressé à ce sujet.

Au reste, ces lettres de relief d'appel apostoli, étaient alors si fort en usage, que le juge supérieur, ecclésiastique ou séculier, n'aurait point reçu un appel, si l'on n'eût représenté ces sortes de lettres, délivrées par le juge inférieur dont on appelait.

 

Ce n'est pas tout, le 20 du même mois Jacques Arnaud, bachelier en décrets, chanoine de l'église de Nîmes, prieur de Brouzet et chapelain du pape, agissant aussi au nom du chapitre de cette église, fit signifier un autre appel au même lieutenant. Après avoir, dans ce second acte, répété presque toutes les mêmes raisons du précédent, et réfuté celles que Gilles Vivien avait alléguées, il requit cet officier de lui donner des lettres de relief d'appel, mais il n'en eut aucune réponse. Ensuite, les chanoines capitulairement assemblés au son de la cloche, dans leur cloître, le 26, prirent une délibération par laquelle ils acquiescèrent à l'appel qu'Arnaud venait de faire signifier en leur nom.

      

Réjouissances de la fête des fous dans l'église cathédrale de Nîmes.

Histoire de Nîmes, Ménard Tome 3, 1752

.

Les raisons contenues dans les deus actes signifiés au nom des chanoines pour établir leur appel, portaient en substance que les danses et les réjouissances que le lieutenant du sénéchal avait défendues s'étaient faites de temps immémorial ; que tout s'y passait avec décence et dans l'esprit même de l'église, que, pour s'en convaincre, il n'y avait qu'à en suivre le détail, que tous les ans le jour de Noël, après vêpres, les plus jeunes chanoines élisaient un évêque et qu'après son élection commençaient les réjouissances; que les danses se faisaient dans un esprit d'union et d'amitié fraternelle entre les chanoines et leurs parents des deus sexes ; qu'on y admettait les nobles, les bourgeois, les marchands et autres, de même que leurs femmes et leurs filles, que ces démonstrations de joie duraient trois jours complets, c'est-à-dire qu'elles commençaient après vêpres du jour de Noël, et finissaient après complies de la dernière fête, mais qu'aucun de ces jours on ne dansait point que les offices ne fussent finis, que ces danses, au surplus, n'avaient pour objet qu'une simple allégresse entièrement conforme à la fête du jour ; que celles de Noël étaient célébrées pour honorer la crèche du souverain pasteur et l'enfance du sauveur du monde ; aussi était-ce l'évêque élu pour cette fête qui en faisait ce jour-là toutes les cérémonies ; que les réjouissances du jour de saint Etienne regardaient les diacres, en l'honneur de ce saint, qui était diacre et le premier martyr du nouveau testament ; que celles de saint Jean, l'évangéliste, étaient célébrées par les prêtres pour honorer cet apôtre, qui était évangéliste, prêtre et le disciple bien-aimé de Jésus-Christ ; que celles enfin du jour des innocents appartenaient aux plus jeune chanoines et aux clercs, en l'honneur de ces saintes et innocentes victimes ; que ces danses ne se faisaient pas dans le choeur de la cathédrale, mais dans la nef ; que dans cette nef il n'y avait point d'autel ; que le saint sacrement de l'eucharistie n'y reposait pas ; qu'il n'y avait ni reliques de saints, ni tombeaux de fidèles, comme en faisait foi le pavé qui était aussi uni que le marbre ; qu'on n'y voyait pas même des tombeaux de cardinaux, d'archevêque, d'évêques, de prélats, qui étaient tous placés contre le maître-autel, ou dans le chœur, ou dans les chapelles ; qu'après tout de si pieuses réjouissances ne devaient être célébrées que dans un lieu décent, saint, respectable, en un mot tel qu'une église ; qu'à la vérité on avait quelquefois choisi pour cela la maison de l'évêque, mais c'était lorsque le pavé de la cathédrale se trouvait trop humide par les grandes pluies qui pouvaient être alors survenues ; que de semblables fêtes se pratiquaient aussi dans toutes les églises du monde chrétien ; qu'elles avaient été permises et autorisées par les commissaires que le pape avait autrefois envoyés pour travailler à la réformation de l'église de Nîmes ; que même ces jours-là les chanoines de cette ville, suivant les statuts de leur église, étaient dispensés de l'observance de la règle, en signe de joie pour !a célébrité des fêtes.

 

On ajoutait dans ces actes . que le sénéchal ou son lieutenant devait si peu trouver à dire à ces sortes de fêtes, qu'elles avaient été honorées à Nîmes de la présence du roi Jean, qui assista à la fête des fous qu'on célébra alors dans la maison de l'évêque ; que plusieurs cardinaux et prélats de la cour du pape s'y étaient aussi trouvés ; qu'on y avait de même vu plusieurs fois assister les ducs d'Anjou, de Berri et de Bourgogne, frères, et plusieurs personnes d'une naissance distinguée, où les uns et les autres avaient dansé avec les chanoines ; que ces fêtes s'étaient aussi pratiquées en présence des sénéchaux, qui avaient de même dansé avec eux, ainsi que leurs femmes et les personnes de leur famille ; qu'on ne pouvait sans doute demander d'autorisation plus solennelle ; qu'au surplus ces réjouissances étaient d'autant plus honnêtes et louables qu'on en pratiquait de semblables dans les églises, lorsque le roi relevait de quelque maladie et entrait en convalescence, ainsi que pour la naissance du dauphin, à cause de la joie que ces événements causaient dans le royaume ; que sans doute il était bien plus à propos de les célébrer pour la naissance du sauveur du monde.

 

J'observerai qu'on n'alléguait rien ici sur l’assistance de tous ces princes à la fête des fous à Nîmes que de très conforme à la vérité de l’histoire. Mais pour en éclaircir l'époque qui n’est pas constaté, qu’on se rappelle ce que j’ai dit ailleurs de leurs voyages aux fêtes de Noël dans ces contrés. Suivons y l’ordre des années.

 

Jean, duc de Berri, lieutenant du roi de Languedoc, était venu en 1360, faire un voyage en cette province, pour y régler quelques affaires qui demandaient sa présence. On a de lui une ordonnance qu’il rendit à Nîmes le 29 décembre de cette année là.

Le voyage du roi Jean, fut en 1362, que ce prince se trouva à Nîmes aux fêtes de Noël. Il y était venu d'Avignon, où il fit alors quelque séjour. A l'égard de Louis, duc d'Anjou, celui qui exerçait la lieutenance du roi de la province, passa en 1374, les fêtes de Noël à Nîmes avec la duchesse, sa femme. Il tint alors en cette ville l'assemblée des communes de Languedoc.

 

Enfin, quant au duc de Bourgogne, c'était Philippe, premièrement duc de Touraine et ensuite de Bourgogne, qui accompagna quelques fois les ducs d'Anjou et de Berri, ses frères, dans les voyages qu'ils firent en ce pays, et qui s'était sans doute trouvé à Nîmes lorsque l'un ou l'autre y passa les fêtes de Noël.

 

Les chanoines exposèrent de plus dans leurs actes que le lieutenant Vivien avait rendu son ordonnance, et fait faire la proclamation de son propre et unique mouvement , sans avoir pris l'avis des officiers de son tribunal ni d'aucun autre magistrat; qu'il ne l'avait même fait que pal, un esprit de vengeance, en haine de ce qu'ils n'avaient pas voulu permettre. malgré la prière que ses gens et lui-même leur en avaient faite, qu'on enterrât dans l'église des frères ermites de Saint Augustin de cette ville, un de ses amis, habitant de Nîmes, appelé maître Guillaume, qui avait été assassiné sur le grand chemin ; permission qu'il ne leur était pas cependant loisible d'accorder sans blesser leur propre conscience et préjudicier, aux droits de leur église, parce que suivant une coutume immémoriale, à laquelle ils ne pouvaient pas en honneur déroger, toute personne qui n'avait pas élu de sépulture, devait être inhumée dans l'église matrice de Nîmes ; qu'il s'était plaint hautement de leur refus , et n'avait pu s'empêcher de dire qu'il s'en vengerait ; que sa haine venait encore de ce qu'on lui avait rapporté mais à faux, qu'ils ne voulaient pas l'admettre aux divins offices, parce qu'il était excommunié pour avoir participé et communiqué, de même que celui qui faisait ses fonctions en son absence, avec un nommé Jean Fressac, de Nîmes, que le feu pape Clément VII avait excommunié après certaines procédures faites contre lui ; que d'ailleurs ce n'était point à lui a ordonner de pareilles proclamations et faire de semblables défenses ; que c'était une entreprise et une usurpation de sa part sur la juridiction de l'évêque, qui était seul en droit de faire des règlements ou des informations là-dessus avec son chapitre, et qu'à son défaut, et en cas de négligence de sa part , la connaissance en appartenait seule et par degré aux autres supérieurs ecclésiastiques ; les juges séculiers n'ayant aucune sorte de droit sur la juridiction de l'église qui est entièrement séparée de la leur :

 

« Et plût à Dieu, leur dirent-ils , eussiez-vous consulté le vicaire de notre évêque . ou les dignités et les chanoines de la cathédrale ! ou bien que ne preniez-vous l'avis des consuls et autres personnes distinguées de la ville ? »

 

Les termes au reste que l'acte emploie ici, en parlant de l'évêque, nostri Nemausensis episcopi, in remotis agintis, nous apprennent que Gilles de Lascours, qui était monté sur le siége épiscopal de Nîmes, depuis la fin de l'an 1393, était alors absent et éloigné de cette ville ; mais nous ne savons point en quel endroit il se trouvait , ni à quoi il y était occupé.

 

Pour s'autoriser encore par les exemples, les chanoines en rapportèrent plusieurs de l'ancien testament, qui établissaient la nécessité et l'usage des danses et des instruments de musique dans les fêtes publiques, et dans les cérémonies et les solennités du peuple de Dieu, qui n'étaient pourtant que des figures de la nouvelle loi, à quoi ils ajoutèrent que l'église elle-même donnait des preuves de sa joie pour la naissance de Jésus-Christ, en la faisant éclater par des hymnes d'allégresse répandues dans les offices de ces saints et heureux jours, même par des cantiques vulgaires, appelés noëls, dont retentissaient alors toutes les églises, ce qui prouve qu'elle veut que les fidèles se réjouissent et de coeur et de corps en une si grande solennité.

 

Ils disaient ensuite, qu'en vain le lieutenant du sénéchal voulait colorer sa défense des spécieuses circonstances du schisme, dont ils prétendirent qu'il n'avait rien dit dans son ordonnance ; que si cependant ces sortes de fêtes n'eussent pas été convenables dans ces conjonctures, on n'aurait pas manqué de les supprimer, depuis seize ans que le schisme durait ; que, néanmoins pendant tout ce temps-là, le pape Clément VII et l'évêque de Nimes, qui de concert avec le roi avaient ordonné de continuelles prières pour la cessation du schisme, fait faire des processions, dire des messes et célébrer les offices divins dans la ville de Nîmes, n'avaient eu garde  d'y joindre l'interdiction et la défense de ces réjouissances ; qu'ainsi il ne fallait point introduire de nouveautés. d'autant plus dangereuses eu ces temps de calamités qu'il pourrait en résulter beaucoup de mal.

 

Enfin pour ne rien oublier de ce qui pouvait rendre leur appel soutenable, les chanoines attaquèrent par leurs actes les formalités de la proclamation. Ils dirent qu'elle s'était faite en un jour solennel, qui était la fête de Noël, jour où toutes sortes d'actes de justice doivent cesser ; que le crieur s'était même approché des portes de l'église , et était presque entré dans la nef ; que là il avait sonné de la trompette et fait sa publication, ce qui avait été un scandale, outre pour les fidèles assemblés en grand nombre dans l'église, et une insulte atroce pour tous les chanoines ; qu'il avait même pénétré jusques dans l'endroit où l'on avait accoutumé de faire processionnellement l'absoute des morts, et là où était le crucifia ; qu'il aurait dû avoir quelque respect pour une église aussi privilégiée que l'était la cathédrale, qui servait d'asile et de retraite assurée à toute sorte de malfaiteurs. On voit ici une preuve bien marquée du droit d'asile dont l'église de Nîmes jouissait depuis un temps immémorial. Les chanoines relevèrent encore dans leurs actes un usage pratiqué envers les prisonniers , qui devait , selon eux, rendre favorable celui où ils étaient de faire ces sortes de fêtes ; c'est qu'a l'arrivée des princes et des grands à Nîmes, on avait accoutumé de délivrer des prisonniers, et que, de plus , le vendredi saint on leur accordait, par respect pour la passion de Jésus-Christ, quelque espèce de récréation et de liberté, d'où ils concluaient qu'on devait à plus forte raison approuver des réjouissances qui ne se faisaient qu'a l'occasion de la plus grande solennité.

 

Ces diverses raisons ne demeurèrent pas sans réplique. Le lieutenant du sénéchal réfuta les unes, et prévint les autres dans la réponse qu'il fit le vendredi 14 de janvier au premier acte d'appel des chanoines.

 

D'abord il exposa qu'il n'ignorait pas que c'était en l'honneur de la sainte rédemption du monde, et pour célébrer la fête de la crèche du souverain pasteur et de l'enfance de Jésus-Christ, qu'on avait accoutumé de faire des réjouissances dans l'église cathédrale de Nîmes, le jour de Noël, et les fêtes suivantes, mais qu'on devait convenir aussi que la maison de Dieu était une maison de paix, que néanmoins par toutes ces folles réjouissances le trouble et le tumulte y régnaient ; qu'il n'y avait que danses, que sauts, qu'exclamations, que ris immodérés, que conversations élevées, et il ramena à ce sujet divers textes de l'écriture où Dieu parle de son église comme d'une maison sainte et d'un lieu d'oraison ; que c'était d'autant plus la profaner, que le corps de Jésus-Christ reposait dans le tabernacle, et que de toutes ces folies il naissait beaucoup d'occasions de pécher ; qu'on devait se rappeler l'exemple d'un empereur romain qui se trouvant une année à Arles, et voyant que pour célébrer son arrivée en cette ville, on s'était assemblé dans l'église, et que des personnes des deux sexes y dansaient et sautaient, il fut si fort scandalisé de toutes ces profanations, qu'il les fit aussitôt cesser, chassa de l'église ceux qui s'y étaient assemblés, et détendit d'y faire à l'avenir de pareilles réjouissances ; qu'après tout il ne manquait pas d'autres endroits près de l'église pour faire ces sortes de danses, tels que le cloître des chanoines ou la maison de l'évêque, comme on l'avait pratiqué d'autres fois, et qu'on le pratiquait même alors ; qu'on ne pouvait regarder la liberté qu'on avait donnée aux chanoines, et la possession où ils étaient de pratiquer ces démonstrations de joie, que comme une corruption d'usage et une dépravation des siècles précédents, possession qui pourtant avait souvent été interrompue ; qu’il n'avait point excédé son pouvoir en faisant cette défense, parce que d'un côté le droit n'en appartenait point aux officiers de la cour royale ordinaire de Nîmes, et que d'un autre le sénéchal était comme le président de toute la sénéchaussée et juge né de la ville ; que par son conséquent son lieutenant pouvait faire faire toutes sortes de proclamations à Nîmes, où était d'ailleurs le siège du sénéchal ; qu’il n'avait eu en faisant cette défense aucun motif de vengeance et de haine, comme on le prétendait mais seulement des vues qui ne tendaient qu’à faire observer la décence et le respect qu'on doit garder dans les lieux saints ; que le roi même avait fait cesser ces sortes de réjouissances , lorsqu'on avait voulu les faire en sa présence dans les églises , à cause du schisme ; qu'il avait de plus enjoint à tous les prélats du royaume de faire des prières publiques pour obtenir de Dieu l'union de l'église ; qu'au surplus le crieur n'avait fait ses proclamations que dans les rues et carrefours accou­tumés de la ville, qui étaient les mêmes par où l'on faisait passer les criminels lorsqu'on les conduisait au supplice; que c'était un jour où il convenait de les faire ; que si néanmoins il en avait fait dans l'église même, ce qu'il avait de la peine à croire , il offrait de payer le dommage , selon l'estimation que la cour de Nimes en ferait.

 

Telles furent tes premières atteintes que le lieutenant Vivien porta à la pratique des cérémonies profanes qu'on observait dans l'église cathédrale de Nîmes pendant la fête des fous. Nous ne savons pas quelles en furent les suites, ni quel dénouement eut cette affaire ; que les différents ordres de la ville, mais plus encore que tous les autres les chanoines , prirent si fort à coeur. Il ne faut pas douter néanmoins que leurs oppositions n'aient été inutiles et sans succès.

 

Car il ne paraît pas que cette fête se soit depuis célébrée a Nîmes, ou si elle s'y célébra, ce ne fut pas vraisemblablement sans obstacles et sans des défenses réitérées des officiers de la sénéchaussée de la célébrer. Ce ne fut pas non plus pour longtemps, car la défense de toutes ces folies devint enfin générale pour toutes les églises du monde en 1435.

 

On sait que le concile général de Bâle, qui n'était qu'une suite de celui de Constance, parmi les divers règlements qu'il fit touchant les cérémonies de l'église, condamna, tous les spectacles et toutes les profanations qui se faisaient dans les églises en certaines fêtes, et nommément en celle des fous, et défendit aux ordinaires et aux curés d'y souffrir ni danses, ni mascarades d'hommes et de femmes.

 

Rien n'était en effet si sage et si nécessaire pour maintenir le respect et la décence de la maison de Dieu , que ce règlement. Quelle honte pour les chrétiens de les voir ériger les temples consacrés au culte de Jésus-Christ en théâtres et en salles de bals. De quels sacrilèges et de quelles impiétés n'étaient pas accompagnées ces abominables fêtes en la plupart des églises ? Quelle dérision par exemple d'y voir paraître de simples clercs revêtus d'habits pontificaux et donner la bénédiction comme les évêques ! Quel scandale pour la religion d'y voir entrer des prêtres masqués, danser avec des femmes, chanter des chansons dissolues , jouer aux dés, et commettre des profanations que j'aurais honte de retracer ici ! Quelles ridicules folies l'antique simplicité n'avait-elle pas introduites dans les églises du voisinage, telles que celle de Viviers , comme en fait foi son rituel manuscrit, et celle de Mende , comme le rapporte Guillaume Durand, qui en était évêque ! Il est vrai qu'a Nîmes ces cérémonies profanes n'étaient pas portées à l'excès, qu'on les faisait avec plus de retenue qu'ailleurs, mais c'était toujours une mauvaise pratique, contraire à la dignité du sacerdoce et à la sainteté du lieu, et qui méritait d'être retranchée et      supprimée. II revint sans doute quelque gloire à Guillaume Vivien d'avoir le premier entrepris d'arrêter le cours de ces ridicules usages.

 

Extrait de l’Histoire de Nîmes - Livre huitième, pages 86 à 93 - Léon Ménard, 1758

 

 

« Version 2 - Expériences Chrétienne, par C.L. Trivier, Ministre de l'Evangile, Bruxelles, 1864. »

 

(1445) Ces fêtes honteuses sont mentionnées, comme existant en germe au moins, dès le IVe siècle de l'église, et ne sont, sans doute, autre chose que les saturnales des idolâtres, transportées dans le christianisme. A peine la paix eut-elle été donnée à l'Eglise, par la conversion de l'empereur Constantin, que les évêques, oublieux du véritable esprit de l'évangile, se mirent à employer la persécution, pour contraindre les idolâtres à se faire chrétiens. D'un autre côté, pour les encourager, ils leur permirent de conserver un grand nombre de leurs usages, en donnant à ces usages un autre sens et un autre but. Ainsi, les fêtes célébrées en l'honneur des faux dieux, furent désormais en souvenir de certains martyrs, et le jour anniversaire de leur mort. Les mêmes banquets, les mêmes danses, et presque les mêmes chants furent conservés ; les divertissements duraient non seulement le jour, mais ils étaient prolongés pendant la nuit entière. Les plaintes que nous lisons, dans les écrits de plusieurs des hommes éminents, de ce temps là, nous font connaître jusqu'à quel point le mal était parvenu.

 

Pendant longtemps, les laïques seuls célébrèrent ces solennités, quoiqu'ils paraisse difficile de croire que le clergé, dès l'origine, n'y ait pas pris une part plus ou moins active. Mais, au milieu du XVe siècle, les laïques avaient cessé de jouer un rôle, dans ces fêtes dignes des idolâtres, aux plus mauvais temps du paganisme. Si quelque évêque, plus sérieux que les autres, faisait entendre courageusement des paroles de blâme ; si quelque concile éditait des défenses à cet égard , ces protestations, ces interdictions paraissent, pendant bien des siècles, n'avoir rencontré aucun écho, et n'avoir eu aucune efficacité. Bien plus, si par exemple, Louis, archevêque de Sens, en 1445, (Gallia Christiana, tome XII, col. 96), blâme et condamne la Fête des Fous, ceux qui se rendaient coupables de ces excès, auraient pu lui répondre qu'ils ne faisaient que célébrer l'office qu'un de ses prédécesseur, en 1230, avaient lui-même composé, à l'usage de son église.

 

Je crois devoir faire quelques citations, dont j'emprunte les détails à la Gallia Christiana, t. XII, col. 96 ; au Glossaire de Du Cange, mot Kalandæ ; à une lettre de G.  Naudé à Gassenti, citée par Moréri, Dictionnaire historique, article, Fête des innocents ; à Du Tilliot, Mémoires pour servir à l'histoire de la Fête des Fous, et la mère-Folle, Paris, Bouquin, 1855.

 

On élisait, dans les églises cathédrales, un évêque ou un archevêque des fous. Dans les églises exemptes, c'est à dire placées directement sous la juridiction du Pape, on élisait un pape des fous…

 

Les prêtres et les clercs faisaient, dans ces fêtes, un affreux mélange de folies et d'impiétés, pendant le service divin. Ils se rendaient à l'église, dans les travestissements les plus bizarres ; il y en avait même qui portaient des habits de femme. Quelques-uns étaient couverts d'ornements sacerdotaux déchirés, ou mis à l'envers ; ils portaient des livres qu'ils tenaient à l'envers et dans lesquels ils faisaient semblant de lire avec des lunettes qui, au lieu de verres, avaient des écorces d'orange ; ils avaient le visage barbouillé, de manière à exciter la terreur ou le rire. Ils entraient dans le chœur, en dansant et en chantant des chansons obscènes. Pendant que l'un d'entre eux célébrait une messe mêlée de braiment d'âne, poussés par lui et par les assistants, ses confrères mangeaient des boudins placés sur l'autel même, qui était aussi chargé de pots de vins, et sur lequel ils jouaient aux cartes et aux dés ; en guise d'encens, on mettait des morceaux de vieux cuir dans l'encensoir.

 

Après cette monstrueuse messe, tout le monde se mettait à faire des grimaces aux images des saints, à danser, à sauter par l'église, avec une impudence, que quelques-uns n'avaient pas honte de se dépouiller entièrement de leurs vêtements. Ensuite ils se faisaient traîner par les rues, dans des tombereaux pleins d'ordures, prenant plaisir à en jeter à la populace qui se rassemblait autour d'eux. Ils s'arrêtaient, et faisaient, de leur corps, des mouvements indécents, qu'ils accompagnaient des paroles les plus licencieuses…

 

Le Roi des fous (Quasimodo) à notre-Dame de Paris - Gravure Louis Boulanger et W. Finden, 1878 (cliquer pour agrandir) 

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EXTRAIT DE NOTRE DAME DE PARIS DE VICTOR HUGO

La fête des Fous se déroule pendant le Carnaval. Cette fête consiste à se déguiser et à faire le plus de bruit possible dans les rues de la ville, l'église tolère cette fête. Le jour de la fête des fous, on élit le Roi ou (le Pape) des fous : il s'agit de passer sa tête dans un trou et de faire la plus laide grimace. Le Pape des Fous, celui qui a fait la plus horrible grimace, est promené, déguisé en évêque, monté sur un âne, et portant la mitre et le bonnet de fous de cour. Dans Notre-Dame de Paris, c'est Quasimodo qui a été élu à cause de sa difformité physique.
 
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Documentation Georges Mathon, octobre 2005.
 

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> Création du premier jeu de Mail à Nîmes en 1637
> La Légende du lièvre ou Phallus du Pont du Gard.
> Origine des spectacles taurins à Nîmes et dans le Gard

> Thèses de l'école des Chartes, sur l'histoire de la fête des Fous

> Article Midi Libre du Samedi 17 décembre 2005

 

 


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