LA
TAUROMACHIE EN FRANCE.
Extrait de "Les Courses de Taureaux expliquées" de Oduaga-Zolarde, 1854 (anagrame de Aguado De Lozar) Passe de pique - Entrada del Toro a la Vara Lithographie imprimerie Lamaignère, Bayonne 1854. L'introduction des courses de taureaux en France n'est pas un fait moderne. Nous avons déjà dit, dans notre Précis historique, qu'à certaines époques du moyen-âge les chevaliers, les paladins cherchèrent à propager le goût de ces spectacles chez les peuples voisins de l'Espagne. La tauromachie ne prit jamais dans, nos contrées les proportions, la popularité, l'éclat dont elle jouit dans la Péninsule; mais on remarque cependant que dans nos départements méridionaux surtout, le peuple des campagnes a conservé l'habitude de reproduire des fêtes annuelles, des jeux, des luttes qui appartiennent essentiellement à l'art de combattre et de dompter les taureaux. Le moindre village du département des Landes possède une place commune entourée de barrières et de torils, consacrée depuis un temps immémorial à des courses de vaches et de taureaux. La tradition fait remonter même cet usage bien au-delà des temps où la chevalerie aurait cherché à fonder chez nous comme en Italie, des cirques andalous ou castillans. Les courses qui se pratiquent dans la Gascogne, le Languedoc et la Provence, sont loin d'offrir l'apparat et les péripéties des combats organisés par les illustres matadores de l'Espagne. L'épée, la pique, la muleta, le poignard ne figurent pas dans ces modestes représentations, qui ont le caractère d'un jeu d'adresse et d'agilité beaucoup plus que celui d'un combat héroïque. Les animaux destinés à ces exercices .sont d'ailleurs constamment retenus par une longue corde, et le lutteur se borne à faire des écarts qui ont, d'ailleurs, un mérite spécial très remarquable comme effet de gymnastique souple et gracieuse. Quoi qu'il en soit, le principe est le même. Il s'agit de braver un danger et de jouer avec des cornes menaçantes. Cette passion du taureau, dit Théophile Gautier, est commune à tous les peuples du Midi. Les races catholiques à langues latines ont gardé cet artistique goût romain du cirque, objet d'horreur pour les races saxonnes et protestantes. Saut de Lance - Salto de la Garrocha Lithographie imprimerie Lamaignère, Bayonne 1854. Les tentatives faites dernièrement pour introduire ce genre de spectacle à Paris et en Belgique n'ont pas eu de succès. Il faut d'autant moins s'en étonner que ces essais, produits dans des conditions insuffisantes et avec des éléments très incomplets, ont, été plutôt des parodies que des imitations. À Paris surtout, les précautions prises pour ménager ce qù'on appelle la susceptibilité Française et ne pas faire couler de sang sur l'arène, l'absence des picadores, l'application de tampons aux cornes des taureaux, ont complètement changé le caractère de ce spectacle et dénaturé son effet. D'ailleurs, dans le Nord de la France comme en Belgique , si loin de l'Espagne, les taureaux, fatigués par un.long voyage, privés de l'air, de l'eau et des pâturages savoureux de leur pays natal, n'étaient plus aptes au combat. Bordeaux même, quoique plus près de la patrie des Romero et des Montes, en est encore à une trop grande distance pour que des tentatives de ce genre y puissent réussir. Mais à Bayonne, au pied des Pyrénées, sous le ciel même de l'Espagne, au milieu d'une population sympathique à ce divertissement chevaleresque, les éléments de succès étaient certains. On raconte qu'à St-Pierre-d'Irube et dans quelques autres localités du Pays Basque, il y a une quarantaine d'années, des courses étaient données et attiraient une grande foule de spectateurs. Quoique le spectacle fût dans des conditions bien inférieures aux représentations espagnoles, c'était un combat à mort et d'un caractère bien plus sévère que les courses des Landes et de Nîmes. Des courses de novillos, avec une cuadrilla espagnole dirigée par Antonio Perez (dit El Relojero), données à Saint-Esprit en 1852, attirèrent une assez grande affluence. L'espada et ses banderilleros y firent des passes fort gracieuses et obtinrent un succès réel quoique leurs représentations sans picadores fussent encore bien incomplètes. Pose de Banderillas par Demi-Tour - Banderillas a Media Vuelta Lithographie imprimerie Lamaignère, Bayonne 1854. Des représentations sérieuses du véritable combat tauromachique devaient infailliblement recevoir un accueil favorable en ces contrées, où le gout de la tauromachie, quoi qu'on en dise, a de vieilles et profondes racines dans les moeurs et dans le coeur du peuple. La première troupe espagnole en renom qui, depuis l'époque des paladins, ait figuré dans un cirque en France, est celle de Cuchares qui, en 1853, a donné trois jours de courses dans un vaste amphithéâtre provisoirement dressé sur une place de la ville de Saint-Esprit. L'entreprise fut montée par M. A. de L., qui le premier obtint du gouvernement français l'autorisation de donner ce spectacle tel qu’il est produit en Espagne, avec toute sa pompe héroïque, avec toutes ses chances terribles et ses détails imposants, depuis le salut de l'alguacil jusqu'à l'enlèvement des cadavres par les mules, depuis le jeu des banderillas jusqu'au coup de poignard du cachetero. Le privilège obtenu par le fondateur de ces courses est, dit-on, de dix années. Le début a été assez heureux pour faire présager un succès constant à l'avenir. Pour remplir plus exactement notre rôle d'historien à ce sujet, nous allons reproduire les principaux comptes rendus publiés à Bayonne et à Paris sur ces premières représentations. Coup d'Epée - Estocada Lithographie imprimerie Lamaignère, Bayonne 1854. Voici l'article du Courrier de Bayonne : PREMIÈRES
COURSES DE TAUREAUX ESPAGNOLS,
Données par une cuadrilla complète sous la direction de Cuchares, A ST-Esprit ( Landes), les 21, 22 et 24 août 1853. « En annonçant, il y a quelques jours, le spectacle nouveau qui devait être donné à St Esprit, nous avons à peine trouvé un écho dans le Réveil des Landes ; tous les autres journaux, les plus voisins comme ceux de .Paris, ont paru craindre de s'occuper d'une importation si étrange, si diversement appréciée, et ont gardé à ce sujet un silence obstiné. Cependant, les simples annonces du Courrier de Bayonne, propagées par les aficionados français et espagnols, ont volé sur les ailes de la faveur publique, du couchant à l'orient, du midi au nord, et quand l'heure des courses a sonné, Bayonne et St-Esprit se sont trouvés trop étroits poux abriter les étrangers accourus dans leurs murs. « Du fond de l'Espagne, du Portugal, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Angleterre, de la Suède, de la Russie, opulents voyageurs, modestes touristes, hauts dignitaires, hommes de lettres, gens de tout rang et de tout pays, se sont dirigés vers nos Pyrénées, comme autant de parcelles humaines dispersées, tout à coup attirées et réunies par un aimant sur le même point, et c'est devant une assemblée véritablement européenne, que Cuchares est venu planter, au bord de l'Adour, le drapeau de la tauromachie espagnole. « Il serait difficile de donner une idée exacte de l'aspect animé des arènes improvisées pour Cuchares au moment de l'entrée solennelle de sa cuadrilla dans le cirque. « Soixante et quelques loges, de 6, 9 et 12 places chacune, étaient garnies presque exclusivement de dames espagnoles et françaises, rivalisant par l'éclat de la toilette, de la grâce et de la distinction. Les parures nouvelles, l'or, les pierreries étincelaient partout, et au milieu de ces reflets d'un luxe éblouissant, on a remarqué surtout des types espagnols de la plus parfaite beauté. Douze et seize rangées de gradins circulaires étalaient, à partir de ces loges, en descendant vers l'arène, une réunion compacte de spectateurs, où des groupes nombreux présentaient encore la même richesse et la même élégance. Le cercle se complétait par ces masses pressées, plus sombres, où les hommes sont en majorité, et où éclatent, comme des orages, les grandes agitations populaires. Les tendidos avaient l'aspect d'un tissu de têtes et de bras, et dans la partie la plus élevée du cirque, comme au plus haut fleuron d'une couronne, s'ouvrait la loge des autorités, décorée avec goût et pavoisée aux couleurs d'Espagne et de France, où les magistrats et les plus hautes notabilités des deux villes n'ont cessé de se réunir pendant les trois journées des courses. « La première représentation n'a point satisfait le publie : un échec était inévitable ; de vives recommandations avaient été faites aux picadores pour faire épargner les chevaux et amortir la fureur des taureaux ; cette mesure, prise avec exagération, a complètement dénaturé la lutte et fait perdre à ce combat son véritable caractère. Les taureaux, frappés dès leur entrée dans l'arène par de rudes coups de lance, ont paru manquer d'énergie et se sont rebutés au combat. Cuchares lui-même ne se sentait plus dans sa sphère. Il traversait l'arène comme un voyageur dérouté qui cherche à se rendre compte de ce qui se passe et de ce qui l'entoure. Un taureau a été livré à los perros, des coups d'épée ont été donnés sans intérêt à des victimes presque soumises d'avance et résignées à la mort. L'effet du spectacle, en un mot, a été complètement manqué. « À l'issue de cette première représentation, les indifférents et les peureux ont juré qu'on ne les reverrait plus au cirque ; quelques Landais ont pris la fuite, heureux de voir une défaite dans une entreprise concurrente des courses landaises. Cependant les gens qui tiennent à juger sainement des choses, qui avant de se prononcer veulent voir jusqu'au bout ce qui est soumis à leur appréciation, les aficionados qui savent qu'en Espagne même et en Portugal, sur plusieurs journées de courses une ou deux sont souvent des épreuves malheureuses et des scènes de déception, les spectateurs logiques en un mot, sont restés à leur poste, et plusieurs déclaraient même reconnaître dans les énergiques expressions du mécontentement public, un indice de l'intérêt réel porté à ce spectacle. Cette débâcle pour eux n'était que l'augure d'un triomphe, « La seconde Journée, en effet, a eu un résultat tout opposé à celui de la veille. Le spectacle a repris toute sa physionomie espagnole : les banderilleros, les picadores, Cuchares surtout, irrités du désappointement de leur début, n'ont plus voulu faire de concessions à de maladroits et imprudents scrupules ; les taureaux, respectés à leur entrée dans l'arène, se sont présentés plus hardiment et on leur a laissé, ces sauvages allures qui offrent un contraste si piquant avec les manœuvres calmes et calculées de l'homme qui les défie. Les spectateurs, enfin débarrassés des peureux et des profanes qui, la veille, embarrassaient inutilement quelques parties du cirque, se sont sentis plus à l'aise et mieux disposés à suivre d'un œil attentif toutes les péripéties du combat. Cette fois c'était de la vraie tauromachie. On a pu voir tout ce que peuvent l'audace, l'agilité, la ruse, contre la colère et la force brutale ; on a pu suivre avec un Intérêt palpitant toutes les étrangetés, toutes les scènes dramatiques de ce grand duel de la férocité et de l'intelligence. On a pu voir, à plusieurs reprises, le chef de la cuadrilla sauver ses compagnons surpris dans quelques attaques imprévues, et les arracher à une mort certaine par un simple geste, par un mouvement de capa ou de muleta habilement dirigé sur le taureau. « Mais il faudrait les douze colonnes de ce journal pour raconter tous les détails de ces luttes. Rappelons seulement la précision avec laquelle le cachetero Manuel lance à deux pas de distance son petit poignard entre deux vertèbres du taureau qui, en recevant ce coup, tombe instantanément et comme foudroyé sur l'arène. Citons ces vigoureux picadores, Charpa, Calderon et leurs collègues qui, souvent roulés avec leurs chevaux dans la poussière, se redressent la lance au poing et comme cloués sur leurs montures. Comment redire toutes les hardiesses. des chulos et des banderilleros, qui ont, fait si souvent éclater d'unanimes applaudissements ; quant aux espadas, nous ne pouvons que signaler l'inépuisable audace du jeune élève de Cuchares, El Tato ; près d'un si bon maître, il oubliait tout danger et semblait se croire à couvert sous un invisible bouclier ; la surveillance toute paternelle de Cuchares le suivait, il est vrai, comme son ombre; ce jeune torero est indubitablement appelé à une haute renommée ; l'autre sobresaliente a eu plusieurs brillants coups d'épée, et Cuchares a recueilli une assez belle moisson de lauriers, pour rentrer glorieusement en Espagne et y annoncer son désir de revenir en France l'année prochaine. « La dernière journée a surpassé la seconde, en éclat et en mérite artistique, et le succès à venir des courses de St-Esprit est incontestablement assuré. « Les soixante et quelques loges du cirque ont été aussi bien garnies le mercredi que le dimanche, et nos élégantes espagnoles, françaises, anglaises ou allemandes, n'ont point trouvé que ce spectacle fit plus barbare que les cirques équestres et tous autres spectacles où hommes et bêtes vont se rompre les os, sans lutte intéressante, sans dangers prévus et bravés avec l'admirable habileté qui est déployée dans la tauromachie. « Ces dames n'ont pas manqué de prendre gaiement en pitié les ridicules faiseurs de sensiblerie qui voyant leurs peines perdues, se sont tenus coi dans leurs tanières. C'est surtout dans les grandes circonstances que les femmes savent faire preuve de bon goût et d'esprit. Les préjugés ont moins d'empire sur leur jugement que sur le nôtre, et voici le raisonnement d'une Parisienne : « Quelles sont les victimes de ce combat ? Des taureaux tués beaucoup plus humainement qu'ils ne le seraient dans les abattoirs et quelques vieux chevaux qui subissent sur l'arène une mort guerrière et prompte, au lieu de continuer une lente agonie au timon de quelque omnibus, sous les coups de fouet des postillons ! « Mais voyez en effet la belle logique de ceux qui condamnent l'introduction des courses espagnoles en France : ils croient avoir tout dit quand ils ont déclamé avec emphase, ce vague et monotone apophtegme : Cela n'entre pas dans nos mœurs ! Dans une des dernières représentations de l'Hippodrome de Paris, un acrobate s'est brisé les reins en tombant de son trapèze ; une écuyère et un clown se sont mortellement blessés dans leurs périlleux exercices; faut-il donc supprimer les hippodromes ? Faut-il interdire la chasse, la gymnastique, la natation, les courses au clocher, les ascensions aérostatiques, les machines à vapeur, et mille autres inventions qui font presque tous les jours des victimes humaines ? Non ! tout cela entre par parfaitement dans nos mœurs ! « Dans le spectacle espagnol qui vient d'être donné à St-Esprit, pas un artiste n'a reçu la moindre blessure, et cette innovation a attiré d'innombrables étrangers dont les mains ont versé des flots de richesses dans les industries de nos deux villes. Faut-il donc repousser ce spectacle sous prétexte qu'il n'entre pas dans nos mœurs que c'est un jeu cruel et immoral ? » L’illustration, qui s'empare avec tant d'empressement de tous les faits marquants de notre époque, ne manqua pas de publier de son côté de longs détails sur cette solennité. Nous lui emprunterons seulement son premier article qui donne les détails les plus minutieux de chaque représentation comme composition de spectacle et qui intéresse plus particulièrement les aficionados au point de vue de l'art tauromachique et de son histoire particulière. C'est une notice peut-être aride pour certains lecteurs, mais qui doit avoir sa place dans ce chapitre : PREMIÈRE COURSE « Premier taureau andalou, tiré des pâturages de M. Zapata, bel, animal, bien encorné, plein de feu ; il a reçu douze coups de lance et tué deux chevaux ; Minuto et Muniz lui ont mis six paires de banderillas. Tué, sur place, par Cuchares, qui auparavant l'avait très habilement provoqué avec la capa. « Deuxième taureau, des pâturages de. M. Bermejo, de Feralta (Navarre). Il se nommait Peluquero (Perruquier) ; animal ardent et de belle apparence ; a reçu onze coups de lance, tué un cheval et en a blessé deux autres. Lillo et Pulga lui ont mis cinq paires de banderillas. Tué par Cuchares de deux coups d'épée, dont le second a été porté de pied ferme. « Troisième taureau, des pâturages de M. Poyales, de Corella (Navarre). Il se nommait Zambombo (le Rustre) ; a reçu dix coups de lance, tué un cheval et en a blessé deux autres. Belo et Jimenez lui ont mis six paires de banderillas. Tué par El Tato en ramenant l'épée, coup qui a été fort applaudi. « Quatrième taureau, des pâturages de M. Osuna (de Brenes), bel animal. II a refusé d'attaquer les chevaux, et, à la demande du public, a été livré aux chiens. « Cinquième taureau, des pâturages de M. Bermejo, nommé Montanes (le Montagnard). Bel animal, plein de feu ; a reçu deux coups de lance et blessé deux chevaux. On lui a mis cinq paires de banderillas. Tué par El Tato de deux coups d'épée, dont l'un ne pénétra pas assez profondément, et l'autre très bien porté. « Sixième taureau, des pâturages de M. Poyales ; a reçu huit coups de lance et tué deux chevaux. El Tato lui a mis six paires de banderillas. Tué par Belo, suppléant d'épée, de deux coups d'épée. « Septième taureau, des pâturages de M. Poyales; animal plein de grâce ; il se nommait Pulido (le Beau ); a reçu huit coups de lance et cinq paires de banderillas. Tué par Belo, de pied ferme. DEUXIÈME COURSE. « Premier taureau, des pâturages, de M. Zapata ; nommé Contrabandista (le Contrebandier) ; bel animal et bien encorné ; a reçu quatorze coups de lance et tué trois chevaux. On lui a mis six paires de banderilleras. Tué par Cuchares, de pied ferme. « Deuxième taureau, des pâturages de M. Poyales ; nommé Carpintero (le Charpentier) ; beau, ayant une tête superbe ; a reçu onze coups de lance et tué deux chevaux. Pulga et Liu ont mis cinq paires de banderillas. Tué d'un coup d'épée brillant par Cuchares, qui l'avait provoqué par des passes de capa très-bien exécutées. , « Troisième taureau , des pâturages de M. Bermejo ; nommé Estudiante (l'Etudiant) ; plein d'ardeur ; a reçu douze coups de lance et tué trois chevaux. Belo et Jimenez lui ont mis cinq paires de banderillas. Tué par El Tato, d'un coup d'épée ramené. « Quatrième taureau, des pâturages de M. Bermejo ; nommé Cominero (l'Épicier) ; a reçu huit coups de lance, a tué un cheval et en a blessé trois. On lui a mis six paires de banderillas. Tué par El Tato, de deux coups d'épée bien appliqués. « Cinquième taureau, des pâturages de M. Zapata ; bel animal nommé Intrigante (l'Intrigant) ; a reçu dix-huit coups de lance et tué cinq chevaux. On lui a mis six paires de banderillas. Tué par Cuchares, haut la main et le pied ferme. « Sixième taureau, des pâturages de M. Poyales ; nommé Revoltoso (le Turbulent); a reçu onze coups de lance et tué un cheval. El Tato lui a mis six paires de banderillas. Belo l'a tué de deux coups d'épée, dont le second a pénétré dans la moelle épinière. TROISIEME COURSE. « Premier taureau, des pâturages de M. Poyales de Corella ; a reçu six coups de lance et six paires de banderillas. On lui a donné le feu à la demande du public. (1) Tué, par Cuchares, qui a pénétré du premier coup jusqu'à la moelle épinière, aux applaudissements des amateurs. (1) Pièces d'artifice que l'on applique à l'animal avec les banderillas, et dont la détonation excite sa fureur « Deuxième taureau, des pâturages de M. Bermejo ; nommé Currutaco (le Fashionable) ; beau et bien proportionné ; a déployé beaucoup d'ardeur ; a reçu dix-huit coups de lance et tué cinq chevaux. On lui a mis six paires de bandérillas. Tué par Cuchares, haut la main, d'un coup d'épée brillant. II avait été auparavant provoqué par des passes de capa variées du même Cuchares. « Troisième taureau, des pâturages de M. Poyales ; nommé Obediente (l'Obéissant) ; a reçu dix coups de lance et tué trois chevaux, il a eu cinq paires de bandérillas. Tué par El Tato, d'un coup bien porté. « Quatrième taureau, des pâturages de M. Bermejo ; nommé Remilgado (le Réservé) ; a reçu neuf coups de lance et tué deux chevaux. Il a eu cinq paires de banderillas. Tué par El Tato, de deux coups d'épée portés haut. « Cinquième taureau, des pâturages de M. Poyales ; nommé Intrépido (l'Intrépide) ; a reçu douze coups de lance et tué deux chevaux. El Tato lui a mis les banderillas. Tué par Cuchares, d'un coup d'épée très bien appliqué. - « Sixième taureau, des pâturages de M. Zapata ; nommé Zapatero (le Savetier) ; plein de feu ; a reçu dix coups de lance et tué deux chevaux. Cuchares lui appliqua six paires de banderillas, après avoir exécuté des passes de capa très variées. Tué par Belo, d'un bon coup d'épée. « Septième taureau, des pâturages de M. Poyales ; nommé Besuguero (le Poissonnier) ; bien encorné ; s'est conduit vaillamment, a reçu neuf coups de lance et tué deux chevaux. On lui a mis six paires de banderillas. Tué par Belo, de deux coups d'épée portés de pied ferme. « Les picadores Charpa et Trigo, malgré leur pesant costume de cavalier, ont mis pied à terre et ont exécuté diverses passes de capa avec I'un des taureaux de cette course. Minuto et Muniz ont aussi exécuté le saut al trascuerno et celui de la garrocha. » L'Illustration, dans son second article, numéro du 10 septembre 1853, publia un examen philosophique et physiologique du spectacle, plutôt qu'un compte rendu de la course. Cet article, trop étendu pour être reproduit ici, était accompagné d'une magnifique vignette de Valentin, représentant avec une exactitude scrupuleuse l'aspect de l'amphithéâtre couvert de spectateurs au moment d'une des plus belles passes exécutées par Cuchares. Ce croquis remarquable était accompagné de cinq portraits, parfaitement ressemblants, du chef et des principaux membres de la cuadrilla. Nous terminerons ces comptes rendus de l'inauguration des courses espagnoles à Saint-Esprit, par ces quelques passages extraits du récit que Théophile Gautier, témoin oculaire, publia dans la Presse : « L'annonce des courses avait attiré à Bayonne une grande affluence d'étrangers. Tout le monde doré de la saison des bains se trouvait là. Bagnères, Barèges, Luchon, les Eaux-Bonnes, Cauterets, Biarrits avaient fourni leur contingent ; les hôtels regorgeaient : toutes les chambres disponibles étaient prises ; beaucoup de gens couchèrent dans leurs voitures, d'autres eurent pour abri des écuries ou des étables. Un jeune diplomate de nos amis nous donna ainsi son adresse : Première botte de paille, quatrième vache à droite. On dînait par fournées avec des numéros d'ordre. Heureusement, on nous avait ménagé un petit coin hospitalier. Notre loge était gardée aux taureaux, précaution nécessaire, car les billets, pour les trois courses se disputaient à des prix fort élevés. « Cette course évitait le voyage d'Espagne aux amateurs d'émotion, allumés par les récits de Prosper Mérimée et des touristes qui ont essayé après lui de peindre cet émouvant spectacle. On conçoit l'empressement avec lequel on se portait rue Mayou, 42, au bureau de location. Les Espagnols, en grand nombre à Bayonne, étaient curieux, en outre, de voir comment la portion française des spectateurs accueillerait leur plaisir favori et faisaient concurrence aux amateurs nationaux. « Un ciel du cobalt le plus pur, un soleil radieux brillait au-dessus des- maisons, lorsque le dimanche matin nous ouvrimes notre fenêtre pour inspecter l'état de la température ; car, désillusionné par le triste climat parisien, nous ne croyions plus au beau temps. Nous descendimes. Des senoras long voilées filaient sous les arcades, l'éventail d'une main, le paroissien de l'autre , se rendant à la messe ; la fumée des papelitos montait en spirales. Des visages olivâtres passaient encadrés de favoris noirs, et du sein des groupes partait joyeusement le juron qui forme le fond de la langue espagnole ; la jota résonnait de tous côtés avec un franc accent guttural ; La veille nous nous étions endormis au bourdonnement d'une guitare ; il nous semblait avoir quitté l'a France sans nous en être aperçu et nous promener à Vitoria ou à Burgos. Les enseignes rédigées en castillan, les étranges noms basques inscrits sur les boutiques aidaient à l'illusion. ............................................................................................ « Le cirque était construit en dehors des portes de la ville, sur les bords de l'Adour ; à peu près comme l'Hippodrome en deçà de la barrière de l'Étoile ; il s'élevait au milieu des baraques de saltimbanques ; sa rotonde de bois, surmontée de bannières à blason, au milieu d'un terrain vague qui sert de champ de foire pour le marché aux bestiaux : le Forum boarium bayonnais. L'emplacement était bien choisi et offrait toutes les facilités de, dégagement possibles. « On connaît la disposition de ces sortes de cirques : une arène ronde circonscrite par une palissade de planches autour de laquelle règne un corridor servant de refuge aux toreros, entourée d'un amphithéâtre que termine un rang de loges. Au cirque de Saint-Esprit comme à la place de Séville, il n'y avait de loges que du côté de l'ombre ; le côté du soleil, garni de gradins seulement, laissait apercevoir au bout d'une charmante perspective azurée les découpures lointaines des Pyrénées, toile de fond moins splendide sans doute que la cathédrale ouvrée à jour et la Giralda aux panneaux rose encadrés de blanc, mais encore très agréables. L'autorité occupait une tribune ornée comme celle de l'ayuntamiento dans les places espagnoles. Rien du cérémonial habituel n'avait été oublié, pas même l'alguacil qui va demander au président de la course la clé du toril, clé symbolique entourée de touffes de rubans, n'ouvrant ni ne fermant rien, comme les clés des villes qu'on présente aux victorieux sur des plats d'argent, mais signifiant que la lutte a la carrière libre. « Faute d'alguacil véritable, puisqu'on était en France, un jeune homme vêtu de noir, à la Louis XIII, et monté sur un beau cheval à tous crins, en remplissait fort exactement les fonctions. La quadrille, présidée par Cuchares et vêtue d'habits magnifiques, avait fait la promenade et les salutations accoutumées. ............................................................................................ « L'autorité, fort sage en cela, sans rendre la course impossible par des prohibitions ridicules comme à Bruxelles, avait recommandé de ménager un peu la susceptibilité française : on avait choisi pour le premier jour les taureaux les plus jeunes, et les picadores tenaient leur lance un peu longue pour éviter ces éventrements de chevaux, que l'animation et le péril de là lutte peuvent seuls faire supporter même aux aficionados, et les six taureaux furent dépêchés régulièrement sans trop grande effusion de sang. « Cuchares fit de ces beaux manèges de cape sous le mufle du taureau, qui sont la grâce du cirque et comme la fatuité de la bravoure ; rien n'est charmant comme ces passes où le torero lutine la fureur du monstre, va, vient, se fait poursuivre coquettement et finit par s'envelopper dans les plis roses de sa cape, se drapant comme un galant qui va voir sa belle, sans plus se soucier du taureau stupéfait et étourdi que s'il n'existait pas. « Des cris d'enthousiasme en français, en espagnol, en patois éclataient de toutes parts ; les mouchoirs s'agitaient, les chapeaux volaient dans la place en guise de bouquets; Cuchares les ramassait et les revoyait avec un sourire à leurs propriétaires ; pendant ce temps-là le taureau, désorienté, vaguait et bondissait suivant le bout du manteau que les chulos laissent traîner derrière eux. « Pulga (Puce), le banderillero ainsi nommé à cause de sa petite taille et de son agilité, exécuta brillamment le saut de la garrocha et le saut de trascuerno. Le saut de la garrocha se fait en s'enlevant sur un bâton et en laissant passer le taureau sous soi ; le saut de trascuerno, en franchissant à pieds joints les cornes de l'animal lorsqu'il baisse la tête. S'il la relevait, le sauteur serait envoyé à dix pieds en l'air et fort mal en point. « Des banderillas de feu furent posées à un ou deux taureaux paresseux, pour aviver leur courage par les étincelles et leurs détonations ; El Tato, le suppléant de Cuchares, jeune homme d'une vingtaine d'années, qui rappelle un peu Chiclanero pour l'élégance de la tournure, fit un vuelapies bien porté et bien à fond. « Le second jour, la quadrille, moins retenue et plus sûre de son public, engagea l'action plus vivement. Deux ou trois chevaux restèrent sur la place ; Charpa et Trigo, que l'Espagne compte parmi ses plus solides picadores, provoquèrent le taureau jusqu'au milieu de l'arène et firent plusieurs beaux coups de lance. « Mais la troisième course fut la plus brillante. On avait gardé les meilleurs taureaux pour la fin: moins jeunes, et par conséquent plus vigoureux, ils donnaient avec impétuosité. « Charpa, renversé sous son cheval, après lequel le taureau s'acharnait cherchant le cavalier, fut supérieurement tiré de péril par Cuchares, qui détourna la bête par un hardi, jeu de cape. Le picador relevé prit un manteau et, malgré ses jambes alourdies par des garnitures de buffle et de fer, il exécuta devant l'animal plusieurs passes très bien faites au milieu d'un tonnerre de bravos. « Cuchares fit un coup de descabello, coup très difficile, parce qu'il doit porter sur un endroit grand comme une pièce de quarante sous, et qui donne la mort comme un coup de foudre. On ne conçoit pas comment, avec une épée qui des loges semble un fil d'argent, on peut escamoter la vie d'une bête énorme et furieuse. « Après la course, lorsque les mules, coiffées de pompons de couleur, de fanfreluches et de grelots, eurent emporté les cadavres des victimes, on lâcha un novillo aux cornes tamponnées pour les amateurs. Après la grande pièce venait la farce, comme à la Comédie-Française, après Cinna le Médecin malgré lui. Plusieurs chutes drolatiques eurent lieu aux grands éclats de rire de l'assistance ; puis les bœufs conducteurs entrèrent dans l'arène et firent magistralement rentrer le novillo ahuri. « La funcion terminée, nous allâmes rendre visite à Cuchares, que nous trouvâmes en pantalon de nankin et en chemise blanche, ayant essuyé la sueur de l'arène, tranquille et souriant comme si tout à l'heure il n'avait pas eu des cornes acérées à trois pouces de sa poitrine. Il a les yeux doux et voilés, un teint très brun, l'air bienveillant, et quelque chose de la physionomie d'Alexandre Dumas. Ses cheveux sont courts, à l'exception d'une petite tresse réservée derrière la nuque pour attacher la mona, noeud de rubans noirs assez semblable au crapau des anciens marquis, ornement qui fait partie de la coiffure des toreros. Il nous fit admirer de près les trois vestes qu'il avait portées aux trois courses : la première vert et or, la seconde incarnat et argent, la troisième argent et bleu. Ces vestes pesaient bien cinq ou six livres chacune, tant les torsades, les passequilles, les boutons, les aiguillettes, les filigranes, les broderies et les chamarres y étaient prodigués. Des perles, des opales, des grenats, des turquoises scintillaient parmi cette folie d'ornementation. « II nous donna, comme souvenir de notre voyage, une superbe devise qu'il avait arrachée lui-même à un taureau : c'est une large cocarde de satin vert plissé, ornée à son centre d'une rose entourée de feuilles d'argent, et après laquelle pendent de longs rubans terminés par des fleurs.
|