Les Anciennes Fortifications

de Nîmes

Extrait des Mémoires de l'Académie, 1933-1934-1935

M. Igolen.

 

 

 

VII

Les Fortifications de de Rohan.

(1621-1629)

 

De 1621 à 1629, les remparts construits au moyen-âge, jugés insuffisants en cette période de troubles et de guerres civiles, furent doublés, à distance, d'une enceinte bastionnée, encerclant la ville. Cette période est certainement une des plus tristes de notre Histoire locale, mais comme nous ne voulons dans notre texte n'étudier que les fortifications nouvelles, qui furent construites autour de Nîmes, nous passerons sous silence les évènements qui agitèrent alors non seulement notre ville, mais encore toute la région méridionale et la France entière, nous contentant de suivre, au fur et à mesure des circonstances, les différentes phases de la construction de cette enceinte bastionnée.

 

En 1621, les protestants, ou mieux les religionnaires, comme on les appelait alors, maîtres de Nîmes, jugèrent à propos de confier à un gouverneur la direction des affaires de la ville et celle de sa défense, en cas de trouble ou de guerre, ils choisirent donc un gouverneur et nommèrent pour remplir ces fonctions M. de Beaumont, baron de Bison, qui fit son entrée dans Nîmes le 18 juillet 1621.

 

Dès le lendemain, et, contrairement aux accords intervenus entre lui et la municipalité, jugeant que Nîmes n'était pas suffisamment protégée par les vieux remparts du Xle siècle, le gouverneur fit établir un plan de nouvelles fortifications, les fit commencer sur le champ et en confia l'exécution à Claude Maltrait.

 

Les premiers travaux consistèrent en la démolition des maisons et jardins situés sur le tracé des fortifications projetées, et c'est ainsi que furent démolis les bâtiments récemment construit sur l'emplacement du couvent des Carmes et du monastère des Augustins Récollets, situés hors la ville, près de la Porte de la Couronne. Mais la ville manquant de fonds pour pouvoir couvrir les premières dépenses des travaux projetés, on imposa les habitants de 40.000 livres.

 

Après les sanglantes journées de la Michelade (fin novembre 1621) (?), les pierres des édifices religieux, qui avaient été détruits en partie, furent employées à la construction de quatre bastions en cours d'exécution, savoir :

 

Bastions du Château des Prêcheurs, de la Bouquerie et de la Fontaine.

 

Le 14 janvier 1622, le duc de Rohan qui venait d'être nommé gouverneur des troupes religionnaires du Languedoc, fit son entrée dans Nîmes.

 

Le 26 Février, il fut ordonné que le lendemain tous les habitants sans exception iraient travailler avec diligence aux fortifications, creuser des fossés, finir les bastions ; une imposition de 30.000 livres, prélevée sur l'ensemble de tous les citadins fut en même temps décrétée.

 

Le 21 Mai, le gouverneur de Beaumont fut révoqué de ses fonctions de gouverneur.

 

En juillet, de Rohan répartit les habitants de Nîmes dans 36 compagnies placées sous les ordres de six capitaines, et divisa la ville en six quartiers de défense : Quartiers du Collège, des Arènes, de la Bouquerie, de l'Hôtel de Ville, du Marché et de 'Corcomaire, six compagnies furent affectées à chacun de ces quartiers.

 

L'antagonisme régnant alors entre les chefs nobles des rebelles d'un côté, les judications et les magistrats de l'autre, aboutit à l'abjuration de de Lesdiguère qui fut fait connétable, et à la soumission du duc de Rohan qui signa avec le roi, alors à Montpellier, un Édit de Paix, en 1623.

 

A la suite de cet édit, de Lesdiguère vint à Nîmes et ordonna la démolition de la moitié des fortifications récemment construites autour de Nîmes, le sort désigna les bastions de la Couronne, des Prêcheurs, du Château des Cauquières, et, pour répondre de ces démolitions, quatre des principaux habitants de la ville furent choisis comme otages.

 

La démolition de ces fortifications commença le 20 Novembre et, à la fin de l'année, il ne restait plus à faire disparaître que le bastion de la Couronne.

 

En 1624, à la suite de l'entrée du cardinal de Richelieu dans les conseils du roi, les Calvinistes reprirent les armes et la guerre civile recommença.

 

Le duc de Rohan, que les événements avaient éloigné de Nîmes, revint dans notre ville le 10 Novembre 1625 et fit son entrée au milieu des acclamations du peuple. Le lendemain il convoqua une assemblée des trois ordres et obtint de celle-ci de fortifier à nouveau la ville. Le 18 Novembre, malgré l'avis contraire du Conseil de ville, de Rohan exposa la nécessité de fortifier Nîmes et de faire construire six bastions :

 

- Un entre les Portes de la Bouquerie et des Prêcheurs,

- un à la Porte des Prêcheurs,

- un sous le Château,

- un au-devant des Cauquières,

et les deux autres en forme de tenailles, au devant de la Porte de la Couronne et englobant tous les faubourgs environnants.

 

En somme, ces bastions devaient remplacer ceux qu'on avait démolis après l'édit de 1623.

 

La construction de ces bastions commença dès le lendemain sous la haute direction de Pelatan et de Guiraud, ingénieurs experts, et la surveillance de Claude Maltrait et de Corniaret.

 

Signalons qu'à ce moment-là la ville manquant d'artilleur idoine pour le service de l'artillerie de la Place, on engagea pour assurer ce service et pour un mois seulement, un artilleur anglais.

 

Le 2 Mars 1626, le duc de Rohan revenant à Nîmes après une absence et constatant que les travaux des fortifications n'avaient pas été menés avec toute l'activité désirable, adressa un blâme aux habitants et publia une ordonnance déclarant les propriétaires des bâtiments qu'on avait détruits aux fortifications déchus de pouvoir jamais rien demander à ce sujet, de même pour les consuls et les entrepreneurs, et que les matériaux appartenant à ces particuliers seraient employés sans délai, à achever les contre escarpes, les bastions, les demi-lunes et autres ouvrages restant à faire.

 

Deux jours après, de Rohan enjoignit, par crieur public et à son de trompe, à tous les habitants de concourir aux travaux des fortifications et envoya les consuls de maison en maison exhorter la population au travail, il prescrivit en même temps la fermeture de toutes les boutiques.

 

Le 30 Septembre 1627, une proclamation, à son de trompe, prescrivit à tous les habitants d'aller travailler aux fortifications sous peine d'amende.

 

Le 20 Novembre, deux délégués furent détachés dans chaque bastion pour constater la présence des travailleurs et signaler les habitants manquant au travail.

 

A cette époque, il n'y avait encore que six bastions et leurs demi-lunes en cours d'exécution, savoir, les bastions de la Couronne, de la Soubise, des Prêcheurs, de Corconne ou de l'évangile, de Rohan et du Château.

 

En Mai 1628, de Rohan fit contribuer au travail des fortifications les habitants de Sernhac, de Montfrin et de Meynes, villages au pouvoir des catholiques.

 

En Août 1628, la prise de La Rochelle inquiéta de Rohan qui décida la mise en défense des hauteurs situées au nord de la ville ; et c'est ainsi qu'en Avril 1629, un fort de quatre bastions fut construit au sommet du mont Duplan, et que la Tour Magne fut entourée d'un ouvrage comportant cinq petits bastions.

 

Le fort du mont Duplan fut relié à la ville par un mur établi sur les vestiges des anciens remparts romains et complété par une redoute en son milieu.

 

Le fort de la Tour Magne fut lui aussi complété par un mur descendant vers la Source et un petit ouvrage à mi-hauteur de la colline.

 

En juillet 1629, le roi étant venu à Nîmes, y publia. le 14, un édit, connu sous le nom de « Paix de Nîmes ». En conséquence de cet édit. les fortifications édifiées par de Rohan. devant être démolies, le roi nomma, pour en surveiller la démolition, deux commissaires, pour s'assurer de la bonne exécution des .travaux, douze otages furent choisis comme caution à cet effet.

 

« Toutes les fortifications, prescrivait l'édit précité, devaient être démolies et rasées de telle sorte qu'il ne demeurera aucune pierre des fondements, trace ni vestiges d'icelles, et devront contribuer à ce travail toutes les villes et lieux de l'ancienne Sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes, consistant, aux diocèses de Nîmes, Uzès, du Vivarais, du Puy et de Mende ».

 

Le 7 Décembre 1629, le roi désigna de Candiac, avec pleins pouvoirs, pour diriger la démolition des fortifications.

 

Le 11 janvier 1630, le roi prescrivit que les matériaux provenant des démolitions seraient mis de côté pour être employés à la réfection des églises abattues au cours des troubles religieux.

  

Le 6 Mars 1630, il fit don de la pierre du bastion de la Bouquerie à M. d'Albenas, en compensation des pertes qu'il avait subies.

 

La destruction des fortifications commença aussitôt avec la plus grande diligence, et, en août 1630, de ce qui fut l'enceinte de Rohan il ne subsista plus que le ravelin de la Porte de la Couronne et un pan de muraille servant au Jeu de Paume.

 

En Août 1632, à la suite des démêlés du roi avec le duc d'Orléans, son frère, le duc de la Force, envoyé à Nîmes enjoignit aux consuls et aux habitants « de faire diligence pour démolir les ponts qui joignaient aux murailles, nettoyer les fossés, redresser les petits murs qui soutenaient les terres, faire rebâtir avec de bons matériaux les ravelins de la Porte St-Antoine et de la Porte de la Madeleine et terrasser en dehors le mur du ravelin de la Porte de la Couronne. »

 

Le 12 Octobre, de Béziers, où il se trouvait, le roi ordonna la démolition des fortifications faites à Nîmes à l'occasion de ses démêlés avec son frère et chargea de Candiac d'en assurer l'exécution. Ce ne fut q'en 1633 que de Candiac put faire combler le fossé du boulevard de la Porte de la Couronne, raser les ravelins des portes St-Antoine et de la Madeleine ; peu à peu il fit rétablir les ponts et les aqueducs du tour de ville qui avaient été détruits. Ces derniers travaux marquèrent la fin de tous ceux qui avaient été entrepris depuis 1621, autour des vieux remparts du XI, siècle.

 

Dans son « Histoire de Nîmes », Ménard, au tome V, pages 286-283, donne le plan général des fortifications exécutées sur les ordres de Rohan, autour de Nîmes. Ce plan, dit-il, fut gravé en taille douce d'après un dessin du roi Louis XI II, comme en fait foi le titre de ce plan. « Louis XIII dit-il se plaisait à dessiner et à travailler de ses mains aux Beaux-Arts ».

 

Les fortifications de Rohan formaient tout autour des vieux remparts du XIe siècle une enceinte bastionnée, genre Vauban, continue, c'est-à-dire enveloppant toute la ville ; elle comprenait onze bastions et huit demi-lunes, savoir :

 

Le bastion du Château, face au Château et fermant l'entrée de la route d'Uzès,

- la demi-lune de la Cloutte,

- le bastion de Rohan,

- la demi-lune d'Unal, traversée par le Vistre de Nîmes après sa sortie des fossés,

- le bastion de Soubise,

- le bastion de la Couronne, en face de la porte de ce nom,

- une demi-lune,

- le bastion de la Tour Vinatière, en face de cette tour,

- une demi-lune

- le bastion de St-Antoine, en face la porte de ce nom,

- le bastion de la Madeleine,

- le bastion des Récollets,

- une demi-lune,

- le bastion de la Bouquerie, en face de l'entrée de l'Agau dans la ville et de la Porte de la Bouquerie,

- une demi-lune,

- le bastion de Corconne,

- une demi-lune,

- le bastion des Prêcheurs, en face de la porte de ce nom,

- une demi-lune, enfin, reliant ce dernier bastion à celui du Château.

 

En avant du bastion de la Madeleine, se trouvait un autre ouvrage avancé, dit « Ouvrage à cornes de Rohan », formant comme deux bastions accolés, avec deux petites demi-lunes à l'intérieur; à sa jonction avec les bastions voisins.

 

L'enceinte de Rohan, très bien étudiée et exécutée, présentait un profil des plus défensifs, comprenant, en allant de l'extérieur vers l'intérieur ; des défenses accessoires, un glacis, un chemin couvert, un large fossé, un petit parapet en arrière duquel était pratiquait un chemin couvert, un grand parapet avec embrassures par canons, et, enfin, un autre chemin couvert.

 

En arrière de cette enceinte se trouvaient, à des distances variables, les, vieux remparts du moyen-âge précédés de leurs fossés larges et profonds.

 

Trois ouvertures seulement avaient été pratiquées dans cette enceinte pour pénétrer dans la ville :

- une, dans le bastion de la Couronne, conduisant à la Porte de la Couronne,

- une autre dans la demi-lune située entre les bastions des Prêcheurs et de Corconne, aboutissant à la Porte des Prêcheurs,

- la troisième, enfin, au sud du bastion de la Bouquerie, à l'entrée de l'Agau dans la ville.

 

A l'est de la ville, l'extrémité du bastion de Rohan, ou mieux la pointe du glacis en avant de ce bastion, qui était le point le plus éloigné des remparts du moyen-âge, se trouvait à environ 200 toises, soit près de 400 mètres de la Porte de la Couronne, ce point peut être situé actuellement presque à l'extrémité de la rue Notre-Dame.

 

De même, à l'ouest, les extrémités de l'ouvrage à cornes de Rohan se trouvaient à environ 400 mètres des remparts du XIe siècle.

 

Les fortifications de Rohan, avec leurs bastions, demi-lunes, escarpes, contre-escarpes, fossés etc..., représentaient un travail formidable de terrassements et de murailles.

 

Au cours de leur démolition Candiac fit faire un mesurage des cannes cubes des matériaux enlevés, ce mesurage est rapporté par Ménard dans son Histoire de Nîmes, aux preuves du tome V, et voici ce qu'il écrit à ce sujet

 

« Somme totale de toutes les cannes cubes de terres à combler tant des bastions, demi-lunes, cornes, contre-escarpes, que des deux forts de Rohan et de la Tour Magne, se monte à soixante mille deux cent soixante huit cannes cubes de terres ».

 

Si on songe que la canne valait près de deux mètres, c'est presque par huit qu'il faut multiplier le nombre ci-dessus, ce qui donne approximativement 480 000 mètres cubes de terres.

 

Somme totale de toute la muraille à chaux et à sable des fortifications : Trois mille quatre cent soixante trois cannes cubes.

 

Ce qui représente environ 27.000 mètres cubes de murailles.

 

Somme totale de la muraille en pierres sèche: mille deux cent soixante sept cannes cubes, ce qui représente environ 10.000 mètres cubes ».

 

Précisons que Ménard donne le détail des cannes cubes de terres ou de murailles ci-dessus, par ouvrage, c'est-à-dire par bastion, demi-lune, contre-escarpe, etc…

 

Des anciennes fortifications de Rohan il ne nous reste aucune trace ou vestige aujourd'hui.

 

 

(?) NOTA GM : ERREUR DE IGOLIN : La Michelade protestante a eu lieu à Nîmes  en 1567, le mardi 30 septembre jour de la Saint Michel, vers Midi, plusieurs groupes de gens armés envahissent les rues en criant « tue, tue les papistes ». Ils mettent le feu à la cathédrale, pillent les églises de la ville, massacrent les résistants et font prisonniers près de cent personnes qu’ils rassemblent à partir de 21h dans la cour de l’évêché, tout proche de la cathédrale. De coups d’épée, en coups de dague, on massacre, on égorge et on jette les corps dans le puits de la cour, qui en fut presque comble. La tuerie va durer jusqu’au lendemain 1er octobre

 

 

SUITE REMPARTS DE NÎMES

 

> 1 - AVANT-PROPOS.

> 2 - L'ENCEINTE ROMAINE.

> 3 - LES SEPT COLLINES DE NÎMES.

> 4 - NIMES DE LA DECADENCE ROMAINE AU XIe SIÈCLE.

> 5 - LES REMPARTS DU MOYEN-AGE

> 6 - LE CHATEAU ROYAL DE NÎMES.

> 7 - LES FORTIFICATIONS DE ROHAN - 1621 à 1629.

> 8 - LA CITADELLE ET L'ENCEINTE SUPPLEMENTAIRE DE 1687

> 9 - ENCEINTE SUPPLEMENTAIRE DES FAUBOURGS XVe ET XVIe SIÈCLES.

> 10 - LES CASERNES

> 11 - REPARATIONS ARMEMENT - DÉFENSE DES REMPARTS

> 12 - LA DÉMOLITION DES REMPARTS DE NÎMES

 

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