Les Anciennes Fortifications

de Nîmes

M. Igolen, 1935.

 

 

 

XII

La Démolition des Remparts de Nîmes.

 

Si les remparts construits au Moyen-Age et ceux élevés sous Louis XIV avaient jadis protégé la ville, leur utilité, vers la fin du XVIIle siècle ne se faisait plus sentir, ils étaient même devenus inutiles et dangereux.

 

La partie de ces remparts datant de Louis XIV était encore en bon état, mais ceux du Moyen-Age, vieux et vétustes, nécessitaient un entretien constant et des plus onéreux pour les finances de la ville. D'autre part ils constituaient un danger public au point de vue de l'hygiène.

 

Ces murs empêchaient l'aération des rues venant y aboutir et souvent en cul de sac, des fossés très larges et profonds séparaient la ville de ses faubourgs, devenus très populeux, de plus, ces fossés, la plupart du temps à sec et remplis de vase, recevaient les eaux de l'Agau, des lavoirs, des moulins à huile, des égouts, les vinasses des brûleurs et toutes les immondices possibles, de telle sorte qu'ils contribuaient grandement à faire de Nîmes une ville des plus insalubre que la peste n'avait pas épargnée à diverses reprises.

 

Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, les consuls en demandèrent la démolition en 1774.

 

Le 1er octobre 1774, M. de Mende, lieutenant du maire, fit, au conseil de ville, un exposé saisissant de l'inutilité des fortifications

 

« Les voeux communs des citoyens de la ville et ceux des faubourgs, disait-il, leur font désirer depuis longtemps d'avoir la libre faculté de pouvoir se communiquer, tant le jour que la nuit...

 

Les murs d'enceinte de la ville sont d'autant plus inutiles qu'ils ne sauraient, par leur forme et leur faiblesse, être considérés comme murs de défense...

 

L'emplacement de ces murs et celui des fossés dont ils sont entourés fournira un terrain précieux, propre à bâtir des maisons qui contribueront à l'embellissement de la ville ; l'on y trouvera des rues et des places dont elle est entièrement dépourvue... »

 

Sur ce, le conseil invita les consuls à solliciter du roi des lettres patentes autorisant la démolition des remparts.

 

Deux mois après, le 9 décembre, on constata que :

 

« La tour et la pièce occupant le dessus du péristyle entre les deux portes de la Couronne étaient dans une vétusté telle qu'elles menaçaient ruine ; le couronnement du tour de ronde des remparts de cette porte, en tirant entre le midi et le couchant, le long de la rue St-Thomas, menaçait ruine prochaine sur environ 27 à 30 toises de longueur ; les pluies dernières avaient occasionné deux éboulements dans cette partie ; le rempart à droite et à gauche de la Porte St-Gilles menaçait aussi ruine sur presque toute sa hauteur, sur 18 toises de longueur à droite et de 15 toises de longueur à gauche ; à gauche de la dite porte et à environ trois pieds au-dessus du seuil du pavé du pont, il était survenu un éboulement causé par les pluies, formant une brèche d'environ 4 pieds en carré de laquelle il se détachait journellement des pierres... »

 

Le conseil approuva toutes les démolitions ci-dessus que permit l'Intendant de la Province et, le 9 mars 1775, le conseil nomma une commission de vérification de dépense.

 

Vingt mois s'écoulèrent sans que rien n'eut été fait.

 

Le 29 octobre 1776, on annonça au conseil « qu'il s'est ouvert plusieurs brèches considérables aux murs de la ville, provenant de la vétusté des murs qui sont corrompus, sans fondation et reposant à nu sur le terrain des fausses braies ».

 

La ville, incapable de supporter la dépense de la reconstruction des dites parties du mur, s'élevant à plus de 100.000 livres, renouvela les considérations précédemment invoquées et sollicita l'autorisation de procéder à la démolition des remparts.

 

Le conseil insista encore dans ce sens le 2 juillet 1780, à cause de l'agrandissement journalier des brèches et de l'augmentation croissante des faubourgs.

 

Trois ans après seulement, l'Intendant de la Province, M .de St-Priest écrivit aux consuls :

 

« Voici le moment, Messieurs, où l'on peut espérer de Sa Majesté la permission de démolir les murs de votre ville .....

 

Les plans qui m'ont été adressés m'ont paru laisser bien des choses à désirer et j'ai cru devoir commettre M. Raymond pour rectifier les idées que j'avais pu avoir et vous faire part des siennes... »

 

Voilà donc l'ingénieur Reymond chargé de soumettre un projet de démolition des remparts et, partant, d'un projet d'embellissement de la ville.

 

Le 7 août 1783, le conseil adopte un des deux projets soumis à son choix par Reymond.

 

Mais, entre temps, le ministre de la guerre était intervenu, sous prétexte que la démolition des remparts était de son ressort.

 

Ce département, écrit M. Aillaud, dans ses Chroniques du Vieux Nîmes suscita mille difficultés. Le 21 février 1786, seulement, M. de Chaussegros, directeur du génie, fut envoyé à Nîmes pour étudier la question sur place.

 

L'administration de la guerre prétendait que les murs d'enceinte étaient nécessaires à la défense de la ville. Le délégué constata, de visu. que ces vieux murs branlants n'avaient aucune utilité et devaient disparaître.

 

De leur côté, certains habitants. lésés dans leurs intérêts, protestèrent énergiquement contre les projets des consuls et leurs réclamations furent reçues par la mairie.

 

Enfin, la question de la propriété des remparts et des fossés fut soulevée par l'Etat.

A qui appartenaient en réalité les remparts et les fossés ?

Était-ce à l'Etat ou à la Ville ?

Un grand nombre de mémoires manuscrits ou imprimés furent écrits à ce sujet. Plusieurs sont conservés dans nos archives municipales ; le plus important est celui de Pacette. Tous ces mémoires s'accordent pour faire remonter la propriété de la ville à l'année 11'94. Des lettres patentes postérieures, confirmant cette propriété attribuée à la ville par Reymond, vicomte de Toulouse, furent reproduites et annexées aux mémoires.

 

La question de propriété ayant été aplanie au profit de la ville, restait celle de la dépense à effectuer. Les finances de la Province, comme celles de la ville étaient dans un triste état à la fin du XVIIIe siècle. Mais la ville fit valoir que la vente des matériaux de démolition compenserait en grande partie la dépense, et cet argument prévalut.

 

Le 17 mars 1786, une nouvelle requête est présentée au roi pour .exécuter le projet Reymond, projet vaste et grandiose, comprenant non seulement la démolition des remparts, mais encore la transformation de la ville en vue de son embellissement.

 

La décision du roi se fait attendre tandis que le temps continue son oeuvre destructrice.

 

Enfin, le 5 septembre 1786, le Conseil d'Etat du roi rendit un Arrêt permettant aux consuls :

 

Le 4 août 1787 rien n'est encore commencé, rependant on ne tarda pas à entreprendre les travaux de démolition des remparts. '

 

« de faire démolir les murs d'enceinte et de clôture, de disposer de ces murs ainsi que du tour de ronde et fossés en dépendant, même des matériaux de démolition, pour les employer à la confection des ouvrages désignés dans le projet Reymond qui est approuvé à la condition que les travaux commenceront dans les six mois de la date de cet Arrêt. »

 

Nous n'avons pu déterminer, soit en consultant les archives de la ville, soit tous autres documents, dans quel ordre s'effectuèrent les travaux de démolition des remparts et ceux prévus au plan Reymond pour l'embellissement de la ville ; les uns et les autres furent interrompus par la Révolution, et, si les vieux remparts de Nîmes purent être démolis, comme il avait été prévu, le projet Reymond dut être abandonné à peine commencé.

 

On commença par démolir les remparts du faubourg Rey, depuis la maison de M. de Rangueil jusqu'à celle du sieur Arnaud, sans doute ceux construits sous Louis XIV, et ceux compris depuis la Tour Vinatière jusqu'à la Porte la Couronne. On entreprit ensuite la démolition de ceux compris depuis la Porte de la Bouquerie jusqu'à la Porte St-Antoine.

 

 

Le 13 janvier 1789, la démolition était faite depuis la Porte de la Couronne jusqu'à la Porte St-Antoine.

 

Le 24 Novembre 1790, le conseil décida la démolition de la Gardette du portier de la Porte St-Antoine, qui empêchait l'écoulement des eaux de l'égout se rechargeant dans les aqueducs construits pour remplacer les anciens fossés, mais ce ne fut que le 7 janvier 1791 que cette Gardette fut démolie.

 

La même année, à la suite d'une pétition des Amis de la Constitution, on démolit la Porte de la Couronne, son tambour et les masures attenantes servant de logement au portier. Au cours de cette démolition, on eut soin d'enlever les inscriptions, statues et autres pièces antiques qui avaient été encastrées dans le mur du tambour, lors de sa construction, en 1524, ordonnée par le consul d'Albenas ; toutes les antiquités ainsi recueillies furent transportées à l'hôtel de l'Académie.

 

Suivant Grangent, ce fut en 1793, au cours de la démolition des anciens remparts, qu'on découvrit la Porte d'Auguste, renfermée, pour ainsi dire, dans les constructions du Couvent des Frères Prêcheurs. On sait que ce qui restait de l'Ancien Château Royal, construit en 1391, au « Sonal des Carmes », fut donné par Louis XIII aux Frères Prêcheurs pour y établir leur couvent, en 1635.

 

La démolition des remparts se poursuivait sans qu'on songeât à conserver quoi que ce soit des vestiges antiques qu'on y rencontrait, et rien de la Porte Auguste n'aurait subsisté sans un heureux hasard que relate Clérisseau dans son ouvrage sur « Les Antiquités de France ».

 

« La conservation de la porte antique, écrit-il, est due en grande partie au zèle éclairé de deux artistes, MM. Liger et Moulinier. Venant d'Italie et se rendant en Espagne pour y amasser les matériaux et les dessins nécessaires à la publication d'un ouvrage pittoresque, ils arrivèrent à Nîmes les premiers jours de frimaire, An V, au moment où l'on commençait la démolition de cette porte.

 

Déjà, un zèle aveugle et mal averti, soutenu du vain nom d'économie, si souvent mal appliqué, avait fait démolir tout l'entablement, que l'inscription où le nom d'Auguste était empreint n'avait pu faire respecter, et ses matériaux épars et déjà mutilés, allaient être employés à la construction d'une poissonnerie publique, pour épargner l'achat de quelques pierres, lorsque les deux artistes ci-dessus nommés firent sentir aux constructeurs et aux magistrats l'impudence et la barbarie d'une telle conduite dans une ville déjà célèbre par tant de si beaux monuments et à laquelle ils allaient en ravir un non moins digne de l'examen et de l'étude des voyageurs curieux… »

 

Grâce aux démarches des deux artistes, la municipalité donna l'ordre d'arrêter la démolition de la Porte d'Auguste. Le mal était déjà grand, toute la partie supérieure du monument n'existait plus, les pierres de l'attique et la corniche étaient déjà renversées, l'inscription placée dans la frise avait subi le même sort et, ce ne fut qu'après beaucoup de recherches qu'on put parvenir à rétablir l'architrave et la frise, telles que nous les voyons aujourd'hui.

 

Ainsi nous fut conservé ce qui reste encore de la plus monumentale et de la plus belle des neuf portes de l'enceinte romaine ; ces restes, avec les vestiges de la Porte d'Espagne et des remparts proprement dits de Montaury, de Canteduc, et les traces de quelques tours, nous montrent, après deux millénaires, la puissance des fortifications dont les Romains dotèrent Nîmes, vers la fin du premier siècle avant notre ère.

 

Nota. - La propriété des anciens remparts revint sur l'eau en 1872, lors de la vente de l'ancien couvent des Dominicains, bâti en partie sur l'emplacement du Château Royal, des remparts et des fossés. Comme transaction, le prix de vente, soit 130.930 francs fut réparti entre le département, qui toucha 91.932 francs, et la ville, qui toucha seulement 38.387 francs.

 

A la suite de cette vente, et la même année, la municipalité fit prolonger la rue Nationale, alors rue de l'Agau, jusqu'à la place des Carmes.

 

Ce qui reste des anciennes fortifications de Nîmes.

 

De toutes les anciennes fortifications de Nîmes, il nous reste encore à ce jour

 

1 - Des fortifications romaines

 

La Porte d'Auguste et la Porte de France en partie.

 

Des restants du mur d'enceinte en divers endroits :

- à la rue Barbès ouverte ces dernières années,

- au sommet de la colline de Montaury, où le mur atteint la plus grande partie de hauteur, ainsi que sur les pentes nord de cette colline, descendant vers la route de Sauve, mais dépourvu complètement de ses deux revêtements,

- dans la propriété Ricou, près du cimetière protestant où le mur, revêtu de son parement intérieur, s'arrête à une tour carrée dont on ne voit que la base,

- contre le rocher de 'Canteduc, où la partie intérieure est dotée en partie de son revêtement intérieur,

- sur le rocher de Canteduc, dans la propriété Deleuze, où le mur dépourvu de ses deux revêtements, est entièrement couvert de lierre; des traces de mur en divers autres endroits.

 

Les traces d'une tour ronde sur le chemin de Montaury, en face le Mas Baguet, empiétant dans l'épaisseur du mur d'enceinte ; le bas d'une tour ronde, haut de deux mètres environ, assez bien conservé, à quelques mètres au-dessus de la route de Sauve, tangente au rempart, dans la propriété de Madame Jalabert, et quelques traces d'autres tours cachées par des arbres ou des ronces sur la colline de Montaury.

 

2 - Des Fortifications du Moyen-Age.

 

Aucune trace, mais seulement une gravure représentant la partie du rempart allant de la Porte d'Auguste au Grand Temple, dessinée par M. de Seynes, en 1811.

 

3 - Des Fortifications de De Rohan.

 

Aucun vestige.

 

4 -Des Fortifications de Louis XIV.

 

La Maison Centrale actuelle, l'ancien Fort ou Citadelle ; l'angle d'un bastion de l'enceinte à l'intersection des rues de la Faïence et Rangueil.

 

SUITE REMPARTS DE NÎMES

 

> 1 - AVANT-PROPOS.

> 2 - L'ENCEINTE ROMAINE.

> 3 - LES SEPT COLLINES DE NÎMES.

> 4 - NIMES DE LA DECADENCE ROMAINE AU XIe SIÈCLE.

> 5 - LES REMPARTS DU MOYEN-AGE

> 6 - LE CHATEAU ROYAL DE NÎMES.

> 7 - LES FORTIFICATIONS DE ROHAN - 1621 à 1629.

> 8 - LA CITADELLE ET L'ENCEINTE SUPPLEMENTAIRE DE 1687

> 9 - ENCEINTE SUPPLEMENTAIRE DES FAUBOURGS XVe ET XVIe SIÈCLES.

> 10 - LES CASERNES

> 11 - REPARATIONS ARMEMENT - DÉFENSE DES REMPARTS

> 12 - LA DÉMOLITION DES REMPARTS DE NÎMES

 

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