LES SOUTERRAINS
DES ARÈNES DE NÎMES
 
PAR M. Félix MAZAURIC, 1910
 
 
II
HISTORIQUE
 
Le plus lointain souvenir qui se rapporte aux souter­rains des Arènes remonte en l'année 673. A cette époque, la population de Nîmes était en révolte contre Wamba. Le duc Paul, officier rebelle, dirigeait la défense. Assiégé dans l'Amphithéâtre, désormais transformé en forteresse, il lutta pendant quelque temps contre les armées du roi Wisigoth, mais, trahi par ses propres soldats, il fut obligé de se réfugier dans les souterrains où ses ennemis ne tardèrent point à le découvrir et à le livrer à Wamba.
 
Au moyen âge, les Arènes sont habitées par une nombreuse population et les souterrains en partie comblés. Il faut arriver au début du XVIIe siècle pour en trouver la première mention. Le sol étant exhaussé de plus de six mètres, l'étude complète des caveaux inférieurs n'était pas encore possible. Cependant les manuscrits d'Anne Rulman signalent deux sortes de caveaux situés sous les plus bas gradins, entre la galerie intérieure et le mur de l'arène. Les uns auraient servi, d'après lui, de cachots pour les bêtes fauves, les autres de boutiques ou remises pour les tentes, pilotis, etc…
 
Rulman connaissait l'aqueduc collecteur. Il le faisait venir en droite ligne de la Fontaine pour se dégorger à sa sortie du monument, dans le fossé du rempart. Pour lui, cet aqueduc n'avait d'autre usage que de servir aux naumachies.
 
Pas plus que Rulman, Ménard, le consciencieux historien du XVIIIe siècle, ne put visiter le monument dans toute son étendue. Il distingue bien, lui aussi, deux sortes de canaux, mais renonce à découvrir leur destination :
 
Ils n'en avaient certainement aucune qui fût relative aux spectacles. Ils n'ont été pratiqués que pour épargner la maçonnerie. Quant au canal qui passe dans tous ces caveaux, il ne paraît pas qu'il ait servi à autre chose qu'à l'écoulement des eaux pluviales qui tombaient dans l'Amphithéâtre.
 
En effet, il n'y avait pas d'autre voie à pratiquer que celle-là. Il n'aurait pas été possible de faire pénétrer et perdre ces eaux dans l'arène même parce que le terrain, ainsi que j'en ai été convaincu par les excavations que j'y ai fait faire, forme au-dessous une espèce d'argile très forte. D'où il s'en suit qu'on a pu faire plusieurs pierrées sur cette argile, par le moyen desquelles ces eaux auront pu être conduites dans le canal qui traverse les caveaux, et peut-être aussi par différents autres canaux, jusqu'au fossé de la ville qui n'en était pas éloigné.
 
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas croire que les Romains aient conduit ces eaux dans le puits marqué sur le plan M (Puits des Wisigoths). Ce puits a été bâti postérieurement à ces peuples, par les premiers habitants qui se logèrent dans l'Amphithéâtre. On y trouve manière de bâtisse très différente de celle des Romains. (*)
 
(*) Ménard a parfaitement raison. En démolissant ce puits, vers 1866, on s'aperçut qu'il était construit avec des matériaux empruntés à l'Amphithéâtre. On y trouva même des fragments du mur dit petit podium, portant des inscriptions relatives à un certain nombre de places réservées. (V Révoil, Mémoires Académie Gard, 1865-66, page 164.)
 
Voilà tout ce qu'on connaissait du sous-sol des Arènes avant le déblaiement complet commencé en 1809.
 
L'ingénieur Grangent, chargé en 1829 de restaurer le monument, fut le premier à en étudier toutes les parties.
 
Son travail, publié en collaboration avec Durand et Durant, est encore ce qui a été écrit de plus complet et de plus précis sur nos Arènes. Il étudie en détail les écoulements des vomitoires et des gradins de l'Amphithéâtre, et donne des plans et coupes d'une grande exactitude. Il découvre l'Euripe et entrevoit le grand sous-sol du centre de l'arène.
 
Malheureusement, le plan qu'il donne des chambres et aqueducs situés sous les derniers gradins indique qu'il connaissait peu cette partie du monument. Il n'a visité que quelques caveaux et a conclu du particulier au général. Au lieu de seize bouches d'égout, il n'en compte que douze sous le premier marchepied de là des erreurs et des lacunes dans le plan général. En outre, tout imbu de sa théorie des courses nautiques, il prête au canal collecteur un parcours qu'il n'a jamais eu.
 
Malgré ces quelques critiques, son travail est presque irréprochable pour toute la partie non souterraine de l'Amphithéâtre, et c'est à lui qu'il faudra toujours recourir lorsqu'on voudra faire une étude tant soit peu sérieuse du monument. Les auteurs qui sont venus après lui et qui ont traité des souterrains, n'ont guère fait que repro­duire ses erreurs, en les aggravant quelquefois. Aucun n'a seulement pris la peine de les visiter dans toute leur étendue.
 
Le savant archéologue, Auguste Pelet, a consacré au monument une longue étude de 172 pages accompagnée de nombreux plans et figures. En ce qui concerne l'écoulement des eaux pluviales, il se contente de reproduire in extenso la description de Grangent. Il contredit même à tort les idées fort justes de cet auteur sur l'existence d'un aqueduc rejoignant l'Euripe sous les deux grands passages de l'est et de l'ouest. Se basant sur la découverte d'un escalier à quatre marches monolithes faite en 1844 dans ce dernier passage, il prend le radier de l'aqueduc pour le niveau ancien du sol, alors qu'un simple examen des lieux et notamment de l'Euripe, permet aisément de se rendre compte que cette partie du sol a été surbaissée.
 
Au sujet de la première chambre des souterrains dite Salle sanavivaire, il reconnaît que cette pièce devait être inondée pendant les exercices nautiques et déclare que l'aqueduc faisant suite à cette salle, et situé à 0m60 en contrebas, n'était qu'un moyen de la mettre à sec.
 
En ce qui concerne l'Euripe, il émet une opinion encore plus risquée. Ce canal aurait été mis à découvert chaque fois qu'on donnait des combats de bêtes féroces, afin de tenir les animaux éloignés du podium. Or, l'Euripe, comme l'a démontré Grangent, était recouvert de dalles de 1m50 de long sur 0m20 environ de large et 0m20 d'épaisseur. Comment admettre la possibilité de déplacer chaque fois plus de 350 blocs du poids respectable de sept à huit quintaux ! ! !
 
Les rigoles d'écoulement creusées dans l'épaisseur de ces blocs prouvent suffisamment qu'ils devaient demeurer à poste fixe.
 
Pelet admet naturellement l'hypothèse des courses nautiques et la plupart des erreurs que nous relevons dans son travail proviennent de cette idée préconçue. Il est le premier à mentionner l'aqueduc circulaire extérieur ; mais il n'en figure qu'une section, celle qui contourne le côté est de l'édifice, depuis l'entrée jusqu'à la sortie du collecteur.
Nous arrivons ainsi à l'éminent architecte Révoil. Chargé de la restauration du monument, il fait dégager le sous-sol en forme de croix qui occupe le milieu même de l'arène. Ces travaux commencés fin décembre 1865, amènent la découverte des deux inscriptions signalées plus haut. En démolissant le puits dit des Wisigoths, on s'aperçoit que les murs en sont formés avec des moellons arrachés à la construction de l'amphithéâtre lui-même, ce lui confirme ainsi l'opinion de Ménard. Il semble alors qu'un doute commence à pénétrer dans l'esprit de Révoil au sujet des prétendues naumachies. En notant la direction des branches de la croix, auxquelles il donne encore, à tort, le nom de canaux, il s'exprime ainsi :
 
Cette indication semblerait confirmer l'opinion n généralement accréditée que l'amphithéâtre romain avait servi à des naumachies. Il convient de remarquer dans cette hypothèse que, l'Euripe étant plus élevé que le radier de ces canaux, l'eau devait séjourner dans ceux ci. Jusqu'à présent je n'ai trouvé aucun puisard qui put la recueillir. On pourrait considérer peut-être a comme leur remise les deux extrémités du grand axe...
 
Il faut aussi remarquer que ces murs n'ont jamais été enduits et qu'ils sont bâtis en maçonnerie de moellons smillés assez négligée.
 
Tout en admettant les naumachies, n'est-il pas permis aussi de donner à ces constructions une destination tout autre, celle d'un sous-sol pour les machines ?
 
Cette idée d'un sous-sol pour les pegmata ne fait que se confirmer au fur et à mesure que les fouilles avancent. Dans les Mémoires de l'Académie de 1871, Révoil signale d'autres découvertes importantes, notamment celle de deux contrepoids en plomb marqués au nom de la Respublica Nemausensis (R. P. N.) et celle de deux phalères et d'un frontale en bronze, ornés de curieux dessins se rapportant aux courses de chars. Il retrouve les trous dans lesquels s'engageaient les poutres destinées à soutenir un plancher. Dès lors, il se montre entièrement affirmatif sur l'existence de trappes s'ouvrant et se fermant au moyen de contrepoids en plomb et destinées à faire surgir brusquement les gladiateurs des profondeurs du sol.
 
Cependant Révoil n'a jamais nié la possibilité des jeux nautiques. En faisant visiter les Arènes d'Arles aux membres du Congrès archéologique de 1876, il est amené à comparer ce monument à celui de Nîmes. Dans la description du sous-sol de ce dernier, il aurait parlé d'un vide en forme de bateau resté intact dans la terre qui comblait le vide en croix, lequel semble indiquer que le dessous servait de remise aux barques employées dans les naumachies.
 
Il est regrettable que le savant architecte n'ait point publié d'étude complète sur les observations qu'il avait été amené à faire au cours de ses restaurations. (*)
 
(*) Le seul document officiel que nous possédions à ce sujet est son Rapport sur les fouilles de l'Amphithéâtre de Nîmes. (Extrait des Mémoires lus à la Sorbonne en 1866, où l'on retrouve les mêmes opinions contradictoires.)
 
Je ne parlerai que pour mémoire du beau travail de reconstitution consacré par l'architecte Simil à notre Amphithéâtre. Ses dessins se trouvent exposés dans une des salles de la Collection des monuments en liège. En ce qui concerne les souterrains, cet auteur s'est visiblement inspiré des travaux de Grangent et Pelet et n'a point fait de recherches nouvelles.
 
II est un point sur lequel il convient d'insister en terminant cet exposé ; c'est l'existence, dans tous les plans du XIXe siècle, d'un prolongement du canal d'évacuation qui, partant de la paroi méridionale du vide en forme de croix, s'en vient rejoindre l'Euripe. Remarquons tout d'abord qu'il n'existe actuellement et qu'il n'a jamais existé, ni dans le canal de l'Euripe, ni sur la paroi du sous-sol de l'arène, aucune trace d'ouverture de ce prétendu canal. Les trois auteurs Grangent, Pelet et Simil lui attribuent chacun une direction différente. Pelet le suppose cintré et Simil recouvert de dalles. En réalité cette branche du canal collecteur est de pure invention.
 
L'origine de l'erreur remonte certainement à Grangent. Cet auteur, qui connaissait encore fort mal le sous-sol en forme de croix et voulait y voir une sorte de crypte établie postérieurement par les chrétiens , s'exprime ainsi au sujet du grand canal collecteur.
 
Il traverse l'arène jusques au centre de l'ellipse, et dévie ensuite au sud-est pour sortir du monument. Or, les fouilles de Révoil ont démontré qu'au lieu du prétendu canal, il n'y avait du côté du nord et au centre, qu'un grand vide large de 6 mètres, dont le radier est en contrebas de 2 mètres de celui de l'Euripe. Les deux inscriptions trouvées sur la paroi démontrent surabondamment l'origine romaine de ces constructions. Les auteurs venant après Grangent ont dû forcément supprimer, sur leurs plans, la première partie du parcours supposé par cet architecte, mais toujours sous l'influence du même auteur, ils ont laissé à tort subsister le tronçon méridional de ce prétendu canal.
 
En somme l'Euripe et le sous-sol en forme de croix constituaient deux choses absolument distinctes, sans aucune communication et avec des destinations différentes. Aujourd'hui que le système d'écoulement merveilleusement conçu par les Romains ne joue plus, il a bien fallu diriger quelque part les eaux pluviales c'est pour cette raison qu'on a percé le mur de l'Euripe pour permettre à l'excès des eaux de tomber dans le sous-sol désormais transformé en puisard. Mais nous le répétons, cette communication est toute récente, contemporaine des travaux de Révoil, et rien de semblable n'a jamais existé à l'époque romaine.
 
On le voit, l'étude complète des souterrains présentait encore bien des points obscurs. Il nous a paru intéressant de reprendre cette question et de la dégager de toutes les incertitudes qui régnaient sur elle.
 
Le plan que nous présentons aujourd'hui nous parait répondre à ces desiderata. Disons tout de suite que nous n'avons point visé dans ce travail à une précision absolue dans les mesures, précision qui d'ailleurs n'était jamais observée par les Romains dans leurs grands travaux. La forme de l'ellipse adoptée dans le plan général du monument, a exigé de chaque caveau des dimensions quelque peu différentes de celui qui le précède ou qui le suit.
 
Pour arriver à l'exactitude mathématique, il aurait fallu non seulement mesurer tous les murs, mais encore tous les angles et toutes les courbes, travail superflu qui aurait nécessité des mois entiers. Nous avons cependant la prétention d'avoir noté à peu près tout ce qui peut se voir en l'état actuel des lieux. S'il nous est arrivé parfois de commettre des erreurs de quelques centimètres, ces erreurs seront compensées par ailleurs et l'ensemble nous parait devoir être tenu pour exact. Ajoutons, en dernier lieu, que, pour la clarté du plan, nous avons volontairement omis tous les vides complètement fermés, qui n'ont aucun rapport avec l'écoulement des eaux pluviales et n'avaient d'autre utilité que de dégager la maçonnerie.
 
Félix MAZAURIC, 1910
 
SUITE MAZAURIC
> Introduction I
> Historique II
> Écoulement des eaux pluviales III
> Les Naumachies IV
 
-oOo-
 
Les  Arènes de Nîmes avec NEMAUSENSIS
> L'amphithéâtre de Nîmes par Auguste Pellet, 1838
> Les Arènes, par Alexandre de Mège, 1840
> Les Arènes, rapport de fouilles de Henri Révoil, 1868
> Les Arènes, description de Eugène Germer-Durand, 1868
> Les Arènes, par Albin Michel, 1876
> Chateau des Arènes du Ve au XIIIe siècle Michel Jouve, 1901
> Quelques détails sur les Arènes, par le chanoine François Durand, 1907
> Les Arènes, L'Amphithéâtre par J. Charles Roux, 1908
> Les Arènes, Les souterrains des Arènes, Félix Mazauric, 1910
> Les Arènes, Le rempart et le Château des Arènes, Igolen 1934
> Diaporama des fouilles en 1987
Tour des Arènes à travers un siècle d'iconographies 
 
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