L'industrie textile de la ville de Nîmes
par Hector Rivoire, 1853.
Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes 1852-1853 , pages de 268 à 297

Les travaux qui ont été exécutés par les Commissions de statistique cantonales, d'après les prescriptions du Gouvernement, ont appelé l'attention et le concours de toutes les personnes qui s'occupent des intérêts et des besoins du pays. La Commission de statistique de la ville de Nîmes s'est acquittée, avec un zèle et une persistance dignes d'éloges, de la mission qui lui a été confiée. Après avoir apporté ma modeste coopération à l’œuvre patiemment élaborée de cette Commission dans la section de l'industrie, j'ai cru devoir mettre à profit, pour notre Compagnie, les résultats obtenus par les travaux récents de la Commission cantonale. J'ai essayé de tracer, dans une Notice particulière, le tableau sommaire de la situation de l'industrie de notre ville, en indiquant les causes qui ont facilité son développement sur quelques points, comme celles qui ont arrêté son essor sur d'autres. Enfin, il m'a paru intéressant de faire précéder l'examen de la situation actuelle des principales branches de l'industrie Nîmoise par quelques considérations rétrospectives sur la situation ancienne établie dans la Statistique du Gard, publiée en 1843.
Pour donner plus de clarté à mon travail , je l'ai divisé en cinq paragraphes :
1° Aperçu historique sur l'industrie de Nîmes
Tissage des étoffes de soie, laine, châles , etc. ;
3° Bonneterie ;
4° Fabrication des tapis ;
5° Ouvriers employés au tissage.

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Aperçu historique sur l'industrie de Nîmes.

Les anciens titres existants dans les archives municipales, font remonter l'origine de l'industrie de Nîmes, à l'année 1278. Des lettres patentes de Philippe III, le Hardi, autorisent, dès cette année, l'établissement de marchands Lombards dans cette ville. Ces marchands étrangers étaient soumis à une juridiction particulière, sous le nom de conventiones régiœ. Leur fortune et leur crédit croissaient avec les relations qu'ils avaient établies entre les principales villes d'Italie, et notamment avec la République de Gènes ; on doit à ces étrangers l'introduction des lettres de chancre, qui, tout en facilitant les transactions, multiplient les opérations commerciales.

Mais une ère nouvelle allait s'ouvrir pour la prospérité de Nîmes ; Louis XII, en montant sur le trône, voulut signaler son avènement par deux concessions importantes, dont il favorisa les habitants : la première, en date du 29 juin 1498, portait confirmation des privilèges que les Rois, ses prédécesseurs, avaient accordés à la ville ; la deuxième, en date du mois de juillet suivant, accordait aux habitants la permission d'établir une manufacture de toutes sortes de draps et d'étoffes de soie.

Malgré la protection accordée par les Rois de France, à l'industrie Nîmoise, les progrès ne s'accomplissaient toutefois qu'avec lenteur, et il ne fallut rien moins, qu'une série de près de soixante années pour obtenir des résultats satisfaisants. Ce ne ne fut qu'en 1557 , sous le règne de Henri Il, et au moment où les guerres de religion prirent malheureusement naissance dans le pays, qu'on vit créer à Nîmes des manufactures et des fabriques de différents arts et métiers. Une fabrique de velours avait été fondée depuis peu à Nîmes, la direction en fut confiée à un habile ouvrier de Ferrare (nommé Bonfa). La ville accorda au chef de ce nouvel établissement une somme de 25 livres tournois, pour approprier la maison qu'il avait choisie et disposer convenablement ses ateliers et ses magasins.

Une femme, habile dans l'art du dévidage de la soie, fut appelée d'Avignon pour former les jeunes filles de l'hôpital de Nîmes. Dans la même année, le Conseil de ville délibéra d'exempter d'impôt de l'industrie un maitre tonnelier qui demanda à venir s'y établir. Enfin, le même, Conseil accorda à Pierre Dupont, de Nîmes, qui travaillait aux étoffes de soie, une somme de cent écus, outre l'affranchissement de l'impôt, et la jouissance pendant cinq années d'une maison assez vaste pour dresser des métiers propres à la fabrication des velours, des satins, du damas, des tapisseries et autres ouvrages de soie.

Toutes ces mesures étaient évidemment inspirées aux Autorités consulaires, par le désir louable de favoriser le développement des arts et des métiers, si précieux au commerce et à l'industrie de la cité.

La soie et les manufactures qui l'emploient formaient donc a dès la fin du XVe siècle, une branche importante de l'industrie de Nîmes. Ces heureuses dispositions annonçaient le plus brillant avenir à l'antique cité romaine, déchue de sa splendeur après la chute de l'empire, et presque anéantie par la longue domination des barbares.

François Traucat, simple jardinier à Nîmes, devait illustrer son nom par une de ces conquêtes pacifiques qui font la gloire du pays, sans coûter une larme ni une goutte de sang. En 1564 , il introduisit la culture du mûrier dans le territoire de Nîmes, et bientôt après dans tout le Languedoc. On ne doit donc point s'étonner de voir que l'art de mettre en œuvre le produit de cet arbre précieux ait été connu de bonne heure dans cette cité, et s'y soit perpétué. Aussi, dès le milieu du XVIe siècle, la ville de Nîmes avait-elle attiré, de divers points de l'Italie et de la France, des ouvriers habiles, par les privilèges et par les avantages qu'elle savait leur offrir. D'autre part, le peu de faveurs qu'on accordait au commerce de la ville d'Avignon, qui jusqu'en 1792, fut soumise à la domination papale, et qui était considérée comme pays étranger, entraîna la ruine de son industrie. Les ouvriers qui peuplaient ses manufactures, furent trop heureux de trouver à Lyon et à Nîmes des ressources contre la misère qui les menaçait.

L'organisation des corps d'arts et métiers en corpo­rations, jurandes et maîtrises, fut une des plus anciennes institutions de la ville de Nîmes. créées en 1321 et 1530, par ordonnances royales, elles existèrent jusqu'en 1790. Enfin, un règlement de 1682, modifié par des lettres patentes de 1713 et de 1716, provoquées par M. de Bâville, intendant de la Province du Languedoc, établit une séparation entre les marchands faisant fabriquer et les maîtres-ouvriers fabricants pour leur compte. Depuis cette époque, il y eut deux corps distincts régis par des conditions particulières. Cependant cette mesure souleva des réclamations de la part des maîtres-ouvriers fabricant pour leur compte. Ils se plaignirent vivement du préjudice que leur causait la concurrence établie entre eux et les marchands faisant fabriquer. Les mémoires du temps font connaître les griefs que les maîtres-ouvriers reprochaient à leurs rivaux, auxquels ils contestaient les connaissances et les talents qui caractérisent la bonne fabrication.

La concurrence qui s'établit entre ces deux corps, pour l'exploitation de la même industrie, eut un résultat funeste pour la bonne fabrication. On tenta de faire de plus gros bénéfices en diminuant la qualité des produits, en étirant les soies, en retranchant un grand nombre de fils dans les portées, en donnant aux étoffes une moindre largeur ; en un mot, en faisant tout ce qu'on put inventer pour produire, en apparence, les mêmes étoffes, tout en retranchant une assez grande partie de la matière première. Mais la lutte ne pouvait se prolonger plus longtemps entre ces deux corps rivaux, et l'on vit, peu après, les marchands fabricants ou maîtres -ouvriers, travaillant pour leur propre compte, se soumettre devant la fortune croissante des chefs d'ateliers ou marchands faisant fabriquer. Dès ce moment, les distinctions s"effacèrent entièrement, et il ne resta plus que de modestes ouvriers, travaillant pour le compte des négociants, dont le talent a été, de tout temps, de savoir combiner l'emploi des matières avec la plus grande économie possible, et le principal mérite de leurs ouvrages, est la légèreté, l'apparence et le bas prix.

Ce caractère particulier de l'industrie de la ville de Nîmes, s'est maintenu dans les mêmes conditions jusqu'à l'époque actuelle. L'imitation des produits des fabriques de Paris et de Lyon , et la vente à bon marché de ces produits, connus dans le commerce sous le nom d'articles de Nîmes, est toujours le principal mobile et le guide suprême de l'esprit industriel de notre cité.

Constatons seulement un fait, qui a frappé l'attention de tous les hommes dont les études ont eu pour but, l'examen des questions d'économie industrielle dans cette ville. Je veux parler de la position faite à la fabrique, depuis quelques années, par la concurrence illimitée et souvent irréfléchie qui a donné naissance à quelques établissements dont les chefs, dépourvus d'expérience et de ressources suffisantes, ont cessé subitement leurs travaux lorsque l'argent leur a manqué, et ont été plutôt une cause d'embarras qu'un avantage pour notre industrie.

D'un autre côté, on comprendra facilement que l'ouvrier, placé dans les conditions d'un travail incertain et d'un salaire au rabais, souffre de ces regrettables écarts d'une concurrence inintelligente et aveugle, et tombe dans le découragement, triste précurseur de la misère.

Si quelques personnes pouvaient mettre en doute la vérité de cette situation, je ne peux que les engager à aller la recueillir de la bouche des ouvriers employés au tissage de la soie ou de la laine. Elle a laissé une trace douloureuse dans l'esprit des membres de ta Commission cantonale de statistique de Nîmes, et j'ai cru devoir consigner sommairement dans ces notes le résultat de ses impressions.

Mais à côte du tableau attristant des désordres occasionnés par une concurrence funeste qui permet à quelques enfants perdus de la grande famille industrielle de Nîmes, de jouer impunément sur un coup de hasard, le faible capital dont ils peuvent disposer, et l'existence de nombreux ouvriers, on voit avec une juste satisfaction, naître et grandir, de puissants établissements où l'intelligence et la haute capacité des chefs est appuyée sur une réputation d'honneur et de solvabilité à toute épreuve.

Si dans quelques circonstances la libre concurrence peut-être comparée à la lance d'Achille, qui guérissait les plaies qu'elle avait faites, on doit reconnaître que ses résultats ont été funestes à l'industrie de Nîmes, à raison même du caractère particulier de sa fabrication, qui n'est, comme chacun le sait, qu'une imitation à l'aide de matière légère , et à très-bas prix, des articles de Paris et de Lyon.

En résumé, il est permis d'espérer que la question présente assez d'importance pour fixer l'attention des hommes compétents ; il me parait superflu d'insister sur ce point. Ma confiance, dans l'avenir de l'industrie Nîmoise et dans sa fortune, est trop solidement établie, pour que je redoute pour elle le retour des déplorables excès qui, dans le dernier siècle, ont signalé la concurrence qui existait entre les grandes corporations rivales. Mais, je le répète, il y a quelque chose à faire, et la sagesse, du gouvernement, gardienne des intérêts du pays, y pourvoira.

Je crois devoir à cette occasion faire mention des vœux que j'ai entendu émettre plusieurs fais par quelques industriels de Nîmes et du département du Gard, tendant à ce que nos soies indigènes soient protégées contre la concurrence étrangère, au moyen d'un droit d'entrée dans nos ports. La réalisation de ce désir me parait plus contraire que profitable à l'industrie française. Si d'un côté la mesure peut donner satisfaction à quelques intérêts privés et de localité, elle aurait pour résultat certain, de contrarier le développement de l'industrie sur d'autres points du territoire.

En effet, on ne peut mettre en doute aujourd'hui, que des droits de douane, équivalant à la prohibition, ont fait leur temps, et qu'au point de civilisation et de perfectionnement où nous sommes arrivés, ils doivent faire place à une sage liberté.

On comprendrait que des mesures protectrices puissent être prises à l'égard des soies étrangères à leur entrée en France, si notre production s'élevait au niveau de la consommation, mais chacun sait que nos fabriques sont alimentées, en grande partie, par les soies du Levant, de l'Italie, de l'Espagne, de la Suisse, etc. Dès-lors, une mesure qui frapperait les soies étrangères d'un droit d'entrée, aurait pour résultat d'entraver l'industrie, d'arrêter nos progrès et de nécessiter une augmentation du prix des soies indigènes , par suite de l'insuffisance de nos propres produits.

II
Tissage des étoffes de soie, de laine ou de coton, Foulards, Châles ordinaires, Châles riches, Cardage, Passementerie, Gants, Articles d'Afrique.

Depuis l'origine des manufactures de soie en France, un peu avant le règne de François Ier, on avait successivement imaginé diverses méthodes pour arriver une fabrication plus facile et plus appropriée aux besoins de cette industrie. Jusqu'en 1773, l'art et l'emploi du tissage, à Nîmes, étaient restés en dehors du domaine de la science, et les simples notions de l'expérience pratique servaient à transmettre d'une génération à l'autre, les procédés de ce genre d'industrie, de même que le mécanisme des instruments employés au tissage et à la fabrication.

Un fabricant de Nîmes, Jean Paulet, publia, en 1773, un ouvrage remarquable sur l'art du fabricant d'étoffes de soie, véritable monument élevé à l'industrie locale.

Vaucanson , Paulet et Jacquard ont attaché glorieusement leur nom à l'histoire de l'industrie française ; qu'il me soit permis de rendre hommage à la mémoire de ces régénérateurs d'une des branches les plus importantes de noire richesse nationale.

Grâce à leurs efforts, les arts mécaniques se sont enrichis d'une machine bien simple et peu coûteuse, à la portée de la classe pauvre des tisseurs. Cette invention a fait accomplir un progrès immense à l'art des tissus, sous la main de Jacquard, qui a mis en œuvre en les perfectionnant, les intelligentes conceptions de Vaucanson et de Paulet ; cet art a éprouvé une révolution complète. L'ouvrier n'est plus qu'une machine à mouvement, qui produit sans peine, promptement et à bon marché, des étoffes ornées des dessins les plus riches et les plus variés, que leur prix met à la portée de toutes les fortunes.

Le métier Jacquard est partout en usage aujourd'hui. Il s'applique aussi bien aux étoffes mélangées de soie et de laine ou de coton, qu'aux tissus de soie et particulièrement aux châles. Ce dernier genre de fabrication est une des industries qui font le plus honneur à la France et doivent lui inspirer le plus d'orgueil. Les châles fabriqués à Nîmes occupent après ceux de Lyon et ceux de Paris, où l'on confectionne le cachemire français, proprement dit, une place remarquable dans les fabriques françaises.

Dès l'année 1823, l'industrie Nîmoise qui sait tout populariser en imitant, à bas prix, l'éclat des tissus somptueux, s'empara de la fabrication des châles en bourre de soie. On ne saurait pousser plus loin l'art de produire des effets avec des moyens plus simples et moins coûteux. C'est comme je l'ai déjà dit cet art ingénieux, qui rend les produits de Nîmes si propres à des exportations considérables. De plus, cette ville, rivalise avec Paris et Lyon, pour la consommation intérieure, tantôt par des genres simples et de bon goût, tantôt par des genres plus riches et à effets heureusement combinés.

La fabrique de Nîmes emploie pour la fabrication de ses châles ordinaires, dits châles indous, la bourre de soie pure, le thibet et le coton ; pour les châles tartans et
kabiles, la laine et le coton ; quelques fabricants font des châles en laine pour l'étranger et pour quelques départements. Le châle, dit châle riche, se fait distinguer par la variété des dessins et l'éclat des nuances ; le thibet et la soie entrent dans la fabrication de cet article qui rivalise avec les produits de Lyon et de Paris ; la plupart de ces articles sont fabriqués pour le compte des maisons de la capitale et vendus comme produits de leurs ateliers.

Parmi les principales causes qui ont déterminé le mouvement progressif de perfectionnement de l'industrie locale, ou doit placer au premier rang les nombreuses découvertes faites en chimie, et la connaissance de leurs combinaisons dans la préparation de certains agents de teinture. Cet art, qui ajoute à la beauté des tissus et à leur solidité, est une des causes fécondes de nos progrès.

La bonne direction donnée aux études du dessin de fabrique , qui ont des relations immédiates avec les diverses parties de nos industries, a contribué au succès de notre fabrication.

Enfin, l'art et la science de l'apprêt, assez longtemps inconnus, sont exploités à Nîmes avec des connaissances pratiques positives.

L'industrie de l'impression sur étoffes se maintient dans de bonnes conditions. Les villes de Mulhouse , de Rouen, de Lyon, de Jouy, etc. , possédaient exclusivement cet élément de prospérité. C'est à partir de 1833 que l'impression, sur différents tissus, a pris à Nîmes un essor remarquable. L'avantage offert par ce genre d'industrie, consiste à fabriquer des articles plus variés , plus apparents et par conséquent plus favorables au genre de produits de cette ville, par leur prix peu élevé.

Par ce moyen, la plupart des tissus sortant de ;nos fabriques reçoivent de belles impressions , offrant de l'éclat et de la solidité dans leurs couleurs, un goût parfait de dessin et de forme, et se mariant avec des effets déjà obtenus par le lancé, ou ajoutés par la broderie à la main. L'imprimerie fournit au commerce des châles et des étoffes remarquables, tant par la beauté, la variété des dessins, que par l'extrême modicité de leur prix.

Dans le nombre des tissus imprimés sortant des fabriques de Nîmes, l'article foulards occupe un rang distingué. Cet article présente dans tous ses détails, ainsi que dans son ensemble, un genre de fabrication indigène local, non-seulement par rapport aux diverses mains-d’œuvre auquel il est soumis, mais encore en ce qu'il est confectionné en grande partie avec des soies récoltées dans nos contrées.

La fabrication des foulards date de 1830. Ces foulards sont de diverses sortes :
1° tout de soie ;
2° soie et coton ;
3° déchet de soie , connu sous le nom de fantaisie, obtenu au moyen du cardage des frisons, genre d'industrie qui a acquis à Nîmes une assez grande importance.

Les matières qui servent spécialement à la fabrication des châles et des étoffes à Nîmes, sont : la soie, le coton , la laine, la fantaisie et le thibet. Cependant, bien que la soie, en général, soit un produit indigène, les fabricants sont parfois obligés, à certaines époques, et pour certains articles, à se pourvoir de soie venant d'Italie ou du Levant. Les cotons sont tirés en grande partie de l'Amérique, et sont filés en France. Les laines, dont l'emploi n'est pas aussi étendu, sortent des filatures françaises. Le thibet uni, mélangé de laine et de bourre de soie, est fourni en trame seulement par les filatures de France, mais la plus grande partie des chaines employées dans la fabrication nous arrivent d'Angleterre. Enfin, les fantaisies, provenant des déchets de soie, sont en faible partie filées en France, et connues sous le nom de sublime, de chrysantins, sciaque et galetami ; ces déchets nous viennent de la Suisse.

Il me paraît opportun de faire remarquer dans cet aperçu que, depuis quelques années, l'industrie du cardage des frisons, introduite dans les ateliers de la Maison centrale de détention de Nîmes, a acquis un grand développement dans la ville. On compte aujourd'hui 16 établissements qui occupent 200 ouvriers libres, environ. Le travail du cardage à la presse est très-pénible, il nécessite le concours d'hommes robustes et capables de résister à la fatigue.

II en est de même :
1° De l'article passementerie, qui tend à se développer de jour en jour. Cette industrie, peu importante dans l'origine, compte aujourd'hui 138 métiers ;
2° De la fabrication des lacets, cordonnets et soies à coudre. Cette industrie est en voie de progrès ; elle promet à la ville de Nîmes une nouvelle chance de prospérité. Elle compte 12 établissements, occupant 70 métiers.

Enfin, un nouvel article de fabrication, dit article d'Afrique, est venu depuis quelques années enrichir notre industrie du tissage. Cette fabrication, dont l'importance s'accroît par suite des besoins de notre colonie, a pour résultat la production de riches étoffes de soie, mélangé d'argent et d'or, pour ceintures, écharpes et cravates, destinées à la toilette des femmes arabes et juives de l'Algérie.

Les principaux lieux de consommation des articles de nos manufactures sont : la France, l'Algérie, l'Allemagne, la Russie et l'Angleterre. L'Italie et l'Espagne tirent peu de nos produits, à cause des prohibitions ou des droits énormes dont elles ont été de tout temps frappées. Le Levant, l'Egypte et la Syrie offrent des débouchés qui exigent une fabrication spéciale ; mais la concurrence des produits anglais diminue l'importance de nos relations avec ces pays. L'Amérique fait une consommation considérable des articles bonneterie de Nîmes, notamment des gants de soie.

Je ne terminerai pas cette revue de la situation de l'industrie du tissage à Nîmes, sans dire quelques mots sur une question qui occupe au plus haut point l'attention publique dans cette ville. Je veux parler de la question des eaux, qui intéresse si vivement tous les fabricants. Nos teintures, nos impressions, longtemps en souffrance par le manque de ce précieux agent, appellent la prompte réalisation des projets mis à l'étude par les soins de l'administration municipale. Tout fait espérer que, grâce aux mesures qui devront être prises prochainement ; Nîmes, le centre de l'industrie manufacturière du département du Gard, n'aura plus rien à envier aux autres villes rivales.

D'après les relevés statistiques mentionnés dans l'ouvrage de J. Paulet, publié en 1773, on comptait à Nîmes 3 000 métiers pour les étoffes.

En 1790, époque de la publication de l'ouvrage sur la topographie de Nîmes, par Vincens et Baumes, on comptait 2 600 métiers dans cette ville.

Enfin, la Statistique du Département du Gard (1) attribue à l'année 1840 un chiffre de 3,600 métiers battants.

(1) Par Hector Rivoire, publiée en 1843 ; tome II, pages 28 et 29.

Aujourd'hui, par suite des événements politiques qui ont jeté une perturbation profonde dans l'industrie du tissage à Nîmes, on compte à peine 2 000 métiers battants. Si l'on ajoute à cette cause accidentelle, et à laquelle tout fait espérer que l'ordre et la stabilité porteront promptement remède, la désastreuse concurrence dont j'ai parlé dans la première partie de ce travail, on se rendra compte facilement de la souffrance de cette branche de la fortune publique à Nîmes.

III
Bonneterie.

La fabrication des bas, à Nîmes, médiocre dans les premières années du XVIIIe siècle, parvint plus tard à se placer sur une ligne à peu près égale à celle de la fabrication des étoffes. Aussi, de même que pour la fabrication de ces articles, on vit s'organiser la corporation des marchands et fabricants de bas, qui fut régie par des règlements et des statuts particuliers établis par arrêt du 12 octobre 1 710.

Ce n'est qu'à partir de l'année 1743 que cette industrie acquit une importance réelle, non-seulement à Nîmes, mais encore dans les Cévennes. Les mémoires du temps font connaître que, dans cette année, on comptait à Nîmes et dans sa banlieue, prés de 6 000 métiers en activité. Le développement de cette industrie, à cette époque, prenait sa source dans la protection accordée par Louis XIV, qui, en dépit du règlement de 1710, rendit aux fabricants la liberté de produire selon le goût de leurs correspondants, soit du royaume, soit de l'étranger.

Un obstacle fâcheux vint malheureusement entraver la marche de cette industrie : ce fut le transport considérable de métiers et les émigrations d'ouvriers en Allemagne, en Russie et en Espagne. Ces émigrations furent occasionnées par les dispositions d'un arrêt du Conseil, du 25 mars 1754 , qui autorisa l'exportation des métiers à bas dans les états voisins, et fit naitre une concurrence funeste pour les produits de la fabrique de Nîmes.

Aussitôt après ces événements , qui portèrent une atteinte grave â !a consommation et qui précédèrent la prohibition de nos produits dans ces contrées, on vit nos ouvriers forcés de s'expatrier pour se procurer du travail et une existence assurée pour leur famille. En 1778, le gouvernement espagnol, après avoir préparé de longue main les moyens suffisants pour assurer sa consommation intérieure et celle de ses colonies, prohiba l'entrée des Indes-Occidentales à un grand nombre d'articles des manufactures étrangères. Cette disposition fut plus particulièrement fatale à la fabrique de bas de Nîmes.

Dans le nombre de métiers que cette fabrique occupait antérieurement à la prohibition, plus de la moitié était employée, à fabriquer les bas expédiés au Pérou, au Mexique, et dans les autres colonies espagnoles de l'Amérique.

La fabrique de bonneterie de Nîmes ne jouit pas longtemps de la liberté qui lui avait été donnée, de se soustraire aux règlements sur la fabrication. Aussi, lorsqu'en 1780 apparut la nouvelle mesure qui assujettissait les négociants de Nîmes à cette obligation, un cri d'alarme général s'éleva, et les syndics de la corporation adressèrent au Gouvernement un mémoire dans lequel ils établissaient : que la manufacture de bas de cette ville n'était point susceptible d'être soumise à un règlement qui n'avait réellement pour but que de constater et de faire respecter la supériorité ou la perfection des ouvrages livrés à la consommation intérieure, tandis que notre manufacture, au contraire , n'avait de débit que parce que ses produits étaient au-dessous des autres fabriques, et obtenaient un écoulement facile à l'étranger, à cause du bas prix auquel ils étaient vendus.

Tant que cette branche d'industrie fut assujettie à des règles communes, sa consommation, bornée aux provinces du royaume, et contrariée par la fabrique de Lyon et autres concurrents, ne lui procura qu'un travail médiocre et peu important. En vain, en 1746, les négociants de Nîmes, parvenus à supplanter les Génois, qui leur faisaient plus particulièrement concurrence, s'étaient procurés des commissions importantes pour la Véra-Crux, le Mexique, la Havanne, Carthagène et toutes les parties de la domination espagnole en Amérique. Les peuples du Nouveau-Monde, accoutumés à l'usage des bas de laine ou de fleuret, ne voulaient adopter les bas de soie qu'on leur proposait qu'autant qu'on pourrait les leur livrer à un prix qui n'excédait pas celui des premiers.

Les mesures furent prises pour apporter quelque amélioration à cet état de choses. Le Gouvernement accorda au commerce de Nîmes l'autorisation de fabriquer des bas de soie au-dessous du poids fixé par les règlements, mais à la condition que ces bas seraient portés dans un bureau, où il serait apposé sur chaque paire, moyennant l'impôt d'un sou, un plomb portant ces mots gravés : Pour l'étranger. Ces nouvelles obligations amenèrent de fâcheux résultats, soit par la négligence des commis chargés de la pose des plombs, ce qui retardait les expéditions, soit enfin par d'autres inconvénients que cette formalité faisait naitre.

Aussi, pendant tout le temps que dura ce régime, la fabrique fut-elle désolée par une infinité de procès-verbaux, de saisies , d'amendes, de confiscations , qui arrêtèrent l'essor de l'industrie Nîmoise et donnèrent lieu, aux manufactures rivales étrangères, de s'emparer de la fourniture importante du Mexique.

L’Espagne, comme je viens de le dire, se fournissait au moyen de ses manufactures ; le Portugal s'approvisionnait à Gênes ou en Angleterre ; l'Italie était pourvue par ses manufactures et par celles de la Suisse. Les nations du Nord faisaient une redoutable concurrence aux produits de la bonneterie de Nîmes ; la Suisse, l'Allemagne, la Russie même étaient remplies de manufactures de bas ; Hanau , Offembach, Heidelberg et Berlin en possédaient de très florissantes. Cependant, le génie industriel des commerçants de Nîmes ne se laissa pas décourager dans cette lutte acharnée.

D'après les relevés statistiques publics en 1773, dans l'ouvrage de Jean Paulet, on comptait à Nîmes près de 8000 métiers pour faire des bas de soie. Depuis cette époque jusqu'en 1790, on ne trouve aucun document nouveau sur l'industrie de cette ville. Mais à partir de cette année, on voit dans la topographie de Nîmes de Vincens et Baumes, au tableau présentant le produit moyen des manufactures, que la fabrique de bas occupait 4000 métiers. Enfin, suivant l'Exposé de la situation de la France, ouvrage présenté au Corps Législatif en 1800 , la bonneterie de Nîmes comptait à cette époque 1200 métiers battants ; en 1811 , ce nombre s'élève à 4910. Bien que ce chiffre me paraisse exagéré, je crois devoir le mentionner à titre de document historique.

Aujourd'hui, la bonneterie a subi à Nîmes de grandes modifications, et son importance a dû nécessairement se ressentir des atteintes portées à notre industrie locale. C'est à peine si l'on compte à Nîmes quelques centaines de métiers occupés à la fabrication des bas de soie et de coton, des tricots, des gants et des bretelles. Cette branche de fabrication s'est répandue hors des murs de Nîmes ; concentrée jadis dans la ville où elle avait pris naissance, elle a dû, par suite des revers dont elle a subi pendant longtemps les funestes effets, chercher à créer à ses ouvriers une existence moins coûteuse et proportionnée à leur modique salaire.

La bonneterie a établi ses principaux sièges dans les Cévennes et dans quelques communes de la Vaunage, notamment à Uzès , Alais, Génolhac a St-Cômes, Calvisson, Quissac, Sauve , St-Hippolyte, Sumène, St-Laurent , Anduze, St-Jean-du-Gard , le Vigan, etc. , etc.

Les villes et les communes que je viens de citer ont chacune un genre particulier de fabrication que je crois intéressant de faire connaître :
Uzès, fabrique des bas de bourre de soie ;
Alais, des bas, des gants, des rubans, etc. ;
Le Vigan, la bonneterie fine en soie, pour l'intérieur en coton, dans les qualités légères et apparentes, pour l'exportation ;
St-Hippolyte, la bonneterie fine en soie , dans les belles qualités ;
Sumène, la bonneterie en coton de tous genres ;
St-Laurent , les bas blancs, forts, unis et brodés, en bonne qualité, pour l'intérieur ;
Sauve et Quissac, la bonneterie commune, en coton, pour les maisons de commerce de la localité ; la bonneterie fine en tout genre, à façon, pour les maisons de Nîmes. Quissac fait particulièrement la bonneterie en soie, commune, et quelques articles en laine, Anduze fabrique les qualités fines en coton et en fil d'Ecosse, pour l'intérieur et pour l'exportation ;
St-Jean-du-Gard , les articles mêlés dans les qualités supérieures en soie, en coton et en fil d'Ecosse.
Calvisson, la bonneterie fine en soie, en coton et en fil d'Écosse, à façon, pour Nîmes.
Génolhac, les bas et les gants de bourre de soie, à façon, pour les maisons de Nîmes et d'Uzès. L'industrie de la bonneterie, en abandonnant l'enceinte de Nîmes, s'est introduite dans les villages, dans les hameaux et même dans les habitations isolées. Sauf à Nîmes, où l'on compte onze établissements, aucun fabricant n'a d'atelier à son compte ; les ouvriers travaillent chez eux, sur des métiers qui leur appartiennent ou qu'ils reçoivent du fabricant, sous une faible retenue mensuelle.

Mais si la ville de Nîmes a vu avec regret l'émigration presque complète des nombreux ouvriers occupés à la bonneterie, elle n'en est pas moins restée l'entrepôt général de cet article pour le Gard. Nîmes compte encore quelques maisons de commerce qui, par leur importance et par la variété de leurs produits, occupent non-seulement tous les ouvriers qui restent dans cette ville, mais assurent du travail aux ouvriers disséminés dans les communes voisines.

Depuis plus de quarante ans, la fabrique des bas de coton a lutté avec avantage contre celle des bas de soie. Ces bas se confectionnent sur le même métier, depuis le n° 27 jusqu'au n° 42, limite de la plus grande finesse. Ce changement imprévu doit être attribué à l'inconstance de la mode, qui soumet tout à son empire. Les femmes, tant en Europe qu'en Amérique, ont aussi préféré le coton à la soie :
1° parce qu'elles se trouvent beaucoup mieux chaussées avec des bas de coton,
2° parce que la soie, après avoir passé plusieurs fois au blanchissage , perd tout son éclat, inconvénient que ne présente pas le coton qui, au contraire, acquiert plus de blancheur par cette opération.
Le métier ordinaire ou à cuiller est en usage dans quelques ateliers de bonneterie. Cependant, l'adoption du métier d chaîne, dit maille fixe, est usité plus généralement.

Les matières premières employées dans cette fabrication sont : la soie, la bourre de soie, les frisons (déchets de la filature) et le coton. On se sert, pour la fabrication des tulles, fichus, voiles, bas et gants qui se font sur le métier à chaîne, de soies fines montées à deux ou plusieurs brins, depuis trois et quatre cocons jusqu'à huit ; pour la bonneterie fine, sur les métiers ordinaires, on emploie de belles trames basses du pays, et à leur défaut, les soies d'Espagne connues sous le nom de hiIandères, quelquefois dans les moments de pénurie les trames de Pézénas, de Montauban et de Lavaur ; enfin , les soies du Levant et de Perse.

La deuxième classe de matière première pour la fabrication, se compose de bourres de soie filées à la main, dans les environs de Nîmes, dans le Vivarais et Vaucluse ; enfin, des matières suisses connues sous le nom de bourre de soie ou estrasse, chrysantin, galette et fantaisie.

Les cocons qui forment la troisième classe de matières employées à la fabrication de la bonneterie, sont les trames de divers numéros et qualités montées à plusieurs brins, de même que les cotons appelés, fils d'Ecosse.

L'industrie de la bonneterie, à Nîmes, se porte plus particulièrement sur les mitons et gants de soie fabriqués tant au chef-lieu que dans le département. Ces articles forment une des branches principales du commerce de cette ville, ils sont expédiés en grande quantité en Amérique et dans toutes les colonies. Quelques fabriques françaises peuvent lutter avec la nôtre pour l'article uni, mais aucune ne peut lui faire concurrence dans les qualités légères et pour les dessins brodés à jour. Sa supériorité, dans ce genre, est incontestable et nous assure le placement de nos produits avec des conditions avantageuses.

IV
Fabrication de Tapis.

La fabrication des tapis a acquis , à Nîmes , depuis 1834, un développement remarquable ; elle présente toutes les chances de succès appropriées au génie industriel de cette ville.

La France possédait depuis longtemps des établissements où la richesse, la perfection des formes, la pureté des couleurs ont élevé leurs produits au rang des beaux arts. La Savonnerie, à Chaillot, prés de Paris, sous le règne de Henri IV ; l'établissement des Gobelins, encouragé par Colbert, érigé en manufacture royale par Louis XIV, préludaient avec éclat aux magnifiques produits modernes que l'étranger admire et qu'il s'efforce d'imiter. Mais il restait à travailler pour les modestes fortunes ; il fallait produire des tapis qui pussent contenter des goûts moins somptueux, tout en satisfaisant à ce luxe si confortable et si généralement répandu.

C'est le problème qui a été résolu, avec le plus grand succès, par les fabricants de Nîmes, en profitant de tous les progrès modernes du filage, du tissage et de la teinture.

On imite, à Nîmes, à un haut degré de perfection, les moquettes anglaises ; on fabrique, avec succès, les tapis d'étoffes à double tissu, les tentures pour por­tières et pour meubles. Aubusson n'a plus le principal privilège de fournir à la consommation de cette nature, et la concurrence que la fabrique de Nîmes peut soutenir en ce genre, sera avantageuse à cette nouvelle industrie.

On comptait, en 1843 , au moment de la publication de l'Ouvrage Statistique sur le Gard, quatre fabricants de tapis à Nîmes, occupant quatre cent-vingt-cinq ouvriers, hommes, femmes et enfants au-dessous de 16 ans , gagnant un salaire moyen de 3 fr pour les hommes, 1 fr pour les femmes, et 60 c. pour les enfants.

Les relevés qui ont été faits, à Nîmes, récemment, accusent l'existence de onze grands établissements de ce genre, occupant près de huit cents ouvriers, gagnant un salaire moyen de 2 fr. pour les hommes , 1 fr. 54 c. pour les femmes , 50 c. pour les enfants des deux sexes , au-dessous de 15 ans.

Comme je l'ai dit, au commencement de cet article, la fabrication des tapis ouvre, à la fortune de Nîmes, une carrière nouvelle. C'est là le germe fécond d'où peut sortir, pour la population manufacturière de notre ville, un avenir brillant, et faciliter sa régénération industrielle. Les industries de luxe trouveront, dans les bienfaits de nos institutions nouvelles et dans la protection éclairée du Gouvernement, le concours nécessaire pour accomplir cette œuvre, surtout si une direction sage et bien entendue vient régler les écarts d'une concurrence aveugle et passionnée, plus particulièrement fatale à toute industrie naissante.

L’Angleterre se pose en rivale redoutable â l'égard de cette branche de commerce. Mais si, d'un côté, les fabricants de Nîmes sont exposés à éprouver, encore pendant quelque temps, des difficultés pour l'exportation de leurs produits, tout fait espérer, d'autre part, que la fabrication venant à l'appui du goût français, qui, pour les tapis, comme pour tous les autres produits, est le soutien le plus assuré contre la concurrence étrangère, les tapis de Nîmes occuperont une place distinguée dans l'industrie nationale, et seront toujours accueillis avec faveur dans les États voisins.

V
Ouvriers employés au tissage.

Après avoir parié des industries du tissage de Nîmes, il me parait nécessaire de dire quelques mots sur les ouvriers qui y sont employés.

Les ouvriers tisseurs, à Nîmes, se divisent en trois classes : la première comprend ceux qui fabriquent les grands châles, dits châles riches ; la seconde, ceux qui fabriquent les châles ordinaires, les tapis et les autres étoffes de soie ou de laine, pour lesquelles le métier Jacquard est en usage, comme dans la première ; la troisième classe, qui se sert de métiers à lisses désignés sous le nom vulgaire de petits métiers, se compose d'ouvriers qui n'emploient pas la grande mécanique. Les étoffes unies très-légères, les foulards et les divers tissus qu'on destine à l'impression, sont exclusivement confectionnés par ces derniers.

Les ouvriers bonnetiers sont en petit nombre, à Nîmes ; leur émigration dans quelques communes rurales et le déplacement de leur industrie ont été expliqués dans l'article spécial qui traite de cet objet.

Quelques industries en progrès, notamment la passementerie, l'impression sur étoffes, les tapis, la fabrication des lacets, les cordonnets , etc., le cardage des frisons, voient augmenter rapidement le nombre des ouvriers qu'elles emploient.

L'ouvrier tisseur, à Nîmes, est assisté généralement par une femme de la famille, un homme infirme ou un enfant qui dévide la soie, et, pour se servir du terme du pays, fait les canettes. Les tisseurs de la première et de la deuxième classe occupent de plus un enfant pour lancer la navette.

La journée de travail des ouvriers est de onze heures environ ; elle commence à six heures du matin, en été et à sept heures, en hiver. La journée est coupée par deux repas, le déjeuner a lieu de huit à neuf heures du matin, le diner de une à deux heures de l'après-midi. Le travail cesse à huit heures du soir, au moment du souper. Toutefois, les ouvriers qui travaillent chez eux prolongent la durée de la veillée jusqu'à neuf ou dix heures du soir.

Les logements des ouvriers employés au tissage sont situés dans les faubourgs de Nîmes. Dans quelques-uns de ces quartiers, de construction moderne, et dans lesquels les rues sont larges et bien aérées, les maisons semblent avoir été faites pour cet usage. Le logement d'un ouvrier consiste en une chambre bien éclairée, à parois élevées, lorsqu'il travaille sur un métier Jacquard. On trouve souvent deux ou trois métiers dans la même pièce ; ces métiers sont mis en œuvre, soit par un compagnon , soit par un membre de la famille.

Lorsque l'ouvrier est marié, ce local devient insuffisant ; il faut alors augmenter le logement, soit en louant une petite pièce contiguë, soit en faisant construire une sous-pente destinée à recevoir les enfants de 12 à 13 ans. Les logements les plus favorisés sont ceux du rez-de-chaussée, par la raison que, dans nos faubourgs, la plupart des maisons possèdent un petit jardin dont les produits viennent apporter un petit supplément au repas frugal de la famille. Enfin, lorsque les ouvriers les plus habiles et les plus laborieux sont parvenus à amasser quelques économies provenant de leur travail, ils les emploient de préférence à l'acquisition d'une petite pièce de terre, située sur les hauteurs qui environnent au nord et à l'ouest la ville de Nîmes. Ce lieu d'agrément de l'ouvrier est en général complanté en vignes, amandiers ou oliviers ; on y trouve quelquefois une maisonnette composée d'une ou de deux petites pièces, vulgairement appelée Mazet, et qui sert de réunion les dimanches et jours de fête à sa famille et à ses amis. À l'époque des chômages, l'ouvrier consacre sa journée à la culture et à l'entretien de sa petite propriété, dont le prix d'achat varie de 50 à 300 fr, selon son étendue et selon qu'elle se trouve plus ou moins rapprochée de la ville.

Les bienfaits de l'instruction se sont répandus parmi les ouvriers de Nîmes, depuis plusieurs années. On doit attribuer cette amélioration à l'application de la loi du 28 juin 1833, et notamment au développement remarquable donné depuis cette époque au système de l'enseignement gratuit.

Les prescriptions de la loi du 22 mars 1841, sur le travail des enfants dans les manufactures, sont exactement observées dans les établissements industriels. La surveillance de l'administration exerce une salutaire influence sur les chefs d'établissements ; elle fournit une garantie aux familles en protégeant les jeunes ouvriers contre les excès d'une spéculation avide, et pose de justes limites à leurs travaux.

Les classes ouvrières ont compris toute l'importance de cette loi ; elles ont vu, dans la mission d'inspection confiée à des hommes haut placés dans l'estime et la confiance de leurs concitoyens, une preuve de sollicitude dont elles se sont montrées reconnaissantes. Les ouvriers de Nîmes employés aux travaux de la fabrication du tissage, sont beaucoup moins bien vêtus que ceux de Paris et de Lyon. Le luxe du costume ne s'est point encore introduit parmi eux ; ils portent, selon la saison, une veste et un pantalon de drap dont la forme est invariable. L'ouvrier nîmois est en généralement intelligent, laborieux et sobre ; le vice de l'ivrognerie est complètement inconnu au sein de cette population laborieuse, et lorsque le hasard vient lui en révéler quelque cas isolé, on la voit manifester naïvement la surprise et le dégoût qu'il lui inspire.

Nos ouvriers, comme ceux des grandes villes manufacturières, manquent souvent de prévoyance et sont peu portés à l'économie. Mais si dans les jours de prospérité ils se relâchent parfois de leurs habitudes de frugalité imposées par la modicité de leurs salaires, ils y reviennent sans peine et se contentent d'un modeste ordinaire dans lequel les légumes secs et, dans la saison, les légumes frais, les fruits, la salade notamment et les salaisons, forment la principale base. La viande de mouton et de chevreau parait quelquefois sur leur table, mais une ou deux fois au plus par semaine. L'abondance du vin dans nos contrées n'est point pour l'ouvrier nîmois, comme je l'ai déjà dit , un prétexte d’intempérance, il en fait usage dans ses repas, mais jamais avec excès.

Les ouvriers occupés au tissage se marient jeunes ; l'homme de 22 à 25 ans, la femme de 16 à 21 ans. Cette union fournit au jeune ménage un moyen d'association où chacun apporte sa part de travail et d'utilité, selon que l'ouvrier est occupé au tissage de la soie ou de la laine.

L'établissement d'écoles dirigées par des congrégations religieuses catholiques et par les soins du consistoire protestant, a fait pénétrer l'enseignement primaire dans le sein de notre population. L'éducation des filles s'est déjà ressentie de cette heureuse et féconde institution. Les femmes qui ont atteint aujourd'hui l'âge de 18 à 25 ans, savent lire, écrire, et ont reçu, dans chacune de leur communion, une instruction religieuse suffisante. Les enfants des deux sexes qui fréquentent actuellement les écoles reçoivent tous de bonne heure l'instruction primaire élémentaire, et sortent ordinairement de ces écoles à l'âge de 12 ans, après leur première communion. Quelques enfants appartenant aux ouvriers les plus nécessiteux abandonnent les écoles de 9 à 12 ans pour seconder leurs parents dans leurs travaux d'atelier. D'autres, appartenant à des familles plus aisées, prolongent leur séjour dans les écoles et n'en sortent qu'à 14 ou 15 ans avec des notions élémentaires de géographie, d'histoire, de dessin linéaire et de géométrie.

Le salaire des ouvriers employés au tissage est établi selon l'importance des articles de fabrication auxquels ils sont employés. Les recherches de la commission de statistique cantonale de Nîmes ont eu pour résultat de constater la situation des salaires dans les premiers mois de l'année 1853. Je crois utile de donner dans le tableau suivant le prix de la journée de travail de ces ouvriers, comparé avec celui porté dans l'ouvrage : Statistique du Gard , publié en 1843.
.
Nature de l'industrie
Moyenne du Salaire Journalier
des ouvriers employés au tissage en francs

 .

 .

Châles riches

Châles ordinaires

Tissage soie, robes, foulards...

Bonneterie

Lacets, Cordons, ...

Passementerie

Cardage des frisons

Tapis

Impression sur étoffe

Filature de soie

Année 1843

Année 1853

Hommes

Femmes

Enfants

2,5

"

2

2

2

1,50

0,75 (1)

3

2

2

"

"

1

1

1

"

"

1

1

1,50

0,5

"

0,60

0,75

"

"

"

0,60

0,45

"

Hommes

Femmes

Enfants

2

1,25

1

1

2,75

1,25

1,50

2,25

2,50

2,50

1,5

1

1

0,75

1

1

.

1

1

1,25

0,50

0,50

0,50

"

"

0,50

0,50

0,50

0,50

0,75

(1) En 1843, cette industrie n'existait que dans la Maison Centrale de détention de Nîmes.

La différence des prix de journées portée sur ce tableau comprenant une période de dix années, est plus sensible pour quelques industries que pour d'autres. Ainsi, le salaire des ouvriers employés à la fabrication des étoffes de soie, foulards, etc., a subi une diminution de moitié par suite de la gène et de la stagnation de notre industrie locale. Cette observation s'applique aussi aux ouvriers bonnetiers, mais la cause doit en être attribuée à l'émigration des ouvriers de cette industrie et à la concurrence des localités voisines, qu'aux circonstances qui ont déterminé le dépérissement, de cette branche de fabrication, comme je me suis attaché à le démontrer, dans le courant de cette notice. Le salaire des ouvriers cardeurs de frisons, imprimeurs sur étoffes, filateurs de soie, s'est amélioré. Si celui des ouvriers occupés à la fabrication des Tapis présente une diminution peu considérable au fonds, il faut en attribuer la cause au développement de cette industrie qui a attiré à elle un grand nombre d'ouvriers tisseurs non occupés ; c'est ce qui explique suffisamment l'abaissement du prix de main-d’œuvre de cet article.


La durée du chômage qui frappe particulièrement quelques-unes de ces industries est en général de deux ou trois mois. Ce chômage a lieu à diverses époques de l'année, il est subordonné au plus ou moins d'activité de la fabrique et aux demandes de l'étranger.

La ville de Nîmes se ressent encore des événements qui ont si profondément ému le commerce et arrêté le mouvement industriel. Il est à désirer que cet état de souffrance ne se prolonge pas plus longtemps dans l'intérêt des ouvriers et de la prospérité de notre industrie. Si, en traçant le tableau sommaire de la situation de l'industrie du tissage à Nîmes, j'ai cru utile de faire connaître les causes qui ont arrêté momentanément l'essor de la fabrique, je n'ai pas négligé de parler des espérances d'un retour de prospérité; espérances établies sur le développement de quelques-uns de nos produits qui, appropriés merveilleusement au génie industriel de nos fabricants, peuvent devenir pour notre cité une source féconde de prospérité.

Pour que la ville de Nîmes soit à présent une des plus florissantes cités industrielles de la France, que lui a-t-il manqué ? Le génie de la fabrication, les bras, les capitaux. Non ! - Elle possède ces éléments de prospérité, et elle sait en tirer un parti avantageux dans les temps de calme et de stabilité. C'est vers cette situation que tendent tous ses vœux. L'examen de cette question n'entre point dans les limites de cet aperçu statistique, je me borne donc en terminant, à indiquer seulement la voie dans laquelle il faut marcher avec résolution pour assurer l'amélioration matérielle du sort de nos ouvriers et la prospérité de notre industrie.


-oOo-

L'industrie de la soie dans la région.
> Origine de l'Industrie de la Soie à Nîmes et dans le monde, par Vincens St-Laurent, 1809
>  Les maladies des vers à soie sous l'ancien régime
> La station séricicole de Montpellier en 1874
> La maladie des vers à soie 1853-1875, achats de graines lointaines
> Les moyens de lutte
> Est-il possible de reconnaître les graines et les vers malades
> La mission de Louis Pasteur
> Qu'est ce que le moulinage - extrait de "Au fil de l'écomusée" de Chirols

L'industrie textile à Nîmes
> Grizot introduit, à Nîmes, le métier à tisser en 1680
> Histoire de l'industrie textile de la ville de Nîmes par Hector Rivoire, 1853
> Passé et Présent de la classe ouvrière à Nîmes, étude de Félix De La Farelle, 1863
 

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