CHARLES-EMMANUEL DE CRUSSOL
(1707-1762)
Premier Duc et Pair de France - Huitième Duc d'Uzès
extrait de l'histoire des Duc d'Uzès, par Lionel d'Albiousse, 1887.


Charles-Emmanuel de Crussol était un fort joli homme, bien fait, d'une physionomie agréable et spirituelle ; malheureusement une terrible blessure qu'il reçut à la guerre le rendit bossu et les traditions locales lui ont laissé ce nom.
Il naquit à Paris le 11 janvier 1707 et fui baptisé dans la chapelle de l'hôtel d'Uzès, rue Montmartre, par la permission de S. E. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris (1).

(1) Archives ducales, Layette, page 7.

Son parrain fut messire de Bullion, chevalier marquis de Gallardon, seigneur d'Esclimont, Bonnelles, Monlouet et autres lieux, gouverneur, lieutenant-général pour le roi des provinces du Maine, Perche et comté de Cassal, conseiller du roi en tous ses conseils, prévôt de la ville et vicomté de Paris.
Sa marraine, Melle Éléonore Le Teltier de Barbezieux, fille du marquis de Barbezieux, secrétaire d'État, chancelier des ordres de Sa Majesté.
Charles-Emmanuel, très intelligent du reste, reçut une brillante éducation. Poète, il chanta sa bosse et devint plus tard philosophe et ami de Voltaire, comme la plupart des grands seigneurs de cette époque.
Tout Jeune encore il fut nommé, par la duchesse de Berry, capitaine de ses gardes, en remplacement du marquis de La Rochefoucauld (1), et ayant été pourvu en survivance des gouvernements de son père, il prêta serment de fidélité au roi le 29 septembre 1720. On eût hâte de le marier, et, le 4 janvier 1725, il épousa Émilie de La Rochetoucauld, fille de François duc de La Rochefoucauld, pair de France, chevalier des ordres du roi, grand-maitre de sa garde-robe, et de la duchesse née Charlotte Le Tellier de Louvois.
A l'occasion de ce mariage, le duc d'Uzès se démit de son titre de pair de France en faveur de son fils qui prit dès lors le titre de duc de Crussol, après avoir prêté serment de fidélité au roi devant le parlement en sa qualité de pair de France.

(1) Journal de la Régence, tome I, page 385.

Le contrat de mariage avait été signé le 3 janvier 1725 au château de Versailles, en présence et de l'agrément du roi, de Mme Marie-Anne Victoire infante d'Espagne, de la princesse Françoise de Bourbon veuve du prince Philippe duc d'Orléans petit-fils de France, du prince Louis d'Orléans, duc d'Orléans, de Valois, de Chartres et de Nemours premier prince du sang, de la princesse Auguste de Baden duchesse d'Orléans son épouse, de la princesse Françoise de Bourbon veuve du prince Louis de Bourbon prince de Condé, prince du sang, pair et grand maître de France, gouverneur de Bourgogne, de Charles de Bourbon comte de Charolais prince du sang, du prince Louis de Bourbon comte de Clermont prince du sang, de la princesse Anne de Bourbon veuve du prince de Bourbon-Conty prince du sang, de la princesse Thérèse de Bourbon princesse de sang veuve du prince Louis de Bourbon prince de Conty prince du sang, du prince Armand de Bourbon prince de Conty prince du sang et de la princesse née Élisabeth de Bourbon, du prince François de Bourbon comte de la Marche prince du sang, de la princesse du sang Melle Anne de Bourbon de Clermont, de la princesse Louise Adélaïde de Bourbon princesse de La Roche-sur-Yon, du prince Auguste de Bourbon duc du Maine prince légitimé de France, de Louis Alexandre de Bourbon comte de Toulouse prince légitimé de France et de la princesse née Sophie de Noailles ;
Et encor en la présence, de la part du futur, époux, d'Emmanuel de Crussol, marquis de Florensac son frère, de François de Crussol comte d'Uzès, lieutenant général des armées du roi, gouverneur des îles d'Oléron oncle, du marquis de Montausier, du comte de Salles, du chevalier de Pisani enfants du comte d'Uzès cousins germains, de Julie de Crussol d'Uzès épouse de Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin marquis d'Antin cousin germain de Pierre de Pardaillan de Gondrin d'Antin évêque et duc de Langres pair de France cousin germain du duc et de la duchesse d'Epernon, de la révérende dame Suzanne de Crussol d'Uzès ancienne abbesse d'Hyères grand'tante, de la marquise de Grussol, de Jacques de Bullion marquis de Fervacques chevalier des ordres du roi oncle maternel et de la marquise née de Bellefond, de Léon de Bullion, marquis de Bonnelles mestre de camp de dragons oncle, de Jérome de Bullion comte d'Eclimont prévot de Paris oncle, de Frédéric de la Trémoïlle prince de Talmont et de la princesse née de Bullion tante, du comte de Taillebourg leur fils cousin germain, de la duchesse douairière de Richelieu née Rouillé grand'tante, de la marquise douairière de Sauvergues aussi grand'tante et de la duchesse de la Ferté tante à la mode de Bretagne.
Et de la part de Mlle de La Rochefoucauld future épouse, d'Alexandre de la Rochefoucauld duc de la Rocheguion, comte d'Aubijoux baron de Luguet de Sanneterre de Castelet et autres lieux, mestre de camp de cavalerie, brigadier des armées du roi et grand maître de la garde-robe de Sa Majesté, de Guy de La Rochefoucauld, comte de Duretal ayant brevet de mestre de camp frère, de la duchesse de La Rocheguion née de Bermond du Cailard de Toiras d'Amboise, de Roger de La Rochefoucauld marquis de Liancourt, lieutenant général des armées du roi oncle paternel, de dame Catherine d'Estrées veuve de Michel Letellier marquis de Courtevaux, capitaine des cent suisses du roi, tante maternelle, de Nicolas Letellier de Ribenne marquis de Souvré, lieutenant général pour le roi en Béarn, chevalier des ordres du roi et maître de la garde de Sa Majesté, oncle maternel, et de la marquise née de Parfinquières, de Nicolas de Neufville de Villeroy duc de Villeroy, pair de France, chevalier des ordres du roi oncle maternel et de la duchesse née Letellier ; de François de La Rochefoucauld comte de Roye mestre de camp, de cavalerie, brigadier des armées du roy cousin paternel et de la comtesse née Hugent, de Charles de La Rochefoucauld comte de Blausac, lieutenant général des armées du roi, cousin paternel, de Louis de La Rochefoucauld, lieutenant général des galères cousin paternel, d'Armand de La Rochefoucauld marquis de Roussy, lieutenant général des galères en survivance du marquis de Roye son père, de la douairière Barthélemy de La Rochefoucauld, du comte de Sillery, du marquis de Ribergeau, du marquis de Puisieux, gouverneur d'Epernay, et la marquise née Le Tellier de Souvré, cousins, le marquis de Louvois, lieutenant-général pour le roi en Béarn et Navarre, Louis de Neufville de Villeroy,duc de Retz, pair de France, cousin maternel, et la duchesse née de Montmorency-Luxembourg, de François de Neufville de Villeroy, marquis d'Alincourt, et la marquise née de Boufflers, du duc de Boufflers, pair de France, et de la duchesse née de Villeroy, de François d'Harcourt, duc d'Harcourt, pair de France, et la duchesse née Le Tellier de Louvois, cousine maternelle, du duc d'Aumont, pair de France, cousin paternel, du duc d'Humières, gouverneur du Bourbonnais, et de la duchesse née de Crevant d'Humières, parents paternels, de. Mme Aumont, veuve de Jacques de Beringhem, premier écuyer du roi, cousine paternelle, de François de Neufville, duc de Villeroy, pair et maréchal de France, ci devant gouverneur de Sa Majesté, parent paternel et maternel, de Frédéric de Montmorency, duc de Luxembourg, pair de France, chevalier des ordres du roi, gouverneur de Normandie, parent paternel, et encore en la présence des parents alliés et amis, tant du futur que de la future, savoir : du comte de Saint-Maur et de la comtesse de Saint-Maur sa mère, de la marquise de la Ferté, du maréchal et de la maréchale d'Aligre, de la marquise de Rupelmonde, du duc et de la duchesse de Lévis, du marquis de Mirepoix, du marquis et de la marquise d'Hautefort, du marquis et de la marquise de Pompadour, de la marquise de Courcillon, de la marquise de Briquemault, de la marquise de Rotelin, du marquis de Simiane, de la duchesse de Mantbazon, du maréchal de Tallard, du duc de Tallard, de la duchesse de la Mailleraye, de la duchesse d'Olonne, du marquis et de la marquise de Saint-Vallery, du comte et de la comtesse de Clermont-Tonnerre, de la marquise de Flamarin, de Mlle de Beauvau, du duc et de la duchesse de Lorge, du marquis de Pins, du marquis et de la marquise de Pomponne, du marquis et de la marquise de Torcy, du comte de Croissy leur fils, de la comtesse de Cayeux, de M. Portail, premier président du Parlement, de Mme de Lamoignon, douairière, du président et de la présidente de Lamoignon, du président et de la présidente de Lamoignon de Blancmesnil, de Mme de Maniban, de Mme de Lamoignon de Basville, de Mme de Lamoignon de Courson, du président et de la présidente de Maupeou, de Mme Lepelletier des Forts, du président et de la présidente de Nicolay, du marquis et de la marquise de Nancy, de Mme d'Herbigny, douairière, de M: et de Mme d'Herbigny, de M. de Fourqueux, du prince et de la princesse de Pons, du prince de Lambesc, de Mlle d'Armagnac, du maréchal et de la maréchale de Villars, du marquis de Villars, du maréchal et de la maréchale de Gramont, de la marquise de Gontaut, de la princesse de Bournonville, de l'abbé de Monaco, du duc de Valentinois, du prince d'Isenghen, de la maréchale de Boufflers, du duc de Châtillon, du prince et de la princesse de Tingry, du duc et de la duchesse de Montmorency, du duc de Bouillon, du prince et de la princesse de Bouillon, de la maréchale de Rochefort, de la duchesse de Mortemart, de la duchesse de Lude, du duc et de la duchesse de Sully, du maréchal duc de Roquelaure, du prince et de la princesse de Léon, du duc de la Trémaïlle, du duc et de la duchesse de Villars Brancas, de la marquise de Brancas, du comte de Brancas son fils, du comte du Luc, de la marquise de Chambonas, de la duchesse de Chaulnes, de la duchesse de Lesdiguières, de la duchesse de Lesdiguières-Canoples, de la princesse de Montauban, de la duchesse de Duras, de la duchesse de Lauzun, de la duchesse de Mazarin, du comte et de la comtesse d'Egmont, du maréchal de Broglio, du marquis de Broglio, du chevalier de Broglio, du duc de Caderousse, du marquis et de la marquise de Caderousse, du marquis et de la marquise d'Ancezune, du comte et de la comtesse de Ganache, de la marquise de Nangis, de l'abbé de Béringhen, du marquis et de la marquise de Pezé, du marquis et de la marquise de Vieuxpont, du comte d'Estaing, du marquis et de la marquise d'Estaing, de la marquise de Montlevrier, du comte de Vertus, du chevalier de Gallo, de la marquise du Plessis-Chatillon, de la marquise de Chatillon, du comte de Chatillon, de Mme de Varengeville, du président de Maisons, du président et de la présidente d'Alègre, de Mme de Bagnols, de Mme de Manicamp, du comte et de la comtesse de Pons, de Mme de Vassé, de Mme de Saint-Ponanges, de la marquise de Louvois, du marquis de Villacerf, de Mme de la Chaise, de la marquise de Pelletier, de M. de Vins, de l'abbé de Monclud, de la comtesse de Maré, de M. Le Pelletier, ancien premier président, du président et de la présidente Lepelletier.
(A. ll. Layette. Inventaire, page 82).

La nouvelle de ce mariage ne tarda pas d'arriver à Uzès. Elle fut annoncée à la population par le sieur Malatrte, consul de la ville, accompagné de tambours et de trompettes et suivi d'un grand nombre de personnes, aux cris mille fois répétés de : vive M. le duc d'Uès ! vive M. le duc de Crussol !
Un bûcher fut dressé sur la grande place et le consul Malarte y mit le feu. Pendant ce temps les boites se firent entendre, toutes les maisons particuIières furent illuminées et un repas eut lieu, suivant l'usage, à l'Hôtel de Ville (1).

(1) Lettre de Malarte. Archives ducales, Layette 40.

Le duc de Crussol aurait bien voulu présenter la nouvelle duchesse à Uzès, mais il fut retenu à la cour par le mariage du roi Louis XV qui eut lieu la même année.
A la mort du régent, le duc de Bourbon, par la protection du précepteur de Louis XV, Fleury, évêque de Fréjus, était devenu premier ministre. Son premier acte fut de renvoyer à son père l'infante d'Espagne fiancée à Louis XV, mais qui était trop jeune, et il choisit la princesse Marie Leczinska, fille de Stanislas, prince de de Pasnanie et un instant roi de Pologne. Les épousailles furent célébrées le 4 septembre 1725, dans !a chapelle de Fontainebleau. La reine avait près de sept ans de plus que son époux.
Fier de ce premier succès et désireux de posséder le pouvoir sans partage, le duc de Bourbon osa former le dessein de renverser l'évêque de Fréjus qui avait contribué à son élévation. Mais il succomba dans cette lutte et Fleury devint tout à la fois cardinal et premier ministre. Il avait alors soixante-treize ans. Toute sa politique consista, au-dedans, à remplacer les expédients financiers par une sage économie, et au -dehors, à se maintenir en paix avec tout le monde.
Le duc de Crussol profita de cette tranquillité pour venir à Uzès en 1728, avec sa femme, la duchesse de Crussol et le duc et la duchesse d'Uzès. La ville envoya à leur rencontre, à Pont-Saint-Esprit, une, députation de huit membres, y compris les consuls et le greffier, pour les accompagner à Uzès, qui par suite se trouva en fêtes durant plusieurs jours (1).

(1) Archives municipales, Requête des Délibérations, année 1728.

À quelque temps de là, les projets pacifiques du cardinal de Fleury furent subitement renversés par la mort d'Auguste II, roi de Pologne.
Le beau-père de Louis XV, Stanislas Leczinski, porté autrefois sur le trône par Charles XII, roi de Suède, et renversé par le par Pierre-le-Grand, fut élu de nouveau. Mais l'empereur Charles VI, secondé par la Russie, fit faire une seconde élection en faveur de l'électeur de Saxe, Auguste II, fils du dernier roi. Une guerre éclata pour les intérêts des deux rivaux.
Voulant du moins faire la guerre économiquement, Fleury n'envoya en Pologne que 1,500 hommes et des munitions insuffisantes. Cette poignée de soldats se fit bravement tuer, mais ne put rien faire pour Stanislas.
On fut plus heureux sur le Rhin et en Italie. Le duc de Noailles repoussa les Allemands et le maréchal de Villars soutint dignement en Italie sa vieille et glorieuse réputation. C'est sous lui que combattit le duc de Crussol et qu'il assista notamment à la prise de Tortone comme colonel du régiment de Médoc-infanterie (1).

(1) Archives ducales. Lavette 40.

Le maréchal de villars étant mort, le plus ancien des lieutenants-généraux, le marquis de Coigny, reçut le commandement en chef avec le bâton de maréchal et ne tarda pas à gagner sur les Autrichiens les batailles de Parme et de Plaisance.

C'est à la bataille de Parme, livrée en 1734, que le duc de Crussol étant à la tête de son régiment et au premier rang, genou terre, selon l'usage de l'époque, reçut une affreuse blessure. Une balle lui fracassa la mâchoire et sortit par l'épaule droite. Un de ses domestiques, nommé Robert dit Valliguière, l'emporta sur son dos hors du champ de bataille. Cette blessure le rendit bossu et en outre lui cloua les mâchoires au point qu'on fut obligé d'enlever deux ou trois dents afin de laisser une ouverture pour pouvoir introduire des aliments dans la bouche (1).
Dès qu'il put supporter le voyage, le duc de Crussol fut transporté à Paris (2).

(1) Chronique de la régence et du règne de Louis XV, - journal de Barbiet de 1718 à 1763. - M. Siméon Abauzit
(2) Sa tante la duchesse de La Vallière fut si contente de voir qu'il échappait à cette grave maladie qu'elle fut elle-même à cette occasion, délivrer les prisonniers pour dettes et la reconnaissance lui adressa une peinture naïve qui la représente dans l'exercice de cet acte de bonté. C'est un petit tableau sur velin dédié à la Bienfaisance que l'on conserve au château de Bonnelles. Debout à la porte d'une prison près de son carrosse doré, entourée d'une foule de pauvres, la duchesse de La Vallière poudrée et en grand habit couleur safran, distribue ses aumônes aux malheureux qui la bénissent. Derrière le dessin se lisent ces vers plus touchants par le sentiment qui les a inspirés que par leur mérite poétique :
« De l'aimable vertu qui préside aux bienfaits,
Dans ce tableau veux-tu nous crayonner les traits ?
Prends tes pinceaux, travaille à ta manière,
Chacun en les voyant, nommera La Valiière »
(Voir Wideville page 57).
Sa fille unique en qui s'éteignit le nom de La Vallière avait épousé en 1756, Louis Gaucher duc de Chastillon dont le nom depuis les croisades se trouva à chaque page de l'Histoire de France.

Pendant ce temps, profitant des succès qu'il avait obtenus, Fleury fit des propositions de paix. Elle fut conclue à Vienne, en 1738. Stanislas, en dédommagement du trône de Pologne qu'il avait perdu deux fois, reçut la Lorraine, dont Louis XV hérita à mort.
François, duc de Lorraine, époux de Marie-Thérèse, fille de l'empereur, obtint en échange la Toscane dont la souveraineté restait vacante par la mort du dernier des Médicis. Don Carlos enfin garda le royaume des deux, Siciles et fut la tige d'une troisième branche de la maison de Bourbon. Ainsi, depuis un demi-siècle, le sang royal de France avait gagné deux royaumes sur le vieil empire de Charles-Quint.
Le dernier rejeton de cette illustre maison d'Autriche qui occupait le trône depuis trois cents ans, Charles VI, mourut deux ans après, laissant sa succession à sa fille Marie Thérèse. Aussitôt une foule de prétentions se firent jour : l'Espagne réclama. la Bohème et la Hongrie, le roi de Sardaigne le Milanais, le roi de Prusse la Silésie, enfin le roi de France revendiqua le trône impérial pour l'électeur de Bavière, Charles-Albert, en vertu d'un testament de Ferdinand I, frère de Charles-Quint.
Toutes ces compétitions amenèrent diverses guerres, qui furent terminées plusieurs années après par la paix d'Aix-la-Chapelle, en 1748, laquelle garantit le trône impérial à François I, époux de Marie-Thérèse, prince de cette vieille maison de Lorraine, issue du sang de Charlemagne.
Le duc de Crussol ne put, à son grand regret, prendre part à toutes ces batailles. Sa blessure l'obligeant à se retirer du service militaire, il s'occupa des intérêts généraux du pays. Il fut député des états de la province du Languedoc pour la noblesse, et eut en cette qualité audience du roi, le 16 août 1729 (1).

(1) Dictionnaire de Moreri.

Devenu veuf en 1739, il eut aussi la même année la douleur de perdre son père. Par cette mort, le duc de Crussol devint duc d'Uzès et prêta serment de fidélité au roi, devant le parlement de Paris, le 18 janvier 1740 (1).
Immédiatement après il se rendit a Uzès, et comme il entrait dans cette ville pour la première fois, en qualité de seigneur duc d'Uzès, on envoya à Pont-Saint-Esprit, au bord du Rhône, une députation pour l'attendre. Les corps des métiers s'assemblèrent, choisirent leurs capitaines, prirent les armes et escortèrent dans la ville le duc, à qui on lit une réception aussi magnifique que possible.
Le maire, M. d'Argillers (2), lui offrit cent pistoles au nom de la ville, mais le duc ne voulut pas les accepter, se contentant de la réception qui lui avait été faite (3). On profita du séjour du duc à Uzès pour s'occuper de l'affaire des casernes. Les troupes étaient alors logées à la Grande Bourgade dans les maisons Le Merle et Saint-Eloi. On décida d'établir les casernes où elles sont aujourd'hui, sur l'emplacement de l'ancien cimetière de l'église Saint-Julien. Elles ne furent terminées qu'en 1762 (4). Le duc d'Uzès s'en retourna à Paris, où il eut quelque temps après une affaire d'honneur dont on parla beaucoup.

(1) Archives ducales, Inventaire, page 6.
(2) Le même qui plus tard en 1748 fut nommé par le roi baron de Castille, titre naguère éteint par la mort de Louis de Castille Rohan Guémenée.
(3) Voir Archives municipales, en marge de la délibération du 26 janvier 1740, BB., 20.
(4) Voir Archives municipales, registre des délibérations de 1739 à 1755.

Étant un soir à l'opéra, il avait une boite de bonbons à deux compartiments, un pour les dames, qui contenait des bonbons exquis, et un autre renfermant des dragées amères qu'il s'amusait à offrir à plusieurs seigneurs, notamment au comte de Rantzau, qui se fâcha, ce qui fit rire les autres. Le comte de Rantz au piqué, lui cracha les dragées la figure en ajoutant que s'il n'était pas un homme de qualité, il le traiterait encore autrement. La garde vint, chacun sortit. Le comte se rendit à Versailles et le duc, durant plusieurs jours, le chercha en vain dans tout Paris.
Quelque cher que fut le duc à sa famille, on sentait bien qu'un duel était inévitable. La duchesse d'Uzès, sa mère, femme de caractère, disait aux personnes qui l'entretenaient de cette affaire « Après une insulte publique, un homme du rang de mon fils doit se battre, fut-il assuré de rester sur le carreau. J'aime mieux, malgré toute ma tendresse pour lui, le voir rapporter mort que de te voir vivre déshonoré. » Le duel eut lieu. Le comte et le duc se battirent à l'épée dans Paris, au Luxembourg, derrière le couvent des chartreux.
Le comte de Rantzau, allemand, parent de la reine Marie Leczinska, était un grand garçon très fort; le duc était petit et bossu.
Ils se blessèrent d'abord tous deux légèrement, mais le combat continuant le duc tua raide son adversaire. Cette affaire fit grand bruit. On trouva qu'elle était fort glorieuse pour le duc d'Uzès, pour sa famille et son titre de premier duc et pair de France (1).

(1) Journal de Barbier, tome 2.

Néanmoins, une lettre de cachet fut lancée à cette occasion contre, le duc qui fut exilé à Uzès et son exil dura plusieurs années.
Ce fut une bonne fortune pour notre petite ville que le séjour si prolongé du duc avec toute sa maison. Il y vécut en grand seigneur.
En 1741, Saïd Méhemed Effendi pacha, ambassadeur de la Porte ottomane auprès du roi, se rendant en Orient, passa par Uzès avec une nombreuse suite, digne de la pompe asiatique (1).
Le maire de la ville avait été averti de son passage par M. de Barnage, intendant du Languedoc,
Cet ambassadeur et sa suite voyageaient en deux colonnes : la première, composée de 70 turcs, 80 chevaux et 20 palefreniers français, arriva à Uzès le 12 novembre 1741. La ville les logea à l'hôtel du Lion ; la deuxième, où était l'ambassadeur, se composait de 80 turcs; 18 valets, 30 palefreniers français et 100 chevaux, arriva le 14.
Le duc d'Uzès, qui avait connu à Paris l'ambassadeur, voulut le loger avec son fils, son gendre et quelques officiers attachés à leurs personnes, ainsi que M. de Joinville, gentilhomme ordinaire du roi, chargé de la conduite de l'ambassade. Le reste de la colonne logea â l'hôtel de Lion, à l'exception des interprêtes et de quelques autres officiers qui furent logés en ville.
Dès que l'ambassadeur fut arrivé au château ducal, le maire et les consuls, précédés des valets portant leurs pertuisanes (Hallebarde légère), s'y rendirent. Le maire, harangua son excellence au nom de la ville et lui offrit les présents d'usage, consistant en confitures sèches et autres fruits de la saison. Son excellence les remercia fort gracieusement en français.
M. de Joinville, qui avait annoncé ces messieurs, les reconduisit jusqu'à la porte (2).

(1)1Mérnoires sur l'Histoire de France, par Petitot, tome 70,
(2) Archives municipales d'Uzès, série BB 20. Registre des délibérations, 1739-1747.

Le lendemain ils furent invités à diner au château, où fut donné une magnifique fête en l'honneur de l'ambassadeur Zaïd Effendi. Ce personnage était un homme sur le retour d'un caractère liant, d'une politesse aisée,

Il était fort instruit et renommé par ses réparties spirituelles.
Un jour il causait à Versailles avec la sœur du duc d'Uzès, la duchesse de Vaujours qui, ainsi que je l'ai déjà dit, passait pour la plus belle femme de la cour de Louis XV.
Cette dame se récriait sur la pluralité des femmes permise chez les mahométans.
« Madame, reprit l'ambassadeur, la pluralité n'est permise chez nous que parce que nous ne pouvons trouver qu'en plusieurs femmes les qualités qui se rencontrent ici dans une seule ».
Le duc d'Uzès ne se contenta pas de donner des fêtes dans son château ducal. Pour éviter les chaleurs de l'été il fit construire un château dans la plaine des Fouzes, tout près d'Uzès, non loin de la vieille tour et du moulin appartenant aujourd'hui à Mme Lenthéric née Chambon.
Ce domaine des Fouzes était dans la maison d'Uzès depuis le XIIIe siècle. Bermond Decan, seigneur d'Úzès, un des ancêtres du duc, l'avait acheté en 1225 à son parent, Alzéar, coseigneur d'Uzès et de st-Quentin.
Le château a été démoli, mais au-dessus de la porte du moulin on reconnait encore les traces des armoiries ducales. De très belles fêtes avaient eu lieu dans ce château tout entouré de vertes prairies. Aux repas somptueux succédaient les bals, les concerts, les représentations théâtrales. Quand la belle saison était finie, on recommençait les mêmes plaisirs au château ducal.
Toutes ces fêtes, le long séjour du duc dans Uzès contribuèrent beaucoup à polir les habitants et à leur donner une exquise urbanité.
Le duc d'Uzès était du reste, malgré les ennuis de sa blessure, d'un caractère gai et jovial. Il aimait, pendant le carnaval, à courir les bals particuliers avec ses courtisans et à se mêler à toutes les fêtes locales. Il avait à son service un original de Montpellier, nommé Deloche, que le duc avait nommé par dérision capitaine de ses gardes quoiqu'il n'en eut pas.
C'était un excellent musicien, un peu bouffon et rimailleur, mais très bon diable. Aussi servait-il de plastron aux mille plaisanteries de la part du duc et de ses courtisans. Il les amusait tous et ne cessait de composer des vers dont il faisait toujours hommage à M. le duc. A l'occasion d'une fête donnée sur le boulevard, à Uzès, par le duc de Saint-Megrin, colonel du régiment-Dauphin, en garnison dans cette ville, voici comment fut dépeint ce pauvre Deloche par M. Baragnon aîné (1), qui avait composé un vaudeville de circonstance. M. Rafin des Alluguins faisait voir dans une lanterne magique le portrait des plus illustres personnages annoncés dans le couplet du vaudeville qu'il chantait :

Vous y verrez un vieux poète
Plus desséché qu'un parchemin
Portant figure de squelette
Les cheveux frisés en boudin
Dans le bourbier de l'Hélicon
Il pêcha un opéra bouffon
O la pièce curieuse
La rareté merveilleuse (2), etc.

Le duc aimait aussi beaucoup la chasse. Il dit un jour au bisaïeul de l'auteur qui demeurait au domaine de Fontainebleau (3) près Uzès, qu'il viendrait le surprendre tout en chassant et lui demander à déjeuner. En effet à quelque temps de là il se présenta à l'improviste, mais des ordres avaient été donnés d'avance pour n'être pas surpris et tandis qu'on faisait promener le duc dans le jardin, le valet de ferme était parti à la hâte pour prévenir le maître d'hôtel du duc d'apporter au domaine de Fontainebleau son déjeuner avec toute sa vaisselle.

(1) Bisaïeul de M. L. N. Baragnon, sénateur.
(2) Manuscrit Siméon Abauzit.
(3) Ce domaine appartient à Mme Albin d'Amoreux née d'Albiousse. La porte d'entrée du jardin et les colonnes qui supportent une treille proviennent du château des Fouzes que le duc d'Uzès (François Emmanuel ) fit démolir en 1780.

Un fourgon ne tarda pas d'arriver, apportant tout ce qu'il tallait, et en entrant dans la salle á manger le duc comprit le stratagème « Vous avez voulu nous surprendre, Monsieur le duc, lui dit-on, et c'est vous qui devez être le plus surpris de voir ici votre propre déjeuner. » Et on se mit gaiment à table. Le duc ne se livrait pas seulement au plaisir de la chasse et de la bonne chère, il cultivait la poésie et il chanta sa bosse dans les vers suivants :

I
Depuis longtemps je me suis aperçu
De l'agrément d'être bossu, bossu
Par derrière et bossu par devant
Les épaules en sont plus chaudement
Et l'estomac est à l'abri du vent.
II
Loin que la bosse en soit un embarras
De ce paquet l'on doit faire grand cas
Quand un bossu se tourne de côté
Il règne en lui certaines majestés
Qu'on ne peut voir sans en être enchanté.
III
Si j'avais eu les trésors de Crésus
J'aurais rempli mon palais de bossus
Et l'on verrait près de moi nuit et jour
Tous les bossus s'empresser tour à tour
Rien ne serait plus brillant que ma cour.
IV
Dans mon jardin sur un beau piédestal
J'aurais fait mettre un bossu de métal
Et par mon ordre un de mes substituts
Aurait gravé sur tous ses attributs
Vive la bosse et vivent les bossus !
V
Concluons donc pour aller jusqu'au bout
Qu'avec la bosse on peut passer partout
Qu'un homme soit sot, fantasque et bourru,
Qu'il soit crasseux, mal peigné, mal vêtu
Il est charmant pourvu qu'il soit bossu (1).

(1) Recherches sur Saint-Romain-de-Serf, par l'abbé Garnodier, page 87.

Le duc s'intéressa beaucoup à une découverte qui fut faite en 1747, en creusant pour les fondations d'une maison sur le chemin de Sauve, prés de la fontaine de Nîmes. On trouva en effet un marbre blanc en forme carrée, sur lequel on avait gravé en très beaux caractères des noms de ville se rapportant à l'ancienne géographie du pays ainsi qu'il suit :

ANDVSIA
BRVGETIA
TEDVSIA
VATRVTE
VGERNI
SEXTANT
BRIGINN
VIRINN
VCETIÆ
SEGVSTON

La forme du marbre indique une dédicace faite en l'honneur de quelque divinité particulière par les habitants des divers lieux indiqués. Ces lieux sont rangés de quatre à quatre et la supériorité de caractère donné aux noms VGERNVM et VCETLÆ fait conjecturer l'importance de ces deux villes, aujourd'ui Beaucaire et Uzès. Les noms sont au génitif parce qu'il faut sous-entendre le mot castrum.
Cette même année 1747, le maréchal duc de Richelieu vint à Uzès. Il avait été nommé gouverneur du Languedoc à la place du marquis de la Fare, et avant le se rendre à Nîmes, il voulut faire sa visite au duc d'Uzès qui le reçut cordialement et avec beaucoup de pompe. Les marchands de Nîmes sur l'invitation que leur en fit la ville d'Uzès vinrent au château ducal présenter leurs hommages au nouveau gouverneur. Ils étaient précédés de timbales et de trompettes portant un guidon sur lequel étaient gravées les armoiries du duc d'un côté et celles de la ville de l'autre (1).

(1) Histoire de Nîmes, tome 6, page 560 et 561.

Les deux ducs restèrent plusieurs jours ensemble au milieu des fêtes. Ils avaient du reste l'un et l'autre les mêmes propensions aux plaisirs et à l'irréligion. Ils aimaient à railler le christianisme et a vanter les idées de Voltaire, ne pressentant pas que ces mêmes idées propagées par eux amèneraient la ruine de l'aristocratie.
Le duc d'Uzès était surtout fort engoué de Voltaire, avec lequel il était en correspondance. Voici entre plusieurs autres une lettre que Voltaire lui écrivit en 1754 :

A Potsdam, 4 décembre 1751.
C'est par un heureux hasard, M. le duc, que je reçus il y a quinze jours, votre lettre du 2 octobre, par la voie de Genève. Il y avait longtemps que deux Génevois, qui s'étaient mis en tête d'entrer au service du roi de Prusse, m'envoyaient régulièrement de si gros paquets de vers et de prose qui coûtaient un louis de port et qui ne valaient pas un denier, qu'enfin j'avais pris le parti de faire dire au bureau des postes de Berlin, que je ne prendrais aucun paquet qui me serait adressé de Genève. Je fus averti le 15 novembre, qu'il y en avait un d'arrivé, avec un beau manteau ducal. Ce magnifique symbole d'une dignité peu républicaine me fit douter que ce n'était pas de la marchandise genevoise qu'on m'adressait. J'envoyai retirer le paquet, et j'en fus bien récompensé en lisant les réflexions pleines de profondeur et de justesse que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser. J'y aurais répondu sur-le-champ, mais il y a quinze jours que je suis au lit et je ne peux pas encore vous écrire. Ainsi, vous permettrez que je dicte tout ce que l'estime la plus juste, et le plaisir de trouver en vous un philosophe, peut inspirer à un pauvre malade.
Il paraît, M. le duc, que vous connaissez très bien les hommes et les livres, et les affaires de ce monde. Vous faites l'histoire de la cour quand vous dites que de quarante années on en passe souvent trente-neuf dans des inutilités. Rien n'est plus vrai, et la plupart des hommes meurent sans avoir vécu. Vous vivez beaucoup puisque vous pensez beaucoup ; c'est du moins une consolation pour une âme bien faite. Il y en a peu qui soient capables de se supporter elles-mêmes dans la retraite. Le tourbillon du monde étourdit toujours, et la solitude ennuie quelquefois. Je m'imagine que vous n'êtes pas solitaire à Uzès, que vous y avez quelque compagnie digne de vous, à qui vous pouvez communiquer vos idées. Il faut que les âmes pensantes se frottent l'une contre l'autre pour faire jaillir de la lumière. Ne seriez-vous pas à Uzès à peu près comme le roi de Prusse à Potsdam, soupant avec trois ou quatre philosophes, après avoir expédié les affaires de votre duché ? Cette vie serait assez douce. Il y a apparence que c'est la meilleure, puisque c'est celle qu'a choisie un homme qui pouvait vivre avec tout le fracas de la puissance et tout l'attirail de la vanité. il me semble encore que vos idées philosophiques sont semblables aux siennes. Ce n'est pas une chose ordinaire qu'il y ait des rois et des ducs et pairs philosophes. Pour rendre la ressemblance plus complète, vous m'annoncez quelques poésies ; en vérité, c'est tout comme ici, et je crois que la nature vous avait fait naître pour être duc et pair à Potsdam. Je comptais passer l'hiver à Paris, mais les bontés du roi d'un côté, et mes maladies de l'autre, m'ont retenu, et je me suis partagé entre mon héros et mon apothicaire. Si vous voulez ajouter à la félicité de mon âme et diminuer les souffrances de mon corps, envoyez-moi les ouvrages dont vous me parlez. Je garderai le secret le plus inviolable ; je ne les montrerai au roi que si vous me l'ordonniez, et je vous dirai ce que je croirai la vérité. Ayez la bonté de recommander d'adresser les paquets par Nuremberg et par les charrois de poste, comme on envoie les marchandises ; car les gros paquets de lettres qui viennent par les courriers sont toujours ouverts dans trois ou quatre bureaux de l'empire. Chaque prince se donne ce petit plaisir. Ces Messieurs là, sont fort curieux.
Pardonnez, M. le duc, à un pauvre malade, et recevez les respects, etc. (1).

(1) Œuvres complètes de Voltaire, Baudouin, éditeur, troisième édition. Correspondance générale, tome III, pages 529 à 531.

En 1753 le duc d'Uzès maria son fils ainé avec la fille du duc d'Antin et deux ans après il se démit en sa faveur de sa qualité de pair de France. Le roi Louis XV révoqua à cette occasion l'exil qu'il subissait à Uzès par suite de son duel avec le comte de Rantzau, et lui permit de se rendre à Paris et de reparaître à la cour. Mais il ne profita pas beaucoup de son pardon. Uzès fut jusqu'à sa mort sa principale résidence. C'est la qu'il apprit la naissance de son petit fils en 1757.
Dès que le Ier consul en fut averti, il s'empressa de convoquer le conseil à qui il annonça que la duchesse de Crussol avait donné naissance à un fils ainé le 30 décembre 1756. On décida immédiatement de se rendre en corps au duché avec tous les officiers du conseil de ville pour complimenter M. le duc sur un évènement aussi agréable à la communauté qui assure dans la branche du duc d'Uzès actuellement régnante le duché-pairie (1).
On s'y rendit en effet, et en signe de joie on fit tirer un feu d'artifice sur la place publique où un amphithéâtre avait été dressé. II y eut aussi la même année de grandes réjouissances à l'occasion du mariage de la fille du duc avec le duc de Rohan-Chabot prince de Léon.
Vers cette époque, le duc était sorti victorieux de presque tous les procès qui lui avaient été suscités á l'occasion de l'échange qui eut lieu en 1721 entre le duc d'Uzès son père et le roi de France. Il possédait de très nombreux fiefs. Il voulut en faire le dénombrement et s'en assurer la pleine possession.
Son sénéchal ducal Joachim Lechantre seigneur de Pougnadoresse rendit une ordonnance portant que tous les vassaux féodataires possédant fief ou justice dépendants du duché d'Uzès soit de l'ancien patrimoine du duché pairie soit de celui de l'échange de 1721 viendront prêter serment de fidélité en personne à Mgr le duc d'Uzès en son château, ducal ou à l'officier, dument fondé dans l'auditoire du siège (2).

(1) Archives municipales, Série BD. 22, -- registre de délibérations 1755-1763.
(2) Archives ducales. Layette 34.

Le serment différait suivant que la terre était noble ou roturière. Ainsi pour les terres non nobles le serment était prêté tête nue à genoux les mains jointes entre celles du duc qui était assis.
Si au contraire la terre était noble, le serment était prêté debout, tête nue, et l'épée au côté (1).
Une difficulté fut soulevée à l'occasion du serment que devait prêter le baron de Castille pour son domaine d'Argillers. Ce domaine comprenait des terres nobles achetées en 1671 à Jean de Lacroix seigneur de Merargue et des terres roturières achetées en 1778 au chapitre d'Uzès.
Par lettres patentes du mois d'avril 1748, ce domaine avait été, érigé en baronnie mais sans aucun changement en la mouvance féodale. Comme baron, M. de Castille devait, hommage au roi, mais comme propriétaire du domaine d'Argillers fallait-il qu'il prêtât au duc les deux serments ou un seul ? On décida qu'il n'en prêterait qu'un. Il se rendit en effet au château ducal et la tête nue, l'épée au côté il rendit foi et hommage à M. le Duc et il reçut de lui de baiser de paix à la joue selon le cérémonial de cette époque (2).

(1) Archives ducales. Layette 34,
(2) Archives ducales. Layette 34,

Le duc était surtout retenu à Uzès par l'amour que lui avait inspiré une jeune fille extrêmement jolie, Melle de Gueydan. Elle demeurait avec sa famille dans la rue Massargue. Cette rue n'était alors qu'un cul-de-sac aboutissant aux anciens remparts.
Le duc, pour arriver plus facilement chez cette famille en voiture fit ouvrir le rempart et construire une porte. Mais dans la crainte d'une opposition de l'évêque en sa qualité de coseigneur, il fit tailler les pierres á l'avance et achever tout le travail dans une seule nuit.
Cette porte, qui fut maintenue, s'appela la porte ducale.
Cependant, le duc, de plus en plus épris de la jeune personne, finit par l'épouser et se rendit à Paris. Quelques mois après, ayant appris la grossesse de Mme la duchesse, la municipalité écrivit à M, le duc qu'elle désirait présenter sur les fonts baptismaux le jeune enfant qui devait naître. La proposition fut agréée.
Voici la réponse du duc :

Paris, le 10 avril 1760.
J'ai reçu avec un plaisir infini, Messieurs, la délibération que votre corps de ville a pris pour présenter sur les fonts de baptême l'enfant dont doit accoucher Mme d'Uzès, mon épouse. Je ne puis assez louer le zèle qui vous anime et vous témoigner ma joie de même que ma reconnaissance sur cette nouvelle preuve de votre attachement dans cette occasion dont je suis extrêmement flatté.
Je ne désire rien tant que d'en trouver de vous donner des preuves en général et à chacun de vous en particulier, des sentiments avec lesquels je suis, Messieurs, votre affectionné serviteur,
Le Duc d'Uzès (1).

(1) Archives municipales, série AA, 4, layette.

L'enfant qui naquit bientôt après fut une fille. Elle fut baptisée le 2 mai 1760. La ville emprunta une somme de 500 livres pour subvenir aux premiers frais du baptême. Elle fut répartie de la manière suivante :
A M. le curé 24 livres
A M. Roux, vicaire 12
A M. Laval, vicaire 12
AU clerc 3
A la nourrice 36
A la gouvernante 24
A la garde 18
A la sage-femme 18
A la première femme de chambre 18 livres
A la deuxième femme de chambre 12
Au maître d'hôtel 12
Au suisse 12
Au valet de chambre 12
Au cuisinier 12
A trois laquais 18
A trois domestiques 18
Pour le mouchoir 4 l. 10 s. 6 d.
Pour les cocardes 13 liv. 2 sols.
A la Symphonie 36 livres
Aux six valets de ville 86
Aux pauvres 24
Pour diverses réjouissances 100

L'enfant ne vécut pas longtemps, car le duc écrivait au mois d'août suivant aux consuls :

Paris, le 19 août 1760.
Je suis sensible, Messieurs, au-delà de toute expression, à la part que vous me témoignez au sujet de la perte que je viens de faire. Ne doutez point de ma reconnaissance, non plus que de l'estime avec laquelle je suis véritablement votre affectionné serviteur.
Le duc d'Uzès (1).

(1) Archives municipales, série AA, 4, layette C.
Aucun autre enfant ne survint et ce mariage n'eut pas d'autre suite. Du reste, le duc mourut deux ans après, en 1762.

Il laissa de son mariage avec Mlle de La Rochefoucauld :
1° François-Emmanuel (1728-1802) qui deviendra le neuvième duc d'Uzès.
2° Charles-Emmanuel de Crussol, né le 29 décembre 1730, admis chanoine à la cathédrale de Strasbourg au mois de septembre 1742 et mort à Paris le 16 mai 1743, âgé de treize ans;
3° Émilie de Crussol, née le 16 octobre 1732, mariée le 23 mai 1755 au prince Dominique de Rohan-Chabot, duc de Rohan, pair de France, prince de Léon, président né de la noblesse de Bretagne, fils du prince Alain de Rohan, duc de Rohan, prince de Léon et de la princesse née de Roquelaure (1).

(1) Archives ducales, layette, 7.

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Biographie des 9 ducs d'Uzès, sous l'ancien régime
>
Antoine de Crussol, premier Duc d’Uzès (1528-1573)
Madame de Clermont Tonnerre, épouse d'Antoine de Crussol - Premiere Duchesse d’Uzès
> Jacques de Crussol, deuxième Duc d'uzès (1540-1584)
> Emmanuel Ier de Crussol, troisième Duc d’Uzès (1570-1657)
> François Ier de Crussol, quatrième Duc d’Uzès (1604-1680)
> Emmanuel II de Crussol, cinquième Duc d’Uzès (1642-1692)
> Louis de Crussol, sixième Duc d'Uzès (1673-1693)
> Jean-Charles de Crussol, septième Duc d'Uzès (1675-1739)
> Charles-Emmanuel de Crussol, huitième duc d'Uzès   (1707-1762)
>
Les Aventures du Duc d’Uzès « dit le Bossu »
> François-Emmanuel de Crussol, neuvième Duc d’Uzès (1728-1802)
> Biographie parlementaire des Ducs d’Uzès
Le duché d'uzès
> Le château et les Ducs d'Uzès
> L’origine du Duché-Pairie d’Uzès
> De Crussol, Duc d’Uzès sur internet
> Biographie de la Duchesse d’Uzès sur internet (1847-1933)

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