JACQUES DE CRUSSOL
 (1540-1586)

dit Baron d'Acier - Duc et Pair de France - Deuxième Duc d'Uzès.
extrait de l'histoire des Duc d'Uzès, par Lionel d'Albiousse, 1887.




Jacques de Crussol était le troisième fils de Charles de Crussol et de Jeanne de Genouilhac.
Comme ses deux frères aînés Antoine et Jean, il naquit à Uzès et fut baptisé à l'église ou Cathédrale de cette ville le 14 juillet 1540, 24 Jours après sa naissance.
Avant de devenir duc d'Uzès par la mort de ses deux frères, il fut connu sous le, nom de baron d'Acier, seigneurie qu'il possédait du chef de sa mère (1).

(1) Le beau château d'Acier malheureusement détruit aujourd'hui avait été construit par Galiot de Genouilhac, grand maître de L'artillerie de France.

Il avait embrassé la religion calviniste en même temps que son second frère Jean de Beaudiné qui lui céda toujours la première place à cause de sa fougue et de son impétuosité. Aussi il devint un des principaux chefs du parti protestant et se fit un grand renom. Envoyé par le prince de Condé à Montpellier, il y fut reconnu comme chef et se signala par la prise de Marseillan et de Béziers, ayant sous ses ordres les barons de Faugères et de Montpeyroux, les sieurs de Colombier, de Gasparet et d'Olivier. Puis il s'empara de tout le littoral jusqu'à Narbonne, mais bientôt défait par Joyeuse, il dut en toute hâte se retirer à Montpellier (1). Là il fit raser les faubourgs, abattre tous les arbres à portée du canon et prit toutes les précautions nécessaires à une longue défense. Joyeuse qui entretenait des intelligences dans la ville crut n'avoir qu'à s'approcher pour y pénétrer, mais son espoir fut bien vite déçu. Le baron d'Acier, aidé de son frère Jean de Beaudiné, manœuvra si habilement, qu'après avoir mis Montpellier à l'abri de toute attaque, il tint Joyeuse comme enfermé dans son camp de Lattes (2).

(1) Voir Haag, dans la France protestante.
(2) Grand dictionnaire du XIVe siècle, par Larousse, tome I, page 605.

Le baron d'Acier fit ensuite assiéger Agde et Aigues-Mortes, puis il se rendit par Nîmes dans le Vivarais, s'empara du Pousin et se rabattit sur le Bourg Saint-Andéol, où des actes de trahison avaient été commis. Entré en vainqueur dans cette ville, avec le concours de son frère Beaudiné, il fit passer une partie de la garnison au fil de l'épée, l'autre périt en partie dans le Rhône. Puis, nommé lieutenant général et gouverneur de Nîmes, il y fit son entrée solennelle le 23 décembre 1563. Mais ce fut quelques années après l'édit d'Amboise qu'il joua un rôle réellement très important. On sait que l'édit d'Amboise produisit une paix de quatre années. Toutefois la cour malgré sort habileté, n'avait pu éteindre les haines qui existaient entre les maisons de Guise et de Coligny et celles encore plus vives entre les calvinistes et les catholiques. Ceux-ci regardaient comme un attentat à des droits sacrés, le moindre privilège accordé aux calvinistes, et ces derniers revendiquaient pour leur religion les mêmes prérogatives dont jouissait la religion catholique.

De tous côtés on se préparait au combat. Les uns et les autres avaient cherché un appui dans la force des confédérations. Les catholiques utilisaient leur ancienne association connue sous le nom de confréries, et les calvinistes forcés encore à plus de précautions, à raison de leur petit nombre, n'avaient jamais cessé, même pendant la paix, d'avoir des signes d'intelligence, des mots de ralliement.

La guerre était inévitable. Les protestants voulurent pour mieux réussir, être les premiers agresseurs. Leurs chefs réunis tantôt à Valori, chez le prince de Condé, tantôt à Châtillon, chez l'amiral Coligny, finirent par adopter le plan suivant : insurger en masse les protestants, investir le château de Monceau, situé dans la Brie, sans moyen de défense, et où la reine ne songeait au milieu des fêtes qu'à amuser les loisirs du roi, s'emparer de ce dernier, de ses frères, de sa mère, afin de gouverner sous le nom de Charles IX. L'attaque générale fut fixée à la Saint-Michel 29 septembre 1567.

Deux jours avant, un des conjurés, Jacques de Crussol, baron d'Acier, arrive en poste en Languedoc en qualité de commandant pour le roi des provinces du Languedoc, de la Provence et du Dauphiné en l'absence de M. le prince de Condé, protecteur de l'État de Sa Majesté, et il ordonne à tous ses partisans de prendre les armes (1). Il se rend d'abord à Uzès et dès son arrivée les catholiques de cette ville sont chassés de tous les postes qu'ils occupaient. On met garnison aux deux forts de Saint-Nerréol (2) et de Saint-Firmin (3). Ou envoie aussi des troupes à la Bastide d'Engras, au Pont de Saint-Nicolas (4), et on adopte le château de Saint-Privat comme lieu de retraite pour les réformés.

(1) Histoire de Nîmes, tome V, page IX.
(2) Le fort de Saint Ferréo! a remplacé une église dédiée à saint-Pierre et à Saint-Paul.
(3) Le Port de Saint-Firmin situé prés Uzès, avait été construit à la place d'une ancienne basilique consacrée à Saint Firmin, quatrième évêque d'Uzès, le 538 à 553. Cette basilique contenait vraisemblablement le tombeau des évêques d'Uzès et celui de la princesse Dhuoda, fille de Charlemagne, mariée au duc Bernard de Septimanie qui la relégua à Uzès où elle mourût en 843.
Autour de cette basilique s'était formé peu à peu un village dont les armoiries étaient : de sable, à un pal losangé d'argent et de sable.
Le village a été complètement détruit durant les guerres religieuses, mais sur l'emplacement de l'ancienne basilique on a construit une charmante villa, la Périne, qui appartient aujourd'hui à M. et Mme Albin d'Amoreux-d'Albiousse.
(4) Ancien Couvent ruiné, commune de Sainte-Anastasie. C’est sous les murs de ce couvent, en grande partie conservé comme bâtiment d'exploitation rurale, qu'aboutit le beau pont du XIIIe siècle jeté sur le Gardon, restauré dernièrement sous la direction de M. l'Ingénieur des Ponts et chaussées Thouvenot, et connu sous le nom de Pont Saint-Nicolas.
Le prieuré de Saint-Nicolas portait : d'azur à un Saint-Nicolas crossé et mitré, portant une aumônière à trois bourses sur un pont à trois arches, aussi d'or, maçonné de sable, et en pointe une rivière d'argent.

D'un autre côté, le conseil de défense d'Uzès vote la démolition de l'église cathédrale et du cloître des chanoines y attenant, afin d'employer les matériaux à la réparation et à l'augmentation des fortifications de la ville. On décide de conserver le clocher (1) dit la Tour fenestrale, soit à cause de son ancienneté, de sa beauté, soit à cause de son utilité comme tour d'observation pouvant servir à y placer des guets et y faire des signaux.

(1) Ce clocher du style roman date du XIIe siècle. Sa hauteur est de 40 mètres de la base à son sommet. II se compose de six étages de Forme circulaire, établis sur un soubassement carré. C'est bien une des plus élégantes tours au XIIe siècle. Elle offre une certaine ressemblance avec la Tour de Pise.
Le 1er janvier 1855, cet élégant clocher a été classé parmi les monuments historiques.

Pendant que ces choses se passaient à Uzès, un effroyable massacre avait lieu à Nîmes. Il est connu dans l'histoire sous le nom de la Michelade, parce que le complot fut fait le jour de la Saint Michel et exécuté le lendemain. Les principaux catholiques furent pris et jetés dans un puits situé dans la cour de l'évêché.

Le conseil des calvinistes qui avait ordonné ces massacres vota aussi la démolition de la cathédrale, de l'évêché, des maisons du chapitre, des monastères et des églises. On voulut même commencer les démolitions par le grand clocher de la cathédrale, monument du XIe siècle d'une masse énorme, classé aujourd'hui ainsi que la façade, parmi les monuments historiques. On eut l'idée de le saper par la base ; on avait déjà écorné la première rangée de pierres, mais on s'arrêta dans la crainte d'écraser par la chute de cet édifice toutes les maisons voisines, dont la plupart appartenaient aux calvinistes. Le reste de la cathédrale fut abattu, mais la façade où tient le clocher subsiste encore.

Le Palais épiscopal fut détruit jusque dans ses fondements, ainsi que toutes les maisons des chanoines et des moindres employés de la cathédrale. Cependant, les religionnaires maîtres de la ville avaient besoin du château pour assurer leur tranquillité. Le baron d'Acier, aidé de ses frères Galiot et Beaudiné, et de toutes les troupes qu'il put réunir, se rendit â Nîmes le 14 novembre et força le château royal de cette ville à capituler, malgré une vigoureuse résistance. Puis il partit pour Montpellier avec un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes huguenots, et il pressa le siège du fort Saint-Pierre, devant lequel il ouvrit la tranchée. La garnison se défendit avec toute la valeur possible, espérant être secourue par les catholiques du dehors. Ils vinrent en effet conduits par Joyeuse, mais ils furent repoussés après un combat acharné par Jean de Crussol de Beaudiné, colonel de l'infanterie huguenote. La ville de Montpellier se rendit et l'armée assiégeante y entra triomphalement. Les habitants n'eurent rien de plus pressé que de démanteler la forteresse (1) située sur l'emplacement même où se trouve aujourd'hui la belle terrasse appelée le Peyrou, qui fut établie sous l'administration de M. de Massilian, maire de Montpellier (2) bien avant la révolution.

(1) Grand dictionnaire du XIXe siècle, par Larousse, page 605.
(2) Archives de Montpellier.

Le lendemain de la prise du fort, Saint-Pierre on apprit que le comte de Suze, commandant en Provence, s'était emparé du Pont-Saint-Esprit. Le baron d'Acier laissa le commandement de Montpellier au seigneur d'Aubais, parti à la hâte pour le Pont Saint-Esprit et par une manœuvre habile, il obligea le comte de Suze à abandonner cette ville.
Puis il se rendit à Uzès pour y recevoir un gentilhomme du Vivarais du nom de Gui l'arbaletier, fort connu dans l'art des fortifications. Sur son rapport, le baron d'Acier ordonna la construction à Uzès d'un grand boulevard en avant des remparts du côté du levant (aujourd'hui promenade des marronniers), et un autre du côté du midi (c'est aujourd'hui la promenade du Pavillon Racine) (1).

(1) Ce petit pavillon est surmonté d'un dôme. Notre grand poète Racine l'a habité. Voilà pourquoi il en porte le nom.
Ce pavillon était autrefois une tour, la seule qui nous reste des anciennes tours de la ville. Elle s'appelait Martine, probablement à cause d'un temple de Mars qui s'élevait à l'époque romaine sur l'emplacement de la cathédrale.
Cette tour était la forteresse du chapitre et communiquait avec son ancien cloître, par un souterrain qui existe encore et qui pourrait facilement s'ouvrir aujourd'hui sous la sacristie de la cathédrale.

On construisit encore de ce côté un ravelin avancé qui dominait le ravin dit l'abîme de Fontanille ou la cheminée de Balte, un autre en avant de la porte dite la Barrière, qui communiquait avec la citadelle de Saint-Ferréol et la tour du roi.

Gui l'arbaletier, fit aussi élever au couchant des bastions reliés entr'eux au moyen de tranchées passant derrière le couvent des Frères mineurs et l'aire publique. Du côté du nord on fit des barricades en avant du mas Bourguet, on répara ce qui s'appelait le Château Neuf, fort situé en avant de la rue Condamine. et de ta tour Banastière, devenu plus tard l'église et le couvent der, Capucins (1). II fut encore établi de ce côté, et à l'aire dite de Saint-Firmin d'autres fortifications qui se rattachaient au château de ce nom. Uzès, comme Nîmes, devenait une place de guerre au pouvoir des Calvinistes. Cependant leur espoir sur la réussite du complot qui tendait à enlever le roi avait été déçu. La cour, avertie du danger qu'elle courait, s'était réfugiée à Meaux (25 septembre), où bientôt arrivèrent 8,000 Suisses qui formèrent pour la famille royale un formidable, rempart.

(1) Cette église et ce couvent furent construits en 1635 par les capucins, grâce aux libéralités des ducs d'Uzès.

Le prince de Condé n'avait osé attaquer la phalange suisse, mais il s'était rapproché de Paris avec son armée, avait occupé Saint-Denis et insulté les faubourgs de la capitale, Le connétable, Anne de Montmorency, en sortit pour le repousser, et les Parisiens purent, des hauteurs de Montmartre, jouir sans danger du spectacle d'une bataille. On en connaît les résultats. Les Calvinistes, inférieurs en nombre, furent battus malgré leur bravoure, mais le chef des catholiques, Anne de Montmorency, reçut une blessure mortelle et l'obscurité de la nuit permit aux vaincus d'opérer leur retraite sans danger.

Pendant que ces événements se passaient, le baron d'Acier (1) (Jacques de Crussol) était à Montpellier, et c'est là qu'il ordonna des réjouissances publiques à l'occasion de la bataille de Saint-Denis qui débarrassait les protestants de leur ennemi, le connétable. C'était le dernier des quatre grands chefs catholiques qui avaient donné le signal de la guerre civile en 1542 : la guerre civile les avait dévorés tous les quatre.

(1) Il se rendait souvent au château de Saint-Privat qui était, à cette époque, extrêmement fortifié, servant de retraite, aux principaux capitaines calvinistes et à tous les ministres qui arrivaient de Genève

Montmorency ne fut pas remplacé dans l'office de connétable ; la reine-mère ne voulut confier à aucun capitaine un si grand pouvoir et fit donner à son fils préféré, le duc d'Anjou, âgé de dix-sept ans, le commandement suprême avec le titre de lieutenant du royaume.

La cour pouvait, après le combat de Saint-Denis, profiter de ses avantages ; la reine préféra la paix, et le prince de Condé, dont l'armée était harassée par de longues marches et qui se trouvait hors d'état de satisfaire un corps d'Allemands qu'il avait à sa solde, se hâta de souscrire aux conditions avantageuses que Catherine accorda à ses négociateurs. La paix fut conclue à Longjumeau le 23 mars 1568 et enregistrée le 27 au Parlement de Paris (1).

(1) On l'appela Boîteuse et Malassise parce que les deux plénipotentiaires de la cour furent le seigneur de Malassis et Armand de Gontaut Biron qui était boiteux.

Le prince de Condé dépêcha d'Entrechaux au baron d'Acier avec une commission de la cour pour lui faire part de la paix et faire poser les armes dans le Bas-Languedoc. D'Acier conduisit d'Entrechaux de Nîmes à Montpellier, faisant assembler le corps de ville partout où ils passaient pour entendre ce député, qui partit ensuite pour continuer sa commission dans le reste du pays (1).

(1) Histoire du Languedoc, tome IX, page 44.

Par cette pacification, plus de trois cents forteresses en Languedoc ou en Dauphiné furent remises au roi. Uzès se soumit, non sans peine, et il fallut l'intervention du baron d'Acier pour la décider à obéir au roi. Le vicomte de Joyeuse, commandant de la province, accompagné d'un corps de troupe, s'y rendit et fit rétablir l'église Saint-Laurent, dans laquelle il entendit la messe.

Peu après, le prince de Condé délivra, le 26 juillet 1588, un aveu en faveur de Jacques de Crussol, baron d'Acier, de toutes ses actions et comportements faits, dans les provinces de Languedoc, Provence et Dauphiné, durant les seconds troubles de 1567 (1).

(1) Archives ducales. Inventaire, page 12.

La paix de Longjumeau ne pouvait être de longue durée. D'un côté les protestants n'exécutaient point ce traité et refusaient, dans beaucoup de villes, de recevoir les troupes royales. La Rochelle, fière de sa position, méconnaissait les ordres du roi et se gouvernait en république. De l'autre côté, la cour, par représailles, cherchait à ruiner le parti calviniste en faisant enlever les principaux chefs. Elle fut mal secondée ; ses agents ne voulurent pas assumer sur eux une pareille responsabilité.

Condé et Coligny, après bien des dangers, purent se réfugier à La Rochelle. Ils y furent rejoints par la reine de Navarre, Jeanne d'Albret, qui y conduisit son jeune fils, âgé de quinze ans (devenu Henri IV), et la guerre recommença. Le roi révoqua toutes les faveurs qu'il avait accordées aux calvinistes. Un édit du 25 septembre 1568 proscrivit en France toute autre religion que la religion catholique, et le démon de la discorde souffla de nouveau ses fureurs sur nos malheureuses provinces ; tels furent les commencements de la troisième guerre civile. Elle fut plus terrible que jamais. Jacques de Crussol, baron d'Acier, y prit une part très active.

Il s'était fait peindre sur sa cornette verte sous la figure d'Hercule exterminant avec sa massue une hydre dont les têtes étaient coiffées de capuchons, de mitres et de chapeaux rouges avec cette inscription : qui casso crudelles, anagramme de son nom (1).

(1) Histoire de France d'Anquetil, page 349.
Histoire de la Maison de Bourbon. tome IV, page 300. - Annales ecclésiastiques et politiques de la ville de Figeac en Querci, p. 272.

Le baron d'Acier était si renommé parmi les protestants, dit le laboureur, et surtout parmi ceux du Languedoc, de la Provence et du Dauphiné, qu'en très peu de temps il put lever une armée de plus de vingt-deux mille hommes de troupe. Les principaux commandants sous ses ordres étaient : Dupuy-Montbrun, de Saint-Roman, de Virieu, de Blacours, de Mirabel, de Chalas, du Dauphiné, Richars, de Mouvans, de Valavoise, de Pasquières, de la Provence, de Beaudiné, frère du baron d'Acier, d'Entraigues, lieutenant de sa Cornette, de Bouillargues, d'Ambre, du Languedoc.

Les Dauphinois et les Provençaux passèrent le Rhône près de Bais. Le baron d'Acier, à la tête des Languedociens, s'empara d'abord d'Annonay, marcha ensuite sur Aubenas et se rendit à Alais, où toutes ses forces se trouvèrent réunies.

Il partit d'Alais le 24 septembre 1568, à la tête de toutes ses troupes pour aller au secours du prince de Condé, du roi de Navarre et de l'amiral de Coligny, chefs des protestants. C'est ce qu'on appela le voyage de Poitou. (1)

(1) Histoire du prince de Condé, par Mgr le duc d'Aumale, tome XI, p. 31.

Ce fut comme un torrent qui roulait des Alpes et du Rhône vers la Charente. Les gouverneurs catholiques du midi, Tende, Sommerive, de Gordes, Montluc lui-même ne purent l'arrêter.
D'Acier ne rencontra d'obstacles sérieux qu'en Périgord. Tandis que le gros des forces catholiques s'assemblait au bord de la Loire, sous les ordres du duc d'Anjou, le duc de Montpensier avait passé ce fleuve et c'était avancé jusqu'à Confolens. Son but était d'empêcher la jonction de d'Acier avec le prince de Condé qui se trouvait en Saintonge.
,
L'indiscipline de Mouvans, ce fameux chef des huguenots provençaux, valut un succès aux catholiques. Mouvans s'étant écarté avec 3 ou 4.000 hommes du gros de l'armée fut surpris, défait et tué par l'armée du duc de Montpensier.

Le frère de Jacques de Crussol, Beaudiné, fut blessé au bras, à la tête de sa troupe d'arquebusiers que l'on appelait les enfants perdus.

Malgré cet échec, le baron d'Acier qui avait encore 16 à 18 000 hommes, parvint à passer la Vienne à Aubeterre d'où il fit apprendre son arrivée au prince de Condé par d'Entraiglues son lieutenant, et dans les derniers jours d'octobre il parvint à réunir à la cavalerie du Prince ses épais bataillons d'arquebusiers dauphinois, provençaux et languedociens. Montpensier, n'eut que le temps de se replier en toute hâte du Périgord sur le haut Poitou où il rejoignit les troupes royales commandées par le duc d'Anjou.

Les deux armées furent en présence vers le milieu de novembre à 5 ou 6 lieues de Poitiers. Chacune d'elles pouvait mettre en ligne de 20 à 25 000 hommes de bonnes troupes. Après quelques escarmouches les catholiques se retirèrent sur Poitiers et les protestants sur Saumur dont ils ne firent pourtant pas le siège. Sur ces entrefaites le duc d'Anjou s'étant avancé vers Loudun, le baron d'Acier s'y jeta aussitôt avec un régiment pour défendre la place; peu après Condé et Coligny s'y rendirent et le duc d'Anjou fut obligé de se retirer (1).
En ce moment la gelée et le verglas faisaient rompre bras et jambes aux soldats qui tentaient d'aller à l'escarmouche. C'était l'hiver le plus rigoureux qu'on eût vu depuis cinquante ans (2). On décida de part et d'autre de mettre les troupes en quartier d'hiver, et les chefs d'armée employèrent le reste de la mauvaise saison à se procurer des vivres et des armes pour la campagne prochaine.

(1) Vie des hommes illustres de la France, tome XIV, pages 241 et 245.
(2) La Popelinière, deuxième partie, page 74.

Dès que le temps le permit, le prince de Condé et le duc d'Anjou se remirent en campagne. Après quelques vires escarmouches la querelle se décida le 13 mars sur les bords de la Charente, auprès de Jarnac, petite ville frontière du Limousin et de l' Angoumois.

Le prince de Condé s'était la veille cassé le bras, en tombant de cheval. Il donnait des ordres le bras en écharpe, lorsque le cheval de son beau-frère, le comte de La Rochefoucauld, en se cabrant lui brisa la jambe. C'est en cet état qu'il ordonna qu'on sonnât la charge et qu'il s'élança au combat.

Sa charge impétueuse renversa d'abord tout ce qu'il rencontra; mais bientôt sa petite troupe fut enveloppée de toutes parts et lui-même renversé sous son cheval expirant fut obligé de se rendre; mais à peine eut-il donné son gantelet à d'Argence qu'il fut tué d'un coup de pistolet, par Montesquiou, capitaine des gardes suisses du duc d'Anjou.

La mort du prince de Condé emmena la déroute des protestants.

Le baron d'Acier ne put arriver assez tôt pour se trouver et combattre à la bataille de Jarnac, mais il se présenta si fièrement avec un corps de 6 000 hommes devant les troupes victorieuses du duc d'Anjou, qu'il les arrêta et donna le temps à l'amiral de Coligny de remettre et rassembler les débris de son armée.

Malgré leur désastre les protestants ne se laissèrent pas aller au découragement. Ils entreprirent bientôt le siège de Poitiers qu'ils furent obligés d'abandonner. C'est à. ce siège que le baron d'Acier reçut deux graves blessures. À peine rétabli il fut nommé colonel général de l'armée française, le 29 mai 1569, par les princes Henri de Navarre et Henri de Condé, en remplacement du célèbre d'Andelot, qui venait de mourir (1).

(1) Archives ducales. Inventaire 10, verso, Vie des hommes illustres de France, tome XIV, page 264.
La cour de Catherine de Médicis, tome 1, page 173.

Le roi nomma de son côté à ce poste, Philippe Strossi; parent de la reine-mère.

Affaibli par les pertes qu'il avait éprouvées devant Poitiers, Coligny mettait tous ses soins à éviter un engagement général, mais il ne fut pas plus maître de ses soldats qu'à l'époque du siège de Poitiers. Il prit les meilleures dispositions pour dissimuler son infériorité numérique en hommes et en canons et le combat s'engagea à Hontcantour, contre toutes les forces commandées par le duc d'Anjou. L'issue de la bataille fut fatale aux protestants. Coligny qui fit le coup de pistolet avec le Rhingrave, chef d'un corps de reîtres catholiques qu'il tua, reçut en même temps une balle qui lui perça la joue. Le baron d'Acier fut fait prisonnier et ne dut la via qu'à la magnanimité du comte de Santafiore, général des troupes papales, qui le délivra des mains de ceux qui allaient le massacrer (2).

(1) Histoire de France, par Henri Martin, tome IX, page 259. Lacretelle, tome II, page 240.

Peu après et le 6 novembre 1569, un accord intervint entre le roi, le comte Santafiore, et le baron d'Acier, au sujet de sa rançon, qui fut fixée à 10.000 écus, que le duc d'Uzès, frère du baron d'Acier, s'obligea de payer en la ville de Lyon (1) ; mais le Pape renvoya le prisonnier sans rançon, pour bien montrer que ce n'était pas pour de l'argent que ses troupes faisaient la guerre, mais pour combattre les hérétiques.

(1) Archives ducales, Inventaire 21.

Rendu à la liberté, le baron d'Acier vint dans notre ville visiter son frère le duc d'Uzès, avec sa femme Françoise de Clermont. Ils y passèrent tout le carnaval, et ce ne fut pendant sa durée que fêtes, banquets, bals et réjouissances au château ducal. Toute la noblesse et les gens distingués des environs, même de Nîmes, tant catholiques que protestants, vinrent les visiter jusqu'à leur départ pour Paris, aux fêtes de Pâques.

L'édit de Saint-Germain permettait au baron d'Acier d'accompagner sans crainte son frère dans la capitale, où il retrouva son ancien chef, l'amiral Coligny. Il semblait que la paix était faite définitivement entre les catholiques et les protestants, et qu'elle était cimentée à jamais, par le mariage du roi de Navarre (depuis Henri IV) avec Marguerite de Valois, sous du roi Charles IX, lorsqu'à quelques jours delà, le 24 août 1572, eurent lieu les massacres de la Saint-Barthélemy (1).

(1) Certains auteurs ont imputé à la religion catholique l'horrible massacre de la Saint-Barthélemy. C'est un mensonge historique devenu presque une vérité à force d'être redit. Le catholicisme n'y fut pour rien. On voit encore dans le martyrologe des calvinistes, que l'Église catholique de France, ouvrit aux huguenots un asile dans ses couvents et ses temples, (Voir le Martyrologe, édition 1582, page 716, folio recto).
Au milieu de ces crises politiques ou religieuses qui tourmentent parfois notre pays, il se présente souvent pour l'honneur de l'humanité, des hommes de cœur dominant la situation par leur attitude énergique. Tel se montra plus tard eu 1815, je le dis avec un légitime orgueil, le père de l'auteur. Dans ces jours de sang et de deuil, tristes représailles des crimes commis dans notre ville pendant les cent jours, Pierre d'Albiousse garda chez lui, à son domaine de Fontainebleau près d'Uzès, Acabat, du mas des Américains, Jérémie Roux, et autres protestants qui, saisis de frayeur, étaient venus lui demander l'hospitalité. En vain les farouches compagnons de Quatre-Taillons qui les poursuivaient, le sommèrent-ils de les renvoyer, rempli d'indignation, il leur résista énergiquement. En vain le menacèrent-ils de mettre le feu à son habitation; « J'ai des armes, leur répondit-il, et je saurai défendre ceux qui sont venus se mettre sous ma protection ». Il les garda plusieurs jours, tant que dura la crise et c'est ainsi qu'il sauva ses hôtes au -péril de sa vie.

Galiot de Crussol y fut tué par des soldats des gardes (1), et avec lui Simon de Jols son écuyer, et David de Merle, frère du fameux Mathieu de Merle, l'un et l'autre Uzétiens. Tous les trois se défendirent vaillamment, mais ils succombèrent sous le nombre, ainsi que Michel du Lac, maître d'hôtel du duc d'Uzès.

(1) Histoire de la maison de Bourbon, tome IV, p. .50.
Les huguenots et les gueux, par le baron de Littenhove, tome XI, p. 591.

Le baron d'Acier ne dut son salut qu'à la protection de sa femme et de sa belle-sœur et à la faveur dont ces dames, surtout la duchesse d'Uzès, jouissaient auprès de Catherine de Médicis, qui avait organisé et ordonné ces massacres.

Pendant ce temps-là Nîmes et Uzès restèrent calmes. Les deux partis prirent de concert des précautions pour maintenir la tranquillité et ils furent approuvés par le vicomte de Joyeuse, qui commandait dans la province. Mais cette bonne harmonie ne fut pas de longue durée.

Les religionnaires d'abord consternés par la Saint-Barthélémy, reprirent bientôt leur assurance et levèrent l'étendard de la révolte. Le roi, le 18 novembre 1572, leur donna l'ordre de désarmer, mais ils méconnurent son autorité et commencèrent sur divers points les hostilités. Ceux du bas Languedoc s'emparèrent de Sommières, ville importante par sa position entre Montpellier et les Cévennes. Ils surprirent Uzès, tuèrent les prêtres et rançonnèrent les habitants catholiques ; ils ne purent toutefois se rendre maîtres du château de Saint-Firmin, qui fut secouru à temps par le maréchal Damville, niais sous la conduite de S. Romain (ancien archevêque d'Aix), qu'ils avaient élu pour chef, ils pillèrent et brûlèrent plusieurs bourgs et villages du diocèse d'Uzès. Tous ces troubles furent enfin apaisés par le traité de La Rochelle, qui fut signé en juillet 1573, après le siège de cette ville.

Le duc Antoine de Crussol qui y avait assisté, ainsi que je l'ai dit, et y avait enduré de grandes fatigues, mourut le 15 août suivant, sans laisser de postérité. Ses biens et son titre de duc et pair de France passèrent à son frère le baron d'Acier, qui se rallia à la cour et peu après abjura la religion calviniste et se fit catholique. Il fut ensuite sur la démission de son beau-père le comte de Clermont, nommé chef d'une compagnie de cinquante lances des ordonnances de sa Majesté par lettres patentes données à Fontainebleau le 18 octobre 1573 (1). Mais la vie de cour malgré ses enchantements et les splendeurs de ses fêtes ne pouvaient suffire au nouveau duc d'Uzès. Pour lui le repos était un supplice et la guerre un besoin.

(1) Archives ducales. Inv. 9 verso.

Aussi fut-il maintes fois employé par la cour durant les discordes religieuses en Languedoc où il exerçait une grande influence par sa réputation, son rang, sa fortune et ses nombreux vassaux.

Après la mort de Charles IX, arrivée au château de Vincennes, le 30 mai 1574, Catherine de Médicis, devenue régente opposa avec succès le duc d'Uzès à Montmorency-Damville, qui s'était déclaré le chef d'un parti rebelle composé de protestants et de catholiques que l'on désignait sous le nom de politiques.

Le 10 juillet 1574, elle le nomma pour commander dans les diocèses de Nîmes, d'Uzès, de Viviers, de Montpellier, d'Agde et de Béziers (1). Ces nominations furent ensuite confirmées par le roi Henri III, par lettres patentes du 26 septembre 1574 (2). Le duc d'Uzès partit pour le Languedoc.

Vers ce temps, François de Montpensier, prince Dauphin d'Auvergne (3), attaquait les places du Vivarais occupées par les religionnaires. Le duc d'Uzès se disposa à en faire autant contre le bas Languedoc. Il était accompagné de sa femme Françoise de Clermont, et c'est à Pont-Saint-Esprit qu'il commença à réunir son corps d'armée. Il se mit en campagne et délogea les troupes de l'union de Saint-Laurent-des-Arbres, de Cavillargues, de Pougnadoresse, de la Bastide-d'Engras, de Saint Laurent-la-Vernède, Fontarèches, etc. Il s'avança jusqu'à Saint-Maximin, dont il fit escalader dans la nuit et occuper le château (propriété aujourd'hui de M. Marcel de la Baume).

Ces entreprises faites presque aux portes de la ville d'Uzès, émurent fort les consuls qui redoublèrent de surveillance. On établit des postes avancés dans les ruines de l'ancien cimetière de l'église de Saint Geniès (4), à la Ladrerie (propriété de Mme Roux du jeu de ballon), à l'Escalette et ailleurs. Le duc d'Uzès ne voulut pas faire le siège d'une ville dont il portait le nom, bien que ses habitants, persistant dans leurs hérésies, se fussent ralliés à Damville.

(1) Histoire générale du Languedoc, tome VX, page 97.
(2) Archives ducales Inv. 12. -- H. Martin. Histoire de France, tome 9, p. 406.
(3) Il était fils ainé de Louis de Baurbon, duc de Montpensier, prince du sang. C`est ce qui lui avait fait donner le surnom de Dauphin d'Auvergnes
(4) Cette église, dont il ne reste plus que le sanctuaire, est située à un kilomètre d'Uzès, sur la route de saint-Ambroix. La tradition veut qu'elle ait été construite au lieu même où fut arrêté Saint-Geniès greffier du tribunal d'Arles, qui, ne voulant pas participer aux condamnations qu'il trouvait injustes avait pris la fuite. On sait qu'il fut décapité an bord du Rhône.

Il se retira avec sa femme à Avignon où il eut plusieurs conférences avec le légat du Pape. Puis il partit de cette ville pour aller au-devant du roi Henri III (1), qui avait quitté furtivement le trône de Pologne pour venir succéder en France à son frère Charles IX.

(1) Histoire générale du Comtat Venaissin, tome 1, page 166.

Le roi venait de Lyon où, il avait passé deux mois, plus occupé de régler l'étiquette de la cour que les opérations militaires, et au lieu de prendre la route de Paris et de Reims pour s'y faire sacrer, il se dirigea sur Avignon au moment où le maréchal de Damville s'emparait de Saint-Gilles et d'Aigues-Mortes.

Sur ces entrefaites le maréchal de Damville convoqua à Montpellier les états de la province. Le roi, en étant .informé, cassa cette convocation et indiqua les états pour le 22 décembre 1574, à Villeneuve-les-Avignon, dans le réfectoire des Chartreux. Le roi y assista en personne et se plaça sur un trône qu'on lui avait préparé sous un dais de drap d'or.

Le duc d'Alençon, son frère, s'assit à sa gauche et ensuite, à quelque distance, les ducs de Guise et d'Aumale, le duc d'Uzès, pair de France, et les autres pairs.

Les cardinaux de Bourbon, d'Armagnac et de Guise se placèrent à droite, et tout autour les autres personnages de la cour. L'assemblée étant formée, le roi dit qu'ayant été informé en Pologne, après la mort du roi Charles IX, son frère, des troubles qui désolaient le royaume en général et le Languedoc en particulier, il n'avait rien oublié pour rétablir la paix, mais que les rebelles ne voulant pas profiter de sa clémence ni lui rendre l'obéissance qui lui est due, il avait fait lever une armée en Languedoc, pour l'entretien de laquelle des ressources étaient nécessaires. L'assemblée lui accorda les secours qu'il demandait (1).

(1) Histoire du Languedoc, tome IX, pages 106 et 107.

Peu après le roi partit pour se faire sacrer. Cette cérémonie eut lieu à Reims le 13 février 1575, et le surlendemain de son sacre il épousait Louise de Lorraine, fille du comte de Vaudemont, qu'il avait remarquée à son passage en Lorraine, lors de son voyage en Pologne.

Après l'assemblée des états tenus à Villeneuve, dont je viens de parler, les hostilités continuèrent entre Damville et le duc d'Uzès. Celui-ci ayant rassemblé ses troupes, parmi lesquelles figurait le capitaine Crillon qui acquit à juste titre le surnom de brave, s'avança vers Saint-Gilles, l'attaqua et le prit le 27 janvier 1575.

Il assiégea ensuite, le 3 février, le château de Vauvert ou Posquiéres au diocèse de Nîmes, qu'il fit battre avec quelques pièces d'artillerie qu'il avait tirées d'Avignon, et qui se rendit quatre jours après (1). Il prit ensuite Quissac, la Rivière, Saint Geniès-de-Malgoirès et le château de Saint-Firmin, prés Uzès. Le duc voulut par là intimider les habitants d'Uzès qui refusaient de reconnaitre l'autorité dont le roi l'avait revêtu (2).

(1) Marquis d'Aubais. Histoire de Nîmes, tome V, page 130.
Pièces justificatives pour servir à l'Histoire de France, tome II, p. 49.
(2) Histoire générale du Languedoc, tome IX, page 110.

Après la surprise du fort de Saint-Firmin il fit occuper la Bastide d'Engras et y mit une garnison sous les ordres du comte de Thessan, et une autre dans le château de Saint-Siffret (1). Enfin il s'avança jusque vers Nîmes dont il ravagea tous les environs, par ordre de la cour, qui croyait que c'était le seul moyen d'amener les confédérés à désirer la paix. Mais ces ravages ne s'étendirent pas au-delà du Gardon, afin de respecter Uzès et le pays d'Usège.

(1) Le château de Saint-Siffret appartient aujourd'hui à la famille de Flaux.

D'un autre côté, les religionnaires soumirent Alais, sous la conduite de Damville, qui peu après tomba malade et se retira à Montpellier. Le duc d'Uzès, à cause de la mauvaise saison, donna quelque relâche à ses troupes et se rendit à Avignon. Dès le mois de mai les deux partis rentrèrent en campagne. Le maréchal de Damville fit assiéger le château de Saint-Firmin, près d'Uzès. Le duc sollicita alors les reîtres qui étaient en Provence de passer en Languedoc pour faire lever le siège ; il envoya en même temps le baron d'Ambre qui battit les assiégeants, leur tua 160 hommes, leur enleva leur artillerie et les obligea à se retirer.

Pendant ce temps, le duc d'Uzès, suivi de 2500 fantassins et de 600 chevaux se retira à Saint-Gilles, où il assit son camp, après avoir de nouveau ravagé tous les environs de Nîmes. Peu après le maréchal forma le siège de Sommières. Le duc d'Uzès envoya des secours à cette ville sous la conduite du baron d'Oraison, de Ventural et de Cambis, qui y arrivèrent le 8 septembre 1575 (1), bientôt suivis des troupes de Saint Gilles, des gendarmes et des Corses, commandés par Ornano. Il y fut lui-même bientôt après a la tête de 1200 arquebusiers et de 1000 chevaux. Il attaqua aussitôt le maréchal de Damville. Celui-ci le repoussa et l'obligea à se retirer vers Calvisson. Mais le lendemain le duc d'Uzès revint à la charge et battit son adversaire qui fut obligé de lever le siège. Le maréchal se retira en toute hâte sur Lunel (2).

(1) Histoire des guerres civiles du Comtat de 1561 à 1580.
(2) Histoire de Nîmes, tome V, page 140.

Ainsi la guerre se faisait avec des succès divers et il est à remarquer que tandis que les armées catholiques étaient commandées par le duc d'Uzès, longtemps chef du parti calviniste, Damville, qui n'avait cessé d'être catholique, poussé par sa haine contre les Guise, était à la tête des calvinistes. Tels sont les résultats des guerres civiles et de la politique.

Sur ces entrefaites on songea à laisser aux laboureurs la liberté des semailles et à les mettre à l'abri des hostilités réciproques. Une trêve générale fut arrêtée à ce sujet entre le duc d'Uzès et le maréchal de Damville, le 13 octobre 1575.

La cour cependant ne perdait pas de vue les voies de pacification. Elle désirait d'autant plus la paix que le duc d'Anjou, fière du roi, s'était joint aux confédérés. Après bien des pourparlers, la paix générale fut conclue le 14 mai 1576. Elle accordait abolition générale pour tout ce qui s'était passé pendant les troubles, rétablissait l'exercice de la religion catholique et permettait celui de la religion protestante dans tout le royaume, excepté à Paris et dans tous les lieux où résiderait la cour. Le duc d'Uzès profita de la paix pour se faire soigner à Avignon, d'une forte fièvre dont il avait été atteint pendant la guerre, puis il se rendit à Paris, après avoir assisté, le 22 janvier 1576, à la procession générale du grand jubilé (1). Cette paix révolta les catholiques.

(1) Ce fait est rapporté dans une lettre adressée par M, Barruel, officier de la suite du duc d'Uzès, à M. de Pouzillac, commandant pour le service du roi à Saint-Bonnet. (Mémoires de l'Académie de Nîmes année 1880, pages 47 et 71)

Les Guise, que Henri IlI détestait à l'égal des protestants, formèrent alors avec une foule de gentilshommes une confédération redoutable qui prit le nom de Sainte Ligue, et dont la première pensée doit être attribuée au cardinal de Lorraine,

Le roi, pour opposer un rempart contre les entreprises des ligueurs, institua un ordre fameux, destiné à remplacer l'ordre de Saint-Michel, tombé dans l'avilissement. Ce fut l'ordre du Saint-Esprit. Le roi en avait emprunté le titre et une partie des statuts à un ordre du même nom érigé au milieu du XIVe siècle par un roi de Naples de la maison d'Anjou et depuis longtemps oublié. Il fut d'autant plus porté à créer cet ordre en l'honneur du Saint-Esprit que le jour de la Pentecôte 1573 il avait été élu roi de Pologne, et qu'à pareil jour, en 1574, il avait succédé à la couronne de France. La cérémonie eut lieu dans l'église des Grands Augustins à Paris, le 1er janvier 1579. Les premiers chevaliers de ce nouvel ordre furent au nombre de vingt-sept. Le duc d'Uzès fut le second sur la liste et avant Philippe Emmanuel de Lorraine duc de duc de Mercœur, frère de la reine Louise, femme de Henri III (1).

(1) Histoire de l'ordre du Saint-Esprit, par M. de Sainte-Foix, tome 1 page 167.

Vers cette époque la duchesse douairière, Louise de Clermont, veuve d'Antoine, premier duc d'Uzès, quitta la cour et vint se fixer à Uzès au château ducal. Elle y reçut la visite de plusieurs grands personnages, notamment du maréchal de Damville, devenu duc de Montmorency depuis la mort de son frère ainé, et qui ayant embrassé le parti de la cour, était chargé de rétablir la paix entre les catholiques et les protestants, en 1579.

L'année suivante, en novembre 1580, Henri de Bourbon, prince de Condé, vint lui présenter ses hommages.

Cette même année, son beau-frère le duc d'Uzès, vint aussi la visiter et prolongea à cause d'elle son séjour dans cette ville, ou il montra une grande affection pour les Uzétiens. On en a la preuve dans plusieurs lettres qu'il écrivit en 1580 au cardinal d'Armagnac à Avignon, pour lui recommander des Uzétiens faits prisonniers à Villeneuve-les-Avignon par les soldats du capitaine Noguier, gouverneur de Saint-André, et qui, grâce à son intervention, furent mis en liberté sans rançon (1).

(1) Archives ducales. Inventaire page 35, verso. Pièces fugitives pour servir à l'Histoire de France, tome II, Mélanges, page 95.

Le séjour prolongé de la duchesse douairière ne contribua pas peu à introduire dans notre petite ville cette urbanité de ton et de manières qui distinguait l'élite de notre population avant la révolution. Cette dame n'était pas seulement illustre par sa naissance et la haute situation sociale de son mari, mais encore par son esprit, son érudition, son goût des arts et la réputation qu'elle avait acquise en France et en Europe, ainsi qu'on peut, en juger par sa correspondance avec Catherine de Médicis, Charles IX et la reine d'Angleterre, la fameuse Elisabeth (1). Elle avait parfois de bons mots et de belles réparties. À propos de la promotion de dix-huit chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, faits en 1560 par le roi Charles IX, qui fut fort critiquée à cette époque, Mme de Crussol dit au roi « qu'il avait fort bieu advisé de n'en faire que dix-huit et non pas vingt, car on les eut appelés les vins nouveaux, par allusion aux vins nouveaux de cette année qui étaient tous guinguets et ne valaient rien. »

(1) Les originaux de toutes ces lettres sont actuellement entre les mains de Mme la duchesse d'Uzès, en son hôtel, avenue des Champs-Elysées, 76, à Paris. Elles ont été reproduites par le marquis d'Aubais dans son recueil de pièces fugitives pour servir à l'Histoire de France.

Usant de cette grande liberté, d'esprit que la cour souffrait en elle, la duchesse d'Uzès continua sous Henri III à vivre avec une sorte d'intimité avec la reine mère, le roi; la reine de Navarre, le prince de Condé et surtout la spirituelle princesse de Conti. La reine de Navarre appelait dans ses lettres la duchesse ma Sybille. La duchesse d'Uzès semblait en effet comme l'oracle, sinon de la cour, du moins de la famille royale (1).

(1) (Voir Le Cabinet historique, janvier-mars, 1873, p. 61).

Elle avait fait le projet d'acquérir la Maison Carrée, qui était alors une propriété particulière, et d'élever au dedans de ce magnifique édifice un monument pour servir de tombeau à feu son mari, à elle et à sa famille, et d'y joindre deux hôpitaux, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes, en les dotant de 2.000 livres de rente (1). Mais ce projet ne put se réaliser (2).

(1) Voir la lettre qu'elle écrivit aux consuls. Histoire de Nîmes, tome V, page 153.
(2) La Maison Carrée finit par devenir la propriété des seigneurs de Saint-Chaptes, dont le nom de famille était de Brueys, ancêtres de l'amiral de ce nom. Cet édifice fút employé par eux à un usage ignoble. Il servit longtemps d'écurie jusqu'à ce que les Augustins l'eussent acheté en 1670, pour en faire une église à côté de laquelle ils bâtirent leur monastère, qui a subsisté jusqu'à la révolution.

Elle mourut en 1596. Bien avant cette époque, et au mois de septembre 1586, était mort Jacques de Crussol, duc d'Uzès et pair de France, duquel descend directement le jeune duc, d'Uzès d'aujourd'hui, ayant le même prénom de Jacques. Ce duc d'Uzès, si connu dans l'histoire sous le nom de baron d'Acier, qu'il portait du vivant de son frère aîné, avait été conseiller d'État, capitaine de cent hommes d'armes des ordonnances du roi, et comme je viens de le dire ci-dessus, chevalier du Saint-Esprit, à la première création de cet ordre par Henri III.
On cite une réponse mémorable qu'il fit durant les guerres de religion, à un ordre inhumain du duc de Montpensier.
« L'honneur est mon seul directeur; il ne me conseillera jamais de livrer les femmes et les filles à la brutalité des soldats, de tuer un ennemi désarmé, de manquer à la parole que j'aurai donnée. » (1).

Jacques de Crussol avait épousé le 29 août 1568, Françoise de Clermont, nièce de sa belle-soeur la duchesse d'Uzès, et fille d'Antoine de Clermont, comte de Clermont, premier baron du Dauphiné, seigneur d'Ancy le Franc, chevalier de I'ordre du roi, et de la dame Françoise de Poitiers (2), dont il eut :
1° Emmanuel, qui succèdera à son père en 1586.
2° Louise, épousa le 2 avril 1590 Anne de la Jugie, baron de Rieux, chevalier des ordres du roi, capitaine de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances (3) ;
3° Marie, épousa le 29 septembre 1590, au château de Clermont en Auvergne, Cristophe de Chabanne, marquis de Cartou, comte de Rochefort, fils du marquis et de la marquise née du Prat (4);
4° Diane, mariée le 23 novembre 1594 à Jean Vincent d'Ancezune, baron du Tor ;
5° Elisabeth, religieuse à qui le roi fit don le 1er décembre 1589, de l'abbaye de Montmartre (5) ;
6° Diane, épousa le 23 novembre 1594 au château ducal d'Uzès, Jean Vincent Cadus, seigneur de Caderousse, fils de Rostan Cadus, seigneur de Caderousse, baron du Thor, et de la baronne née Magdelaine de Tournon (6).

La veuve du duc d'Uzès mourut en 1608 à Pézenas (7)

(1) Histoire de l'ordre du Saint-Esprit, par M. de Sainte-Foix, tome 1, page 168.
Relations de l'arrivée et du séjour à Uzès du duc de Crussol, par Pons et Dumas, professeur au collège d'Uzès, 1824, page 5.
(2) Extrait sommaire des titres de la Maison de Crussol. (Archives ducales).
(3) Archives ducales. Inventaire, page 76.
(4) Id. Id.
(5) Archives ducales, inventaire, page 22, verso.
(6) Id. Id. Inventaire, page 43.
(7) Charvet. Première maison d'Uzès, page 50.

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Biographie des 9 ducs d'Uzès, sous l'ancien régime
>
Antoine de Crussol, premier Duc d’Uzès (1528-1573)
Madame de Clermont Tonnerre, épouse d'Antoine de Crussol - Premiere Duchesse d’Uzès
> Jacques de Crussol, deuxième Duc d'uzès (1540-1584)
> Emmanuel Ier de Crussol, troisième Duc d’Uzès (1570-1657)
> François Ier de Crussol, quatrième Duc d’Uzès (1604-1680)
> Emmanuel II de Crussol, cinquième Duc d’Uzès (1642-1692)
> Louis de Crussol, sixième Duc d'Uzès (1673-1693)
> Jean-Charles de Crussol, septième Duc d'Uzès (1675-1739)
> Charles-Emmanuel de Crussol, huitième duc d'Uzès   (1707-1762)
>
Les Aventures du Duc d’Uzès « dit le Bossu »
> François-Emmanuel de Crussol, neuvième Duc d’Uzès (1728-1802)
> Biographie parlementaire des Ducs d’Uzès
Le duché d'uzès
> Le château et les Ducs d'Uzès
> L’origine du Duché-Pairie d’Uzès
> De Crussol, Duc d’Uzès sur internet
> Biographie de la Duchesse d’Uzès sur internet (1847-1933)

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